Dans une chronique précédente (« Pour une autre manière d’aborder les effets de la prévention sur le vieillissement cérébral »), nous avons relaté les conclusions des experts indépendants qui se sont réunis à Bethesda sous l’égide du NIH (National Institutes of Health) pour examiner la qualité des travaux ayant exploré les facteurs pouvant faire l’objet de mesures de prévention du vieillissement cérébral/cognitif problématique.
[lien vers le rapport des experts]
La conclusion générale de ce rapport était que la qualité scientifique des données obtenues était faible et qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments scientifiquement fondés permettant de conclure à l’efficacité de mesures de prévention visant à différer ou ralentir les difficultés cognitives liées au vieillissement cérébral (à la « maladie d’Alzheimer » ou aux « troubles cognitifs légers/MCI »). Cette conclusion négative a été largement reprise dans les médias, suscitant ainsi beaucoup de déception.
Dans notre chronique, nous avions montré en quoi certaines des conclusions des experts étaient problématiques, notamment en ce qu’elles ne remettaient pas en cause le modèle biomédical dominant et qu’elles ne prenaient pas en compte le fait que les études randomisées contrôlées (l’étalon-or des recherches biomédicales) ne sont pas nécessairement adaptées à l’évaluation des effets bénéfiques de facteurs intervenant tout au long de la vie, effets qui sont de petite taille et cumulatifs. Nous plaidions ainsi pour un pluralisme méthodologique, permettant de prendre en compte la personne dans toute sa complexité !
Dans un commentaire récent, Flicker, Ambrose, et Kramer (2010) relatent eux-aussi le caractère par trop négatif des conclusions des experts. Ainsi, concernant les facteurs de risque vasculaires, les experts indiquaient notamment qu’il était difficile de distinguer les facteurs réellement associés à la « maladie d’Alzheimer » de ceux reliés aux démences vasculaires ou à d’autres « démences ». Comme le relèvent Flicker et al., ce constat ne tient pas compte du fait que la plus grande partie des personnes âgées présentant une « démence » montrent en fait des signes neuropathologiques multiples, y compris très fréquemment des problèmes vasculaires (voir notre chronique « Le vieillissement cérébral/cognitif problématique est associé à de multiples anomalies neuropathologiques »). Dans ce contexte la question importante est de savoir si le traitement des facteurs vasculaires conduit à une réduction du taux de « démence » et du déclin cognitif. De ce point de vue, une méta-analyse Cochrane (incluant quelques essais randomisés contrôlés) montre une réduction de 13 %, liée à l’utilisation d’antihypertenseurs, dans le taux de « démences » incidentes (McGuinness et al., 2009). Selon Flicker et al., il s’agit des éléments les plus convaincants que l’on puisse obtenir, dans la mesure où les cliniciens sont, de manière compréhensible, réticents à attribuer de façon aléatoire un placebo à des personnes âgées hypertendues (qui devraient être en grand nombre pour une telle étude), alors qu’il existe des traitements antihypertenseurs efficaces.
Concernant les facteurs de risque en lien avec le style de vie, Flicker et al. indiquent en quoi il existe au moins deux facteurs pour lesquels il existe des données convaincantes. Le premier concerne la consommation de tabac. Une étude systématique d’études de cohorte (Anstey et al., 2007) montre en effet que la consommation de tabac accroît le risque de « maladie d’Alzheimer » incidente de 1.79 (95%, CI 1.43 à 2.23). Du fait de problèmes éthiques, il est évidemment impossible d’effectuer des essais randomisés contrôlés concernant ce facteur.
Les données montrant les effets bénéfiques de l’activité physique ont également été, selon Flicker et al., trop hâtivement écartées. Ainsi, une revue récente (Hamer & Chida, 2009) a résumé les données de 14 études observationnelles (ayant inclus 27’255 participants, parmi lesquels 2’731 ont développé une « démence » ou une « maladie d’Alzheimer »). Les résultats montrent que l’activité physique réduit de risque de « démence » et de « maladie d’Alzheimer » respectivement de 28 et 45%. Une confirmation de ces données devrait être apportée par des essais randomisés, dans la mesure où l’on ne peut pas exclure que ce soient les personnes avec le meilleur état cognitif qui pratiquent le plus d’activités physiques. Idéalement, des essais évaluant l’effet d’une augmentation de l’activité physique sur la survenue d’une « démence » incidente devraient être réalisés, mais ils exigeraient le suivi d’un grand nombre de personnes, pendant une durée longue, et ils seraient dès lors très coûteux. Il faut néanmoins relever qu’un travail récent (Chang et al., 2009) a montré que l’activité physique réduisait le risque de développer une « démence », et ce 26 ans après l’évaluation des activités physiques (voir notre chronique « L’effet bénéfique d’une activité physique durant la cinquantaine sur le fonctionnement cognitif et la présence d’une "démence" évalués 26 ans après »). En outre, il existe de très nombreuses études randomisées contrôlées (non ciblées sur la survenue d’une « démence ») qui montrent que l’activité physique est bénéfique pour différents aspects du fonctionnement cognitif (attention, fonctions exécutives, mémoire) chez les personnes âgées (voir Flicker et al, 2010, pour une brève description de ces études ; voir aussi McMorris, Tomporowski, & Audiffren, 2009).
Sur base des données qu’ils ont rapportées, Flicker et al. comprennent mal pourquoi les experts mandatés par le NIH ont été à ce point prudents, surtout ajoutent-ils, « dans un pays où l’audace a forme de vertu ». Il faut ajouter qu’il existe d’autres facteurs de risque pouvant faire l’objet de mesures de prévention, pour lesquels des essais randomisés contrôlés seraient bien difficile à mener, mais qui ont été identifiés par des études prospectives (parfois avec un suivi de plus de 20 ans) et dont la contribution au vieillissement cérébral/problématique fait sens : on peut citer entre autres le stress, la dépression, le régime alimentaire, les pesticides, des activités de loisirs stimulantes, la vulnérabilité sociale, etc. (nous avons consacré plusieurs de nos chroniques à ces facteurs).
Anstey, K.J., von Sanden, C., Salim, A., O’Kearney, R. (2007). Smoking as a risk factor for Alzheimer’s disease: a meta-analysis of prospective studies. American Journal of Epidemiology, 166, 367-378.
Chang, M., Jonsson, P.V., Snaedal, J., Bjornsson, S., Saczynski, J.S., Aspelund, Th., et al. (2010). The effect of midlife physical activity on cognitive function among older adults: AGES-Reykjavik study. Journal of Gerontology A: Biological Sciences and Medical Sciences, à paraître.
Flicker, L., Ambrose, T.L., & Kramer, A.F. (2010). Why so negative about preventing cognitive decline and dementia? The jury has already come to the verdict for physical activity and smoking cessation. British Journal of Sports Medicine, à paraître.
Hamer, M., & Chida, Y. (2009). Physical activity and risk of neurodegenerative disease: a systematic review of prospective evidence. Psychological Medicine, 39, 3-11.
McGuinness, B., Todd, S., Passmore, P., & Bullock, R. (2009). Blood pressure lowering in patients without prior cerebrovascular disease for prevention of cognitive impairment and dementia. Cochrane Database Syst Rev, 4, CD004034.
McMorris, T., Tomporowski, Ph., & Audiffren, M. (2009). Exercice and cognition. Paris: Lavoisier.
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