Dans une lettre que nous avions envoyée en août 2009 à la Présidente de l’association France Alzheimer (voir notre chronique « Madame la Présidente, nous vous faisons une lettre... » ), nous nous étions fortement insurgés contre un clip ignoble réalisé à la demande de cette association et qui était destiné à une diffusion à grande échelle en France (voir ce clip ici). Ce clip présentait une vision apocalyptique de la "maladie d'Alzheimer" et, ce faisant, contribuait à déshumaniser et marginaliser plus encore les personnes ayant reçu ce diagnostic. Heureusement, un vaste mouvement d’indignation, exprimé sous la forme d’une pétition relayée par internet, avait conduit à l’abandon du projet.
Une campagne de sensibilisation récemment proposée par l’association Suisse Alzheimer et Pro Senectute, via le site memo-info.ch, s’inscrit malheureusement dans la même perspective, même si elle clairement moins violente.
Cette campagne consiste en de petits clips vidéos qui « … mettent en scène des situations de la vie quotidienne impliquant un élément qui suscite une gêne », telles que ranger des chaussures dans le réfrigérateur, placer des assiettes dans l’armoire à vêtements ou mettre des saucisses de Vienne dans le verre à dents. Voyez donc ici l’extrait de cette campagne en lien avec les saucisses de Vienne (les autres mises en scène, visibles sur ce site, étant du même acabit).
Selon les concepteurs de cette campagne, ces clips « … symbolisent des situations familières à beaucoup de personnes atteintes de démence au stade initial et à leurs proches ». [sic]
Que le vieillissement s’accompagne parfois de distractions consistant à mal placer certaines objets (comme mettre à la poubelle ce qui devrait aller dans le frigo et réciproquement) est un fait bien connu et cela s’observe même chez des personnes âgées ne présentant pas un vieillissement problématique ou une « démence » (cela peut d’ailleurs également arriver chez des personnes jeunes... ). Cependant, mettre à l’avant-plan des erreurs aussi caricaturales et aussi invraisemblables (en particulier, chez des personnes à un stade initial de « démence ») que mettre des saucisses dans un verre à dents ou des chaussures dans le réfrigérateur frise le sensationnalisme et n’est pas acceptable.
Tous les moyens ne sont pas bons pour sensibiliser ! Que des associations prioritairement chargées (et revendiquant) de défendre les personnes âgées présentant des difficultés cognitives véhiculent de telles caricatures auprès du grand public va clairement à l'encontre de la dignité de ces personnes et renforce leur stigmatisation et leur isolement. Il est grand temps de raconter un autre récit de la « maladie d'Alzheimer » et ces associations devraient y contribuer, notamment en mettant en avant le potentiel de développement de ces personnes, leurs capacités préservées et le maintien de leur identité et de leur humanité
Nous vous suggérons aussi de prendre connaissance de la position soutenue par l'association Suisse Alzheimer sur le site memo-info.ch concernant les médicaments « anti-Alzheimer » [lien]. Elle n’a rien à envier à celle adoptée par l’association Alzheimer France et elle laisse profondément songeur en regard des données actuelles sur l’efficacité de ces traitements... (voir nos deux chroniques précédentes « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments anti-Alzheimer ? » et « Le courage politique de s'opposer à l'empire Alzheimer et de changer d'approche »). Cette position démontre une fois de plus que la plupart des associations Alzheimer sont inféodées au modèle biomédical dominant et servent de caution à ce modèle vis-à-vis du grand public et des institutions politiques et sociales.