Comme nous l’avons montré dans une de nos précédentes chroniques («Le stress psychologique : un facteur-clé du vieillissement cérébral/cognitif»), il apparaît que le stress psychologique constitue l’un des facteurs-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique et de son évolution, dont la contribution peut se manifester tout au long de la vie.
Une étude récente apporte de nouvelles données en appui du rôle du stress sur le vieillissement cérébral (Johansson et al., 2012). Les mêmes auteurs (Johansson et al., 2010 ; voir notre chronique «Risque de démence et stress psychologique») avaient déjà mis en évidence, auprès d’un échantillon de 1’462 femmes suivies pendant 35 années (de 1968 à 2003), que le risque de développer une « démence » était plus élevé chez les femmes ayant rapporté un stress psychologique fréquent/constant en 1968 (alors qu’elles étaient dans la période du milieu de leur vie). Ce lien avait été constaté après avoir contrôlé l’influence possible de différents facteurs (âge, éducation, statut marital, présence d’enfants, consommation de tabac et de vin, activité physique, problèmes coronariens, hypertension, médicaments antihypertenseurs, rapport taille/hanche).
Dans leur recherche de 2012, les auteurs ont examiné l’effet du stress durant le milieu de la vie sur l’atrophie cérébrale et les lésions de la substance blanche évaluées durant la vieillesse. Un groupe de 344 femmes (issues de l’échantillon de l’étude de 2010) ont été suivies pendant une période de 32 ans (de 1968 à 2000). Les participantes avaient, en 1968, un âge moyen de 44 ans. Par ailleurs, elles ont été soumises en 1968, 1974 et 1980 à une question standardisée évaluant leur niveau de stress. La question posée était : « Avez-vous vécu une période (un mois ou plus) de stress/détresse, c’est-à-dire des sentiments d’irritabilité, de tension, de nervosité, de peur, d’anxiété ou des troubles du sommeil, en lien avec des situations de la vie quotidienne ». Les réponses étaient évaluées comme suit : 0 = jamais vécu de période de stress, 1 = période de stress voici plus de 5 ans, 2 = une période de stress durant les 5 dernières années, 3 = plusieurs périodes de stress durant les 5 dernières années, 4 = stress constant durant la dernière année, 5 = stress constant durant les 5 dernières années. Les participantes ont ensuite été réparties en trois groupes : pas de stress (réponses 0-1), stress occasionnel (réponses 2), stress fréquent/constant (réponses 3-5). Enfin, l’atrophie corticale, l’atrophie centrale (taille des ventricules) et la présence de lésions de la substance blanche ont été mesurées en 2000 via un CT scan.
Les résultats montrent que, comparées aux femmes ne rapportant pas de stress psychologique, celles décrivant un stress fréquent/constant lors d’une des évaluations ou plus (en 1968, 1974 et 1980) présentaient plus souvent, au CT-scan effectué en 2000, des lésions modérées à sévères de la substance blanche et une atrophie modérée à sévère du lobe temporal. Par ailleurs, ces deux types d’atteintes étaient indépendantes l’une de l’autre. La présence d’un stress constant/fréquent était également associée à l’atrophie cérébrale centrale. Enfin, ces résultats se maintenaient après contrôle de l’âge, du niveau de scolarité, du statut marital, de l’hypertension, du cholestérol, du tabagisme, du rapport taille-hanche, de l’activité physique, de la consommation de vin, du diabète et des maladies cardiaques.
En dépit de certaines limites, notamment l’évaluation du stress (de la détresse) psychologique au moyen d’une auto-évaluation et sur base d’une seule question (dont la validité a néanmoins été montrée dans d’autres études), ainsi qu’un échantillon assez réduit de personnes, cette étude suggère l’existence d’une association entre un stress (une détresse) psychologique et des changements structurels dans le cerveau.
Les auteurs indiquent que les mécanismes impliqués dans cette association sont vraisemblablement très complexes (vasculaires, hormonaux, inflammatoires, etc.). Quoi qu’il en soit, ces données plaident en faveur d’interventions visant à réduire le niveau de stress/détresse psychologique vécu par les personnes, notamment celles qui sont au milieu de leur vie. De ce point de vue, une recherche récente (Head, Singh, & Bugg, 2012) montre que l’exercice physique pourrait constituer un levier efficace d’intervention.
L’effet du stress sur le vieillissement cérébral/cognitif : le rôle modérateur de l’activité physique
Head et al. (2012) ont entrepris une étude transversale visant à explorer les effets du stress tout au long de la vie sur la mémoire et le volume hippocampique. En outre, les auteures ont également examiné dans quelle mesure l’activité physique modérait les effets négatifs du stress. Les données de 91 personnes âgées, issues de la communauté, âgées en moyenne d’environ 70 ans, ne présentant pas de « démence » et n’ayant pas souffert d’un autre problème neurologique et médical important (p. ex., accident vasculaire, traumatisme crânien, diabète), ont été analysées.
Le stress tout au long de la vie a été évalué au moyen de la « 32-Item Cumulative Trauma Scale », laquelle permet d’identifier une grande variété de stresseurs potentiels tout au long de la vie (p. ex., divorce, abus sexuel, perte d’emploi, accident, catastrophe naturelle, discrimination, maladie). Plus spécifiquement, la fréquence avec laquelle la personne avait vécu un stresseur particulier, ainsi que son impact sur la vie de la personne étaient évalués. Les analyses ont essentiellement porté sur la fréquence des événements vécus tout au long de la vie.
L’engagement dans des activités physiques a été mesuré au moyen d’un questionnaire validé évaluant l’histoire de marche, de course et de jogging durant les 10 dernières années. Les données ont été utilisées pour estimer des valeurs d’équivalents métaboliques, à partir desquelles a été établi un indice d’équivalent métabolique moyen, pendant une heure par semaine, durant les 10 dernières années (ce qui a permis de mesurer l'intensité de l’activité physique et la dépense énergétique). Les participants ont été répartis en deux groupes (niveaux bas et élevé d’activité physique, sur base de la valeur médiane des équivalents métaboliques).
Les participants ont également été soumis à une mesure du volume hippocampique (88 participants), ainsi qu’à une évaluation cognitive (57 participants) focalisée sur la mémoire épisodique (California Verbal Learning Test-II ; score composite) et le niveau de vocabulaire (sous-test de vocabulaire de la forme abrégée de la WAIS). Les symptômes dépressifs ont été explorés via le « Beck Depression Inventory-II » et la « Geriatric Depression Scale ». Le genre, le niveau scolaire, une histoire d’hypertension et les scores de dépression ont été inclus comme co-variables dans toutes les analyses.
Les résultats des analyses de régression hiérarchique ont montré une influence négative significative du stress tout au long de la vie sur le volume hippocampique, mais pas sur le volume du cortex visuel primaire. Par ailleurs, l’effet du stress sur l’hippocampe est modéré par l’engagement dans des activités physiques : plus spécifiquement, la réduction liée au stress du volume hippocampique est plus grande dans le groupe de personnes ayant rapporté un bas niveau d’activité physique que dans le groupe avec un haut niveau.
Les analyses ne montrent pas un effet principal significatif du stress sur la mémoire épisodique. Cependant, on constate une interaction entre le stress et l’engagement dans une activité physique : la réduction liée au stress dans la performance en mémoire épisodique est présente uniquement dans le groupe de personnes ayant rapporté un bas niveau d’activité physique et pas dans le groupe avec un haut niveau. Il n’y a par contre aucun lien entre le stress et le score de vocabulaire.
Notons enfin qu’il n’y a aucune interaction entre le stress et l’âge pour le volume hippocampique et la performance mnésique. En d’autres termes, il n’y a pas d’appui à l’hypothèse selon laquelle les personnes ayant vécu un plus grand stress durant leur vie montreraient un déclin lié à l’âge plus important. Néanmoins, comme l’indiquent les auteures, la plupart des études qui ont montré une relation interactive du stress et de l’âge se sont focalisées sur des sous-régions de l’hippocampe (p. ex., le gyrus dentelé, CA3) et il est donc possible qu’une interaction aurait été mise en évidence si des analyses plus spécifiques avaient été menées. Par ailleurs, il se pourrait également que l’existence de cette relation interactive entre stress et âge dépendent de différences interindividuelles chez les personnes âgées dans les processus d’évaluation et de régulation des émotions négatives, la personnalité, le soutien social ou d’autres facteurs en lien, p. ex., avec la santé physique.
Cette étude comporte quelques limites et notamment le fait que le stress et l’engagement dans une activité physique aient été auto-évalués de façon rétrospective. De plus, la nature transversale de la recherche ne permet pas de rejeter complètement l’hypothèse selon laquelle c’est la réduction du volume hippocampique ou de la mémoire qui influence l’engagement dans une activité physique ou le rapport du stress durant la vie. Néanmoins, un essai randomisé contrôlé entrepris par Erickson et al. (2011) a mis en évidence qu’une intervention à base d’exercice physique (aérobique) était associée à un accroissement du volume hippocampique et à une amélioration de la mémoire. De plus, Erickson et al. (2010 ; voir notre chronique « De nouvelles données appuyant l’intérêt de mesures de prévention du vieillissement cérébral/cognitif problématique, en lien avec le style de vie, 2ème partie ») ont montré, chez des personnes âgées de 65 ans et plus, qu’une activité physique plus importante prédit 9 ans plus tard un volume plus important des régions frontales, occipitales, entorhinales et hippocampiques et aussi qu’un volume plus important du gyrus frontal inférieur, de l’hippocampe et de l’aire motrice supplémentaire est associé à un risque deux fois moindre de développer une vieillissement cérébral/cognitif problématique (« trouble cognitif léger » ou « démence »).
En dépit de certaines limites, la recherche de Head et al. confirme les effets négatifs du stress sur le vieillissement cérébral/cognitif et indique en outre que l’engagement dans une activité physique est à même de réduire l’importance de ces effets. Ces données doivent aussi être examinées en considérant les liens qui ont été établis entre la « maladie d’Alzheimer » et le stress, ainsi que les effets bénéfiques de l’activité physique sur le risque et l’évolution de cette « maladie » ou, plus généralement, de la « démence » (voir nos chroniques « Le stress psychologique : un facteur-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique ? » ; « L’effet bénéfique d’une activité physique durant la cinquantaine sur le fonctionnement cognitif et la présence d’une démence évalués 26 ans après »; « L’effet bénéfique d’un programme d’exercices réalisé à domicile et sous la supervision d’un proche aidant »).
Des études ultérieures, de nature longitudinale, devraient être conduites afin d’explorer plus avant l’influence du stress et de l’activité physique sur le vieillissement cérébral et cognitif. Il s’agirait, entre autres, de mieux comprendre l’effet spécifique du stress (dans ses relations avec l’activité physique) selon qu’il intervient durant l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte (jeune adulte et milieu de la vie) ou la vieillesse.
Conclusions
Promouvoir l’engagement dans des activités physiques semble donc constituer un axe de prévention intéressant, pouvant notamment intervenir via une réduction des effets délétères du stress sur le vieillissement cérébral et cognitif.
Il s’agit cependant de prendre en compte le fait que l’engagement plus ou moins important des personnes dans des activités physiques semble dépendre de différents facteurs psychologiques.
Ainsi, dans une étude prospective menée sur une période de 18 mois chez des personnes d‘âge moyen et des personnes âgées, White, Wojcicki et Mc Auley (2012) ont montré le rôle (direct et indirect via les conséquences attendues de l’activité physique) du sentiment d’auto-efficacité, à savoir les croyances des personnes dans leurs capacités d’effectuer le programme d’activités physiques. De plus, Stahl et Hicks Patrick (2012) ont mis en évidence, chez des adultes âgés de 20 à 88 ans, que l’engagement dans une activité physique était plus important si les personnes avaient une perspective future plus étendue, c’est-à-dire, si elles considéraient que leur futur comportait beaucoup d’opportunités et qu’elles disposaient d’une période à vivre plus étendue. Il s’agit là de facteurs que toute intervention visant à promouvoir l’engagement dans des activités physiques se devrait de prendre en considération.
Un facteur important limitant l’engagement des personnes âgées dans des activités physiques concerne la perception d’incapacités fonctionnelles, laquelle peut être atténuée en augmentant le sentiment d’auto-efficacité, mais aussi en proposant aux personnes âgées des exercices visant à limiter ces incapacités. Dans cette perspective, au sein de l’Association VIVA (voir http://association-viva.org/programme.html), nous avons mis en place un projet intergénérationnel dans lequel des personnes âgées réaliseront des exercices en duo avec des enfants de 4 ans, dans le but d’optimiser leur équilibre et leur résistance physique. Au-delà du fait que tant les personnes âgées que les enfants sont à même de bénéficier du même type d’exercices d’équilibre et de résistance (voir notre chronique « Les relations entre la marche et le fonctionnement cognitif chez les personnes âgées : Optimiser la marche et l’équilibre par une approche intergénérationnelle »), nous pensons que l’approche intergénérationnelle pourrait aussi avoir des effets bénéfiques aux plans de la qualité de vie, de la capacité d’engagement et du sentiment d'appartenance à une communauté des personnes âgées, ainsi que de la mise en confiance et la motivation des enfants en bas âge (voir notre chronique « Les relations intergénérationnelles ont des effets bénéfiques tant pour les personnes âgées que pour les adolescents »).
Erickson, K.I., Raji, C.A., Lopez, O.L., Becker, J.T., Rosano, C., Newman, A.B., et al. (2010). Physical activity predicts gray matter volume in late adulthood. The Cardiovascular Health Study. Neurology, 75, 1415-1422.
Erickson, K.I., Vos, M.W., Prakash, R.S., Basak, C., Szabo, A., Chaddok, L., Kim, J.S.,…., Kramer, A.F. (2011). Exercise training increases size of hippocampus and improves memory. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108, 3017-3022.
Head, D., Singh, T., Bugg, J.M. (2012). The moderating role of exercise on stress-related effects on the hippocampus and memory in later adulthood. Neuropsychology, sous presse.
Johansson, L., Guo, X., Waern, M., Ostling, S., Gustafson, D., Bengtsson, C., & Skoog, I. (2010). Midlife psychological stress and risk of dementia: a 35-year longitudinal study. Brain, 8, 2217-2224.
Johansson, L., Skoog, I., Gustafson, D.R., Olesen, P.J., Waern, M., Bengtsson, C., Björkelund, C., Pantoni, L., Simoni, M., Lissner, L., & Guo, X. (2012). Midlife psychological distress associated with late-life brain atrophy and white matter lesions: A 32-year population study of women. Psychosomatic Medicine, 74, 120-125.
Stahl, S.T., Hicks Patrick, J. (2012). Adults’ future time perspective predicts engagement in physical activity. The Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, sous presse.
White, S.M., Wojcicki, T.R., & McAuley, E. (2012). Social cognitive influences on physical activity behavior in middle-aged and older adults. The Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 67, 18-26.
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