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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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3 juin 2010 4 03 /06 /juin /2010 16:18

Dans leur ouvrage « Le mythe de la maladie d’Alzheimer », Peter Whitehouse et Daniel George montrent en quoi l’élaboration d’un livre de vie  constitue une approche potentiellement intéressante pour aider les personnes âgées à réfléchir aux questions soulevées par la fin de vie.

 

Le livre de vie est un album que les personnes composent dans le but de raconter l’histoire de leur vie, réfléchir à ce qu’elles aimeraient transmettre aux générations futures et aussi imaginer ce qu’elles souhaiteraient pour leur fin de vie. Il se compose de photographies (de personnes chères, d’objets importants, etc.), de récits d’épisodes de vie, de réponses à des questions diverses en lien avec les préférences, les plaisirs, les valeurs, les réalisations ou encore les souhaits de la personne. La personne peut également rédiger une « lettre du futur » destinée à l’un de ses proches (par ex., un petit-enfant né ou à naître) et lui communiquer par ce moyen les éléments essentiels qu’elle souhaiterait qu’on garde d’elle et de ses expériences de vie. Ce livre de vie peut également contenir les souhaits de la personne concernant les dispositions à prendre et les soins à prodiguer durant sa fin de vie, au cas où elle serait incapable de transmettre elle-même ces informations (directives anticipées).

 

Dans un travail récent,  Damianakis et al. (2010) ont montré l’intérêt et la faisabilité d’une méthode dans laquelle des personnes âgées avec troubles cognitifs plus ou moins importants (personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer et de « MCI ») et des membres de leur famille produisent (avec l’aide d’un spécialiste) et ensuite regardent ensemble une « biographie multimédia ».

 

Dans cette biographie, des images, des vidéos, des récits enregistrés et de la musique étaient intégrés. Les contenus étaient sélectionnés pour appartenir à différentes périodes de vie et pour être caractéristiques de l’identité, des intérêts, des réalisations, des plaisirs et du réseau social de la personne. Les participants décidaient eux-mêmes de structurer leur histoire de vie chronologiquement (enfance, adolescence, vie adulte) ou à partir d’événements importants. Dans la plupart des cas, les personnes âgées et les membres de leur famille étaient filmées quand elles sélectionnaient les contenus, images, etc., de l’histoire de vie et quand elles interagissaient et racontaient des récits en lien avec ces documents et souvenirs.

 

Une fois la biographie multimédia composée et transcrite sur CD (après avoir pris en compte les feedbacks des personnes âgées et des membres de leur famille), la biographie était visionnée par la personne âgée pendant une période de 6 mois, à raison d’une à deux fois par semaine ; il était par ailleurs demandé au membre de la famille de prendre des notes sur les réactions de la personne. De plus, après 3 et 6 mois, la biographie était visionnée par les personnes âgées et les membres de la famille, avec un enregistrement vidéo des réactions des personnes âgées, ainsi qu’un entretien avec les membres de la famille et/ou les personnes âgées. 

 

Des analyses qualitatives détaillées attestent à la fois de la faisabilité de cette méthode multimédia (la méthode a été bien accueillie par les participants) et de son intérêt pour le fonctionnement psychosocial des personnes âgées et de leur famille. Ces analyses montrent en effet en quoi la biographie multimédia est à même de stimuler des réminiscences et d’enrichir des souvenirs préexistants. Les auteurs ont également observé que fréquemment, un souvenir évoqué résultait de l’engagement de la personne âgée et du membre de sa famille dans un récit partagé, montant ainsi l’importance des interactions sociales dans la récupération de souvenirs autobiographiques (Coman et al., 2009).

 

De plus, le visionnage de la biographie a généré le plus souvent de la joie, même s’il y avait parfois aussi des moments de tristesse, chez les personnes âgées. D’autres émotions ou réactions ont également été évoquées comme la surprise ou, en lien plus direct avec l’identité, la fierté. Le visionnement a également aidé les membres de la famille à se souvenirs d’épisodes marquants de la vie des personnes âgées et ainsi à mieux les comprendre, ce qui a aussi conduit à des changements d’attitude et de comportement vis-à-vis d’elles. Enfin, il a stimulé les interactions sociales chez les personnes âgées, tant avec les membres de leur famille qu’avec les autres personnes impliquées dans leurs soins.

 

Cette méthode a par ailleurs contribué à la transmission des expériences de vie, des valeurs et des réalisations de la personne âgée (mais aussi plus généralement de sa famille) aux générations suivantes. Ainsi, plusieurs personnes ont transmis le CD à leurs petits-enfants.

 

L’utilisation de la technologie vidéo digitale n’est évidemment pas indispensable et l‘on peut parfaitement se satisfaire d’une approche « livre-papier », plus simple, à base de documents écrits ou de photographies. Cependant, du fait de son caractère multimodal et animé (transmettant des informations auditives, visuelles, motrices, dynamiques, etc,), la biographie multimédia est vraisemblablement plus à même de susciter des réminiscences, dans la mesure où elle confronte la personne à de multiples indices spécifiques de récupération (y compris émotionnels et relationnels). Il a par ailleurs été montré que le visionnement des vidéos multimédias augmentaient l’engagement de personnes présentant une « démence » dans une intervention de réminiscence, alors qu’elles réagissaient peu au format traditionnel (avec objets, images, etc.) de la thérapie de réminiscence (Gowans et al., 2004).  

 

Notons également la méthode de la boîte à souvenirs dans laquelle sont placés des photographies, objets, documents, etc., qui peut elle-aussi constituer une activité de réminiscence et de transmission, tant individuelle que collective (via des expositions dans différents pays et cultures ; voir Goldberg, 2009.)

 

Des recherches futures devraient s’atteler à explorer de façon plus systématique l’impact du livre de vie, dans ses différentes composantes et sous différents formats, sur la mémoire autobiographique des personnes âgées avec troubles cognitifs plus ou moins importants, sur l’identité et le sens de la continuité, sur la résolution de problèmes, sur la dépression, sur les interactions sociales et la conversation, sur la transmission des leçons de vie aux générations futures, sur l’approche de la fin de vie et le sentiment de finitude, etc. On trouvera dans plusieurs articles de Philippe Cappeliez (voir en langue française, Cappeliez, 2009, a et b) une présentation des travaux (y compris les siens) qui ont exploré plus spécifiquement le rôle de la réminiscence à l’âge adulte avancé et chez les personnes âgées souffrant de dépression.

 

D’autres questions mériteraient d’être explorées de façon approfondie, comme par exemple le rôle des interactions sociales dans la récupération en mémoire autobiographique des personnes âgées, c’est-à-dire la mémoire autobiographique en tant que construction sociale et familiale (voir Coman et al., 2009).

 

Il semble également intéressant d’utiliser la technologie vidéo numérisée (ou une technique plus simple d’enregistrement, soit par écrit et/ou à l’aide de photographies) pour enregistrer de façon régulière les événements marquants vécus par les personnes dans leur période de vie actuelle (et pas seulement dans les périodes de vie passées). Il existe en effet des données suggérant que le fait de réexaminer régulièrement ces enregistrements d’évènements a un effet bénéfiques sur la consolidation des souvenirs correspondants à ces événements (voir Berry et al., 2007). L’impact de cette consolidation sur l’identité, le sens de la continuité personnelle, les interactions sociales, la dépression, etc. devrait aussi être exploré en parallèle. Nous reviendrons sur ce dernier point (qui fait l’objet de certains de nos travaux de recherche actuels) dans une chronique future.

 

livre-multimedia.jpg 

 

Berry, E., Kapur, N., Williams, L., Hodges, S., Watson, P., Smyth, G., Srinivasan, J., Smith, R., Wilson, B., & Wood, K. (2007). The use of a wearable camera, SenseCam, as a pictorial diary to improve autobiographical memory in a patient with limbic encephalitis: A preliminary report. Neuropsychological Rehabilitation, 17, 582-601.

Cappeliez, P. (2009a). Fonctions des réminiscences et dépression. Gérontologie et Société, 130, 171-185.

Cappeliez, P. (2009b). Stratégies pour utiliser les réminiscences dans l'intervention auprès de personnes âgées dépressives. Revue Francophone de Clinique Comportementale et Cognitive, 14,  8-13.

Coman, A., Brown, A.D., Koppel, J., & Hirst, W. (2009). Collective memory from a psychological perspective. International Journal of Politics, Culture, and Society, 22, 125-141.

Damianakis, Th., Crete-Nishihata, M., Smith, K.L., Baecker, R.M., & Marziali, E. (2010). The psychosocial impacts of multimedia biographies on persons with cognitive impairments. The Gerontologist, 50, 23-35.

Goldberg, A. (2009). Réaliser une boîte à souvenirs. Gérontologie et Société, 130, 155-170.

Gowans, G., Campbell, J., Alm, N., Dye, R., Astell, A., & Ellis, M. (2004). Designing a multimedia conversation aid for reminiscence therapy in dementia care. In Extended Proceedings of the CHI 2004 Conference on Human Factors in Computing Systems (pp. 825-836). New York: ACM.

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