...sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées
Différentes études ont montré qu’un niveau plus élevé de scolarité était associé à un meilleur fonctionnement cognitif à l’âge adulte, mais aussi qu’un niveau plus bas de scolarité constituait un facteur de risque de « démence » (voir notre chronique « L’effet bénéfique du nombre d’années d’études sur le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).
Récemment, une analyse (de type table de survie multi-états) menée sur les données de la « US Health and Retirement Study, 1992-2004 » a mis en évidence que des niveaux plus élevés d’éducation non seulement prolongent la vie, en particulier la vie en bonne santé, mais aussi compriment la période de vie avec des troubles cognitifs, et ce en postposant la survenue d’une « démence » (Reuser, Willekens, & Bonneux, 2011). De plus, cet effet protecteur de l’éducation est encore plus fort dans les minorités ethniques. Ces données ont été interprétées à partir de l’hypothèse de la réserve cognitive/cérébrale, selon laquelle les personnes âgées plus scolarisées seraient davantage aptes à compenser la pathologie cérébrale.
Niveau de scolarité et activités stimulantes durant l’âge adulte
Quelques études récentes attestent toutefois de la nécessité de prendre en compte l’influence du niveau de scolarité sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées conjointement avec l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles durant l’âge adulte (y compris la vieillesse).
Ainsi, comme nous l’avons rapporté dans notre chronique « Un niveau plus élevé de scolarité ne suffit pas pour réduire le risque de "démence" : il doit s’associer à une activité cognitive enrichie plus tard dans la vie », Valenzuela et al. (2011) ont observé qu’un style de vie cognitif enrichi, au-delà du niveau de scolarité atteint en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte, est nécessaire pour aboutir à une prévention efficace du vieillissement cérébral/cognitif problématique.
Par ailleurs, Soubelet (2011) a récemment montré que le risque de déclin cognitif chez les personnes à niveau d’éducation moindre pouvait être réduit via l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles à l’âge adulte. L’auteure a administré à 164 adultes âgés de 18 à 96 ans un questionnaire concernant leur participation à des activités culturelles/intellectuelles, un questionnaire concernant leur participation à des activités physiques, ainsi que différents tests cognitifs.
En ce qui concerne les activités culturelles/intellectuelles, les participants ont été interrogés sur le nombre d’heures qu’ils consacraient, durant une semaine ou un mois typique, aux activités suivantes : théâtre, cinéma, musée, zoo, autres visites culturelles, événements populaires, étude ou pratique d’une religion, pratique de la méditation, pratique artistique (peinture, dessin, etc.), surf sur Internet, mots croisés, jeux de sudoku, lecture ou participation à des cours. Les heures par mois ont été converties en heures par semaine et la somme des heures passées dans les 14 activités a été calculée.
En ce qui concerne les tests cognitifs, quatre variables composites ont été établies en moyennant les scores z pour les variables représentant l’intelligence fluide, la vitesse de traitement, la mémoire de travail et la mémoire épisodique (variables identifiées sur base d’une analyse factorielle).
Enfin, pour ce qui est des activités physiques, les participants ont été interrogés sur le nombre d’heures qu’ils consacraient, durant une semaine ou un mois typique, aux activités suivantes : jouer au golf, faire de la randonnée, du patin à roulette, de la musculation, de la gymnastique, de la natation, de la course à pied, de la marche, de la bicyclette, du cheval, de la danse, des arts martiaux, des sports de plein air (surf, ski, etc.), du fitness, de la pêche, chasser et jouer à des sports de ballon (football, tennis, etc.).
Les participants avaient un score moyen au MMSE de 27 et plus, avaient suivi une moyenne de 14.3 années d’études et rapportaient un score moyen de 7.4 à une échelle de santé allant de 0 (mauvaise) à 10 (excellente). Les résultats montrent tout d’abord, comme attendu, que des niveaux plus élevés de scolarité et d’engagement dans des activités intellectuelles/culturelles sont associés à des niveaux plus élevés de capacités cognitives.
Par ailleurs, une analyse de médiation montre que l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles durant l’âge adulte ne constitue pas un mécanisme par lequel le niveau de scolarité corrèle avec le fonctionnement cognitif. Par contre, une analyse de modération révèle que les différences liées au niveau de scolarité dans les capacités cognitives peuvent être réduites (modérées) via l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles durant l’âge adulte, et ce après avoir contrôlé l’influence de l’âge, du genre, de l’activité physique et de l’état de santé auto-rapporté.
Ces résultats fournissent donc deux informations importantes. Premièrement, ils ne confirment pas une idée préconçue courante selon laquelle un niveau de scolarité plus élevé a des effets bénéfiques sur le fonctionnement cognitif du fait que, au moins en partie, les personnes plus scolarisées s’engageraient davantage, étant adultes, dans des activités qui stimulent leurs capacités cognitives. Deuxièmement, ces données indiquent que le risque de moins bon fonctionnement cognitif chez les personnes avec un niveau de scolarité plus bas peut être compensé par l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles.
Des études ultérieures devraient être menées afin de confirmer ces résultats sur des échantillons plus homogènes en âge et en utilisant des mesures objectives de santé. Il s’agirait également d’explorer dans quelle mesure l’engagement fréquent dans des activités culturelles/intellectuelles est associé à un risque moindre de « démence » chez les personnes moins scolarisées.
La prévention du déclin cognitif chez les personnes âgées : le rôle de l’éducation et des activités stimulantes à l’âge adulte
Une optimisation du vieillissement cérébral/cognitif semble donc pouvoir être obtenue par des mesures conduisant à élever le niveau de scolarité. Dans cette perspective, Barnes et Yaffe (2011) ont estimé les effets qu’aurait la réduction de 7 facteurs de risque (diabète, hypertension au milieu de la vie, obésité au milieu de la vie, tabagisme, dépression, niveau faible de scolarité ou inactivité cognitive, inactivité physique) sur la prévalence de la « maladie d’Alzheimer », en calculant le pourcentage de cas attribuable à un facteur donné et le nombre de cas qui pourraient être évités par une réduction des facteurs de risque de 10% et de 25%, au plan mondial et aux Etats-Unis.
Les auteurs estiment ainsi que, au plan mondial, environ 19% (6.5 millions) de cas de « maladie d’Alzheimer » sont potentiellement attribuables à un niveau bas de scolarité, avec 7% de cas (plus de 385’000 personnes) aux Etats-Unis. Par ailleurs, une réduction de 10% dans la prévalence de niveaux bas de scolarité pourrait diminuer la prévalence de la « maladie d’Alzheimer » d’environ 534’000 cas au plan mondial et de 36’000 cas aux Etats-Unis. Une réduction de 25% pourrait diminuer la prévalence de la « maladie d’Alzheimer » de 1'375’000 cas au plan mondial et de 91’000 cas aux Etats-Unis.
De façon plus globale, les auteurs estiment qu’une réduction combinée de 10% des 7 facteurs de risque pris en compte dans l’analyse conduirait à une diminution de 1'100’000 de cas de « maladie d’Alzheimer » de par le monde et 184’000 cas aux Etats-Unis. Une réduction de 25% des 7 facteurs de risque conduirait à une diminution de 3'000’000 de cas de « maladie d’Alzheimer » dans le monde et de 492’000 cas aux Etats-Unis.
Même si l’étude de Barnes et Yaffe (2011) s’est focalisée sur la « maladie d’Alzheimer », dont l’existence en tant qu’entité spécifique et discrète, différente du vieillissement dit normal, est contestable et de plus en plus contestée, les estimations fournies par cette recherche ont le mérite de montrer en quoi la vie de nombreuses personnes âgées pourrait être modifiée si des actions de prévention efficaces étaient mis en place, et ce notamment dans le domaine de l’éducation (voir aussi notre chronique « Une modélisation de l’impact de la prévention en lien avec le style de vie sur la prévalence de la démence »).
A côté de mesures de prévention visant à élever le niveau d’éducation, la recherche de Soubelet (2011) suggère aussi qu’une autre mesure de prévention pourrait s’avérer efficace pour réduire le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique (de « démence ») chez les personnes ayant eu un faible niveau de scolarité, à savoir susciter chez ces personnes l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles.
Il existe plusieurs données montrant que, de manière générale, des activités culturelles/intellectuelles ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées (voir nos chroniques « Maintenir des activités cognitives stimulantes chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique » et « Des activités de loisirs stimulantes sur le plan cognitif, une vie sociale active et des activités physiques ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif évalué 20 ans plus tard »).
De façon plus spécifique, les données obtenues par Valenzuela et al. (2011) et par Soubelet (2011) indiquent, d’une part, que l’effet bénéfique d’un niveau élevé de scolarité sur le risque de vieillissement cérébral/cognitif (de « démence ») ne se manifeste que si les personnes s’engagent aussi durant l’âge adulte et la vieillesse dans des activités cognitivement stimulantes et, d’autre part, que l’engagement dans ce type d’activités peut contribuer à réduire les effets négatifs d’un faible niveau scolaire sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées.
Un des objectifs de VIVA est précisément d’offrir aux personnes âgées la possibilité et les moyens de s’engager dans des activités culturelles/intellectuelles stimulantes. Dans les mois qui viennent, et avec l’aide des stagiaires du MAS (Master of Advanced Studies / Maîtrise d’Etudes Avancées) en Psychogérontologie Appliquée de l’Université de Genève, nous nous pencherons tout particulièrement sur les moyens de susciter l’engagement des personnes âgées socialement moins favorisées dans ce type d’activités.
Visite guidée pour les aînés à la galerie de la Ferme de La Chapelle (Lancy)
Barnes, D.E., & Yaffe, K. (2011). The projected effect of rik factor reduction on Alzheimer’s disease prevalence. The Lancet Neurology, 10, 819-828.
Reuser, K., Willekens, F.J., & Bonneux, L. (2011). Higher education delays and shortens cognitive impairment: A multistate life table analysis of the US Health and retirement Study. European Journal of Epidemiology, 26, 395-403.
Soubelet, A. (2011). Engaging in cultural activities compensates for educational differences in cognitive abilities. Aging, Neuropsychology, and Cognition, sous presse.
Valenzuela, M., Brayne, C., Sachdev, P., Wilcock, G., & Matthews, F. on Behalf of the Medical Research Council Cognitive Function and Ageing Study (2011). Cognitive lifestyle and long-term risk of dementia and survival after diagnosis in a multicenter population-based cohort. American Journal of Epidemiology, 172, 1004-1012.
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