Résumé de la chronique
Le concept de stimulation cognitive est devenu très populaire. Cette popularité s’inscrit parfaitement dans le contexte d’une conception du monde focalisée sur l’efficacité, le rendement, la compétition, l’individualisme, la primauté du cognitif. Par ailleurs, l’industrie s’est emparée de ce concept pour développer des produits technologiques de santé cérébrale (« brain fitness technology industry ») dont l’efficacité est loin d’être prouvée, mais qui contribuent à renforcer une approche réductionniste négligeant la multitude des facteurs influençant la santé cérébrale et le fonctionnement cognitif tout au long de la vie. Enfin, il a été montré que les programmes de stimulation cognitive n’ont pas d’effets bénéfiques sur l’état d’humeur des personnes âgées présentant une « démence », ni sur les activités de la vie quotidienne, ni sur les problèmes comportementaux, ni d’ailleurs sur l’état émotionnel et le fardeau des proches.
Dans ce contexte, nous défendons plutôt une approche d’intervention individualisée, visant des buts spécifiques dans la vie quotidienne de la personne et fondée sur différents types de facteurs psychologiques (cognitifs, affectifs, socio-relationnels, motivationnels, culturels) : une approche plurielle et intégrée. En parallèle, il s’agirait aussi de favoriser l’engagement des personnes âgées dans des activités communautaires qui contribuent à renforcer leur état physique, leur sentiment d’identité et de continuité personnelle, leur sentiment d’avoir des buts dans la vie et de pouvoir proposer une aide à autrui, leur sentiment de contrôle, leur ouverture vers la société et leurs relations avec les autres générations.
Les 23, 24 et 25 mai 2012 se tiendra à Dijon le premier Congrès Européen de Stimulation Cognitive organisé sous l’égide du Centre d’Expertise National en Stimulation Cognitive (CEN STIMCO ; http://censtimco.org/) récemment créé en France.
On peut s’interroger sur ce que recouvre réellement le concept de « stimulation cognitive ». Dans un court texte de présentation du congrès, on peut lire : « La stimulation cognitive désigne la sollicitation méthodique des fonctions cognitives, psychologiques et sociales. Le développement récent des neurosciences, des nouvelles technologies et des aides cognitives a offert des outils prometteurs pour dispenser et diffuser cette approche non-médicamenteuse. Cependant, les bénéfices exacts des programmes de stimulation cognitive et les conditions de prise en charge restent encore à éclaircir dans les différents domaines d’application (santé, travail, éducation, loisirs, activité physique et sport…). […], ce premier colloque Européen aura pour objectifs d’étudier les enjeux, les difficultés et les apports possibles de la stimulation cognitive ».
La définition proposée dans ce texte de présentation n’est pas totalement éclairante. En effet, la stimulation cognitive y est définie comme une approche consistant à solliciter, de façon méthodique (c.-à-d., en fonction de certaines règles, non définies), les fonctions cognitives, psychologiques et sociales. Cette définition est manifestement source de confusion et peut renvoyer à une grande diversité de pratiques. En effet, comme l’indiquent Clare et Woods (2004), on peut distinguer :
* la stimulation cognitive : l’engagement dans une série d’activités et de discussions, souvent en groupe, dans le but d’aboutir à une amélioration générale du fonctionnement cognitif et social.
* l’entraînement cognitif : la réalisation guidée (en groupe ou en individuel ; sur ordinateur ou en condition papier/crayon) de tâches standardisées censées refléter des processus cognitifs particuliers, ces tâches étant généralement proposées selon des niveaux croissants de difficulté.
* la revalidation (réhabilitation) cognitive : une approche individualisée dans laquelle des buts pertinents pour la personne, en lien avec la vie quotidienne, sont identifiés ; le thérapeute élabore avec la personne et ses proches des stratégies visant à atteindre ces buts, et ce en exploitant les capacités préservées de la personne, les facteurs d’optimisation et les moyens de compensation.
Ces trois termes (stimulation cognitive, entraînement cognitif et réhabilitation cognitive) ont souvent été utilisés de façon interchangeable, en dépit du fait qu’ils renvoient à des approches très différentes.
Il faut en outre relever que le texte de présentation du congrès met l’accent sur la contribution des neurosciences et des nouvelles technologies au domaine de la stimulation cognitive. Outre le fait que l’apport des neurosciences à l’élaboration d'«outils prometteurs pour dispenser et diffuser cette approche non médicamenteuse » mériterait d’être spécifié, il n’est nullement fait mention des apports de la psychologie et de la sociologie à cette question, notamment dans la mise en évidence de la multiplicité et l’hétérogénéité des facteurs psychologiques, sociaux et culturels impliqués dans le fonctionnement cognitif quotidien d’une personne, dans la détermination des conditions et stratégies conduisant à un bon fonctionnement cognitif, ainsi que dans l’identification du contexte socioculturel et économique dans lequel le concept de stimulation cognitive a émergé.
La Déclaration de Mission du CEN STIMCO (qui, rappelons-le, est à l’origine du congrès) nous éclaire un peu plus sur la conception de la stimulation cognitive qui sous-tend ses activités. En effet, on y lit : « Ses missions consistent à soutenir et développer les applications et les solutions technologiques liées à la stimulation cognitive, à favoriser la construction des offres répondant aux besoins du marché de la stimulation cognitive, les coopérations entre le monde académique, médical et industriel, le monde du travail et le milieu socio-économique et l’innovation en matière de développement de systèmes informatisés de stimulation cognitive, d’optimisation cognitive et de compensation des défauts de participation cognitifs par des partenariats avec le monde de la recherche et les entreprises. Son but est également de permettre à toute personne en situation de handicap ou à risque de handicap, sans discrimination d’âge, l’accès aux systèmes informatisés de stimulation cognitive, tout en assurant la bonne appropriation et donc un usage efficace, et de contribuer à la normalisation et à la standardisation des solutions de la stimulation cognitive. ».
Il y a là clairement l’idée d’outils informatisés ou de solutions technologiques, applicables de façon générale et donc aisément commercialisables et visant à l’optimisation ou à la compensation cognitive dans différents champs d’application (cliniques et non cliniques, y compris p. ex. dans le monde de l'entreprise). Il n’est nulle trace dans cette déclaration d'un questionnement quant à la pertinence d’une telle approche et quant à sa place (si elle doit en avoir une) dans une perspective plus large d’intervention, qui prenne en compte la personne dans son individualité, sa globalité et son insertion communautaire. Il n’est nulle mention d’une analyse des enjeux philosophiques, culturels et sociaux qui sont associés à cette approche et des possibles conflits d’intérêts entre industriels, chercheurs et cliniciens auxquels elle peut aisément conduire.
Il faut également relever qu’une des tâches que se donne le CEN STIMCO est « la création d’un référentiel permettant la labellisation des produits ou méthodes », mais n’est pas pris en compte le risque important que cette « labellisation » favorise des interventions « clé en main », non adaptées aux difficultés spécifiques de chaque personne, et dont l’utilisation serait appuyée par les bénéfices financiers qui pourraient en être tirés.
De façon plus générale, la création du CEN STIMCO, dont les membres fondateurs sont 6 structures universitaires et hospitalo-universitaires françaises, nous paraît être parfaitement en phase avec l’évolution actuelle de l’université, bien décrite par Libero Zuppiroli (professeur de physique des matériaux à l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, EPFL), dans un petit livre, riche et plein d’humour, que nous vous conseillons vivement : « La bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? » (Editions D’En Bas, 2010). Nous avons déjà parlé de cet ouvrage dans notre chronique « Une autre approche du vieillissement c’est aussi une autre université ! », mais il nous paraît utile de reprendre ici l’essentiel de cette chronique.
En effet, Libero Zuppiroli montre en quoi l’université évolue en inscrivant ses activités dans la ligne des directives du rapport de la National Science Foundation des Etats-Unis paru en 2002, dont voici quelques extraits: « Nous nous trouvons au seuil d’une nouvelle renaissance des sciences et technologies basées sur une compréhension d’ensemble de la structure et du comportement de la matière depuis l’échelle nanométrique jusqu’au système le plus complexe jamais découvert, le cerveau humain […]. Avancer à grands pas dans ces technologies convergentes, c’est créer le potentiel pour accroître à la fois les performances humaines et la productivité de la nation. Voici quelques exemples des bénéfices que nous pourrons en attendre : une amélioration de l’efficacité au travail et à l’apprentissage, une augmentation des capacités sensorielles et cognitives de l’individu, des méthodes de fabrication et des produits radicalement nouveaux, des changements révolutionnaires dans le domaine des soins médicaux qui amélioreront à la fois les efficacités individuelle et sociale, des technologies de communication hautement efficaces, dont l’interaction directe de cerveau à cerveau, le perfectionnement des interfaces homme-machine, incluant l’ingénierie neuronale pour les besoins industriels et personnels, le renforcement des capacités humaines à des fins de défense, les moyens d’atteindre le développement durable au travers des outils NBIC (nano-, bio-, info-, cogno-), le ralentissement enfin des déclins physique et mental des personnes âgées […]. »
On voit là une conception de la recherche et du monde focalisée sur l'efficacité, le rendement, la compétition, l'individualisme, la primauté du cognitif. Un monde où la fragilité, la finitude, la différence, le contexte social et culturel, l’engagement social n’ont pas leur place.
Il s’agit d’une université « bling-bling », dans laquelle on agit, mais on ne pense pas, « on annonce à la presse tous les miracles que les chercheurs […] vont réaliser prochainement », « […] on est obligé de publier dès que possible, dans des revues bien cotées, des résultats de travaux encore inachevés [...] ». Une université de professeurs « managers », qui consacrent l’essentiel de leurs activités à pratiquer « le Networking, le Fundraising, le Marketing et le Management ». Une université qui se nourrit de l’argent des multinationales (notamment pharmacologiques…).
Libero Zuppirelo indique en quoi une autre manière de concevoir l’université est possible : une université dans laquelle les enseignants et les chercheurs pèsent davantage « les responsabilités sociales auxquelles tout technoscientifique se trouve inévitablement confronté » ; une université qui met en avant l’esprit critique, qui libère la parole et la pensée, qui s’affranchit des modes et des « chemins balisés des nanosciences, des biotechnologies et des sciences cognitives », qui prépare à un monde moins individualiste (« où il faudra apprendre à faire ensemble et à mieux partager les ressources »), qui forme des étudiants pour « qu’ils soient prêts à prendre leurs responsabilités, pour construire l’avenir dans des conditions difficiles, mais exaltantes ».
Au vu de la diversité des thématiques de ce Congrès Européen de Stimulation Cognitive (voir p. 3 du 3e appel à communication ; lien), on peut espérer qu’il ne soit pas qu’une ode aux neurosciences (cognitives), aux nouvelles technologies, aux liens entre recherche et industrie, au rendement, à la compétitivité, mais qu’il autorise, voire encourage, une mise en perspective critique et une réflexion sur l’intérêt des interventions cognitives dans une approche qui considère la personne dans son individualité, sa globalité, sa fragilité et son insertion communautaire.
L’industrie technologique de la santé cérébrale (« brain fitness technology industry »)
Dans un article récent, Daniel George et Peter Withehouse (2011) ont analysé ce qu’ils appellent l’industrie technologique de la santé cérébrale («brain fitness technology industry»). Ils indiquent tout d’abord en quoi les divers produits digitaux (jeux vidéo, programmes informatiques, programmes sur téléphone portable, etc.) conçus par cette industrie représentent un marché financier colossal, et ce d’autant plus que les « baby-boomers », qui sont particulièrement visés par certains de ces produits, avancent dans la soixantaine.
Par ailleurs, les auteurs montrent comment ce marché a forgé un langage, dont un néologisme (« neurobics »), qui vise à exprimer l’idée selon laquelle cette génération de produits technologiques peut favoriser la croissance des synapses et dentrites et accroître la santé cognitive, tout comme l’activité physique (« aerobics ») peut améliorer la santé pulmonaire et cardiovasculaire. Par ailleurs, l’utilisation de concepts tels que la neuroplasticité ou la réserve cognitive/cérébrale contribue, selon George et Whitehouse, à donner un fondement scientifique à ces produits, en suggérant l’idée selon laquelle ils sont capable d’influencer physiquement le cerveau, à un niveau moléculaire.
Il s’agit en fait d’une sorte de « fétichisation » du cerveau, rendant cet organe différent et objet de vénération. Plutôt que de le considérer comme un des multiples organes vulnérables du système biologique, le cerveau est ainsi perçu comme une entité privilégiée, distincte, que les individus sains doivent constamment stimuler, recâbler, reconstruire, nourrir et dont ils doivent s’occuper s’ils veulent se maintenir mentalement en bonne santé et conserver leur identité. Cette industrie a incorporé les valeurs occidentales de rationalité, de cognition, de mémoire et de pensée rapide, ainsi que de foi inébranlable en la capacité de la science et de la technologie de produire des innovations contribuant au bien-être humain. Les produits technologiques de santé cérébrale sont aussi sous l’influence des principes du libéralisme, qui attribuent une valeur morale primordiale à l’individu, lequel est considéré comme ayant une propension intrinsèque à l’autosuffisance et à la protection de son individualité (sa vérité fondamentale), plutôt que des besoins plus vastes de la communauté. Les produits de l’industrie technologique de la santé cérébrale ont également été façonnés par l’idéologie néolibérale, qui a favorisé l’émergence du concept d’individu atomisé vivant au sein d’un marché qui peut, avec l’activité de consommation qui y est associée, contribuer à sa complétude et à son identité. Bien qu’on voie émerger certains produits visant à encourager la collaboration sociale et les relations interpersonnelles, la plupart des produits sont vendus en tant qu’entités uniques, à utiliser sur des ordinateurs personnels, des consoles de jeux vidéo individuelles, des assistants numériques personnels (« personal digital assistant » ou PDA) ou encore des téléphones portables. Ainsi, le cerveau, source d’individualité dans une société atomisée, se doit d’être constamment entretenu et amélioré, via un travail personnel et discipliné, si l’on souhaite récolter les bénéfices d’un esprit qui demeure sain.
L’efficacité des produits de l’industrie technologique de la santé cérébrale ont fait l’objet d’un nombre croissant d’études. Comme le relèvent George et Whitehouse, il a été montré que l’entraînement cognitif au moyen de programmes informatisés commercialisés, ainsi que la réalisation de jeux cérébraux, pouvaient améliorer la performance cognitive sur les tâches entraînées, avec -dans certains cas seulement- une généralisation à des tâches non entraînées. Par contre, il a été très rarement constaté un transfert de ces effets bénéfiques aux situations complexes de la vie quotidienne.
Le battage publicitaire (non fondé par les faits) de l’industrie vantant les mérites de ses produits technologiques de santé cérébrale contribue au renforcement d’une approche réductionniste qui néglige la multitude des facteurs influençant la santé cérébrale et le fonctionnemetn cognitif tout au long de la vie (par ex., régime alimentaire, exercice physique, exposition à des neurotoxiques, stress psychosocial, opportunités d’apprentissage et de défis, accès aux soins de santé, traumatismes crâniens, etc.). Il a aussi très vraisemblablement contribué à freiner la mise en place d’interventions de prévention focalisées sur ces différents facteurs.
Interventions cognitives et vieillissement cérébral/cognitif problématique (« démence »)
L’efficacité des programmes de « stimulation cognitive » (en groupe ou individuels) chez les personnes âgées présentant une « démence » a été récemment explorée via des méta-analyses menées par Woods, Aguirre, Spector et Orrell (2012). Les auteurs ont inclus dans leur exploration 15 études randomisées contrôlées, renvoyant à divers types d’intervention cognitive (stimulation cognitive, entraînement cognitif et réhabilitation cognitive). Les résultats des analyses montrent que ces programmes sont à même d’améliorer la performance des personnes à des tâches cognitives, bénéfice qui se maintient après un suivi de 1 à 3 mois (même si la taille des effets est assez modeste ; voir également Orrell, Woods, & Spector, 2012). De plus, ces programmes ont aussi un effet bénéfique sur la qualité de vie et le bien-être auto-évalués ainsi que sur la communication et les interactions sociales évaluées par les membres du personnel (analyses menées sur des échantillons plus réduits). Par contre, aucun effet n’a été observé sur l'état d'humeur (auto- ou hétéro-évalué), ni sur les activités de la vie quotidienne de base et plus complexes), ni sur les problèmes comportementaux. De même, dans les quelques études ayant abordé cette question, il n'a été constaté aucun effet bénéfique sur l'état émotionnel et le fardeau des proches.
Il faut relever que la qualité d’ensemble de ces études, au plan méthodologique, était faible et également rappeler que les analyses ont été menées en regroupant des études ayant exploré l’efficacité d’interventions cognitives de nature très différente.
Par ailleurs, Thacker (2012) mentionne le fait que les effets bénéfiques observés sur le fonctionnement cognitif, la qualité de vie et le bien-être auto-évalués, ainsi que sur la communication et les interactions sociales évaluées par les membres du personnel, pourraient être, en partie du moins, la conséquence d’un effet placebo lié au sentiment d’avoir un but et à l’engagement social. En effet, dans les méta-analyses menées par Woods et al. (2012), ainsi d’ailleurs que dans les autres méta-analyses, les participants de contrôle ont été soumis à leurs activités habituelles, ce qui signifie généralement une relative inactivité ou des activités assez routinières. Par contre, les programmes de stimulation cognitive impliquent un contexte de soutien relationnel (soit avec le thérapeute, soit avec les pairs), une attente d’aide et le projet d’une expérience plaisante. Ainsi, en l’absence de condition de contrôle adéquate, Thacker fait l’hypothèse selon laquelle les effets bénéfiques des programmes de stimulation cognitive pourraient simplement découler du fait que ces programmes favorisent le sentiment d’avoir un but dans la vie et, pour les programmes en groupe, les attaches relationnelles, ainsi que la possibilité de s’occuper d’autrui. Il s’agit là de facteurs dont on a vu, dans plusieurs chroniques, qu’ils étaient associés à un meilleur fonctionnement cognitif et à un bien-être plus important.
Notons enfin que Unverzagt et al. (2012) ont récemment montré qu’un programme d’entraînement cognitif (Advanced Cognitive Training, ACTIVE) n’affectait pas le taux de démences incidentes durant un suivi de 5 ans.
Globalement, nous considérons qu’il est peu probable que des programmes généraux de « stimulation cognitive » (c.-à-d., des programmes administrés de la même manière à toutes les personnes âgées présentant une « démence ») conduisent à des effets bénéfique de taille élevée sur le fonctionnement cognitif, les activités de la vie quotidienne, l’état d’humeur et la qualité de vie des personnes âgées avec une « démence », ainsi que sur l’état psychologique et le « fardeau » des proches aidants, et ce pour plusieurs raisons : d’une part, les difficultés cognitives vécues par ces personnes dans leur vie quotidienne sont déterminées par des facteurs multiples (cognitifs, affectifs, motivationnels, socio-relationnels, culturels) ; d’autre part, la nature de ces difficultés quotidiennes, ainsi d’ailleurs que les mécanismes qui en sont responsables, peuvent considérablement varier d’une personne à l’autre.
Il s’ensuit que les interventions psychologiques proposées à ces personnes devraient être taillées sur mesure en fonction de leurs difficultés spécifiques. Selon nous, aucun programme d’intervention « clé en main » ne peut se prévaloir de répondre aux différents objectifs d’une approche psychologique des difficultés d’une personne âgée. Il s’agit au contraire d’adopter une approche individualisée, visant des buts spécifiques dans la vie quotidienne (établis avec la personne et ses proches), et basée sur différents types de facteurs psychologiques et d'interventions. Cette approche devrait donc être multiple et intégrée (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »). Une telle approche pourrait bien entendu, selon les cas, s’appuyer sur des interventions visant spécifiquement à entraîner l’un ou l’autre processus cognitif ou à mettre en place un moyen de compensation (y compris technologique). Cependant, ce choix se fera sur la base d’une interprétation des difficultés spécifiques de la personne et à partir d’arguments indiquant que cet entraînement cognitif ou ce moyen de compensation peut contribuer, de façon pertinente, à ce que le but visé par l’intervention puisse être atteint. Il existe actuellement peu d’études ayant relaté les effets d’une telle approche : on peut néanmoins citer le travail de Clare et al. (2010) que nous avons décrit dans notre chronique « L’efficacité clinique de la revalidation cognitive individualisée chez des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique ».
En parallèle à ces interventions psychologiques individualisées, il s’agirait aussi de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (mais d’ailleurs aussi les autres personnes âgées) dans des activités insérées au sein de la communauté et qui peuvent contribuer à renforcer leur état physique, leur sentiment d'identité et de continuité personnelle, leur sentiment d'avoir des buts dans la vie et de pouvoir proposer une aide à autrui, leur sentiment de contrôle, leur ouverture vers la société, les relations avec les autres générations, etc., tous facteurs dont il a été montré qu’ils pouvaient optimiser leur fonctionnement cognitif. Il s’agit là d’objectifs qui sont au cœur des activités que l’Association VIVA (que nous animons) propose aux personnes âgées de la ville de Lancy.
George, D.R., & Whitehouse, P.J. (2011). Marketplace of memory: What brain fitness technology says about us and how we can do better. The Gerontologist, 51, 590-596.
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Clare, L., Linden, D.E.J., Woods, R.T., Evans, S., J., Parkinson, C.H., van Paaschen, J. et al. (2010). Goal-oriented cognitive rehabilitation for people with early-stage Alzheimer Disease: A single-blind randomized controlled trial of efficacy. American Journal of Geriatric Psychiatry, 18, 928-939.
Orrell, M., Woods, B., & Spector, A. (2012). Should we use individual cognitive stimulation therapy to improve cognitive function in people with dementia? British Medical Journal, 344, e633.
Thacker, S.P. (2012), Social engagement may be as important as cognitive stimulation therapy. British Medical Journal, 344: e1607.
Unverzagt, F.W., Guey, L.T., Jones, R.N., Marsiske, M., King, J.W., Wadley, V.G., Crowe, M., Rebok, G.W., & Tennstedt, S.L. (2012). ACTIVE cognitive training and rates of incident dementia. Journal of the International Neuropsychological Society, 18, 1-9.
Woods, B., Aguirre, E., Spector, A.E., & Orrell, M. (2012). Cognitive stimulation to improve cognitive functioning in people with dementia. Cochrane Database of Systematic Reviews 2012, Issue 2. Art. No.: CD005562. DOI: 10.1002/14651858.CD005562.pub2.
Zuppiroli, L. (2010). La bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? Lausanne : Editions d’En-Bas.
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