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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 20:35

Il a été montré qu’un espace de vie restreint (une étendue limitée des déplacements dans l’environnement quotidien) était relié à diverses conséquences négatives sur la santé, y compris au plan cognitif. L’espace de vie est un concept multidimensionnel sous-tendu par différents facteurs physiques, psychologiques (motivationnels, cognitifs, affectifs), sociaux, culturels et environnementaux.

 

Dans une chronique précédente (« Les liens entre l’espace de vie et le risque de mortalité chez les personnes âgées » ), nous avons rapporté les résultats d’une étude menée par Boyle et al. (2010) et montrant, sur une période de suivi allant jusqu’à 8 ans, que les personnes âgées avec un espace de vie limité (à un environnement jouxtant leur domicile) ont  une probabilité de mourir augmentée d’environ 1.6 fois par rapport aux personnes dont l’espace de vie inclut des voyages en dehors de la ville. Cette association se maintenait après avoir contrôlé l’influence de l’activité physique, les handicaps dans les activités de la vie quotidienne, les symptômes dépressifs, le réseau social, l’indice de masse corporelle et le nombre de problèmes médicaux chroniques.


Une étude récente menée par la même équipe (James et al., 2011) a examiné si l’espace de vie restreint était associé à un risque accru de « maladie d’Alzheimer », de « trouble cognitif léger » (« mild cognitive impairment », MCI) et à un déclin cognitif plus rapide chez les personnes âgées. Les auteurs ont suivi, pendant une durée moyenne de 4.4 années, 1294 personnes âgées (de plus de 70 ans) initialement sans « démence clinique ». L’évaluation de l’espace de vie a été menée au moyen d’une version modifiée du « Life Space Questionnaire », une mesure auto-rapportée de l’étendue des mouvements dans six zones spécifiques de l’environnement. Chaque zone représentait un élargissement concentrique de l’espace de vie : chambre à coucher/pièces de la maison (score 5), porche (score 4), emplacement de parking ou au jardin (score 3), quartier (score 2), extérieur du quartier (score 1) ou extérieur de la ville (score 0). On demandait aux participants s’ils avaient été dans chacune de ces zones la semaine précédente.

 

Différents facteurs pouvant influer sur l’espace de vie ont également été évalués : le fonctionnement physique via un score composite  (nombre de pas et temps mis pour parcourir une distance de 8 pieds et nombre de pas requis pour effectuer un tour de 360 degrés); les handicaps dans six activités de base de la vie quotidienne (se déplacer dans une pièce, prendre son bain, s’habiller, manger, se transférer du lit à une chaise et aller aux toilettes) ; les symptômes dépressifs (CES-D) ; la taille du réseau social (le nombre d’enfants, de membres de la famille et d’amis rencontrés au moins une fois par mois) ; des facteurs de risque vasculaires (somme de hypertension, diabète et tabagisme) ; maladies vasculaires (somme de infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque congestive, claudication, accident vasculaire cérébral).

 

Etaient également pris en compte l’âge, le genre, le nombre d’années d’étude et l’appartenance ethnique. Le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » était posé à partir d’une démarche en trois étapes (tests cognitifs, jugement clinique d’un neuropsychologue expérimenté et classification diagnostique par un clinicien expérimenté) et sur base des critères classiques (NINCDS-ADRDA). Le diagnostic de « MCI » était donné aux personnes ayant des déficits cognitifs (selon les critères habituels), et qui ne rencontraient pas les critères de « démence ». Par ailleurs, un score composite de fonctionnement cognitif global et des scores relatifs à cinq domaines cognitifs (mémoire épisodique, mémoire sémantique, mémoire de travail vitesse perceptive et capacités visuospatiales) ont également été établis.

 

Durant la période de suivi, 180 personnes ont reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Les analyses ont montré qu’une personne ayant un espace qui ne dépasse pas sa maison (score 3) a quasiment 2 fois plus de risque (1.8) de développer une « maladie d’Alzheimer » qu’une personne ayant l’espace de vie le plus vaste (en dehors de la ville : score 0). Cette association persiste quand sont pris en compte les variables démographiques, le fonctionnement physique, les incapacités dans la vie quotidienne, les symptômes dépressifs, la taille du réseau social, les facteurs de risque vasculaires et les maladies vasculaires. Elle se maintient également quand ont été exclues les personnes qui avaient reçu un diagnostic de « MCI » lors l’évaluation initiale (la ligne de base). De même, les personnes ayant un espace de vie ne dépassant pas le domicile (score 3) ont également 1.6 fois plus de risque de recevoir le diagnostic de « MCI » que les personnes qui ont un espace de vie qui déborde la ville (score 3) et ce également en ayant exclu les personnes qui avaient reçu un diagnostic de « MCI » lors de l’évaluation initiale.  Ce risque accru subsiste aussi quand on examine les personnes ayant eu le diagnostic de « MCI » de manière répétée, lors de deux évaluations ou plus. Enfin, plus globalement, les personnes avec un espace de vie limité à leur domicile (score 3) ont un fonctionnement cognitif global inférieur lors de l’évaluation initiale et déclinent plus rapidement (après avoir pris en compte le niveau cognitif de base) que les personnes avec l’espace de vie le plus vaste (score 0). Ce pattern se retrouve également pour chacun des cinq domaines cognitifs.

 

En résumé, il apparaît que les personnes qui ne quittent pas le territoire jouxtant leur domicile ont un risque accru de vieillissement cérébral/cognitif problématique. Les auteurs ont effectué une partie de leurs analyses en se situant dans une démarche catégorielle dont nous contestons la validité. Cependant, ils obtiennent le même type de résultats en adoptant des analyses non catégorielles, qui prennent en compte le fonctionnement cognitif sans établir de catégories diagnostiques.

 

Il faut relever que les participants à cette étude ont été recrutés au sein de personnes vivant dans des  structures d’habitat adaptées aux personnes âgées et subventionnées, ce qui limite la généralisation des résultats observés. Par ailleurs, même si différentes analyses ont été effectuées en excluant les personnes qui présentaient, lors de l’évaluation initiale, des déficits cognitifs plus importants et en prenant en compte différents facteurs pouvant entraver la capacité de voyager (dépression, fonctionnement physique, facteurs vasculaires), les auteurs reconnaissent qu’ils ne peuvent totalement exclure que la restriction de l’espace de vie soit due à des comorbidités et/ou des difficultés motrices et cognitives non contrôlées.

 

Une autre interprétation des résultats obtenus par cette recherche serait que l’espace de vie refléterait, en partie, la plus ou moins grande richesse de l’environnement (physique et social) et des activités des personnes, dont on sait qu’elle est associée à un plus ou moins grand risque de développer un vieillissement cérébral/cognitif problématique. Plus généralement, l’espace de vie pourrait ainsi renvoyer à des facteurs psychologiques, économiques, sociaux et culturels, à des dimensions de personnalité, des capacités d’adaptation ou de flexibilité, etc., qui rendent les personnes plus ou moins aptes à s’ouvrir au monde et aux autres.

 

Dans cette perspective, un espace de vue limité constituerait un facteur de risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique susceptible d’être, au moins en partie, modifié par une organisation sociale, un système éducatif, des initiatives communautaires ou encore des soutiens et interventions psychologiques amenant le plus grand nombre de personnes à étendre et diversifier leur espace de vie, de relations et d’expériences, tout au long de leur existence.

 

Au plan de la recherche, des études ultérieures devraient explorer la contribution de l’espace de vie au vieillissement cérébral/cognitif, en intégrant d’autres dimensions du style de vie, en explorant différents facteurs (psychologiques, sociaux, environnementaux) potentiellement impliqués et en adoptant une approche en continuum.

 

espace.jpg

Tiré de l'affiche de "A straight story", D. Lynch, 1999

 

Boyle, P.A., Buchman, A.S., Barnes, L.L., James, B.D., & Bennett, D.A. (2010). Association between life space and risk of mortality in advanced age. Journal of the American Geriatrics Society, 58, 1925-1930.

James, B.D., Boyle, P.A., Buchman, A.S., Barnes, L.L., & Bennett, D.A. (2011). Lifespace and risk of Alzheimer disease, mild cognitive impairment, and cognitive decline in old age. American Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse.

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