Un pas de plus vient d’être franchi dans la stigmatisation des personnes âgées présentant des difficultés cognitives. En effet, l’Association Alzheimer Suisse, partant d’une bonne intention, vient d’éditer des cartes que les personnes âgées ayant la « soi-disant maladie d’Alzheimer » peuvent présenter à d’autres, en cas de problèmes, pour les informer qu’elles sont porteuses de cette «maladie». Ces cartes mentionnent :
« J’ai la maladie d’Alzheimer. J’ai besoin de votre aide et de votre compréhension. Cette carte vous indique : ce qui me pose problème ; comment vous pouvez m’aider ».
Sont ensuite listés différents déficits, parmi lesquels il faut cocher ceux que la personne manifeste : « Je suis confus/e, je me perds, j’ai des oublis, je m’exprime de façon incompréhensible, j’ai des problèmes avec l’argent, j’ai des problèmes dans la circulation, je suis désorientée dans le temps, je panique facilement, autres… ». De plus, le nom et le numéro de téléphone d’une personne proche à contacter sont notés, ainsi qu'un numéro de Téléphone-Alzheimer. Enfin, la carte se termine par la phrase « Voici comment vous pouvez m’aider : soyez patient et essayez de comprendre ce que je dis ; demandez-moi de quelle aide j’ai besoin », puis par le nom et l’adresse de la personne dite « Alzheimer».
Des cartes ont également été conçues pour les accompagnants de la personne qui a « la maladie d’Alzheimer » et qui mentionnent en premier lieu :
« La personne qui m’accompagne a la maladie d’Alzheimer. Merci de votre compréhension pour son comportement étrange.»
Outre le fait que ces cartes accréditent une fois de plus l’existence d’une « maladie » distincte dont le statut est de plus en plus contesté (voir notamment « Le mythe de la maladie d’Alzheimer »), elles véhiculent également une vision essentiellement déficitaire, voire apocalyptique, du vieillissement cérébral. Elles renforcent ainsi la stigmatisation, les stéréotypes et la non prise en compte des capacités préservées. Cette initiative va dès lors à contre-courant des diverses initiatives qui tentent de déstigmatiser le vieillissement cérébral, de montrer en quoi il peut prendre des formes extrêmement variables, d’insister sur le fait que les personnes âgées qui ont des difficultés cognitives conservent une identité et des capacités de communication, ainsi que de favoriser des mesures d'intégration et d'optimisation des capacités préservées.
L’intérêt pratique de ces cartes est lui-même contestable. Soit la personne dispose encore de capacités d’expression suffisantes, et alors elle n’aura pas besoin de recourir à ce moyen infantilisant pour obtenir de l’aide, soit elle n’en dispose plus, elle est désorientée et confuse et il ne faut pas être grand clerc pour s’apercevoir que cette personne a des problèmes et qu’elle a besoin d’aide. Apprendre qu’elle a une « maladie d’Alzheimer » n’apporte aucune information utile supplémentaire, pas plus que ne sont utiles les conseils généraux qui sont fournis sur la carte et qui relèvent tout simplement du bon sens. En fait, la découverte de cette carte ne peut qu’accroître le sentiment d’inquiétude et de perplexité auprès des passants, quand on sait ce qui est véhiculé dans les médias par l’étiquette de maladie d’Alzheimer. Laisser dans la poche, le portefeuille ou le sac de la personne le simple numéro de téléphone d’une personne à contacter en cas de besoin serait amplement suffisant pour permettre de prendre les initiatives qui s’imposent. Que dire alors de la carte destinée aux accompagnants, dont l’intérêt et la pertinence laissent rêveur….
Apprendre à se comporter avec des personnes âgées présentant des déficits cognitifs, en respectant leur identité et leur dignité, ne se dicte pas via la connaissance d’un diagnostic (au demeurant très contestable), ni en deux phrases sur une carte, mais se réalise dans une société « personnes âgées admises», y compris quand elles ont des difficultés cognitives, et en favorisant les relations intergénérationnelles au sein de la communauté. Refuser l’étiquette de maladie d’Alzheimer, une « maladie dévastatrice de fin de vie », et réintégrer les diverses manifestations de cette soi-disant «maladie spécifique» dans le contexte plus large du vieillissement cérébral, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, c’est rendre à la personne âgée toute son humanité, et aussi lui permettre de changer profondément le regard qu’elle porte sur elle-même et que les autres lui adressent.
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