Les changements qui accompagnent le vieillissement sont habituellement considérés comme des troubles ou des détériorations et sont ainsi caractérisés en des termes négatifs. Il apparaît cependant que certaines des modifications biologiques observées dans le vieillissement, censées êtres négatives, pourraient en fait être bénéfiques pour la santé et la longévité.
Elles pourraient même représenter des adaptations évolutionnaires associées à l’accroissement de la longévité chez les humains (Le Couteur & Simpson, 2010).
Le vieillissement chez les humains est typiquement associé à une augmentation du stress oxydatif, une tension artérielle élevée, une prévalence accrue de l’obésité et d’un syndrome métabolique (avec ses composantes, telles que la résistance à l’insuline), ainsi que de moindres niveaux circulants d’hormones sexuelles et de croissance. Ces changements liés à l’âge étant considérés comme nocifs, il a été suggéré que le fait de les inverser conduirait à une augmentation de l’espérance de vie. Cependant, plusieurs études épidémiologiques et cliniques entreprises chez des personnes très âgées suggèrent que ce n’est pas ce cas.
Ces recherches, résumées par Le Couteur et Simpson, ont en effet montré que fournir des suppléments d’hormones et d’antioxydants pouvait contribuer à accroître la mortalité. De même, il a été observé qu’une pression sanguine élevée, l’obésité et la présence d’un syndrome métabolique étaient souvent associés à des conséquences bénéfiques chez les personnes très âgées.
L’avantage tiré d’une tension artérielle élevée dans le grand âge tiendrait au fait qu’elle augmenterait la circulation sanguine et permettrait de vaincre la résistance accrue liée à la sténose des artères, consécutive au vieillissement et aux facteurs de risque vasculaires.
De plus, selon Le Couteur et Simpson, il est plausible de considérer que l’obésité et le surpoids, fréquents chez les personnes les plus âgées, fournissent un stock d’énergie supplémentaire nécessaire pour aider les personnes âgées à survivre aux maladies graves dont elles peuvent être l’objet. Il a d’ailleurs été montré que des personnes âgées en surpoids, et même obèses, récupéraient mieux de maladies telles qu’un accident cardiaque ou une fracture de hanche. Il a ainsi été considéré que les recommandations pour un indice de masse corporelle (rapport entre poids et taille) entre 18.5 et 24.9 chez les personnes âgées étaient par trop restrictives et que des régimes visant à une perte de poids pouvaient être préjudiciables à leur santé.
Dans la même perspective, la résistance à l’insuline (une des composantes du syndrome métabolique) pourrait induire un état de restriction calorique intracellulaire, reproduisant peut-être les effets bénéfiques de la restriction calorique sur la longévité. Enfin, dans la mesure où des suppléments d’œstrogènes et de testostérone peuvent avoir un effet négatif sur la longévité, via un risque accru de thrombose et de cancer, il se pourrait que le déclin des hormones sexuelles constitue un moyen de réduire le risque de cancer et de thrombose chez les personnes plus âgées.
Les études rapportées par Le Coutre et Simpson ne sont pas exemptes de possibles biais et facteurs confondants (comme les auteurs le reconnaissent d’ailleurs) et leur interprétation doit donc être considérée avec prudence. Néanmoins, les résultats de ces recherches sont globalement compatibles avec l’hypothèse selon laquelle la sélection pourrait activement favoriser des traits conduisant à une extension de la vie au-delà de la période de reproduction, même si ces traits peuvent avoir des effets négatifs plus tôt dans la vie. A l’inverse, certains traits (comme un haut niveau d’hormones sexuelles) seraient sélectionnés chez les plus jeunes, favorisant ainsi la reproduction, même si ces traits réduisent la survie chez les personnes plus âgées via des cancers et des problèmes vasculaires. Il pourrait aussi y avoir une étape intermédiaire, post-reproduction mais pré-grand âge, durant laquelle les conséquences délétères des deux types de traits se combinent. Il est ainsi intéressant de noter que l’impact des dommages oxydatifs, de la tension artérielle élevée, de l’obésité et du syndrome métabolique sur le risque de maladie est le plus grand quand ces changements se manifestent durant la cinquantaine.
Ces interprétations sont bien sûr spéculatives mais, si l’on s’éloigne de la croyance selon laquelle les changements qui accompagnent le vieillissement sont nécessairement nocifs, il en résultera des changements dans les attitudes thérapeutiques adoptées vis-à-vis des personnes âgées. On pourrait en effet choisir de ne pas traiter certaines conditions fréquentes chez les personnes âgées, même si elles constituent des facteurs de risque chez les adultes plus jeunes.
Une approche évolutionnaire du vieillissement cérébral/cognitif
De manière encore plus spéculative, Reser (2009) a suggéré que les changements cérébraux/cognitifs apparaissant progressivement avec l’âge constitueraient une composante des programmes adaptatifs de réduction du métabolisme (d’économie de calories) accompagnant le vieillissement. Ces programmes auraient été sélectionnés naturellement pour rencontrer les exigences liées à la recherche d’une nourriture rare imposées à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Plus spécifiquement, cette adaptation découlerait du fait que les chercheurs de nourriture plus âgés, ayant accumulé de l’expérience, n’auraient pas eu besoin des mêmes capacités cognitives que les plus jeunes. La composante cérébrale du programme de réduction métabolique (associée au fait que les humains allouent une grande partie de leur budget d’énergie au fonctionnement de leur cerveau) se traduirait pas une réduction du métabolisme cérébral, une élimination sélective des synapses et un recours plus important à la connaissance accumulée et automatique (procédurale, implicite).
Avant l’allongement récent de l’espérance de vie, nos ancêtres mouraient (autour de 55 ans) avant que ce programme de réduction du métabolisme ne conduise à des manifestations problématiques (étiquetées sous le terme de « démence »). Il n’y aurait donc pas eu de pression sélective permettant d’empêcher les changements adaptatifs de progresser vers des changements problématiques. En d’autres termes, le vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») constituerait la progression de changement adaptatifs liés à l’âge, progression qui se serait rarement produite chez nos ancêtres dont la vie était beaucoup plus courte.
Cette interprétation évolutionnaire est compatible avec le fait que les caractéristiques cognitives et cérébrales du vieillissement problématique (de la « démence ») sont aussi observées, quoique de façon moins importante, chez des personnes âgées sans « démence » (voir nos chroniques « Faut-il distinguer un vieillissement cognitif normal d’un vieillissement cognitif pathologique ? » et « L’empire Alzheimer ne désarme pas ! »). Elle est également compatible avec la mise en évidence de capacités préservées (par ex., mémoire procédurale, mémoire implicite, traitements automatiques, habiletés préexistantes, etc.) dans le vieillissement tant normal que problématique. Il est également intéressant de noter que le gène ApoE4 (le facteur de risque génétique le plus fréquemment associé à la prétendue « maladie d’Alzheimer ») est plus fréquent chez les Pygmées de l’Afrique sub-saharienne, les KhoiSan d’Afrique australe, les Aborigènes de Malaisie et d’Australie, etc. qui vivent et recherchent de la nourriture comme le faisaient vraisemblablement nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Il faut relever que cette interprétation permet aussi de comprendre la comorbidité fréquente entre le vieillissement cérébral/cognitif problématique et le présence d’un syndrome métabolique (incluant notamment la résistance à l’insuline), ainsi que des tendances génétiques qui y sont associées : ce syndrome aurait permis d’aider le métabolisme à s’adapter à la disponibilité faible en nourriture, mais, avec l’abondance de nourriture qui caractérise les sociétés actuelles (ou du moins certaines d’entre-elles), il serait responsable du niveau élevé d’obésité et de diabète (voir cependant plus haut le caractère possiblement adaptatif du surpoids pour les personnes les plus âgées).
Ces approches évolutionnaires, suggérant que les changements liés à l’âge ont eu ou peuvent encore avoir une valeur adaptative, ont le mérite de changer le regard que l’on porte sur les manifestations problématiques du vieillissement en considérant qu’elles sont intrinsèquement liées à notre humanité et au style de vie spécifique qui y est associé. Elles conduisent également à se focaliser davantage sur les capacités préservées et donc à s’éloigner d’une approche strictement déficitaire.
Il est à noter que des approches similaires abordent les symptômes psychopathologiques en tentant de comprendre leurs caractéristiques adaptatives et les facteurs qui conduisent à les rendre problématiques (voir par exemple pour les symptômes dépressifs, Keller & Nesse, 2006).
Keller, M.C., & Nesse, R.M. (2006). The evolutionary significance of depressive symptoms : Different adverse situations lead to different symptoms patterns. Journal of Personality and Social Psychology, 91, 316-330.
Le Couteur, D.G., & Simpson, S.J. (2010). Adaptative senectitude: The prolongevity effects of aging. Journal of Gerontology: Biological Sciences and Medical Sciences, à paraître.
Reser, J.E. (2009). Alzheimer’s disease and natural cognitive aging may represent adaptive metabolism reduction programs. Behavioral and Brain Functions, 5, 13, 1-14.
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