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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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25 mai 2015 1 25 /05 /mai /2015 17:10

Résumé

Dans cette chronique, nous décrirons plusieurs recherches récentes qui confirment et précisent l’importante hétérogénéité de la "maladie d’Alzheimer" et, plus généralement, du déclin cognitif des personnes âgées. Cette hétérogénéité se manifeste au plan cognitif, avec la mise en évidence, chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer », de différents sous-types de déficits cognitifs (dont certains caractérisés par une préservation de la mémoire épisodique), associés à des caractéristiques démographiques et neurobiologiques distinctes.

Elle s’exprime en outre au plan neuro-anatomique, avec l’identification chez des personnes avec un diagnostic de « maladie d’Alzheimer de sous-types différents d’amincissement cortical (pouvant ne pas affecter les régions temporales internes), également associés à des caractéristiques cliniques spécifiques.

Enfin, l’hétérogénéité s’observe aussi dans les trajectoires du déclin cognitif des personnes âgées et, en particulier, dans le déclin cognitif « résiduel », à savoir celui qui n’est pas expliqué par les caractéristiques neuropathologiques « communes » (substance amyloïde, dégénérescences neurofibrillaires, infarctus cérébraux, corps de Lewy, sclérose hippocampique). Ces variations dans le déclin cognitif « résiduel » paraissent dépendre de différents facteurs psychologiques, neurobiologiques et en lien avec le style de vie.        

Des données de plus en plus nombreuses conduisent à mettre en question la conception essentialiste de la « maladie d’Alzheimer » (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014). Selon cette conception, la « maladie d’Alzheimer » a une cause neurobiologique précise et spécifique (une essence), et est associée à des symptômes spécifiques, qui la distinguent d’autres maladies neurodégénératives et du vieillissement normal. Il s’agit aussi d’une approche catégorielle, qui décrit le vieillissement cérébral et cognitif problématique à partir de catégories de maladies, différentes et spécifiques. Dans cette chronique, nous présenterons plusieurs études récentes qui infirment cette conception essentialiste.

 

L’hétérogénéité cognitive de la « maladie d’Alzheimer »

L’existence de très grandes différences dans la nature des difficultés cognitives présentées par les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » est maintenant largement admise (McKhann et al., 2011). Ainsi, outre des déficits de mémoire (voire sans troubles importants de ce type), les personnes peuvent montrer une grande variété de difficultés cognitives (de perception du monde, de réalisation de gestes, d’organisation des actions, de langage, d’attention).

Dans une étude récente, Scheltens et al. (2015) ont non seulement confirmé cette hétérogénéité cognitive, mais ils ont également montré que les différents patterns cognitifs observés étaient associés à des caractéristiques démographiques et neurobiologiques distinctes. Plus spécifiquement, ils ont effectué une analyse en classes latentes sur les résultats à divers tests neuropsychologiques obtenus auprès d’une série consécutive de 938 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » probable (diagnostic établi selon les critères standards), et ce, en utilisant le score au MMSE comme covariable. Les tests neuropsychologiques auxquels ont été soumises les personnes (dont l’âge moyen était 69 ans) évaluaient la mémoire épisodique, le fonctionnement exécutif, l’attention et le fonctionnement visuo-spatial.

Les analyses ont mis en évidence 8 sous-types (clusters) cognitifs. Deux sous-types (incluant 49% de l’échantillon) étaient caractérisés par des troubles prédominants de la mémoire : un sous-groupe avait un MMSE moyen de 24 (sous-type « Mémoire Léger ») et l’autre un MMSE moyen de 19 (sous-type « Mémoire Modéré »), ce dernier manifestant également des difficultés exécutives. Trois sous-types, incluant 29% de l’échantillon, avaient un fonctionnement mnésique relativement préservé : un sous-type montrait des scores faibles aux tests de langage et visuo-spatiaux (MMSE moyen de 25 ; sous-type « Langage/Visuo-spatial Léger ») ; un sous-type avait principalement des troubles exécutifs et un MMSE moyen de 23 (sous-type « Exécutif Léger ») ; le troisième sous-type avait des déficits marqués dans le domaine visuo-spatial et présentait un MMSE moyen de 19 (sous-type « Visuo-spatial Modéré »). Enfin, trois sous-types, incluant 28% de l’échantillon, n’étaient caractérisés ni par des troubles de mémoire prédominants, ni par un fonctionnement mnésique préservé : un sous-type avait un trouble cognitif global et un MMSE moyen de 21 (sous-type « Diffus Léger) » ; un sous-type avait des déficits diffus, mais manifestait surtout des troubles du langage et avait un MMSE moyen de 20 (sous-type « Langage Modéré ») ; le dernier sous-type avait aussi des troubles cognitifs diffus, mais avec un MMSE moyen de 14 (sous-type « Diffus Sévère »).

Par ailleurs, les analyses ont montré que ces différents sous-types entretenaient des relations spécifiques avec différentes caractéristiques démographiques et neurobiologiques. Ainsi, par exemple, le sous-type « Mémoire Léger » était associé à un âge plus élevé et le sous-type « Mémoire Modéré » à une atrophie plus importante des régions temporales internes. Par ailleurs, les personnes du sous-type « Visuo-spatial Modéré », avec préservation de la mémoire, étaient plus jeunes, avaient un génotype ApoE ε4 négatif et montraient une atrophie postérieure prédominante. Le sous-type « Langage Modéré » était, quant à lui, associé à davantage d’hyperintensités de la substance blanche (suggérant une implication vasculaire) et à des concentrations plus élevées de protéine tau.

Comme le relèvent les auteurs, ces résultats confirment l’extrême complexité et l’importante hétérogénéité de la condition étiquetée « maladie d’Alzheimer », avec la contribution, variable selon les personnes, de différents mécanismes neurobiologiques. Ces données devraient néanmoins être répliquées sur des échantillons plus importants de personnes. De façon intéressante, Peter et al. (2014) ont constaté que les sous-types cognitifs identifiés chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » demeuraient stables avec le temps.

 

« Maladie d’Alzheimer » et hétérogénéité neuro-anatomique

L’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer » se manifeste aussi au plan neuro-anatomique. Ainsi, Noh et al. (2014) ont utilisé l’imagerie par résonance magnétique en trois dimensions afin d’examiner si la « maladie d’Alzheimer » pouvait être catégorisée en sous-types anatomiques distincts et si ces sous-types étaient associés à des caractéristiques cliniques distinctes. Pour ce faire, ils ont évalué l’épaisseur corticale de 152 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » à un stade précoce (CDR* global de 0.5 ou 1) et les sous-types anatomiques identifiés ont été comparés à un groupe de personnes de contrôle appariées en âge et genre. Les résultats ont montré que les personnes avec un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » peuvent être catégorisées en différents sous-types anatomiques, de 3 à 6 sous-types selon le niveau de catégorisation. Au niveau 3 de catégorisation, les personnes ont été divisées en un sous-type TI (34.2%) « atrophie prédominante temporale interne bilatérale », un sous-type P (18.4%) « atrophie bilatérale des lobes pariétaux, du précuneus, et des régions frontales dorsolatérales bilatérales », et un sous-type D (47.4%) « atrophie diffuse ».

Par ailleurs, il faut relever que les personnes du sous-type P étaient plus jeunes au moment du début des troubles que les personnes des deux autres sous-types, et que la proportion de femmes et d’hommes était quasiment équivalente dans ce sous-type, alors que les femmes étaient plus nombreuses dans les deux autres sous-types. Les personnes du sous-type P avaient moins souvent un génotype ApoE ε4, cette différence n’atteignant cependant pas le seuil de signification. Au plan cognitif, les personnes du sous-type P présentaient davantage de déficits attentionnels, visuo-spatiaux et exécutifs que les deux autres sous-types. Ces personnes, bien que montrant une préservation des régions temporales internes, présentaient aussi des troubles de la mémoire épisodique, lesquels pourraient être la conséquence des troubles attentionnels et exécutifs. Au sein du sous-type P, les personnes avec une atteinte hémisphérique gauche avaient des déficits affectant surtout la dénomination, la mémoire verbale et la fluence verbale, alors que les personnes avec une atteinte hémisphérique droite avaient surtout des déficits affectant les fonctions visuo-spatiales. Quant aux personnes du sous-type TI, elles étaient plus âgées au début des troubles, plus du genre féminin, et plus du génotype ApoE ε4. Le sous-type D possédait des caractéristiques intermédiaires entre les deux autres sous-types.

A nouveau, ces données anatomiques soulignent, cette fois au plan neuro-anatomique, le caractère complexe et hétérogène de la « maladie d’Alzheimer ».

 

Vieillissement et hétérogénéité des trajectoires cognitives

Une hétérogénéité considérable existe également dans les trajectoires cognitives des personnes âgées, certaines personnes déclinant rapidement, d’autres montrant un déclin plus lent, et d’autres encore pouvant demeurer stables pendant un longue période, voire même s’améliorer.

Dans ce contexte, Boyle et al. (2013) ont montré, auprès de 856 personnes âgées décédées, autopsiées et qui avaient été suivies longitudinalement au plan cognitif pendant une période moyenne de 7.5 ans, que les mesures de pathologie globale « Alzheimer », d’accumulation de substance amyloïde, de dégénérescences neurofibrillaires, d’infarctus macroscopiques et de corps de Lewy rendaient compte d’une proportion substantielle des variations inter-individuelles dans le déclin cognitif des personnes âgées (ces mesures expliquaient respectivement 22%, 6%, 34%, 2% et 8% de ces variations). Quand elles étaient prises en compte simultanément, ces mesures pathologiques rendaient compte de 41% de la variation dans le déclin cognitif et, dès lors, la majorité de la variation n’était pas expliquée par ces mesures, suggérant ainsi que d’autres déterminants importants restaient à identifier.

Dans un travail ultérieur issu de la même équipe, Yu et al. (2015) se sont penchés sur l’hétérogénéité du déclin cognitif « résiduel », à savoir les différentes trajectoires du déclin cognitif qui n’est pas expliqué par les caractéristiques neuropathologies communes (substance amyloïde, dégénérescences neurofibrillaires, infarctus cérébraux, corps de Lewy, sclérose hippocampique), et ce, auprès de 876 personnes décédées, autopsiées et qui avaient reçu jusqu’à 19 vagues d’évaluations cognitives. Quatre sous-types distincts de déclin cognitif « résiduel » ont été observés : 44% des personnes ne présentaient que peu ou pas de déclin cognitif « résiduel », à savoir un déclin non expliqué par les caractéristiques neuropathologiques communes ; 35% montraient un déclin modéré; 13% montraient un déclin sévère, et les 8% restants manifestaient des fluctuations intra-individuelles importantes dans les mesures cognitives longitudinales.

Par ailleurs, ces quatre sous-types diffèraient dans les facteurs psychologiques, neurobiologiques et en lien avec le style de vie qui ont été précédemment associés au déclin cognitif. Plus spécifiquement, en comparaison au sous-type de personnes qui montraient peu ou pas de déclin cognitif « résiduel », les personnes qui déclinaient avaient davantage de symptômes dépressifs, étaient plus socialement isolées, étaient moins engagées dans des activités cognitives ou physiques, et avaient une densité moindre de neurones noradrénergiques dans le locus ceruleus.

Ces résultats indiquent en quoi il paraît essentiel de mieux comprendre les mécanismes qui, au-delà des changements pathologiques communs, sont impliqués dans le déclin cognitif manifesté par certaines personnes âgées.

 

Conclusion

Ces études récentes ne font que renforcer le point de vue de Chételat (2013) selon lequel la conception unitaire de la « maladie d’Alzheimer » en tant que maladie caractérisée par une trajectoire pathologique unique et spécifique est progressivement remplacée par une vision plus complexe qui envisage cette « maladie» comme une condition plurifactorielle, sous-tendue par plusieurs processus pathologiques partiellement indépendants, interagissant les uns avec les autres selon des organisations séquentielles variées et subissant l’influence de divers facteurs de risque à la fois communs et spécifiques.

D’autres auteurs (p. ex., Chen et al., 2011 ; Herrup, 2010 ; voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014) ont par ailleurs fait un pas supplémentaire en considérant qu’il fallait réintégrer la « maladie d’Alzheimer », mais aussi les autres maladies neurodégénératives, dans le cadre plus général du vieillissement cérébral, en prenant en compte la multiplicité et le caractère probabiliste des facteurs qui, tout au long de la vie, modulent l’évolution du déclin cognitif.

* Clinical Dementia Rating, échelle destinée à quantifier, via un entretien structuré portant sur diverses capacités cognitives dans la vie quotidienne, l’importance de l’affection « démentielle ".

"Hétérogénéité", travail d'un élève de 6e du collège A. Camus de Frontenay-Rohan-Rohan

"Hétérogénéité", travail d'un élève de 6e du collège A. Camus de Frontenay-Rohan-Rohan

Boyle, P. A., Wilson, R. S., Yu, L., Barr, A. M., Honer, W. G., Schneider, J. A., & Bennett, D. A. (2013). Much of late life cognitive decline is not due to common neurodegenerative pathologies. Annals of Neurology, 74, 478-489.

Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 3-10.

Chételat, G. (2013). Aβ-independent processes: Rethinking preclinical AD. Nature Reviews/Neurology, 9, 123-124.

Herrup, K. (2010). Reimagining Alzheimer’s disease. An age-based hypothesis. The Journal of Neuroscience, 15, 16755-16762.

Noh, Y., Jeon, S., Lee, J. M., Kim, G. H., Cho, H., Ye, B. S., …Na, D. L. (2014). Anatomical heterogeneity of Alzheimer disease. Based on cortical thickness on MRIs. Neurology, 83, 1936-1944.

Peter, J., Abdulkadir, A., Kaller, C., Kümmerer, D., Hüll, M., Vach, W., & Klöppel, S. (2014). Subgroups of Alzheimer’s disease : stability of empirical clusters over time. Journal of Alzheimer’s Disease, 42, 641-651.

Scheltens, N. M. E., Galindo-Garre, F., Pijnenburg, Y. A. L., van der Vlies, A., Smits, L. L., Koen, T., … van der Flier, W. M. (2015). The identification of cognitive subtypes in Alzheimer’s disease dementia using latent class analysis. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, sous presse.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles : Mardaga.

Yu, L., Boyle, P. A., Segawa, E., Leurgans, S., Schneider, J. A., Wilson, R. S., & Bennett, D. A. (2015). Residual decline in cognition after adjustment for common neuropathological conditions. Neuropsychology, 29, 335-343.

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commentaires

L
Excellent article, comme souvent, je passe régulièrement vous lire c'est intéressant surtout continuez ! A bientot ;)
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T
La recherche avance et de nouvelles pistes sont étudiées chaque année. Si votre article est vrai, cela veut dire que les patients ne sont pas correctement pris en charge aujourd'hui.
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V
Cela veut il dire que l'approche actuelle est totalement erronée et qu'Alzheimer n'existe en réalité pas, versus différentes maladies neurodégénératives indépendantes? Les recherches actuelles prennent elles cette théorie en compte? on a l'impression que les essais cliniques se concentrent sur une seule et unique maladie. <br /> Cela veut il également dire que les approches cognitives sont trop partielles et ne prennent pas en compte les individualités de diagnostic pour chaque patient?
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