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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 06:33

Résumé de la chronique

Plusieurs auteurs (de la Torre, 2012; Magaliasche et al., 2012; Fotuhi et al., 2012) ont récemment fait entendre leur voix pour, d'une part, appuyer une conception selon laquelle le risque de « démence » chez la personne âgée est déterminé par des facteurs de risque et des facteurs protecteurs multiples (intervenant tout au long de la vie et dont les effets dépendent largement de l'âge) et, d'autre part, pour en appeler à prendre vigoureusement le tournant de la prévention. Dans cette perspective, des études ont fourni de nouvelles données confirmant le rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l'engagement dans des activités mentalement stimulantes, ainsi que dans des activités physiques.

Wilson et al. (2012) ont exploré la relation temporelle entre les changements dans la participation à des activités cognitives stimulantes et les changements dans le fonctionnement cognitif chez 1'076 personnes âgées en moyenne de 80.4 ans et ne présentant pas de « démence ». Ces personnes ont été soumises à une moyenne de 5.9 évaluations annuelles, incluant un questionnaire sur la participation à des activités cognitives stimulantes et une batterie de tests cognitifs (évaluant la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail et la vitesse perceptive). Les résultats montrent qu’un plus haut niveau de participation à des activités cognitivement stimulantes pour une année donnée prédit un meilleur niveau de fonctionnement cognitif global (et aussi plus spécifiquement une meilleure performance en mémoire épisodique et sémantique) pour l’année suivante. Par contre, le niveau de fonctionnement cognitif global (et la performance en mémoire épisodique et sémantique) ne prédisent pas le niveau subséquent de participation à des activités cognitivement stimulantes. Ce dernier résultat va à l'encontre de l'interprétation (de causalité inverse) selon laquelle un niveau moindre d'activités cognitivement stimulantes serait en fait la conséquence du déclin cognitif. Il faut cependant relever que l’association entre la participation à des activités cognitivevement stimulantes et la performance en mémoire de travail est bidirectionnelle, à savoir un plus haut niveau de participation à des activités cognitivement stimulantes prédit une meilleure performance ultérieure en mémoire de travail et une meilleure performance en mémoire de travail prédit un niveau plus élevé de participation à des activités cognitivement stimulantes.

Dans une étude menée auprès de 716 personnes âgées en moyenne de 81.6 ans et ne présentant pas de « démence », Buchman et al. (2012) ont mis en évidence qu’un niveau élevé d’activité physique totale quotidienne (évalué objectivement au moyen d’un actigraphe placé sur le poignet dominant) est associé à un risque plus faible de développer ultérieurement une « maladie d’Alzheimer », mais aussi à un taux moindre de déclin cognitif. Cette association subsiste après avoir contrôlé l’influence de l’engagement dans des activités physiques, sociales et cognitivement stimulantes, ce qui indique que l’activité physique totale quotidienne capte des aspects de l’activité physique qui ne sont pas évalués par les questionnaires traditionnels (lesquels évaluent l’activité physique en lien avec des exercices spécifiques). Par contre, le taux de déclin cognitif observé avant la mesure actigraphique n’est pas associé à l’activité physique totale évaluée lors de ligne de base et le fonctionnement cognitif évalué lors de la ligne de base ne prédit pas le déclin ultérieur dans l’activité physique totale quotidienne. Ces résultats appuient donc l’interprétation selon laquelle une faible activité physique totale quotidienne est délétère pour le fonctionnement cognitif plutôt que l’interprétation inverse selon laquelle c’est un fonctionnement cognitif faible qui limite l’activité physique totale.

Ferrari et al. (2012) ont quant à eux entrepris une étude visant à identifier les facteurs pouvant jouer un rôle dans la modification du risque de « démence » du fait de la présence de l’allèle E4 de l’ApoE. Ils ont suivi pendant 9 ans une cohorte de 932 personnes âgées de 75 et plus, issues de la communauté et sans « démence », et ce afin d’identifier les personnes qui allaient développer une « démence ». Lors de la ligne de base, des informations ont été obtenues concernant le niveau scolaire, les activités de loisirs, les facteurs de risque vasculaires et le génotype ApoE. Les résultats montrent qu’un niveau élevé de scolarité, l’absence de facteurs de risque vasculaires ou un score élevé d’activités de loisirs diminuent significativement le risque de « démence et de « maladie d’Alzheimer » associé à la présence de l’allèle E4 de l’ApoE. En fait, le risque relatif de « démence » et de « maladie d’Alzheimer » des porteurs de l’allèle E4 avec niveau scolaire élevé, score élevé d’activités de loisirs ou absence de facteurs de risque vasculaires est similaire à celui des personnes non porteuses de l’allèle E4. Ainsi, cette recherche montre que des facteurs environnementaux peuvent diminuer le risque génétique de « démence » et de « maladie d’Alzheimer ».

 

De nouvelles voix se sont récemment fait entendre pour défendre la nécessité d’un changement d’approche de la « maladie d’Alzheimer » et plus largement de la « démence ». Ainsi, selon Jack de la Torre (2012), on peut affirmer, sans trop s’avancer, que la recherche sur la « maladie d’Alzheimer » est en crise. Ces deux dernières décennies, la « maladie d’Alzheimer » a fait l’objet d’environ 73'000 articles scientifiques, conduisant ainsi à une moyenne phénoménale de 100 articles par jour. La  très grande majorité de ces articles sont d’un très faible intérêt scientifique, ce qui a clairement miné la crédibilité de la recherche dans ce domaine. Par ailleurs, le fait que ces innombrables recherches aient suscité aussi peu de progrès quant à la compréhension et à la prise en charge clinique de cette prétendue « maladie » indique clairement que l’on s’est trompé d’approche.

De façon plus spécifique, et dans la ligne d’autres auteurs (voir, p. ex., notre chronique « Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta amyloïde dans la soi-disant maladie d’Alzheimer »), de la Torre considère que les tenants de l’hypothèse amyloïde, dans leur intolérance vis-à-vis d’interprétations différentes, ont bloqué les possibilités de trouver des moyens plus efficaces d’aborder les aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif.

Jack de la Torre en appelle à une approche bayésienne du vieillissement cérébral/cognitif problématique. Selon cette approche, il s’agit de déterminer la plausibilité d’une hypothèse en accumulant le plus de preuves ou de probabilités de preuves susceptibles d’être obtenues dans un avenir pas trop éloigné. Ainsi, le choix d’une interprétation théorique, parmi plusieurs en compétition, se fera en considérant la théorie qui obtient le pourcentage le plus élevé de résultats favorables actuels ou la probabilité la plus grande de résultats favorables futurs.

Adoptant ce mode de pensée, de la Torre considère qu’il est grand temps de s’affranchir de la conception peu vraisemblable de la « maladie d’Alzheimer » en tant que maladie « curable » et que le poids des données suggère plutôt de prendre le tournant de la prévention. La prévention de la « maladie d’Alzheimer » est cependant particulièrement complexe du fait que cet état est hétérogène et  déterminé par des facteurs multiples. Selon de la Torre, des données nombreuses et convaincantes indiquent que la condition multifactorielle étiquetée « maladie d’Alzheimer » est associée à divers facteurs de risque vasculaires (hypertension, hyperlipidémie, diabète de type 2, athérosclérose, déficits cardiovasculaires) qui augmentent l’hypoperfusion cérébrale (déjà normalement présente chez les personnes âgées), et ce jusqu’à atteindre un seuil critique d’apport sanguin. Ce seuil critique peut se produire plusieurs décennies avant que les troubles cognitifs n’apparaissent, mais il est souvent détecté à un âge avancé, quand la délivrance de nutriments vitaux (tels que glucose, oxygène et micronutriments) nécessaires au maintien du métabolisme énergétique cellulaire du cerveau et aux activités neuronales devient clairement déficiente. D’autres biofacteurs (tels que  des toxiques, lipides ou encore pro-oxydants) peuvent aussi intervenir dans le processus. Dans la mesure où le flux sanguin cérébral est intimement couplé aux exigences métaboliques, le développement de l’hypoperfusion cérébrale perturbe ce couplage, ce qui induit un hypométabolisme progressif jusqu’à un stade où le fonctionnement cellulaire cérébral est irrémédiablement compromis.

Dans la même perspective, Mangaliasche et al. (2012) indiquent en quoi la « démence » apparaît de toute évidence comme un état multifactoriel, causé par plusieurs mécanismes inter-reliés dans lesquels les facteurs génétiques et environnementaux jouent le rôle principal.

En d’autres termes, le risque de « démence » chez la personne âgée serait déterminé par l’exposition à de multiples facteurs (de risque et de protection), rencontrés tout au long de la vie et dont les effets dépendraient largement de l'âge. 

De façon plus spécifique, les auteurs relèvent que les recherches multidisciplinaires (d’épidémiologie, de neuropathologie et de neuroimagerie) ont clairement montré que les facteurs de risque vasculaires contribuent de façon significative à l’expression et à la progression du déclin cognitif (y compris la « démence »), mais que l’engagement actif dans des activités sociales, physiques et mentalement stimulantes peuvent différer l’apparition de la « démence ». Selon Mangaliasche et al., ces données justifient amplement la mise en place d’essais randomisés contrôlés de grande ampleur visant à confirmer les effets de stratégies de réduction de risque de « démence » focalisées sur de multiples facteurs de risque.

Par ailleurs, Fotuhi, Do et Jack (2012) ont montré en quoi de nombreux facteurs (obésité, hypertension, arrêt cardiaque, maladie cardiovasculaire, fibrillation atriale, traumatisme crânien, déficience en vitamine B12, dépression, trouble bipolaire, état de stress post-traumatique, traumatisme crânien, abus chronique d’alcool) peuvent conduire à une atrophie des régions hippocampiques durant la vieillesse, via une combinaison de mécanismes en interaction. Ils  indiquent également en quoi des traitements focalisés sur ces facteurs, ainsi que l’exercice physique, l’engagement dans des activités mentalement stimulantes ou encore la pratique de la relaxation et de la pleine conscience semblent avoir un effet protecteur sur l’hippocampe, voire même peuvent contribuer à en augmenter la taille (indiquant ainsi que cette structure a un caractère dynamique et un potentiel de plasticité). Plus généralement, les auteurs ont proposé un modèle (« dynamic polygon hypothesis ; voir Fotuhi, Hachinski, & Whitehouse, 2009) selon lequel l’atrophie cérébrale de la personne âgée et la « démence » sont la conséquence d’une constellation de facteurs de risque environnementaux et génétiques.  

Dans la ligne de cette conception multifactorielle de la « démence », qui en appelle à mettre davantage l’accent sur la prévention à différents niveaux, de nouvelles données viennent appuyer le rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l'engagement dans des activités mentalement stimulantes, ainsi que dans des activités physiques (Wilson et al., 2012 ; Buchman et al., 2012).

Le rôle de l'activité cognitive

De façon générale, les études longitudinales ont observé que la participation plus fréquente à des activités mentalement stimulantes est associée à un moindre déclin cognitif et à un risque plus faible de « démence » durant la vieillesse (voir notamment notre chronique «Activités intellectuellement stimulantes et vieillissement cérébral/cognitif problématique : l’importance de la variété dans les activités»). Ces données suggèrent donc que l'engagement dans des activités cognitivement stimulantes peut influencer le fonctionnement cognitif ultérieur. Cependant, il est également possible qu'un niveau moindre d'activités cognitivement stimulantes soit la conséquence d'un déclin cognitif (causalité inverse). Distinguer ces deux interprétations exige de comprendre la séquence temporelle avec laquelle les activités mentalement stimulantes et le fonctionnement cognitif changent avec l’âge. La plupart des études longitudinales qui ont exploré cette question se sont seulement basées sur 2 ou 3 évaluations par personne, ce qui limite fortement la possibilité d’examiner cette séquence temporelle.

Wilson et al. (2012) ont précisément réalisé une étude visant à explorer dans de bonnes conditions méthodologiques et auprès d'un grand échantillon de personnes âgées, la relation temporelle entre les changements dans des activités cognitivement stimulantes et les changements dans le fonctionnement cognitif chez les personnes âgées.

Les participants étaient issus du « Rush Memory and Aging Project » et étaient au nombre de 1’076. Lors de l’établissement de la ligne de base, ils étaient âgés en moyenne de 80.4 ans et ne présentaient pas de « démence »  (leur score moyen au MMSE était de 27.9). Ces personnes ont été soumises à une moyenne de 5.9 évaluations, à raison d’une évaluation par année.

Lors de chaque évaluation annuelle, on demandait aux personnes d’évaluer leur participation à 7 activités durant l’année écoulée, et ce sur une échelle à 5 niveaux allant du niveau 1 (une fois par an ou moins) au niveau 5 (chaque jour ou quasiment). Ont été choisies des activités impliquant un traitement ou une rétention d’information et auxquelles il était possible de participer sans entraves. Elles incluaient la lecture du journal, rédiger des lettres, se rendre dans une bibliothèque et jouer à des jeux tels que les échecs ou les dames. Sur base des items individuels, un score composite de fréquence de participation à des activités stimulantes a été établi.

Le fonctionnement cognitif a été évalué annuellement au moyen de 19 tests cognitifs évaluant la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail, la vitesse perceptive et les capacités visuo-spatiales. Une mesure composite de cognition globale a été utilisée dans les premières analyses, car tous les tests étaient positivement corrélés, Des analyses ultérieures ont utilisé des mesures composites de mémoire épisodique (7 tests), de mémoire sémantique (3 tests), de mémoire de travail (3 tests) et de vitesse perceptives (4 tests).

Les résultats montrent que, durant la période d’observation (une moyenne de 4.9 années), la participation à des activités cognitivement stimulantes et le fonctionnement cognitif décline à des taux qui sont modérément corrélés (r = .44, p <.001). Par ailleurs, un plus haut niveau d’activités cognitivement stimulantes pour une année donnée prédit un meilleur niveau de fonctionnement cognitif global pour l’année suivante. Par contre, le niveau de fonctionnement cognitif global ne prédit pas le niveau subséquent de participation à des activités cognitivement stimulantes. Une même association unidirectionnelle a été constatée entre activités mentalement stimulantes et mémoire épisodique/sémantique. Globalement, ces résultats appuient l’interprétation selon laquelle c’est bien l’engagement dans des activités cognitivement stimulantes qui influence le fonctionnement cognitif ultérieur et vont à l’encontre de l’interprétation (de causalité inverse) qui voudrait que ce soit le déclin cognitif qui conduise à un niveau moindre d’activités mentalement stimulantes.

Cependant, l’association entre la participation à des activités cognitivement stimulantes et la performance en mémoire de travail est, quant à elle, bidirectionnelle : un plus haut niveau de participation à des activités cognitivement stimulantes prédit une meilleure performance ultérieure en mémoire de travail et une meilleure performance en mémoire de travail prédit un niveau plus élevé de participation à des activités cognitivement stimulantes. Il faut relever que l’association entre vitesse perceptive et participation ultérieure à des activités cognitivement stimulantes est statistiquement proche de la signification.

Ainsi, les résultats de cette recherche confirment que l’engagement plus fréquent dans des activités mentalement stimulantes durant la vieillesse conduit à un meilleur fonctionnement cognitif ultérieur. Par ailleurs, ils montrent aussi qu’une participation plus faible à des activités cognitivement stimulantes peut être la conséquence de certains aspects du déclin cognitif (en particulier en mémoire de travail et, tendanciellement, en vitesse perceptive, mais pas en mémoire épisodique et sémantique).

  Le rôle de l'activité physique

L’activité physique a été, de façon consistante, associée à une réduction du risque de déclin cognitif et de « démence ». Cependant, une limite de la plupart des études ayant mis en évidence cet effet bénéfique est d’avoir évalué l’activité physique au moyen de questionnaires d’auto-évaluation, lesquels peuvent susciter des biais de divers types dans le recueil des informations. De plus, ces recherches n’ont pas exploré la contribution des activités physiques de basse intensité, ne dérivant pas d’exercices physiques spécifiques.

Buchman et al. (2012) ont utilisé les données issues du « Rush Memory and Aging Project » afin de tester l’hypothèse selon laquelle l’activité physique quotidienne totale (en lien et non en lien avec des exercices physiques spécifiques) était associée au risque de déclin cognitif et de « maladie d’Alzheimer ».

Los de l’établissement de la ligne de base, l’activité physique a été mesurée de façon continue durant les 24 heures d’une journée, jusqu’à un maximum de 10 jours, au moyen d’une technique d’actigraphie (utilisant un appareil portable, placé sur le poignet dominant, qui enregistre les mouvements sur une longue période de temps), chez  716 personnes âgées en moyenne de 81.6 ans et ne présentant pas de «démence».

Les participants ont ensuite été suivis annuellement, sur une durée moyenne d’environ 3.5 ans, et soumis à un examen clinique incluant une batterie de 19 tests cognitifs (évaluant la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail, la vitesse perceptive et les capacités visuo-spatiales et à partir desquels a été établi un score cognitif composite). Les résultats de l’examen clinique et de l’évaluation cognitive ont été utilisés afin d’identifier la survenue de « maladie d’Alzheimer », diagnostiquée selon les critères classiques.

Par ailleurs, les participants ont été interrogés quant à leur engagement dans des activités physiques (la marche en tant qu’exercice physique, le jardinage, la gymnastique suédoise ou des exercices physiques généraux, la bicyclette, la natation ou des exercices dans l’eau, avec un score exprimé en nombre d’heures par semaine), dans des activités sociales (fréquence de participation, durant l'année écoulée, à 6 types d'activités impliquant des relations sociales) et dans des activités cognitivement stimulantes (fréquence de participation, durant l'année écoulée, à 7 types d'activités cognitivement stimulantes).

Enfin, plusieurs covariables ont été prises en compte : l’âge, le genre, le niveau scolaire, la fonction motrice (évaluée via 11 tests de performance motrice, ayant conduit à un score composite), l’indice de masse corporelle, les symptômes dépressifs lors de la semaine écoulée, des facteurs de risque vasculaires, des maladies vasculaires et le génotype ApoE (présence ou non d’au moins une copie de l’allèle ε4).

Durant le suivi, d’une durée moyenne de 3.5 ans, 71 personnes (9.9% des 716) ont développé une « maladie d’Alzheimer ». Les analyses (avec contrôle de l’âge, du genre et du niveau scolaire) montrent qu’une personne avec une activité physique totale quotidienne basse (centile 10) a 2.3 fois plus de risque de recevoir le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » qu’un participant avec une activité physique totale quotidienne élevée (centile 90). Cette association subsiste après avoir contrôlé l’influence de l’engagement auto-évalué dans des activités physiques, sociales et cognitivement stimulantes ainsi que l’état actuel de la fonction motrice, les symptômes dépressifs, les facteurs de risque et problèmes vasculaires, l’indice de masse corporelle et le génotype ApoE.

Par ailleurs, afin de s’assurer que les résultats n’ont pas été influencés par des erreurs de diagnostic (le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » consistant à placer une césure le long d’un continuum de fonctionnement cognitif), des analyses ont été entreprises afin d’examiner l’association entre l’activité physique totale quotidienne et le déclin cognitif (en utilisant le score cognitif composite). Les résultats montrent également que l’activité physique totale est significativement associée au taux de déclin cognitif (et également, de façon plus spécifique, au taux de déclin de la mémoire épisodique, de la mémoire de travail, de la vitesse perceptive et, tendanciellement, des aptitudes visuo-spatiales).

Comme il se pourrait qu’un fonctionnement cognitif plus bas conduise à une réduction de l’activité physique totale, les auteurs ont également examiné dans quelle mesure le taux de déclin cognitif observé avant la mesure actigraphique était associé à l'activité physique totale évaluée lors de la ligne de base. Aucune association n'a été observée. De même, le fonctionnement cognitif évalué lors de la ligne de base ne prédit pas le déclin ultérieur dans l'activité physique totale quotidienne (chez 595 personnes ayant eu 2 tests actigraphiques ou plus).

Ainsi, un niveau élevé d'activité physique totale quotidienne (évalué objectivement par actigraphie) est associé à un risque plus faible de développer une « maladie d’Alzheimer », mais aussi, plus généralement, à un taux moindre de déclin cognitif. Cette association subsiste après avoir contrôlé l'influence de l'engagement dans des activités physiques, sociales et cognitivement stimulantes, ce qui indique que l'activité physique totale capte des aspects de l'activité physique qui ne sont pas évalués par les questionnaires traditionnels (lesquels évaluent l'activité physique en lien avec des exercices spécifiques). 

Ces résultats indiquent notamment que des personnes âgées qui ne peuvent pas s’engager dans des exercices physiques spécifiques, du fait de problèmes de santé, pourraient néanmoins bénéficier d’un style de vie plus actif via l'augmentation de certaines activités  au sein d’un large spectre d’activités non en lien avec des exercices physiques spécifiques (telles que faire la vaisselle, jouer aux cartes, bricoler, mouvoir une chaise roulante, etc,).

Des études futures devraient s’atteler à délimiter les déterminants des activités physiques associées ou non à des exercices, ainsi que leur contribution relative au fonctionnement cognitif des personnes âgées. Dans un éditorial commentant la recherche de Buchman et al., Schnaider Beery et Middleton (2012) considèrent aussi qu’il serait utile de contrôler de façon précise l’intensité des activités physiques totales quotidienne (évaluées par actigraphie), afin de clarifier le type d’activités qui seraient particulièrement recommandables.

L’étude de Buchman et al. est de type observationnel et, dès lors, toute inférence de causalité doit être établie avec prudence. Cependant, l'absence de relation entre le niveau cognitif préalable et l'activité physique totale évaluée lors de la ligne de base, ainsi qu'entre le fonctionnement cognitif établi lors de la ligne de base et le déclin ultérieur de l'activité physique totale, appuie l'interprétation selon laquelle une faible activité totale quotidienne est délétère pour le fonctionnement cognitif, plutôt que l'interprétation inverse selon laquelle c'est un fonctionnement cognitif faible qui limite l'activité physique totale.

Le rôle combiné de facteurs environnementaux et génétiques

La possession de l’allèle ε4 du gène de l’apolipoprotéine E (ApoE) est considérée comme un facteur de risque de « maladie d’Alzheimer ». Cependant, tous les porteurs de l’allèle ε4 ne développent pas, loin de là, une « démence ».

Ferrari et al. (2012) ont entrepris une étude visant à déterminer les facteurs pouvant jouer un rôle dans la modification du risque de « démence » du fait de l'allèle ε4. Ils ont suivi pendant 9 ans une cohorte de 932 personnes âgées de 75 et plus, issues de la communauté et sans « démence », et ce afin d'identifier les personnes qui allaient développer une « démence ». Lors de la ligne de base, des informations ont été obtenues concernant :

* le niveau scolaire : < 8 années d’études versus ≥ 8 années)

* les activités de loisirs : 29 activités principales ont été rapportées et, pour chaque activité, un score a été établi concernant sa composante mentale, sociale et physique ; les scores des 3 composantes ont été regroupés en une seule variable avec 3 catégories : score élevé dans les trois composantes, score élevé dans un ou deux composantes et score bas dans les trois composantes.

* les facteurs de risque vasculaires : troubles vasculaires (pression systolique élevée et diastolique basse, accident vasculaire cérébral, insuffisance cardiaque), diabète et pré-diabète ; l’indice de masse corporelle a aussi été déterminé.

* le génotype ApoE a été identifié.

Durant la période de suivi, 324 personnes ont développé une « démence » (dont 247 une « maladie d’Alzheimer »). La présence de l’allèle ε4 de l’ApoE et de facteurs de risque vasculaires est significativement associée à un risque accru de « démence » et de « maladie d’Alzheimer ». Par contre, un niveau élevé de scolarité et un haut score d’activités de loisirs sont reliés à un risque moindre.

Par ailleurs, un niveau élevé de scolarité, l'absence de facteurs de risque vasculaire ou un score élevé d'activités de loisirs diminue d’environ 40% le risque de « démence et de « maladie d’Alzheimer » associé à la présence de l’allèle ε4 de l’ApoE. En fait, le risque relatif de « démence » et de « maladie d’Alzheimer » des porteurs de l’allèle ε4 avec un niveau scolaire élevé, un score élevé d’activités de loisirs ou l’absence de facteurs de risque vasculaires est similaire à celui des personnes non porteuses de l’allèle ε4. Plus spécifiquement, d’autres analyses montrent que, chez les porteurs de l’allèle ε4, un niveau élevé de scolarité, l’absence de facteurs de risque vasculaires ou un score élevé d’activités de loisirs diffèrent l’installation d’une « démence » d’une durée médiane de 1.2-2.2 années, en comparaison aux personnes porteuses de l’allèle qui n’ont pas ces caractéristiques : il faut relever que cette durée médiane est proche de celle observée chez les non porteurs de l’allèle ε4.

En dépit de certaines limites (en particulier, l’exploration d’une population très âgée, pas de mesure objective des activités de loisirs et l’absence de contrôle des changements possiblement intervenus dans ces activités avant et après la ligne de base), cette étude indique que des facteurs environnementaux peuvent diminuer le risque de « démence » et de « maladie d'Alzheimer», ce qui contribue encore davantage à appuyer l’importance des stratégies de prévention visant à susciter une vie socialement, physiquement et mentalement active et à prévenir les maladies vasculaires et le diabète.

Conclusions

Les voix se joignent et les données s’accumulent pour défendre une conception selon laquelle le risque de « démence » chez la personne âgée est déterminé par des facteurs multiples (rencontrés tout au long de la vie et dont l’effet dépend largement de l’âge) et pour en appeler à prendre nettement le tournant de la prévention, en mettant en place des interventions préventives multiples durant la vie entière (accroissement du niveau scolaire chez l’enfant et le jeune adulte, contrôle actif des facteurs de risque et troubles vasculaires durant l’âge adulte, maintien d’une vie socialement, physiquement et mentalement active durant le milieu de la vie adulte et la vieillesse).

Dans cette perspective, nous avons décrit de nouvelles données confirmant le rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l’engagement dans des activités mentalement stimulantes, ainsi que dans des activités physiques, et montrant aussi que des facteurs environnementaux peuvent atténuer la contribution d’un facteur de risque génétique.

Comme le relève l’économiste Claude Jeanrenaud, professeur à l’Université de Neuchâtel, dans un entretien accordé au journal suisse « Le Temps » (édition du 17 mars 2012), il ne faut pas réfléchir au seul financement des soins de longue durée pour les personnes âgées, « [...] mais aussi aux mesures de prévention parfois simples, qui permettent de réduire le risque de certaines maladie chroniques, telles que Alzheimer ou la démence. On sait que des facteurs tels que l’inactivité, l’obésité, la dépression, le diabète ou l’hypertension jouent un rôle dans le développement de ces affections. Mais en Suisse, la promotion de l’activité physique reste essentiellement ciblée sur les jeunes et non pas sur les publics plus âgés. Et les politiciens ne sont pas intéressés par ces questions ». Manifestement, ce désintérêt n’est pas l’apanage de la Suisse…


actif.jpg©VIVA 2012, "VIVA va à la Villa",un projet qui associe une activité physique (marche)

et la visite guidée d'une exposition d'art contemporain. www.association-viva.org

 

Buchman, A.S., Boyle, P.A., Yu, L., Shah, R.C., Wilson, R.S., & Bennett, D.A. (2012). Total daily physical activity and the risk of AD and cognitive decline in older adults. Neurology, 78, 1323-1329.

de la Torre J.C. (2012). A turning point for Alzheimer’s disease ?. Biofactors, 38, 78-83.

Ferrari, C., Xu, W.-L., Wang, H.-X., Winblad, B., Sorbi, S., Qiu, C., & Fratiglioni, L., (2012). How can elderly apoliprotein E4 carriers remain free from dementia? Neurobiology of Aging, sous presse.

Fotuhi, M., Hachinski, V., & Whitehouse, P. (2009). Changing perspectives regarding late-life dementia. Nature Reviews Neurology, 5, 649-658.

Fotuhi, M., Do, D., & Jack, C. (2012). Modifiable factors that aler the size of hippocampus with ageing. Nature Reviews Neurology, sous presse. (doi:10.1038/nrneurol.2012.27)

Mangialasche, F., Kivipelto, M., Solomon, A., & Fratiglioni, L. (2012). Dementia prevention: current epidemiological evidence and future perspective. Alzheimer’s Research & Therapy, 4:6  

Schnaider Beeri, M., & Middleton, L. (2012). Being physically active may protect the brain from Alzheimer disease. Neurology, 78, 1290-1291.

Wilson, R.S., Segawa, E., Boyle, P.A., & Bennett, D.A. (2012). Influence of late-life cognitive activity on cognitive health. Neurology, 78, 1123-1129.  

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