Comme nous l’annoncions dans notre chronique « Déclin cognitif chez les personnes âgées, style de vie contemporain et accumulation de médicaments », la Commission de Transparence, en charge de l’évaluation des médicaments au sein de la Haute Autorité de Santé en France, a conclu, dans un communiqué de presse daté du 27 octobre 2011, que les médicaments de la « maladie d’Alzheimer » (Ebixa, Aricept, Exelon et Reminyl) ont un intérêt thérapeutique (un Service Médical Rendu, SMR) faible. En attestent :
* des effets au mieux modestes : une efficacité versus placebo principalement établie sur la cognition à court terme et dont la pertinence clinique reste discutable ;
* un risque de survenue d’effets indésirables pouvant nécessiter l’arrêt du traitement (principalement des troubles digestifs, cardiovasculaires et neuropsychiatriques) ;
* un risque accru d’interactions médicamenteuses du fait de la polymédication habituelle chez les patients âgés.
La Commission considère en outre qu’il n’y a pas de différence de tolérance et d’efficacité entre les quatre médicaments et qu’ils n’apportent pas d’amélioration du Service Médical Rendu. Il est intéressant de noter que, lors du vote initial du projet d’avis par les membres de la Commission de la Transparence (à savoir le vote précédant l’adoption du projet d’avis, l’audition des laboratoires pharmaceutiques et l’adoption de l’avis définitif ; voir la vidéo de cette réunion du 20 juillet 2011 sur http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1107984/vote-du-projet-davis-par-les-membres-la-commission-de-la-transparence ), 9 membres de la Commission de Transparence ont voté pour un Service Médical Rendu faible, mais 7 ont voté pour un Service Médical Rendu insuffisant (et ce pour les 4 médicaments)……
Comme l’indique Jean-Yves Nau dans une chronique publiée sur Slate.fr (http://www.slate.fr/story/45621/alzheimer-medicaments-inefficaces-prescrits), il s’agit d’une dégradation claire de l’intérêt thérapeutique de ces médicaments puisque, en 2007, cet intérêt avait été qualifié d’ « important » par la Commission de Transparence de la HAS (en considérant le "rôle structurant" de ces médicaments pour la prise en charge des patients) et, en réalité, il s’agit d’un constat d’inefficacité. Il faut relever que les membres de la Commission de Transparence réunis en 2011, ainsi que les experts recrutés sur appel à candidature pour fournir un rapport d’expertise, n’avaient, cette fois, pas de lien d’intérêt avec les firmes qui commercialisent ces médicaments. Par contre, en 2007, plusieurs experts entretenaient des liens majeurs avec les firmes concernées (voir le commentaire du Vice-président du Formindep, Philippe Masquelier, publié à la suite de cette chronique) .
La Commission de Transparence n’a pas clairement mis en question la prescription de ces médicaments, mais a uniquement recommandé des conditions de prescription plus strictes. Ainsi, les traitements sont prescrits pour une durée d’un an. Au bout de six mois, la poursuite du traitement doit faire l’objet d’une réévaluation attentive du médecin prescripteur. En effet, si le patient répond au traitement en atteignant les objectifs fixés (stabilisation ou ralentissement du déclin cognitif, par exemple) et s’il n’a pas subi d’effet indésirable grave et/ou altérant sa qualité de vie, le traitement pourra être poursuivi jusqu’à un an. Au-delà d’un an, la Commission recommande que le renouvellement du traitement soit décidé en réunion de concertation pluridisciplinaire réunissant le patient (si son état de permet), son aidant, le médecin traitant, le gériatre et le neurologue ou le psychiatre. Si ce groupe donne son accord et si l’efficacité a été maintenue, alors le traitement pourra être reconduit.
Comme le relève Jean-Yves Nau, laisser sur la marché français et continuer à prescrire et à prendre en charge par la collectivité des médicaments inefficaces et au caractère potentiellement toxique constitue « une première, à la fois pharmaceutique et compassionnelle ». Il ajoute que la mise au point de la Haute Autorité de Santé ne devrait guère modifier les pratiques. D’ailleurs, le ministre français de la Santé, Xavier Bertrand, a annoncé dès le 23 octobre 2011 (anticipant les conclusions de la Haute Autorité de Santé) que les médicaments ne seraient pas déremboursés, même si des baisses de tarif pourraient être envisagées. Jean-Yves Nau considère ainsi que « Tout se passe comme si, brutalement, il ne restait rien (hormis la mise en ligne de vidéos de réunions techniques) de la somme des enseignements que l’on croyait tirés (à grand renfort de publicité médiatique) de l’affaire du Médiator ».
Dans ce contexte, il faut rappeler la prise de position du Docteur Claude Leicher, président du syndicat de la médecine générale (déjà mentionnée dans notre chronique « Le vieillissement cérébral/ cognitif dans une société solidaire ») : « […] quand nous commençons à voir une personne commençant à avoir un déclin dans ses capacités cognitives et relationnelles, la famille nous interroge. Nous souhaitons que l’on ne mette pas ces patients sous traitement. Mais que se passe-t-il ? On fait un « bilan de mémoire » et on entre dans une chaîne dont nous, médecins généralistes traitants, n’arrivons plus à sortir. Car mettre en route un traitement, c’est lourd ; mais l’arrêter, c’est encore plus lourd. Nous avons des patients qui reviennent de l’hôpital avec des prescriptions de médicaments. Nous disons que ce n’est pas utile, pas efficace, et que cela peut même être dangereux. Mais il est très difficile de convaincre que le rapport bénéfice/risque n’est pas en faveur de la prescription faite par un spécialiste […]. Nous devenons prisonniers de la prescription des spécialistes parce que les patients eux-mêmes sont devenus prisonniers de ces prescriptions. Il faut retirer ces médicaments du marché. » Et il ajoute : « Il y a beaucoup plus besoin d’un accompagnement des patients que d’une prescription médicamenteuse. »
La Haute Autorité de Santé publiera d’ici la fin de l’année 2011 une actualisation des recommandations de bonnes pratiques sur la prise en charge de la prétendue « maladie d'Alzheimer ». Dans la ligne de ce qu’elle précise dans son communiqué de presse du 27 octobre 2011 (à savoir que « la prise en charge de cette maladie ne doit pas se limiter à une prescription médicamenteuse, mais doit être globale »), on pourrait espérer que la Haute Autorité de Santé recommande de façon précise et argumentée la mise en place d’interventions psychosociales (avec les structures et personnes formées que cela implique).
En effet, il existe à ce jour de nombreuses données empiriques, montrant l’intérêt des interventions psychosociales individualisées, adressées aux personnes âgées et à leurs proches et appliquées au sein de la communauté de vie des personnes. Il faudrait encore pour cela que la Haute Autorité de Santé s’appuie sur celles ou ceux (en particulier les psychologues spécialisés dans le domaine) qui sont les plus aptes à décrire les fondements méthodologiques et théoriques de ces interventions et les données qui les appuient. A ce propos, il est utile de rappeler combien les psychologues sont sous-représentés, particulièrement dans les pays francophones, dans les organes de réflexion concernant le vieillissement (voir notre chronique « Pas d’Alzheimérologues, mais des personnes, et notamment des psychologues, capables de prendre en compte la complexité du vieillissement cérébral, dans ses différentes dimensions »).
Il faudrait aussi que la Haute Autorité de Santé considère l’intérêt des interventions psychosociales individualisées, non pas uniquement en termes d’amélioration du fonctionnement cognitif et de l’autonomie, mais aussi en examinant leurs effets sur le sentiment d’identité et de continuité personnelle, le sentiment d’être respecté dans son individualité et ses motivations plus ou moins explicites, le sentiment d’appartenance à une communauté, le sentiment de contrôle et d’autodétermination, le sentiment de pouvoir réaliser des activités qui ont un sens et qui procurent du plaisir, la possibilité d’établir des relations signifiantes avec autrui, la réduction des stéréotypes, etc. Une telle démarche nécessite de s’affranchir du dictat des études randomisées contrôlées et de considérer que d’autres types d’études sont également à même de fournir des informations pertinentes (études qualitatives, en cas unique, etc., tout en intégrant la composante d’intersubjectivité impliquée dans la situation d’évaluation).
Parallèlement aux interventions psychosociales destinées à aider et soutenir les personnes âgées présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique, ainsi que leurs proches, on aimerait aussi voir la Haute Autorité de Santé mettre un accent tout particulier sur les mesures de prévention visant à différer ou réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral, et focalisées sur divers des facteurs de risque liés notamment au style de vie et aux neurotoxiques environnementaux.
En ce qui concerne les neurotoxiques environnementaux (plomb, mercure, biocides et pesticides, PCB, anti-feu au brome, certains médicaments donnés depuis le plus jeune âge, etc.), Marie Grosman et Roger Lenglet (2011) montrent, dans un livre très documenté et écrit après une longue enquête, en quoi ces molécules saturent les aliments industrialisés, les médicaments, l’eau, la terre et l’air et constituent un cocktail funeste qui agresse notre cerveau, contribuant, entre beaucoup d’autres problèmes neurologiques, au développement de la « maladie d’Alzheimer » (voir aussi le livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer », notre chronique « Menaces environnementales sur la santé cérébrale» et le rapport « Environmental Threats to Healthy Aging »).
Marie Grosman et Roger Lenglet révèlent également en quoi les collusions entre des industriels/laboratoires pharmaceutiques, des politiques (au plus haut niveau de l’état français) et des experts/chercheurs/professeurs conditionnent les politiques de santé publique et d’information sanitaire, et influent sur l’allocation des ressources de recherche, tout en paralysant la prévention, et ce notamment dans le domaine de la « maladie d’Alzheimer ».
Grosman, M., & Lenglet, R. (2011). Menaces sur nos neurones. Alzheimer, Parkinson…. Et ceux qui en profitent. Arles : Actes Sud.
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