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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 21:08

Résumé de la chronique

De nombreuses études en sciences sociales ont montré en quoi la médecine moderne a influencé la perception ou la construction sociale du vieillissement en tant que phénomène négatif. Ainsi, les conceptions péjoratives de l’avancée en âge reflètent et renforcent la bio-médicalisation du vieillissement, au détriment de sa célébration, de l’acceptation du déclin naturel qui l’accompagne et de la reconnaissance du fait qu’on peut rester engagé dans la vie et vivre bien en présence de problèmes cognitifs.

Au vu du caractère très problématique et incertain du diagnostic de « Mild Cognitive Impairment » (« MCI »), les implications sociales de cette étiquette sont vraisemblablement aussi très profondes. Cependant, peu de travaux se sont penchés sur les conséquences sociales de ce diagnostic ainsi que sur l’expérience subjective des personnes qui l’ont reçu.

Joosten-Weyn Banningh et al. (2008) et Beard et Neary (2012) ont mené deux études visant à explorer, via des entretiens qualitatifs, la manière dont les personnes gèrent le diagnostic de « MCI ». Joosten-Weyn Banningh et al. ont observé que les personnes ayant reçu ce diagnostic rencontrent une série de difficultés (sociales, psychologiques et pratiques) induisant du stress, auxquelles elles attribuent des causes diverses dont certaines peuvent également induire anxiété et dépression, et auxquelles elles font face via différentes stratégies de coping plus ou moins adaptées. Beard et Neary (2012) ont quant à eux montré en quoi les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » manifestent une grande confusion et de l’incertitude vis-à-vis de ce diagnostic, résistent au processus de médicalisation véhiculé par ce concept et refusent toute association entre leur expérience et la « maladie d’Alzheimer ».

Ainsi, fournir un diagnostic aussi incertain et peu valide que celui de MCI (renvoyant à un soi-disant état prodromique de « démence ») ne peut que placer les personnes dans un état de grande confusion et contribuer à amplifier le stress, les inquiétudes et les problèmes relationnels. Ce diagnostic crée des tensions qui amènent les personnes qui le reçoivent à lutter pour préserver leur identité et éviter la stigmatisation.

 

Nous avons, à de multiples reprises et de façon nette, mis en question le concept de « Mild Cognitive Impairment » (MCI ; « trouble cognitif léger ») et avons indiqué en quoi l’utilisation de ce concept, tant au plan clinique qu’au plan de la recherche, était inacceptable : cela conduit en effet à réduire la complexité et les nuances du vieillissement cérébral et cognitif, ainsi qu’à pathologiser et stigmatiser un nombre croissant de personnes âgées (voir nos chroniques « Le trouble cognitif léger ou mild cognitive impairment : une flagrante myopie intellectuelle » ; « La pathologisation du vieillissement cognitif est en marche ! » ; « Pour en finir avec le diagnostic catégoriel de MCI »).

Dans une publication récente, deux sociologues états-uniennes se sont penchées sur la question du vécu des personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » (Beard & Neary, 2012). Les auteures situent tout d’abord leur recherche dans le contexte des nouvelle directives qui ont été récemment édictées concernant le diagnostic de la « maladie d‘Alzheimer » par des experts mandatés par  le « National Institute of Aging » et l’« Alzheimer’s Association » des Etats-Unis (voir nos chroniques « L’empire Alzheimer ne désarme pas » et « Le défi de 2012 : poursuivre et amplifier la résistance à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif »).

Ces directives incluent notamment les critères diagnostiques de deux états qui seraient des « précurseurs de la maladie d’Alzheimer » : le « Mild Cognitive Impairment (MCI) » et la « maladie d’Alzheimer préclinique ou sans symptômes ». Beard et Neary relèvent en quoi ces nouvelle catégories diagnostiques font l’objet d’un intérêt (clinique et de recherche) croissant, en dépit des très nombreux et importants problèmes conceptuels, méthodologiques et éthiques auxquels est confrontée l’utilisation de ces entités diagnostiques, avec en particulier le fait que la majorité des personnes qui reçoivent ce diagnostic n’évoluent pas vers une « démence » et soit restent stables, soit s’améliorent. Par ailleurs, ces nouvelles entités s’inscrivent dans une médicalisation galopante et sans fin du vieillissement cognitif, au sein d’une société qui attribue une importance primordiale à la cognition et à la pensée rationnelle et ce, en l’absence de données indiquant qu’un traitement médical précoce puisse être bénéfique. Enfin, ces catégories conduisent à stigmatiser et marginaliser les personnes qui reçoivent ces étiquettes diagnostiques, en particulier du fait des représentations apocalyptiques que véhicule le concept de « maladie d’Alzheimer » (la personne ayant cette « maladie » étant considérées comme un « mort vivant » ou un « zombie » ; voir nos chroniques « Le langage quotidien peut être destructeur… » ; « Changer notre vocabulaire concernant le vieillissement et les personnes âgées : la nécessité d’un débat citoyen ! »).  

Pour Beard et Neary, les institutions, telles que la médecine moderne, représentent des forces sociales puissantes dans la vie des citoyens du monde occidental. Ainsi, quand des diagnostics cliniques sont attribués, les mots du quotidien (tels que « MCI ») deviennent des étiquettes sociales qui ont le pouvoir de différentier et de discriminer les personnes. Et certains diagnostics sont davantage à même de reléguer ceux/celles qui les ont reçus au statut d’être humain de « classe inférieure » ou même de sous-humain. De nombreuses études en sciences sociales ont bien montré en quoi la médecine moderne, comme institution de contrôle social, a influencé la perception ou la construction sociale du vieillissement en tant que phénomène négatif. Ainsi, les conceptions péjoratives de l’avancée en âge reflètent et renforcent la bio-médicalisation du vieillissement, au détriment de sa célébration, de l’acceptation du déclin naturel qui l’accompagne et de la reconnaissance du fait que l’on peut rester engagé dans la vie et vivre bien, même en présence de problèmes cognitifs.

Au vu du caractère très problématique et incertain du diagnostic de « MCI », les implications sociales de cette étiquette sont vraisemblablement très profondes. Cependant, peu de travaux se sont penchés sur les conséquences sociales de ce diagnostic, ainsi que sur l’expérience subjective des personnes qui l’ont reçu. Dans une étude pionnière, Joosten-Weyn Banningh et al. (2008) ont exploré, via des entretiens guidés, la manière dont 8 personnes ayant reçu un diagnostic de MCI s’adaptaient à leur situation. Le fonctionnement de ces personnes a été caractérisé selon 4 thèmes principaux:

* Les changements : en lien non seulement avec les habiletés cognitives (de divers types), mais aussi avec la mobilité (moins de mobilité), les affects (tristesse, dépression), la vitalité (perte d’énergie) et les plaintes somatiques (céphalées).

* Les attributions ou la façon d’expliquer les changements ressentis (les personnes rapportant simultanément plusieurs types d’attributions) : ainsi, les changements sont attribués au vieillissement normal, aux traits de personnalité, à la surcharge d’informations, à un début de « démence », à la perte d’intérêt, à une perte auditive, au fait que les autres parlent trop bas, à la médication, à une opération chirurgicale ; les personnes rapportent également des pensées et réflexions récurrentes concernant l’incapacité de trouver l’origine de leurs problèmes et de concevoir leur futur.

* Les conséquences (toutes négatives) : sur la personne elle-même (anxiété, diminution de la confiance en soi, tristesse, colère envers soi-même, sentiment de menace, sentiment d’échec, sentiment de solitude, etc.) ; sur les interactions avec autrui (sentiment d’être contrôlé par son époux/se avec la colère qui s’ensuit, irritation quand l’époux/se est certain/e qu’il/elle a raison, sentiment que les autres ont identifié ses difficultés, inquiétude quant au fait que les autres ne prendront plus compte de son avis, inquiétude quant au fait de devenir une charge pour ses enfants, etc.) et sur les activités (arrêter de jouer au bridge, cesser la gestion administrative d’une association).

* Les stratégies de coping (« comment faire face », avec la mise en place de diverses stratégies plus ou moins adaptées) : stratégies d’évitement (« au lieu de me joindre à une conversation, j’écoute »), stratégies focalisées sur les émotions (se résigner, identifier les choses qui vont bien), dénier les problèmes (« je ne pense jamais à mes problèmes de mémoire »), chercher des informations médicales (p. ex., auprès du médecin traitant), faire de l’entraînement cognitif (effectuer des mots croisés), mettre en place des stratégies cognitives internes (répéter l’information à mémoriser) ou externe (mieux s’organiser, prendre des notes).

De façon générale, Joosten-Weyn Banningh et al. concluent que les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » rencontrent une série de difficultés (sociales, psychologiques et pratiques) induisant du stress et auxquelles elles attribuent des causes diverses, dont certaines peuvent également induire anxiété et dépression.

En fait, fournir un diagnostic aussi incertain et peu valide que celui de MCI (renvoyant à un soi-disant état prodromique de « démence ») ne peut que placer les personnes dans un état de grande confusion et contribuer à amplifier le stress, les inquiétudes et les problèmes relationnels. Plus globalement, ce que les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » paraissent avoir en commun avec celles ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » est, d’un point de vue sociologique, de sentir leur bien-être personnel et interpersonnel menacé, y compris avec un sentiment de dévalorisation (Beard & Fox, 2008).

Dans leurs entretiens qualitatifs menés auprès de 18 personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI », Beard et Neary (2012) ont apporté des informations complémentaires sur la manière dont les personnes gèrent le diagnostic de « MCI ». Les analyses menées au moyen de méthodes issues de la « grounded theory » (analyse enracinées sur les données de terrain) ont mis en évidence 4 thèmes fréquents :

*S’interroger sur le fait que son état est ou non une maladie. La plupart des participants identifient leurs difficultés cognitives comme une conséquence du processus de vieillissement normal plutôt que comme un trouble cérébral. Ils ne considèrent pas que les difficultés occasionnelles rapportées constituent des problèmes importants et ils les attribuent plutôt à leur identité vieillissante. Certains participants utilisent l’humour pour gérer leurs difficultés. Dans la ligne de l’étude de Joosten-Wein Banningh et al. (2008), les personnes adoptent une variété de stratégies de coping telles que des stratégies orientées vers les émotions (acceptation et résignation en tant que moyen de normaliser leurs difficultés plutôt que de s’y confronter) et des stratégies de résolution de problèmes (prendre des notes). Par contre, contrairement à Joosten-Wein Banningh et al., Beard et Neary n’ont pas observé de déni ou de stratégies d’évitement. Enfin, la plupart des personnes interrogées prétendent que leurs difficultés cognitives ne leur sont pas propres mais qu’elles sont partagées par quasiment toutes les personnes de leur âge. 

* Définir le « MCI » avec peine. Interrogés sur leur diagnostic, les participants rapportent une absence de clarté retentissante sur ce qui constitue le « MCI », et ce en dépit du fait qu’ils le connectent de façon prédominante aux processus de vieillissement normal. En fait, un grand nombre d’entre eux ne sont même pas certains que le terme « MCI » a été défini par les médecins. Quelques personnes définissent le « MCI » comme un trouble lié à la mémoire, mais de façon très vague. Ainsi, on constate une résistance au processus de médicalisation véhiculé par le concept de « MCI », mais aussi une grande confusion et de l’incertitude : « Je n’ai aucune idée…. Un précurseur ? Mon sentiment est qu’il y a beaucoup d’idées non vérifiées et que personne ne sait réellement. Avez-vous une maladie d’Alzheimer précoce ? Avez-vous un MCI ? Y-a-t-il une différence. C’est une zone grise. C’est comme essayer de donner du sens à ce qui n’en a pas ».

* Distancer son vécu du celui de la « maladie d’Alzheimer ». En dépit de leur confusion, les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » refusent de façon véhémente toute association entre leur expérience et la « maladie d’Alzheimer ». Ainsi, beaucoup considèrent que la prise de conscience de leurs difficultés est ce qui les distingue leur état (envisagé comme le reflet du vieillissement normal) de la « maladie d’Alzheimer ». La plupart des participants considèrent néanmoins qu’ils existent certaines difficultés, dépassant un certain seuil de gravité, qui sont le signe d’un problème « réel ».   

* Se débattre avec les implications du diagnostic de « MCI » par rapport à celui de « maladie d’Alzheimer ». Les participants se fondent principalement sur une explication médicale pour définir la « maladie d’Alzheimer » mais ils sont dans une grande incertitude concernant son étiologie. Cependant, ils sont unanimes à parler de la peur associée à la « maladie d’Alzheimer », considérée comme un diagnostic en forme de sentence de mort. Cette conception n’est pas surprenante et est le reflet de la vision apocalyptique de la « maladie d’Alzheimer » offerte par l’approche biomédicale dominante et transmise au grand public par les médias « (une lente mort de l’esprit et de l’identité). Etant donné cette perception négative écrasante de la «maladie d’Alzheimer » dans nos sociétés occidentales, les personnes ayant reçu un diagnostic de « MCI » tentent stratégiquement de différencier leur état de cette « maladie » afin d’éviter une stigmatisation par association.

Ainsi, l’étude de Beard et Neary (2012) nous indique en quoi le diagnostic de « MCI » est à même de créer des tensions amenant les personnes qui le reçoivent à lutter pour préserver leur identité et à mettre en place des stratégies visant à « gérer ce qui est ingérable ».

Les travaux de Joosten-Wein Banningh et al. (2008) et Beard et Neary (2012) ont porté sur des groupes de taille réduite et seules des études de plus grande envergure seraient à même de déterminer les diverses façons de réagir à un diagnostic de « MCI », les différentes stratégies pour y faire face ainsi que les facteurs multiples qui peuvent déterminer la réaction des personnes.

Mais l’essentiel n’est pas là ! Il s'agit plutôt de lutter contre l'utilisation clinique de ce concept réducteur et médicalisant et de concevoir autrement l'évaluation des difficultés cognitives des personnes âgées, en mettant l’accent sur la multitude des facteurs qui modulent le fonctionnement cognitif, sur ce qui relie la personne aux autres, sur les capacités préservées et  les multiples moyens qui peuvent être mis en œuvre pour optimiser son vieillissement et sur le fait que même avec un vieillissement cérébral/cognitif problématique, la personne peut garder une vitalité, une insertion sociale, un sens à son existence et un épanouissement personnel.   

 

MCI-non-sens.JPG 

Bear, R.L., & Fox, P.J. (2008). Resisting social disenfranchisement: negociating collective identities and everyday life with memory loss. Social Science & Medicine, 66, 1509-1520.

Beard, R.L., & Neary, T.M. (2012). Making sense of nonsense: experiences of mild cognitive impairment. Sociology of Health & Illness, 20, 1-17.

Joosten-Weyn Banningh, L., Vernooij-Dassen, M., Olde Rikkert, M., & Teunisse, J.-P. (2008). Mild cognitive impairment: coping with an uncertain label. International Journal of Geriatric Psychiatry, 23, 148-154.

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