La transition entre la vie à domicile et la vie dans une structure d’hébergement à long terme constitue un événement qui a une énorme signification pour la personne âgée, et notamment pour la personne âgée qui présente un vieillissement problématique. On connaît cependant encore peu de choses sur les conséquences psychologiques de cette transition.
Wilson et al. (2007) ont réalisé une étude afin d’explorer l’impact d’un tel changement sur le fonctionnement cognitif de personnes ayant reçu précédemment le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Ils ont également examiné dans quelle mesure le fait d’avoir bénéficié préalablement des services d’un centre de jour, quelques fois par semaine, pouvait moduler l’impact de l’entrée en institution sur le fonctionnement cognitif.
Les auteurs ont évalué le fonctionnement cognitif de 432 personnes âgées (âge moyen de 80.3 ans) pendant une durée de 4 ans (à des intervalles de 6 mois). Lors de l’évaluation initiale, ces personnes vivaient dans la communauté (à domicile), avaient toutes reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et utilisaient les services d’un centre de jour en moyenne 1.7 fois par semaine. Les évaluations cognitives (au nombre moyen de 4.7 par personne) comportaient 9 tests évaluant différents aspects du fonctionnement cognitif (mémoire épisodique, mémoire de travail, langage, raisonnement, etc.) : à partir des résultats à ces différents tests, un score composite de cognition globale était établi. Afin de pouvoir identifier l’entrée dans une institution, une personne proche était interrogée directement ou par téléphone tous les 3 mois.
Les résultats montrent que, en moyenne, la cognition a progressivement décliné durant la période d’évaluation. Cependant, l’entrée dans une structure d’hébergement à long terme a conduit à une diminution du fonctionnement cognitif et à une accélération de la vitesse du déclin cognitif. Cette association entre entrée en institution et impact négatif sur le fonctionnement et le déclin cognitifs subsistait quand étaient prises en compte l’influence possible de l’humeur dépressive, la présence d’hallucinations et l’existence d’un handicap physique au moment de l’entrée (3 facteurs indicateurs de l’importance du vieillissement problématique et dont il a été montré qu’ils étaient associés au placement en institution, au déclin cognitif et au décès).
Par ailleurs, l’utilisation préalable plus élevée des services d’un centre de jour atténuait l’impact du placement en institution sur le fonctionnement et le déclin cognitifs. Enfin, un nombre plus élevé d’années d’étude était associé à une augmentation importante de la vitesse du déclin cognitif consécutive au placement, mais cette association avec le niveau de scolarité était très atténuée chez les personnes qui avaient beaucoup utilisé les services d’un centre de jour (3,5 jours par semaine).
En conclusion, une entrée en institution semble être associée à une accélération du déclin cognitif chez les personnes présentant un vieillissement problématique, accélération plus importante encore chez les personnes avec un haut niveau scolaire. Par ailleurs, il apparaît qu’avoir été préalablement dans un centre de jour aide la personne à faire la transition entre le domicile et l’institution (et c’est particulièrement vrai des personnes avec un niveau scolaire plus élevé).
L’aggravation des déficits cognitifs et l’accélération de la vitesse du déclin cognitif peuvent globalement traduire la difficulté des personnes à s’adapter à un environnement non familier : on sait d’ailleurs que des hospitalisations aigües ou des séjours en dehors du domicile peuvent provoquer des problèmes confusionnels et des problèmes comportementaux.
Cependant, les mécanismes psychologiques impliqués dans cet impact négatif de l’entrée en institution sur la cognition sont loin d’être identifiés. Il en va de même pour l’influence négative du niveau plus élevé de scolarité, ainsi que l’effet protecteur de l’assistance préalable à un centre de jour (effet surtout important pour les personnes à plus haut niveau scolaire). Ainsi, notamment, il se pourrait que les personnes âgées (ou leurs familles) qui ont utilisé les services d'un centre de jour et celles qui ne l'ont pas fait (ou moins souvent) diffèrent sur l'une ou l'autre dimension (non contrôlée). Cependant, il est également possible que le centre de jour, en tant que tel, ait eu une fonction adaptative et/ou que les activités menées au sein de ce centre aient permis aux personnes d'acquérir certaines capacités qui ont facilité leur intégration dans l'institution.
Il est impératif d’explorer plus avant ces questions afin, d’une part, de vérifier que l’entrée en institution est bien un facteur causal de l’aggravation de l’état cognitif des personnes et, d’autre part, de tenter de mieux comprendre la nature de cette association, afin d’identifier les moyens à mettre en œuvre, avant et au moment de l’entrée en institution, pour réduire l’impact négatif de cet événement.
De façon générale, on peut imaginer qu’un changement de culture dans les structures d’hébergements à long terme, conduisant à une approche davantage centrée sur la personne, ses aspirations spécifiques et sa qualité de vie (voir, par ex., notre chronique « Les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d’un changement de culture »), devrait être bénéfique, mais il est important de le démontrer empiriquement. Notons enfin que la recherche de Wilson et al. s’est uniquement penchée sur l’effet à court terme de l’entrée en institution et qu’il s’agirait aussi d’explorer les effets à plus long terme.
Wilson, R.S., McCann, J. J., Li, Y., Aggarwal, N.T., Gilley, D.W., & Evans, D.A. (2007). Nursing home placement, day care use, and cognitive decline in Alzheimer’s disease (2007). American Journal of Psychiatry, 164, 910-915.
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