S’affranchir de l’approche biomédicale dominante du vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées : il s’agit de passer d’une pratique qui se focalise sur la sécurité, l’uniformité et le positionnement médical, à une pratique dirigée vers le résident en tant que personne et vers la promotion de son autonomie, de son bien-être et de sa qualité de vie (voir notre chronique "Les structures d'hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d'un changement de culture").
Un des axes de ce changement de culture passe par une mise en question de la pathologisation des personnes âgées, à savoir le fait de considérer automatiquement leurs comportements comme le reflet direct d’une prétendue « maladie ». Plus spécifiquement, cette pathologisation conduit à interpréter tout comportement qui semble dévier de la « norme », ou de ce que le personnel souhaite dans ses efforts pour « gérer» le « résidant/patient », sur la base d’un pré-positionnement postulant l’existence d’une « démence » ou d’une « maladie psychiatrique ». Selon Kitwood (1997), ce processus d’« étiquetage » (« labeling ») constitue une forme de « psychologie sociale nocive » conduisant à la dépersonnalisation de l’individu et à une atteinte à l’estime qu’il a de lui-même (voir notre chronique « Les personnes avec une "démence" peuvent avoir des relations sociales riches et signifiantes »).
La pathologisation du comportement
Dans une étude récente, Dupuis, Wiersma et Loiselle (2012) ont tenté de mieux comprendre la dynamique de ce processus de « pathologisation ». Pour ce faire, elles ont effectué des interviews auprès de 48 membres du personnel travaillant (sous divers types de statuts) dans des structures d’hébergement à long terme en Ontario (au Canada). Ces interviews visaient à susciter des informations concernant : la manière dont les membres du personnel considéraient et décrivaient les comportements des résidents ; leurs expériences concernant la façon de s’occuper de ces comportements et comment ils répondaient à certains comportements spécifiques ; les conséquences et l’impact des comportements sur les participants et comment ils s’y adaptaient ; les facteurs pouvant influencer la manière de réagir aux comportements. L’accent était mis sur la dimension collaborative et interactive des interviews, ainsi que sur le fait que toute connaissance est co-construite. Ces entretiens, menés par deux assistants de recherche entraînés, étaient enregistrés (avec l’accord des participants) et duraient entre 45 et 120 minutes.
Les analyses des transcriptions d’interviews ont identifié les différentes idées émises, ont comparé les patterns communs à différentes personnes en fonction de leur statut (ainsi que les patterns discordants), ont regroupé les thèmes similaires en catégories conceptuelles plus larges et, enfin, ont organisé les catégories et patterns en un ensemble plus intégré de relations et configurations. Les auteures se sont essentiellement focalisées sur le thème de la pathologisation des comportements. Dans la suite de cette chronique, nous présenterons les éléments principaux de leurs analyses.
Avant de réagir aux comportements des résidents, les membres du personnel ont besoin d’interpréter ces comportements et de les placer en contexte. Il apparaît que tous les comportements des résidents sont filtrés via un coup de projecteur pathologisant : il s’agit de séparer les comportements en fonction du statut de «maladie » du résident et du fait qu’il a ou non une « démence ». Ainsi, les comportements des résidents sans « démence » sont fréquemment interprétés de façon différente de ceux manifestés par les résidents ayant reçu un diagnostic de « démence » (p. ex., comme l’indique un participant : « Les comportements qui posent problème sont probablement un peu plus difficiles à accepter si les personnes ne sont pas Alzheimer, car elles savent ce qu’elles disent »).
Le coup de projecteur pathologisant conduit les membres du personnel à percevoir les résidents avec « démence » comme ayant perdu la capacité de raisonner et de connaître la différence entre ce qui est bien et ce qui est mal. Ainsi, ces résidents « déments » sont considérés comme n’ayant pas de remords et n’étant pas conscients de leurs actes. Ils sont dès lors déchargés de toute responsabilité. Les membres du personnel insistent également sur l’importance qu’il y a à lier le comportement à une « maladie » : en effet, si l’on oublie ce lien, cela peut conduire à des conséquences négatives, comme, par exemple, être affecté personnellement par le comportement du résident.
Les participants considèrent aussi que les membres du personnel qui travaillent avec des résidents « déments » doivent être un type particulier (spécial) de personnes, au plan de la personnalité et au plan moral (ne pas travailler uniquement pour l’argent ; avoir des qualités de patience et de compréhension, de gentillesse, de compassion).
Une fois que les comportements ont été filtrés et contextualisés, les membres du personnel vont assigner des significations aux comportements. La majorité des membres du personnel considèrent les comportements comme une manifestation du processus physiologique de la « maladie » et, dans le cas de la « démence », comme l’expression de la détérioration du cerveau (en fonction du type de « démence » et des régions cérébrales spécifiquement affectées par chaque « démence »). En tant que manifestations d’une « maladie », les comportements sont considérés comme normaux.
Par ailleurs, différents types de comportements sont associés à différents stades de la « démence » : ainsi, par exemple, crier ou produire d’autres types de vocalisation est attribué par un des participants au fait que le résident est « dans le troisième stade de la maladie d’Alzheimer et que c’est uniquement une question de temps pour que la personne arrête ce type de comportements : c’est juste un stade qui doit être franchi ».
Certains comportements produits par les personnes « démentes » sont vus comme des moyens de communication (un moyen d’expression) et parfois, ces comportements sont considérés comme la seule méthode que peuvent adopter les résidents pour communiquer avec autrui. Dans ce cas, les comportements acquièrent une signification au-delà de l’interprétation physiopathologique. Néanmoins, ce qui paraît clair, c’est que les membres du personnel considèrent que c’est la « maladie » qui affecte la capacité des résidents à communiquer. Ainsi, les comportements ne sont jamais interprétés en dehors du cadre de la « maladie ». En d’autres termes, malgré le fait qu’ils perçoivent certains comportements comme un moyen de communiquer, les membres du personnel réagissent rarement en tentant de comprendre ce qui est communiqué, c’est-à-dire la signification du comportement pour le résident.
Après que les comportements aient été filtrés, contextualisés et aient reçu une signification basée sur l’existence d’une « maladie », les membres du personnel vont interpréter les comportements via d’autres regards, focalisés sur les caractéristiques spécifiques des comportements des résidents. Plus concrètement, ils vont déterminer le caractère problématique de comportements spécifiques en se basant sur des caractéristiques telles que l’intentionnalité du comportement, son caractère plus ou moins prévisible, sa persistance, la perception de son caractère menaçant, son caractère socialement approprié et son impact sur autrui.
* L’intentionnalité : le comportement de tous les résidents est filtré sur base du coup de projecteur « intentionnalité ». Ainsi, les comportements des résidents «non déments » sont presque toujours considérés comme intentionnels, alors que seuls certains comportements des résidents avec « démence » sont vus de cette façon. Par ailleurs, interpréter l’intentionnalité constitue un processus individuel d’attribution d’une signification, avec. dans certains cas, l’évaluation de la personnalité/de l’état psychologique du résident (« il est malheureux »).
Les comportements qui sont considérés comme posant beaucoup de problèmes sont ceux qui sont vus comme directement intentionnels et qui ont touché personnellement les membres du staff (et donc qui n’ont pas été filtrés par le regard pathologisant, c’est-à-dire qui n’ont pas été liés au processus de la « maladie »).
* Le caractère prédictif : Les comportements qui sont imprévisibles sont interprétés comme plus problématiques que les comportements prévisibles. Le caractère imprévisible des comportements est vécu comme le reflet de la nature imprévisible de la « démence ». Enfin, pour les membres du personnel, le problème que posent les comportements imprévisibles est qu’ils conduisent à interrompre les tâches quotidiennes qui doivent être réalisées.
* La persistance : les comportements persistants sont considérés comme pénibles et sont donc toujours vus comme problématiques. Ils sont le plus souvent décrits comme des comportements verbaux tels que le questionnement sans fin ou les commentaires verbaux répétitifs, mais ils incluent aussi des comportements physiques, comme donner des coups violents sur la table ou frapper.
* Le caractère menaçant : les comportements qui sont considérés comme posant le plus de problèmes sont ceux qui représentent une menace pour les membres du personnel, les résidents eux-mêmes ou d’autres résidents. La peur est plus importante chez les membres du personnel de sexe féminin et chez les membres du personnel qui ont peu d’expérience. Les comportements agressifs sont particulièrement difficiles pour les quelques femmes du personnel qui ont été victimes d’abus physiques dans le passé.
* Le caractère socialement approprié : les membres du personnel attribuent une signification aux comportements sur base de leur adéquation sociale. Bien qu’ils se produisent moins fréquemment, les comportements qui transgressent les limites sociales, tels que des manifestations sexuelles, provoquent un grand malaise chez les membres du personnel. Même s’ils associent, jusqu’à un certain point, les comportements sexuels au processus de la « maladie », il est difficile pour certains d’entre eux, d’accepter ces comportements du fait de leur nature intime.
Notons que le fait d’interpréter les comportements sur base de leur adéquation sociale implique que, pour certains comportements, la morale et les valeurs entrent en jeu dans l’assignation de la signification.
Les membres du personnel ont des difficultés à comprendre les comportements socialement inappropriés, ce qui limite encore plus la capacité qu’ils ont à y faire face. Ces comportements créent des tensions chez les membres du personnel dans la mesure où, d’une part, ils attribuent une qualité morale aux résidents, mais, d’autre part, ils ne peuvent voir ces comportements que comme étant immoraux, ce qui les conduit à juger et blâmer les résidents.
Les comportements très intrusifs sont décrits comme posant beaucoup de problèmes : ils incluent les crachats, « ne pas respecter l’espace personnel » ou être « collant ». Les comportements interprétés de cette façon sont considérés comme mettant la patience des membres du personnel à l’épreuve.
* L’impact sur autrui : les comportements qui sont perçus comme ayant un impact sur les autres, particulièrement les autres résidents, sont imprégnés de significations différentes des comportements qui n’affectent pas autrui. Ainsi, par exemple, les membres du personnel ne sont pas tellement concernés par les comportements de déambulation quand ceux-ci n’interfèrent pas avec autrui. Dans ce cas, ils se contentent de rediriger les résidents pour garantir leur sécurité. Certains essayent même de comprendre la signification de ces comportements et, aussi longtemps, qu’ils ne causent pas de tort à autrui, ces comportements sont interprétés comme acceptables.
Relevons que des conflits entre membres du personnel peuvent se produire quand le même comportement est considéré différemment par différents membres. Par ailleurs, des comportements tels que hurler et questionner de façon répétitive sont vus comme posant de très importants problèmes dans la mesure où ils intensifient les comportements des autres résidents et perturbent les familles et visiteurs. Il faut rappeler que les comportements agressifs sont perçus comme les plus problématiques du fait qu’ils peuvent faire du mal (aux plans physique et émotionnel) à autrui.
Considérer les comportements uniquement dans le contexte d’une « maladie » implique que les possibilités de comprendre la signification de ces comportements sont souvent négligées. Dès lors, les réponses fournies face aux comportements sont le plus souvent des stratégies réactives visant à gérer les situations de crise. Par ailleurs, il apparaît que les stratégies de redirection et de distraction constituent les réponses les plus fréquentes. Plus spécifiquement, les activités récréatives et l’humour sont souvent utilisés en tant que moyen de détourner l’attention. D’autres activités, telles que la marche, sont utilisées pour distraire les résidents et les fatiguer.
Etant donné la pression que ressentent certains membres du personnel dans leur travail, la seule approche qu’ils adoptent est d’ignorer ou d’empêcher complètement le comportement considéré comme problématique. D’autres indiquent qu’ils répondent au résident en lui adressant un geste symbolique (« Que voulez-vous ? »), tout en ignorant le comportement et en considérant qu’en fait le résident ne souhaite rien.
Dans les cas les plus extrêmes, particulièrement quand les résidents peuvent faire du mal aux autres ou à eux-mêmes, la contention est considérée comme une réponse nécessaire et est vue par certains comme plus importante que la liberté individuelle de choix.
Conclusions
L’étude de Dupuis et al. (2012) montre à quel point l’approche biomédicale peut être envahissante dans les structures d’hébergement à long terme. Tous les comportements des résidents sont filtrés et contextualisés via le coup de projecteur de la pathologie.
Ainsi, les membres du personnel considèrent différemment les comportements des résidents avec ou sans « démence ». Dans certains cas, ils établissent même des liens entre les comportements et un stade de la « démence », en dépit des innombrables données qui ont montré l’extrême hétérogénéité de l’évolution du vieillissement cérébral/cognitif (voir nos chronique « L’hétérogénéité de la soi-disant maladie d’Alzheimer : de nouvelles preuves » ; « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées » ; « L’évolution du vieillissement cérébral problématique est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique »). Quand un comportement est directement associé à un stade de la « démence », cela conduit plus aisément à l’ignorer ou à en rejeter la signification. Par contre, la prise en compte de l’hétérogénéité et des nuances des manifestations du vieillissement cérébral/cognitif implique d’adopter une approche individualisée, centrée sur la personne et prenant en compte de multiples facteurs.
La pathologisation des comportements amène à ce que les membres du personnel contextualisent rarement les comportements en prenant en compte la biographie et les expériences de vie des résidents, ce qui empêche de voir ces comportements comme ayant un but ou une signification. Cela a d’importantes implications, tant pour la qualité de vie des résidents (dont les actions demeurent incomprises) que pour la qualité de vie professionnelle du personnel. Il a ainsi été montré qu’une approche centrée sur la personne est significativement associée à la satisfaction au travail du personnel travaillant dans des structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées (voir notre chronique « Une approche centrée sur la personne dans les structures d’hébergement à long terme : un déterminant important de la satisfaction au travail pour le personnel »).
Une autre manière de concevoir la « démence » s’impose donc dans les structures d’hébergement à long terme, conduisant à comprendre la signification des actions des résidents, ainsi qu’à reconnaitre et à mettre en valeur leur capacité d’exprimer leurs expériences (de différentes manières) et d’agir de façon signifiante. Il s’agit aussi de prendre réellement en compte les facteurs « situationnels » ou liés au contexte social et environnemental auquel est confrontée le résident.
Comme l’indiquent Dupuis et al., ce changement d’approche nécessite une formation des membres du personnel visant :
* A leur permettre une mise en question du modèle biomédical dominant et à leur offrir de nouvelles possibilités de penser et d’agir dans leur travail, par exemple à partir des questions suivantes (Fazio, Seman, & Stansell, 1999) : Comment décrivez-vous les actions et comportements des personnes avec une maladie d’Alzheimer ? Quels mots lisez-vous fréquemment dans les livres et les journaux ou entendez-vous à la télévision et dans des conférences concernant la « démence » ? Comment décrivez-vous les actions des personnes avec une « démence » à vos collègues ou comment en parlez-vous à votre famille ? Comment ces mots et vos perceptions influencent-ils vos actions et la manière dont vous répondez aux comportements des personnes ? Comment une manière plus positive d’envisager les comportements (p. ex., explorer plutôt que déambuler) pourrait-elle influencer vos manières de répondre aux comportements ? Toutes les actions des personnes avec une « démence » ont une signification et un but et, souvent, ne sont pas associées au processus de la « maladie » : comment cette manière de comprendre les comportements influence-t-elle votre approche ?
* A les amener à une réflexion critique sur leurs actions au quotidien, par exemple à partir des questions suivantes (Dupuis, Whyte, & Carson, 2012) : Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui à propos de quoi j’ai (nous avons) bien réagi ? Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui à propos de quoi j’aurais (nous aurions) pu mieux réagir ? Quel jugement ai-je (avons-nous) porté sur cette situation ? Comment mon action (nos actions) pourraient-elles avoir influencé la situation ? Qu’ai-je (qu’avons-nous) appris de cette expérience ? Que pourrais-je (pourrions-nous) faire la prochaine fois afin d’améliorer la situation ?
* A leur proposer un cadre conceptuel multidimensionnel qui reconnait la complexité des actions et qui les conduit à explorer et comprendre les actions et comportements des résidents en prenant en compte divers facteurs : personnels (expérience subjective, biographie, histoire de vie, etc.), relationnels (relations interpersonnelles), environnementaux (environnement physique) et sociopolitiques (politiques et pratiques organisationnelles, discours sociaux).
Un exemple concret de pathologisation
Pour terminer cette chronique, il nous a semblé utile de revenir sur l’exemple concret de pathologisation de comportement que proposent Sabat et Lee (2011) et que nous avons déjà décrit dans notre chronique « Les personnes avec une démence peuvent avoir des relations riches et signifiantes ». Cet exemple constitue une excellente illustration du processus de pathologisation sur lequel se sont penchées Dupuis et al. et il indique également en quoi ce processus conduit à une administration généralisée et inacceptable de médicaments (voir nos chroniques « Une consommation élevée de médicaments dans les structures d’hébergement et de soin à long terme pour personnes âgées en Belgique » ; « La prescription fréquente de médicaments psychotropes aux personnes ayant reçu un diagnostic de démence : une atteinte inacceptable à leurs droits » ; « Déclin cognitif chez les personnes âgées, style de vie contemporain et accumulation de médicaments »).
Un matin, un résidant d’une structure d’hébergement à long terme, un général à la retraite présentant une « démence », reçoit dans sa chambre la visite d’un membre du personnel qui lui dit qu’il est temps de prendre une douche. Le général ne souhaite pas prendre de douche ; le membre du personnel devient de plus en plus insistant, le général résiste toujours davantage et, finalement, s’en prend physiquement au soignant. Le membre du personnel étiquette le général comme étant « peu coopératif, agressif et hostile sans véritable raison », toutes manifestations considérées comme des symptômes de « démence ». En conséquence, une médication lui est administrée, laquelle va le rendre beaucoup moins capable d’interagir avec les autres qu’il ne le pourrait s’il n’était pas sous les effets tranquillisants du médicament.
Si l’on considère le contexte social plus global, y compris l’histoire de la personne, on peut interpréter le comportement du général d’une manière très différente. Le général est une personne adulte, guère habituée à ce qu’on lui dise ou ordonne de faire quelque chose. Après tout, en tant qu’officier de carrière, il a été la plupart du temps celui qui donnait plutôt que recevait les ordres et, quand il en recevait, ils étaient délivrés par une personne d’un rang supérieur au sien. Il s’agit aussi de quelqu’un qui a passé toute sa vie à faire sa toilette de sa propre initiative et certainement pas sur l’ordre de quelqu’un de beaucoup plus jeune que lui et qui lui est étranger. Dans ce contexte, sa résistance ne constitue pas l’expression d’une hostilité irrationnelle ou d’une absence de collaboration, mais plutôt une indignation justifiée face au fait d’être traité, de son point de vue, de façon non respectueuse et, de surcroît, avec une insistance croissante. En même temps, le comportement du général constitue aussi une affirmation d’un désir, d’une volonté et d’un respect de soi, laquelle représente un indicateur de relatif bien-être (Kitwood & Bredin, 1992) et est d'ailleurs manifestée par tout un chacun dans sa vie sociale quotidienne et même valorisée. Ainsi, plutôt que d’être envisagés comme des symptômes pathologiques de « démence », les comportements du général devraient être interprétés, tout comme ceux des personnes sans « démence », comme des indicateurs de bien-être.
Comme le relèvent Sabat et Lee, cette mauvaise interprétation du comportement du général est faite en toute innocence : le membre du personnel ne comprend pas les raisons valables de la colère du général ou n’en est pas conscient ; de plus, il interprète le comportement en question sur la base d’un pré-positionnement postulant l’existence d’une « démence », plutôt que comme symptomatique d’un dysfonctionnement relationnel.
On voit par cet exemple en quoi une mise en question du modèle biomédical dominant, une réflexion critique sur l’action entreprise et une conception multifactorielle des comportements auraient pu conduire le membre du personnel à une démarche plus respectueuse du résident.
Dupuis, S.L., Wiersma, E., & Loiselle, L., (2012). Pathologizing behavior: Meanings of behaviors in dementia care. Journal of Aging Studies, sous presse.
Dupuis, S.L., Whyte, C., & Carson, J. (2012). Leisure in long-term care settings. In J. Singleton & H. Gibson (Eds.), Leisure in later life (pp. 217-237). Human Kinetics, sous presse.
Fazio, S., Seman, D., & Stansell, J. (1999). Rethinking Alzheimer’s care. Baltimore, MD: Health Professions Press.
Kitwood, T., & Bredin, K. (1992). Towards a theory of dementia care: Personhood and well-being. Ageing and Society, 12, 269-287.
Sabat, S.R., & Lee, S.R. (2012). Relatedness among people diagnosed with dementia: Social cognition and the possibility of friendship. Dementia: The International Journal of Social Research and Practice, sous presse.
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