Depuis la fin des années 1980, nous avons été parmi les premiers à défendre la mise en place d’interventions cognitives visant à aider les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (ce que nous appelions encore à l’époque une « démence » ou une « maladie d’Alzheimer ») à mener l’existence la plus autonome et la plus plaisante possible (voir Van der Linden & Seron, 1989 ; Van der Linden et al., 1991). Il s’agissait de s’éloigner d’une approche déficitaire, en considérant qu’il était possible d’optimiser le fonctionnement psychologique et social des personnes, notamment via l’exploitation de leurs capacités préservées. Ces interventions devaient être directement centrées sur les situations de la vie quotidienne et sur des objectifs concrets spécifiquement choisis en fonction des difficultés et besoins spécifiques à chaque personne (compte tenu de l’importante hétérogénéité des difficultés cognitives et socio-émotionnelles pouvant être observées chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique).
Depuis, d’autres cliniciens ont défendu la même approche (voir en particulier Clare, 2008) et un nombre croissant d’études ont été entreprises, visant à montrer l’efficacité de différents types d’interventions cognitives.
La mise en place de ces interventions apparaît encore plus pertinente du fait que les intervenants dans le domaine du vieillissement cérébral/cognitif sont de plus en plus amenés à rencontrer des personnes âgées présentant des difficultés cognitives moins importantes, ainsi que des personnes autour de la soixantaine, voire de la cinquantaine, parfois encore professionnellement actives, et qui, du fait de leurs difficultés cognitives, sont particulièrement en attente d’une aide psychologique leur permettant d’interagir au mieux avec leur environnement (voir Juillerat et al., 2000 ; Van der Linden, Juillerat, & Adam, 2003 ; Van der Linden & Juillerat, 2004, Van der Linden, Juillerat & Delbeuck, 2004). Plus que jamais, il apparaît que l’intervention doit être conçue en considérant les personnes comme des participants responsables et capables, dans certains cas, de mettre elles-mêmes en place les moyens d’optimisation, d’exprimer leurs besoins et préférences, et de prendre des décisions relatives aux interventions. Néanmoins, l’aide des proches peut également s’avérer d’un grand intérêt et peut se concevoir à plusieurs niveaux : adapter l’environnement physique de la personne, l’aider à utiliser les aides externes, les facteurs d’optimisation et les capacités préservées, choisir les bonnes conditions d’interaction ou encore favoriser le maintien d’une bonne image de soi.
Il existe de nombreuses données, issues d’études de groupes ou d’études de cas, suggérant que les interventions cognitives individualisées et centrées sur les activités de la vie quotidienne puissent être bénéfiques pour la qualité de vie des personnes (voir Adam, Van der Linden, Juillerat, & Salmon, 2003 ; Lekeu, Wojtasik, Van der Linden, & Salmon, 2002 ; Clare, 2008 ; Van der Linden et al., 2003 ; Buschert, Bodke, & Hampel, 2010).
Dans un travail récent, Clare et al. (2010) ont entrepris une étude visant à montrer l’efficacité clinique d’une approche de revalidation cognitive personnalisée, et ce en adoptant une procédure contrôlée randomisée en simple aveugle. Soixante-neuf personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de « démence mixte (vasculaire et de type maladie d’Alzheimer) » ont participé à cette recherche. Elles avaient toutes un score au MMSE supérieur à 18 et recevaient une dose stable de médicament inhibiteur de l’acétylcholinestérase.
Ces personnes ont été aléatoirement réparties dans une condition sans intervention, une condition « placebo » (de thérapie individuelle de relaxation) et une condition de revalidation cognitive individualisée. La revalidation cognitive comportait 8 séances individuelles d’une heure par semaine. Les interventions étaient focalisées sur des buts pertinents pour la personne, tels que apprendre à utiliser un téléphone portable, se souvenir de noms de personnes, maintenir sa concentration durant des tâches culinaires, etc., et impliquaient des aides et stratégies concrètes, des techniques d’apprentissage de nouvelles informations (en utilisant comme exemple la technique d’apprentissage nom-visage), des exercices de maintien de l’attention et de la concentration, ainsi que des techniques de gestion du stress. Les participants étaient encouragés à travailler les objectifs choisis entre les sessions d’intervention. En outre, les proches aidants (pour une partie seulement des participants) étaient invités aux 15 dernières minutes de chaque session afin d’appuyer l’implémentation des stratégies et des aides dans la vie quotidienne.
Les évaluations initiales, post-intervention et en suivi après 6 mois ont été effectuées par une personne qui ne connaissait pas la condition d’appartenance des participants (sans intervention, relaxation et revalidation cognitive). Ces évaluations pré- et post-intervention étaient notamment menées au moyen de la « Canadian Occupational Performance Measure », dans laquelle les participants doivent identifier 5 buts pertinents pour eux-mêmes, dans différents domaines de leur vie quotidienne, et évaluer leur performance et leur niveau de satisfaction par rapport à ces différents buts. En ce qui concerne les personnes de la condition de revalidation cognitive, un ou deux buts parmi les 5 identifiés ont fait l’objet de la revalidation. Différents tests neuropsychologiques ont également été utilisés dans ces évaluations, ainsi que des échelles d’anxiété/dépression, de qualité de vie et de tension supportée par le proche aidant.
Les résultats principaux de cette étude montrent que les personnes ayant reçu la revalidation cognitive présentent une amélioration significative dans les évaluations de performance et de satisfaction par rapport aux buts personnels, alors qu’aucun changement n’est observé chez les participants des deux autres conditions. Relevons que cette amélioration est cliniquement assez modeste, mais il faut rappeler que le score porte sur 5 buts identifiés, dont un ou deux seulement ont été spécifiquement travaillés durant la revalidation cognitive. Il faut en outre noter que l’effet bénéfique de la revalidation cognitive sur l’évaluation de la performance par rapport aux buts spécifiquement travaillés est plus important chez les participants ayant reçu le soutien d’un proche aidant. Par ailleurs, les proches aidants des participants attribués aux conditions « revalidation cognitive » et « relaxation » ont évalué leur qualité de vie, dans le domaine des relations sociales, comme meilleure que les proches aidants des participants sans intervention. Dans le suivi à 6 mois, les participants ayant reçu la revalidation cognitive évaluaient leur performance mnésique plus positivement que les participants de la condition sans intervention. Notons enfin que, sur un sous-ensemble de participants, un effet significatif de la revalidation cognitive a été observé en IRMf, avec une augmentation d’activité cérébrale, uniquement chez les participants ayant reçu la revalidation cognitive, dans les régions classiquement associées à la réalisation d’une tâche d’apprentissage d’associations nom-visage.
Dans l’ensemble, cette étude, réalisée selon une méthodologie rigoureuse, confirme l’intérêt d’une revalidation cognitive individualisée et centrée sur des buts concrets et pertinents par rapport à la vie quotidienne des personnes. L’intérêt de la recherche de Clare et al. est d’avoir adopté une procédure d’évaluation dite « clinométrique », permettant d’évaluer l’efficacité d’interventions dont le contenu peut différer d’une personne à l’autre. Néanmoins, du fait même des contraintes liées à la mise en place d’une étude randomisée contrôlée, cette étude a proposé une intervention brève, ce qui peut expliquer des bénéfices assez réduits et peu de maintien à long terme. Par ailleurs, on ne dispose que de peu de détails sur la nature des interventions individualisées. Enfin, les informations fournies par les outils d’évaluation sélectionnés sont qualitativement assez pauvres.
Des études ultérieures doivent impérativement être menées afin de poursuivre l’exploration de l’efficacité des interventions cognitives individualisées chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique. Nous pensons que ces études devraient pouvoir adopter une pluralité de méthodes et s’affranchir de la contrainte excessive que représente le dogme biomédical de l’étude randomisée contrôlée. Des informations intéressantes et plus riches peuvent ainsi être obtenues via des études en cas unique, méthodologiquement rigoureuses (voir Tate et al., 2008 ), et même via des études qualitatives.
A la Consultation Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève, nous menons actuellement une approche d’intervention cognitive qui combine à la fois des interventions individualisées, taillées sur mesure en fonctions des difficultés et besoins particuliers de chaque personne, et un programme d’interventions commun à plusieurs personnes et visant un accroissement des ressources de traitement, ainsi que l’apprentissage de stratégies générales pouvant être utilisées dans la vie quotidienne afin d’optimiser l’apprentissage de nouvelles informations et la réalisation effective des intentions. Les premiers résultats obtenus sont encourageants et indiquent l’intérêt d’une telle approche.
Adam, S., Van der Linden, M., Juillerat, A.C., & Salmon, E. (2000). The cognitive management of daily life activities in patients with mild to moderate Alzheimer’s disease in a day care centre: A case report. Neuropsychological Rehabilitation, 10, 485-509.
Clare, L. (2008). Neuropsychological rehabilitation and people with dementia. A modular handbook. Hove: Psychology Press.
Clare, L., Linden, D.E.J., Woods, R.T., Evans, S., J., Parkinson, C.H., van Paaschen, J. et al., (2010). Goal-oriented cognitive rehabilitation for people with early-stage Alzheimer Disease: A single-blind randomized controlled trial of efficacy. American Journal of Geriatric Psychiatry, à paraître.
Juillerat, A.-C., Van der Linden, M., Seron, X., & Adam, S. (2000). La prise en charge des patients Alzheimer au stade débutant. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique, Tome 2. Marseille : Solal (pp. 269-289).
Lekeu, F., Wojtasik, V., Van der Linden, M., & Salmon, E. (2002). Training early Alzheimer patients to use a mobile phone. Acta Neurologica Belgica, 102, 114-121.
Tate, R.L., Mcdonald, S., Perdices, M., Toghere., L., Schultz, R., & Savage, S. (2008). Rating the methodological quality of single-subject designs and n-of-1 trials: Introducing the Single-Case Experimental Design (SCED) Scale. Neuropsychological Rehabilitation, 18, 385-401.
Van der Linden, M., & Seron, X. (1989). Prise en charge des troubles cognitifs. In B. Michel & O. Guard (Eds.), La maladie d'Alzheimer. Paris: McGraw-Hill (pp. 289-303).
Van der Linden, M., Ansay, C., Calicis, F., Jacquemin, A., Schils, J.P., Seron, X., & Wijns, Ch. (1991). Prise en charge des déficits cognitifs dans la démence d'Alzheimer. In M. Habib, Y. Joanette et M. Puel (Eds.), Démences et syndromes démentiels: Approche neuropsychologique. Paris : Masson (pp. 253-262).
Van der Linden, M., & Juillerat, A.-C. (2004). La revalidation neuropsychologique dans la maladie d’Alzheimer à un stade précoce : Principes, méthodes et perspectives. Revue Neurologique, 160, 64-70.
Van der Linden, M., Juillerat, A.-C., & Adam, S. (2003). Cognitive intervention. In R. Mulligan, M. Van der Linden, & A.C. Juillerat (Eds.), The clinical management of early Alzheimer’s disease. Mahwah, New Jersey: Erlbaum (pp. 169-233).
Van der Linden, M., Juillerat, A.C., & Delbeuck, X. (2004). Cognitive rehabilitation in mild cognitive impairment and prodromal Alzheimer’s disease. In S. Gauthier, Ph. Scheltens, & J. Cummings (Eds.), Alzheimer’s disease and related disorders Annual 2004. London: Martin Dunitz Limited (pp. 81-96).
commenter cet article …