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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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27 juin 2011 1 27 /06 /juin /2011 09:33

Nous avons régulièrement indiqué en quoi il s’agissait d’aborder les problèmes psychologiques et comportementaux des personnes âgées dans une perspective multifactorielle, en évitant de les interpréter de façon uniquement neurobiologique et pathologisante (voir nos chroniques «Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées » et « La motivation durant le milieu de la vie influence l’apathie et la dépression chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »). Un article récent de Cohen-Mansfield et al. (2011), consacré aux idées délirantes dans la « démence », apporte de nouveaux éléments en faveur d’une telle approche.

Selon le DSM-IV, les idées délirantes constituent des croyances et convictions erronées, basées sur des inférences incorrectes concernant des éléments de la réalité externe, et qui  sont fermement maintenues en dépit des preuves évidentes de leur irréalité. Les idées délirantes peuvent concerner par exemple le vol, l’abandon, le danger, l’identification erronée de quelqu’un ou d’un endroit, l’infidélité ou le fait que le bâtiment dans laquelle la personne vit ne représente pas son domicile.

Les recherches antérieures ont essentiellement visé à décrire la prévalence des idées délirantes et leurs différents types, ainsi qu’à les mettre en lien avec des variables démographiques et médicales. En fait, la plupart de ces études se sont inscrites dans une conception neurobiologique et ont négligé l’exploration des facteurs environnementaux et psychosociaux impliqués dans la survenue des idées délirantes. C’est précisément ce à quoi se sont attelés Cohen-Mansfield et ses collaborateurs.

Les participants étaient 74 personnes âgées de plus de 65 ans, ayant reçu le diagnostic de « démence » et résidant dans 9 structures d’hébergement à long terme depuis au moins 2 mois (en Israël). Ils ne devaient pas souffrir d’une maladie aigüe ou mal stabilisée et devaient disposer d’un niveau minimal de communication verbale.

Les personnes ont été soumises à une évaluation portant sur les domaines suivants : présence et gravité des idées délirantes (BEHAVE-AD ; Neuropsychiatric Inventory : Nursing Home version) ; analyse fonctionnelle des idées délirantes (type, contenu, fréquence, contexte d’apparition : facteurs explorés sous la forme de questions ouvertes posées aux soignants) ; statut fonctionnel (Activities of Daily Living Questionnaire) ; fonctionnement cognitif global (MMSE); présence d’un événement traumatique antérieur (via un entretien avec les proches aidants et les soignants ; présence d’événements tels qu’une attaque terroriste, l’holocauste durant la Deuxième Guerre mondiale, un abus sexuel, un accident de voiture, etc.).

Les données ont fait l’objet d’une analyse qualitative concernant les thèmes des idées délirantes (avec double codage et analyse des désaccords) et quantitative (comparaison des personnes avec et sans idées délirantes et des différents sous-types d’idées délirantes sur différentes variables). L’objectif spécifique de cette étude était de déterminer la signification des idées délirantes pour les personnes qui les manifestaient, et ce via les données obtenues auprès des soignants.

Les résultats ont montré que la prévalence des idées délirantes était de 46% et que les participants qui en présentaient avaient significativement plus de difficultés à réaliser les activités de la vie quotidienne et avaient une plus mauvaise vision et audition.

Par ailleurs, l’analyse qualitative a mis en évidence plusieurs thèmes à travers les différents types de phénomènes regroupés sous le terme d’ « idées délirantes » :

* Le lien avec la réalité : à certains moments, les productions considérées comme des « idées délirantes » sont en lien avec la situation réelle, en tout cas du point de vue de la personne et souvent aussi du point de vue de l’informateur (du soignant ou du proche). Cela a notamment été observé chez des personnes « démentes » ayant un niveau cognitif plus élevé, ayant été assez récemment admises dans la structure d’hébergement, et qui affirmaient que cette structure n’était pas leur domicile. C’est aussi le cas des participants se plaignant qu’on avait volé leurs effets personnels, lesquels avaient effectivement été pris par d’autres personnes. Un autre exemple concerne une participante qui avait été placée dans la structure d’hébergement par son conjoint et qui se sentait abandonnée. Une autre situation avait trait à l’existence d’éléments suggérant que le conjoint avait été infidèle dans le passé.

* La désorientation : certaines croyances étiquetées comme « délirantes » sont simplement une manifestation de la désorientation dans le temps et dans l’espace. C’est particulièrement le cas de l’identification erronée d’une personne ou d’un lieu, laquelle est souvent la conséquence de la combinaison d’une désorientation et d’une confabulation visant à combler cette désorientation (en utilisant l’information la plus aisément disponible). Ainsi, la personne qui ne reconnaît pas la structure d’hébergement dans laquelle elle vit va supposer qu’elle est à la maison et que les personnes autour d’elle sont ses proches. Elle va également être surprise de rencontrer des personnes inconnues (les membres du personnel). La personne ne réalise donc pas qu’elle n’est pas dans son habitation antérieure, mais elle est perturbée par les discordances qu’elle perçoit entre son domicile précédent et l’expérience qu’elle vit. Dans un autre cas de figure, la personne réalise que la structure d’hébergement n’est pas son domicile antérieur et souhaite retourner dans ce qu’elle considère être son domicile réel. Par ailleurs, les croyances de vol sont souvent déterminées par le fait que les personnes sont incapables de retrouver leurs effets personnels, un problème lié en partie à la désorientation. Enfin, la désorientation peut aussi faire apparaître la structure d’hébergement comme un endroit dangereux, conduisant à ce qui sera nommé comme une « idée délirante » de danger.

* Revivre les événements passés : un grand nombre de symptômes désignés comme des « idées délirantes » sont reliés à des événements qui se sont produits dans le passé récent ou plus ancien. Ces événements peuvent avoir été traumatiques ou non et peuvent évoquer des émotions positives ou négatives. Certains participants parlent de ces événements, alors que d’autres les revivent, en agissant comme s’ils ne différenciaient pas le passé et le présent ; d’autres encore expriment une peur de revivre ces événements. Le type d’événement qui est revécu ou craint varie en fonction du type d’ « idée délirante ». Par exemple, dans la croyance selon laquelle la maison où la personne se trouve n’est pas son domicile, la reviviscence ou la peur peut renvoyer à un transfert forcé antérieur qui fut traumatique (notamment durant la Shoah de la Deuxième Guerre mondiale). Les croyances d’abandon et de danger sont en lien avec la reviviscence d’un traumatisme passé, alors que, dans les croyances non paranoïdes, l’événement revécu est un événement anxiogène mais pas nécessairement traumatique (par ex., chez une personne, l’idée « On doit se dépêcher, on doit partir, le train part dans 15 minutes ! » concernait une destination qui était toujours la ville dans laquelle la personne avait émigré).

*Solitude et insécurité : la croyance d’abandon est clairement reliée à la solitude et à l’insécurité.  Cependant, la croyance selon laquelle la maison dans laquelle la personne se trouve n’est pas son domicile peut aussi exprimer le besoin de chaleur et de sécurité qu’offre le domicile ou la proximité de la famille. De même, prendre le train pour rejoindre sa ville d’origine ou retrouver sa mère peut également refléter un sentiment de solitude. Cette solitude peut être particulièrement prononcée chez les personnes ressentant la structure d’hébergement comme non familière, et qui ressentent en outre un sentiment de détachement du fait de difficultés langagières et sensorielles. Des recherches devraient être menées afin d’examiner si les croyances du type « Je suis à la maison » conduisent réellement à réduire le sentiment de solitude ou si elles ont plutôt des aspects négatifs (comme, par ex., être perturbé(e) par le fait de ne pas trouver les personnes qui devraient être présentes dans son domicile).

* Ennui : certaines « idées délirantes » émergent en tant que réponses à l’ennui et à l’inactivité (un processus similaire aux confabulations). Quand la personne n’a aucun rôle et ne sait que faire, elle peut avoir recours à des rôles passés ou à d’autres rôles. Ce phénomène est le plus apparent quand les « idées délirantes » se produisent durant des périodes d’inactivité ou quand la personne est en recherche d’activités.

* Déclencheurs : les « idées délirantes » peuvent être déclenchées par des phénomènes environnementaux, tels que des personnes qui entrent ou sortent avec des sacs, des conversations avec des membres du personnel concernant le passé, l’incapacité à retrouver un objet, un nom familier entendu ou des informations à la télévision (par ex., le fait d’entendre que « de nombreuses personnes sont mortes l’hiver dernier » a suscité la croyance selon laquelle « beaucoup de personnes meurent ici durant l’hiver »).                

Comme l’indiquent Cohen-Mansfield et al., les phénomènes observés chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence »  et regroupés sous l’étiquette d’ « idées délirantes » ne correspondent pas vraiment à la définition du DSM. En effet, beaucoup d’entre eux représentent des éléments de réalité et peuvent être modifiés (par ex., les croyances fréquentes de vol peuvent changer immédiatement après la présentation de l’objet manquant). L’utilisation des termes « idées délirantes », « troubles psychotiques » ou encore « symptômes psychologiques et comportementaux de la démence » relègue le comportement et les croyances de la personne dans le domaine des phénomènes psychopathologiques graves et empêche de comprendre la signification que ces phénomènes ont pour la personne. Les auteurs indiquent néanmoins que des « idées délirantes vraies » peuvent exister chez les personnes avec « démence », mais que leur prévalence n’est à ce jour pas connue.

Cette étude comporte certaines limites, et en particulier l’adoption d’une exploration essentiellement qualitative sur un échantillon relativement restreint (avec, dès lors, peu de personnes par catégorie d’ « idées délirantes »), ce qui a conduit à établir des thèmes généraux à partir de la combinaison de quelques exemples. En outre, les personnes examinées résidaient toutes dans une structure d’hébergement à long terme et un grand nombre d’entre elles avaient subi des événements traumatiques importants, ce qui limite la généralisation des résultats observés. Une recherche à plus grande échelle devrait permettre de répliquer ces résultats préliminaires et d’approfondir les analyses.

Néanmoins, il s’agit de la première étude ayant examiné de façon systématique le contenu des « idées délirantes » dans le but de mieux comprendre leur signification du point de vue des personnes « démentes » elles-mêmes. Identifier les thèmes sous-tendant ces phénomènes, et donc leur signification, devrait permettre de mieux les tolérer mais aussi mettre en place des interventions non pharmacologiques individualisées destinées à les prévenir (Cohen-Mansfield, 2003). Cela passe par l’élaboration d’outils d’évaluation permettant de déterminer ces thèmes et significations, mais aussi d’identifier ce qui déclenche ces phénomènes et quelles sont leurs conséquences sur la personne elle-même et sur son entourage.

Nous reviendrons dans une prochaine chronique sur l’efficacité d’interventions non pharmacologiques individualisées focalisées sur les difficultés psychologiques et comportementales des personnes présentant une « démence ».  

 

4016087 s      

Cohen-Mansfield, J. (2003). Nonpharmacological interventions for psychotic symptoms in dementia. Journal of Geriatric Psychiatry and Neurology, 16, 219-224.

Cohen-Mansfield, J., Golander, H., Ben-Israel, J., & Garfinkel, D. (2011). The meanings of delusions in dementia: A preliminary study. Psychiatry Research, sous presse.

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