Nous avons précédemment montré en quoi il existe encore trop fréquemment dans les structures d’hébergement à long terme un style de communication qui a été appelé le parler « personnes âgées » ou le parler condescendant/infantilisant (voir la chronique « Améliorer la communication dans les structures d’hébergement des personnes âgées : réduire le parler mémé ou pépé ! » ). Ce parler se caractérise par un rythme plus lent, une intonation exagérée, un ton de voix de hauteur élevée, un volume plus fort, de nombreuses répétitions, un vocabulaire et une grammaire simplifiés, l’utilisation de diminutifs (« mémé », « papy »…), la présence de petites questions ajoutées à la fin d'une phrase («…, n’est-ce pas ? »), l’utilisation de pronoms collectifs (« on est prêt pour notre bain ») ou encore l’adoption du tutoiement.
En utilisant ce type de communication, les membres du personnel peuvent, sans réellement en prendre conscience, renforcer la dépendance et favoriser l’isolement, ainsi que la dépression, chez les résidants, ce qui contribue à une spirale de déclin physique, cognitif et fonctionnel.
Williams et al. (2009) ont examiné dans quelle mesure le parler « personnes âgées » était associé à la résistance aux soins (ou au rejet des soins) chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique ou une « démence ».
La résistance aux soins et le rejet des soins sont des phénomènes fréquents chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») et vivant dans une structure d’hébergement à long terme. Ces comportements contribuent fortement au stress et à l’épuisement des soignants, et donc aussi au renouvellement du personnel. Ils constituent également une source de frustration pour les soignants, pouvant conduire à une réduction des contacts avec le résidant ou à une augmentation des épisodes de confrontation. Les résidants perçus comme opposants sont également plus à risque d’être contraints physiquement et de recevoir des antipsychotiques.
Les auteurs ont analysé les enregistrements vidéo de 80 interactions entre 20 résidants présentant une « démence » et 52 membres du personnel, les participants ayant été recrutés au sein de 3 structures d’hébergement à long terme. Les interactions ont été enregistrées durant les interventions des membres du personnel dans des activités de base de la vie quotidienne. Les enregistrements ont été analysés afin d’examiner, au plan psycholinguistique, la présence d’un langage « personne âgée » et au plan comportemental, la fréquence et l’intensité de comportements problématiques perturbant les interventions durant les activités de base de la vie quotidienne (13 comportements étaient évalués comme par exemple, repousser, se tourner, dire non, menacer, etc.). Les personnes qui décodaient les enregistrements avaient reçu un entraînement intensif de plusieurs mois afin d’aboutir à une fidélité très élevée du codage.
Des analyses statistiques élaborées (modèle hiérarchique bayésien et modèle généralisé estimant des équations ou GEE) ont effectivement mis en évidence que la probabilité de résister aux soins (ou de rejeter les soins) s’accroît significativement en présence d’un langage « personnes âgées » (.55, 95% CrI,.44-.66), en comparaison à un langage normal (.26, 95% CrI,.12-.44).
Williams et al. (2003) ont par ailleurs montré qu’un bref programme de sensibilisation et d’apprentissage peut conduire à modifier le parler « personnes âgées » chez des membres du personnel de structures d’hébergement à long terme. Des recherches devraient maintenant être menées afin d’examiner l’impact de ces modifications de la communication sur la résistance aux soins.
Il faut enfin noter qu’une étude (Ishii et al., 2010) menée auprès de 3’230 personnes âgées résidant dans des structures d’hébergement à long terme (dont 312, ou 9.7%, avaient montré un rejet des soins dans les 5 jours précédents) a révélé que le rejet des soins était significativement associé à la présence d’un état de délire, d’idées délirantes, de symptômes dépressifs (majeurs et mineurs) et de douleurs très importantes. Bien que le caractère transversal de cette recherche empêche d’affirmer l’existence d’un lien de causalité, ces données suggèrent que la résistance aux soins et le rejet des soins sont associés à des facteurs modifiables qui (comme c’est le cas pour le langage « personnes âgées ») traduisent une non prise en compte spécifique des besoins des résidents et qui pourraient faire l’objet d’interventions appropriées.
Ishii, S., Streim, J.E., & Saliba, D. (2010). Potentially reversible resident factors associated with rejection of care behaviors. Journal of the American Geriatrics Society, 58, 1693-1700.
Williams, K.N., Herman, R., Gajewski, B., & Wilson, K. (2009). Elderspeak communication: Impact on dementia care. Alzheimer’s Disease & Other Dementias, 24, 11-20.
Williams, K., Kemper, S., & Hummert, M.L. (2003). Improving nursing home communication: An intervention to reduce elderspeak. The Gerontologist, 43, 242-247.
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