Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont encore fréquemment victimes de stigmatisation, de discrimination et de violations des droits humains partout dans le monde. Ces dernières années, un intérêt croissant s’est porté vers la situation des aîné.e.s LGBT. Le constat est clair : les aîné.e.s LGBT sont presque invisibles, le personnel travaillant auprès des aîné.e.s manque de formation et leurs besoins spécifiques sociaux et de santé semblent être mis de côté, faute de politique inclusive généralisée ou de moyens financiers. Par ailleurs, les personnes âgées LGBT qui ont reçu un diagnostic de « démence » sont confrontées au défi de résister à une double stigmatisation : celle en lien avec le diagnostic de « démence », et celle associée à leur sexualité. Il y a donc urgence à initier des plans d’actions impliquant les pouvoirs publics, les institutions travaillant en lien avec les personnes âgées, le monde associatif et l’économie privée, avec l’objectif d’identifier ou de préciser les besoins sociaux, de soutien et de santé des aîné.e.s LGBT et de mettre en place des actions ciblées, avec suivi, évaluation et ajustement des pistes d’intervention. Il s’agirait aussi de déterminer et d’appliquer différentes recommandations visant à changer de culture dans la manière qu’ont les professionnel.le.s de l’aide ou des soins d’interagir avec ces personnes.
Enfin, il importe de se pencher sur les fréquents problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que sur les facteurs de risque des personnes LGBT (jeunes et âgées), en adoptant une démarche de prévention globale et communautaire, qui prenne tout particulièrement en compte les déterminants sociaux, culturels et environnementaux (LGBT-phobies, stigmatisation, discriminations, violences) des problèmes de santé. Cette prise en compte des problèmes de santé des personnes LGBT apparaît d’autant plus importante que, comme nous l’avons montré dans différentes chroniques de ce blog, plusieurs de ces problèmes de santé et facteurs de risque contribuent au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique.
Le jeudi 17 mai 2018 s’est tenue la Journée Internationale contre les LGTB-phobies. Cette journée du 17 mai a été organisée pour la première fois en 2005, en référence à la décision prise par l’Organisation Mondiale de la Santé, le 17 mai 1990, de retirer l’homosexualité des maladies mentales. Elle a pour vocation de rassembler toutes les personnes concernées par la stigmatisation, les discriminations, les inégalités et les violations des droits humains dont sont victimes les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres (LGBT) partout dans le monde.
Les personnes âgées LGBT
Ces dernières années, un intérêt croissant s’est porté sur la situation des aîné.e.s LGBT. Ainsi, dans le contexte de la Journée Internationale contre les LGTB-phobies, la Ville de Genève, sous l’impulsion de Sandrine Salerno (conseillère administrative en charge de l’Egalité et de la Diversité) et d'Esther Alder (conseillère administrative en charge de la Cohésion sociale et de la Solidarité), a souhaité donner la parole aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées* (LGBTI) de plus de 65 ans, et ainsi « sensibiliser le grand public et les professionnel.le.s travaillant auprès des aîné.e.s sur les enjeux spécifiques associés à cette population. Ainsi, du 9 au 30 mai 2018, six portraits d’aîné.e.s LGBTI sont visibles dans les rues, les parcs et places de Genève. Agées de 58 à 80 ans, ces personnes représentent, dans la singularité de leur parcours, la diversité des aîné.e.s LGBTI, la complexité de leurs besoins spécifiques, la multiplicité de leurs craintes vis-à-vis de la vieillesse, mais aussi leur engagement, leur dynamisme et leur amour de la vie » (voir https://www.ville-ge.ch/17mai-geneve et affiches dans toute la ville, voir ci-dessous). Outre les affiches, diverses activités ont également été prévues, notamment, le 17 mai, de mettre le Jet d’eau genevois aux couleurs arc-en-ciel emblématiques du mouvement.
Il s’agit de rappeler, selon les termes de Sandrine Salerno, que « ce qui est au cœur, c’est le droit d’aimer ».
* L’intersexuation désigne les personnes nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques d’homme ou de femme.
Par ailleurs, la ville de Genève a mandaté l’Association 360 (« Au service de notre diversité » http://association360.ch/) pour étudier les besoins spécifiques des personnes LGBTI de plus de 55 ans dans le contexte genevois. Ce mandat a donné lieu à un rapport de pré-enquête, à visée exploratoire (« Phase préparatoire en vue d’une enquête-actions sur les besoins des aîné.e.s lesbiennes, gays, bi et trans*, LGBT, à Genève », lien).
De ce rapport, il apparaît tout d’abord que les personnes âgées LGBT sont nombreuses à Genève. En effet, selon diverses études (notamment françaises), on peut considérer qu’il y a entre 5% et 10% de LGBT en zone urbaine. Comme le canton de Genève compte actuellement 16.4% de personnes âgées de plus de 65 ans et qu’elles représenteront plus de 23% de la population générale en 2040, le rapport estime qu’il y a actuellement entre 4’000 et 8’000 aîné.e.s LGBT dans le canton de Genève (dont un peu moins de la moitié en ville de Genève), et qu’elles seront entre 7'000 et 15'000 dans le canton à l’horizon 2040 (et entre 2'500 et 5'000 en ville de Genève). Il faut par ailleurs relever que les personnes LGBT ne sont pas encore dans les conditions optimales pour s’affirmer et donc apparaître toutes dans les statistiques.
Et pourtant, sur base de leur état des lieux à Genève (et, plus largement, en Suisse), les auteur.e.s du rapport concluent que « les aîné.e.s LGBT sont presque invisibles, le personnel manque de formation et les besoins spécifiques sociaux et de santé des aîné.e.s LGBT semblent être mis de côté, faute de politique inclusive généralisée ou de moyens financiers ». Il faut également noter que les professionnel.le.s LGBT sont aussi susceptibles d’être discriminé.e.s, que ce soit par leurs propres collègues ou par les personnes âgées dont elles s’occupent. Cette situation n’est évidemment pas spécifique au canton de Genève (ou plus largement à la Suisse). Néanmoins, on a vu émerger une prise de conscience dans différentes villes et pays, s’accompagnant de divers types d’interventions visant à un changement de culture et de pratiques. Dans ce contexte, le rapport mentionne, de façon pertinente, que « la levée des tabous, l’amélioration des pratiques à l’égard des aîné.e.s LGBT bénéficiera à l’ensemble des seniors, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre, notamment pas une meilleure prise en compte de leurs besoins relationnels et sexuels » (voir notre chronique « La sexualité chez les personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme » [lien]).
Le rapport reconnaît que plusieurs questions sont restées sans réponse dans cette pré-enquête, notamment faute de données statistiques. Ainsi, par exemple, certaines études menées en France ou aux Etats-Unis ont mis en évidence que la précarité économique toucherait tout particulièrement les personnes âgées LGBT, ce qui n’a pas pu être exploré dans la pré-enquête. Ce rapport plaide dès lors pour la mise en place d’une recherche-action impliquant les pouvoirs publics, les institutions travaillant en lien avec les personnes âgées, le monde associatif, l’économie privée, avec l’objectif d’identifier ou de préciser les besoins sociaux, de soutien et de santé des aîné.e.s LGBT, et de mettre en place des actions ciblées, avec suivi, évaluation et ajustement des pistes d’intervention. Il s’agirait aussi d’évaluer la pertinence et la faisabilité à Genève de certaines initiatives qui ont vu le jour ailleurs, parmi lesquelles le rapport pointe :
* La création d’un label « Ami-e des personnes âgées LGTB » et l’établissement de critères d’obtention de ce label pour les structures d’hébergement et les structures d’aide aux personnes (formation du personnel, cadre favorable à l’expression de sa sexualité et de son orientation sexuelle).
* La mise en place, en lien avec les associations, de modules de formation du personnel des structures d’hébergement et d’aide aux personnes dans le domaine de la sexualité des aîné.e.s (y compris des aîné.e.s LGBT).
* La valorisation et la transmission de la mémoire des aîné.e.s LGBT via, par exemple, un centre d’archivage associatif, les archives étant essentielles pour la construction d’une mémoire collective et communautaire (valorisation du passé militant, mémoire des discriminations vécues, reconnaissance et légitimation d’une histoire commune spécifique dont les générations actuelles de LGBT sont les héritières).
* L’organisation d’assises des aîné.e.s LGBT, afin de sensibiliser les institutions à la nécessité d’organiser des formations et de fédérer les employé.e.s LGBT (lesquel.le.s pourraient constituer des ambassadeur.drice.s essentiel.le.s d’espaces où la parole sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la sexualité est libérée).
* La création de groupes d’aîné.e.s LGBT et le renforcement des groupes existants.
* L’organisation de moments de convivialité dans les clubs ou associations d’aîné.e.s, afin de libérer la parole des éventuelles personnes LGBT présentes ou d’amener de nouvelles personnes à fréquenter ces lieux.
* La création d’un lieu ouvert, de type permanence de jour, destiné aux aîné.e.s LGBT ou d’une permanence dédiée dans un lieu non spécifiquement LGBT
* Le lancement d’une permanence téléphonique de soutien et d’aide et la création d’un réseau d’échanges, éventuellement intergénérationnel, entre personnes LGBT.
Les personnes âgées LGBT présentant une « démence »
Plusieurs études qualitatives récentes se sont plus spécifiquement penchées sur le vécu des personnes âgées LGBT présentant une « démence » (voir p. ex. McGovern, 2014 ; Barrett et al., 2015 ; Fredriksen-Goldsen et al., 2018 ; McParland & Camic, 2018 ; Rosendale & Andrew Josephson, 2015). De façon générale, le défi auquel sont confrontées ces personnes est de résister à une double stigmatisation : celle en lien avec le diagnostic de « démence » et celle associée à leur sexualité. Cette résistance passe par une série de décisions difficiles, impliquant notamment le fait de dévoiler ou non leur sexualité, tout en s’assurant que les meilleurs soins continueront à leur être prodigués, et en tentant de promouvoir leur individualité et celle de leur couple. Dans ce contexte, il apparaît que les partenaires aient un rôle particulièrement important à jouer.
Après avoir passé en revue les différentes études consacrées aux personnes âgées LGBT présentant une « démence » (et plus largement aux personnes LGBT ayant eu un problème neurologique), Moreno, Laoch et Zasler (2017) ont proposé différentes recommandations visant à changer de culture dans la manière qu’ont les professionnel.le.s d’interagir avec ces personnes. Nous reprendrons ici celles qui nous apparaissent les plus pertinentes par rapport aux personnes LGBT ayant reçu un diagnostic de « démence » :
* L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas des préférences et ne constituent pas une composante du style de vie. Les professionnel.le.s doivent être conscient.e.s du fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre font intrinsèquement partie des caractéristiques de la personne et ils/elles doivent dès lors éviter d’utiliser les termes de « préférence », « style de vie », ou « choix ».
* Explorer, au moyen de questions ouvertes, la manière dont la « démence » affecte la sexualité et demander s’il y a un point que les personnes LGBT souhaiteraient aborder.
* Examiner dans quelle mesure les personnes LGBT souhaitent faire connaître leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, et examiner avec elles les conséquences potentielles de cette révélation.
* Utiliser un langage neutre du point de vue du genre et non hétéronormatif, et ce, afin de transmettre l’acceptation par les professionnel.le.s de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, et ainsi de favoriser le lien avec les personnes LGBT. S’assurer que les supports écrits utilisés dans l’établissement (brochures, textes à des fin d’animation, etc.) adoptent un langage qui reflète l’inclusion des personnes LGBT (p. ex., partenaire ou être cher plutôt que mari ou femme ; parents plutôt que père et mère ; etc.).
* Mettre en question les stéréotypes négatifs que pourraient avoir les professionnel.le.s, en sachant qu’ils/elles peuvent avoir des niveaux variés de compétence culturelle LGBT : accroître la prise de conscience de la diversité sexuelle fait partie intégrante des responsabilités professionnelles et éthiques.
* Réfléchir à la façon dont les valeurs et les perspectives personnelles des professionnel.le.s peuvent avoir un impact sur leur travail auprès de personnes LGTB, et identifier les moyens de modifier ces conceptions et attitudes lorsqu’elles sont préjudiciables.
* Quand un.e partenaire est présent.e (ou tout autre être cher), lui permettre d’être partie prenante du processus de soins (bien entendu avec l’accord des personnes).
* Souvent, les familles biologiques ne constituent pas le groupe de soutien des personnes LGBT et c’est plutôt le cas des familles de choix ou familles sociales. Dans certains cas, les familles biologiques et les familles de choix devront négocier leur implication dans la planification des soins, mais les familles de choix ne devront pas être considérées comme moins importantes ou moins légitimes.
* Fournir aux proches aidants un soutien émotionnel, dénué de tout jugement.
* Fournir des espaces privés dans les structures d’hébergement, afin de permettre aux résidents LGBT d’exprimer librement leur amour, affection et intimité à leur partenaire (ou à tout autre être cher).
* Offrir le choix aux personnes LGBT d’opter pour des soins intimes prodigués par un.e professionnel.le.s du même genre, certaines personnes pouvant en effet considérer les soins intimes comme plus intrusifs s’ils sont prodigués par quelqu’un qui n’est pas du même genre.
* Fournir des numéros de téléphone ou des aides en ligne permettant aux personnes LGBT et à leurs proches aidants de recevoir un soutien ou des conseils.
* Dans les établissements de soins ou d’hébergement, utiliser des signes permettant d’identifier que ces structures reconnaissent pleinement et acceptent les personnes LGBT (p. ex., un drapeau arc-en-ciel).
* Inclure explicitement la diversité de genre et de l’orientation sexuelle dans les règles et directives institutionnelles ; identifier la manière de dénoncer des pratiques discriminatoires et déterminer une personne ayant la responsabilité de répondre à ces situations, en assurant la confidentialité.
La santé physique et psychologique des personnes LGBT et le risque de « démence »
Les personnes LGTB (qu’elles soient jeunes ou âgées) présentent de façon plus fréquente divers problèmes de santé physique et psychologique. Ainsi, par exemple, plusieurs enquêtes réalisées entre 2002 et 2011 par l’association genevoise Dialogai (http://www.dialogai.org/), en collaboration avec l’Université de Zurich, montrent que, au-delà des infections sexuellement transmissibles, les hommes gays et bisexuels de Genève sont en plus mauvaise santé physique et psychologique que les hommes de la population générale, et ce, dans la plupart des domaines de la santé (allergies, sinusite, dépression, anxiété, migraine, herpès, tentatives de suicide, etc.). En outre, ils présentent plus souvent divers facteurs de risque, tels que tabagisme, consommation excessive d’alcool, usage de drogues, hypertension artérielle, taux de glucose trop élevé, taux de cholestérol trop élevé (pour une description plus détaillée de ces résultats, voir le pdf Stratégie santé 2030 [lien]). Les auteur.e.s de ces enquêtes en appellent ainsi à une approche holistique et communautaire de la prévention auprès des personnes LGBT, prenant en compte les aspects biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels de la santé, et tout particulièrement les déterminants sociaux, culturels et environnementaux (LGBT-phobies, stigmatisation, discriminations, violences) des problèmes de santé.
Comme le relèvent Fredriksen et al. (2018), il en va globalement de même pour les personnes âgées LGBT, lesquelles reçoivent fréquemment des soins de santé de moindre qualité du fait de la perception de leur sexualité ou de leur identité de genre. La peur d’accéder à des soins de santé en dehors de leur communauté constitue une autre barrière à des soins adéquats. Elles sont également plus souvent confrontées à l’isolement social et au sentiment de solitude.
Cette prise en compte des problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que des facteurs de risque, des personnes LGBT (jeunes et âgées), dans une démarche de prévention globale et communautaire, apparaît d’autant plus importante que, comme nous l’avons montré dans différentes chroniques de ce blog, plusieurs de ces problèmes de santé et facteurs de risque contribuent au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique (d'une "démence").
Une formidable BD de Thibaut Lambert, qui narre l'histoire d'un couple d'homosexuels dont l'un doit être institutionnalisé en raison de troubles cognitifs. Délicat, tendre, drôle, et très en phase avec le sujet de ce jour !
Barrett, C., Crameri, P., Lambourne, S., Latham, J. R., & Whyte, C. (2015). Understanding the experiences and need of lesbian, gay, bisexual and trans Australians living with dementia, and their partners. Australasian Journal of Ageing, 34 Supplement, 34-38.
Frediksen-Goldsen, K. I., Jen, S., Bryan, A. E. B., & Goldsen, J. (2018). Cognitive impairment, Alzheimer’s disease, and other dementias in the lives of Lesbians, Gays, Bisexual and Transgender (LGBT) older adults and their caregivers : Needs and competencies. Journal of Applied Gerontology, 37, 545-569.
McGovern, J. (2014). The forgotten : Dementia and the aging LGBT community. Journal of Gerontological Social Work, 57, 845-857.
McParland, J., & Camic, P. M. (2018). How do lesbian and gay people experience dementia ? Dementia, 17, 452-477.
Moreno, A., Laoch, A., & Zasler, N. D. (2017). Changing the culture of neurodisability through language and sensitivity of providers : Creating a safe place for LGTBQIA+. NeuroRehabilitation, 41, 375-393.
Rosendale, N., & Andrew Josephson, S. (2015). The Importance of Lesbian, Gay, Bisexual, and Trasngender Health in Neurology. JAMA Neurology, 72, 855-856.