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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 14:50

La nécessité d’une autre approche du vieillissement cérébral/cognitif est de plus en plus reconnue (voir notre chronique récente « La résistance à l’approche réductrice et pathologisante du vieillissement cérébral/cognitif s’impose plus que jamais ») : il s’agit de s’affranchir d’une approche réductrice qui envisage le vieillissement cérébral/cognitif en termes de catégories essentialistes et pathologisantes (des « maladies  spécifiques » comme la « maladie d’Alzheimer ») pour aller vers une approche qui réintègre les différentes manifestations de ces prétendues « maladies spécifiques » dans le cadre plus large du vieillissement, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs de risque (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie. Il s’agit donc de prendre en compte l’extrême complexité et les nuances infinies du vieillissement.

Après deux décennies d’échecs pharmacologiques, une meilleure répartition des financements s’impose, tant au plan de la recherche que de la prise en charge, en faveur des interventions psychologiques et sociales, ainsi que de la prévention, visant à retarder les aspects problématiques du vieillissement cérébral ou à en diminuer les effets.

Ces dernières semaines, des voix se sont clairement fait entendre (voir l’article de Jean-Yves Nau dans Slate : http://www.slate.fr/story/34417/alzheimer-medicaments-inutiles-meurtriers-remboursement) pour dénoncer le maintien sur le marché de médicaments « anti-Alzheimer » (Aricept/donezepil, Exelon/rivastigmine, Reminyl/galantamine et Ebixa ou Axura/mémantine) dont l’inefficacité ou la très faible efficacité et les effets secondaires (dont certains graves suite à une consommation à long terme) sont reconnus (la revue Prescrire en France a depuis 6 ans alerté les professionnels de la santé sur ce sujet).

Dans l’émission « Science Publique » de France Culture (http://www.franceculture.com/emission-science-publique-comment-les-medecins-prescrivent-ils-les-medicaments-2011-01-28.html ; extrait repris de Slate), Claude Leicher, président du syndicat de la médecine générale en France, relève : « […] Quand nous commençons à voir une personne commençant à avoir un déclin dans ses capacités cognitives et relationnelles, la famille nous interroge. Nous souhaitons que l’on ne mette pas ces patients sous traitement. Mais que se passe-t-il ? On fait un « bilan de mémoire » et on entre dans une chaîne dont nous, médecins généralistes traitants, n’arrivons plus à sortir. Car mettre en route un traitement, c’est lourd ; mais l’arrêter, c’est encore plus lourd. Nous avons des patients qui reviennent de l’hôpital avec des prescriptions de médicaments. Nous disons que ce n’est pas utile, pas efficace et que cela peut même être dangereux. Mais il est très difficile de convaincre que le rapport bénéfice/risque n’est pas en faveur de la prescription faite par un spécialiste […]. Nous devenons prisonniers de la prescription des spécialistes parce que les patients eux-mêmes sont devenus prisonniers de ces prescriptions. Il faut retirer ces médicaments du marché. »

Dans la même émission, Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire, indique : « Nous sommes ici très au-delà des limites acceptables. Ces médicaments ne sont pas des placebos. Ce sont des médicaments qui tuent. Certes, ils ne tuent pas toujours et pas tout de suite, mais ce sont des médicaments qui tuent comme le montrent les quelques études qui ont comparé les conséquences, au-delà des six ou neuf mois, de la prise de ces médicaments à celle d’un placebo. La maladie d’Alzheimer est souvent un drame et nous ne savons ni guérir ni prendre en charge d’un point de vue médicamenteux. Le placebo peut être utile. Mais un vrai placebo, qui n’a pas d’effets indésirables. » Et Bruno Toussaint d’ajouter : « Il faut qu’on sache que l’information des médecins spécialistes pour choisir des médicaments est encore plus sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques que celle des médecins généralistes. J’ai bien dit : la pression de ces firmes est encore plus forte chez les spécialistes. » 

Ainsi, comme le mentionne Claude Leicher : « Il y a beaucoup plus besoin d’un accompagnement des patients que d’une prescription médicamenteuse. » Dans cette perspective, il existe de nombreuses données indiquant que des interventions psychosociales centrées sur la vie quotidienne des personnes âgées, dans leur communauté de vie, peuvent optimiser leur qualité de vie, leurs interactions familiales et sociales, leur sentiment de contrôle et d’identité et leur insertion dans la communauté (voir par exemple nos chroniques « L’efficacité clinique de la revalidation cognitive individualisée chez des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique» ; « Un programme d’intervention participatif et communautaire destiné à des personnes présentant une " démence légère " et à leur proches »). Selon nous, cela passe par la mise en place de structures d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi insérées dans le milieu de vie des personnes âgées, c’est-à-dire des structures de soins primaires (en relation étroite avec le médecin généraliste), et non pas par le développement de Cliniques de la Mémoire spécialisées dans un contexte hospitalier (voir notre chronique « Une autre façon d’organiser les cliniques de la mémoire ? »).

Malheureusement, les interventions psychosociales, ainsi que les structures communautaires permettant de les appliquer, sont très loin d’être systématisées. Ainsi, dans un examen de la situation dans 12 pays d’Europe, Vasse et al. (2011) ont récemment montré qu’il n’existait des recommandations (« guidelines ») pour des interventions psychosociales que dans 5 pays et que, en particulier, rien n’avait été édicté en France, en Belgique et en Suisse. Par ailleurs, la qualité méthodologique de ces recommandation est très variable, les recommandations les plus détaillées, de plus grande qualité et visant une application dans la communauté locale, ayant été développées au Royaume-Uni. Il nous paraît essentiel que les psychologues francophones spécialisés en psychogérontologie clinique et appliquée se réunissent, avec d’autres professionnels, et proposent des recommandations d’interventions psychosociales, multiples, intégrées et empiriquement fondées (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »). Il serait également important que les psychologues spécialisés en psychologie appliquée et en psychologie sociale contribuent à l’élaboration de recommandations relatives aux stratégies à appliquer pour que les personnes mettent réellement en oeuvre les mesures de prévention visant à atténuer ou à différer les aspects les plus problématiques du vieillissement cérébral/cognitif  (voir nos chroniques « Comment présenter les messages de prévention aux personnes âgées ? » ; «  Pas d’Alzheimérologues mais des personnes (et notamment des psychologues) capables de prendre en compte la complexité du vieillissement cérébral, dans ses différentes dimensions »).

Plus généralement, ce changement de conception du vieillissement cérébral/cognitif doit aussi nous inviter à une réflexion sur nous-mêmes et sur la manière dont nous considérons le vieillissement (voir Whitehouse et al., 2011). En particulier, il doit nous conduire à ne plus considérer le monde comme étant divisé entre ceux qui ont la « maladie d’Alzheimer » et ceux qui ne l’ont pas, mais plutôt à penser que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral : cela peut contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à mettre en place des structures communautaires dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, pourront trouver des buts et un rôle social valorisant (voir à ce propos notre chronique présentant le projet « VIVA : Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement »). 

Dans ce contexte, il existe actuellement en France un débat intéressant concernant le projet de loi annoncé par le Président de la République Française sur la création d’un « cinquième risque » afin de prendre en charge la « dépendance ». Face à la proposition consistant à recourir au système d’assurance à caractère commercial  ou à obliger de souscrire à une assurance privée individuelle, un manifeste (élaboré par le « Collectif pour un vrai cinquième risque » ; http://collectif-pour-un-vrai-5eme-risque.over-blog.com/) vient d’être diffusé. Ce manifeste plaide, au nom d’une société solidaire, pour la création d’une nouvelle couverture de protection sociale ou « cinquième risque » (une prestation sociale universelle d’aide à l’autonomie, indépendamment de l’âge et de l’origine du besoin d’aide et de soin), dont le financement serait assuré principalement dans le cadre de la solidarité nationale (« Chacun participe selon ses moyens, tous ses moyens et chacun bénéficie selon ses besoins »). Ce financement doit être suffisant pour répondre aux besoins légitimes de toute personne en situation de dépendance, lui permettant de conserver sa dignité et d’être reconnue comme citoyen à part entière.

Ce manifeste, qui souhaite la reconnaissance d’un droit universel au maintien de l’autonomie, s’oppose à la stigmatisation du handicap quel que soit l’âge. En particulier, il indique combien il faut « changer le regard négatif et axé sur le coût du vieillissement qui en assimilant la vieillesse à la maladie, stigmatise doublement les personnes les plus âgées. Elles sont considérées comme autant de charges pour la société et pour lesquelles, les générations plus jeunes devraient s’apprêter à faire toujours plus de sacrifice » (voir également notre chronique « Les aînés : une ressource vitale pour la collectivité »).

Une réflexion très riche sur la question de la « dépendance » chez les personnes âgées a aussi été proposée par Daniel Carré sur son blog (voir « L’argent et la dépendance » ; http://mythe-alzheimer.over-blog.com/ext/http://www.mediapart.fr/club/blog/Daniel%20Carr%C3%A9). En conclusion de la première partie de son texte consacrée aux valeurs de référence et aux objectifs d’une réforme du financement de la dépendance des personnes âgée, Daniel Carré indique: « […] il est urgent de définir une politique nationale de prévention des conséquences du Vieillissement. Son objectif est d’établir les conditions pour que les personnes vieillissantes s’approprient les contraintes qu’entraîne leur vieillissement et construisent pour elles-mêmes le mode de vie qui maintiendra le plus longtemps l’autonomie. Il faut passer d’une politique pour les vieux à une politique définie avec les vieux eux-mêmes ! Puis développer et gérer les structures où le lien social, l’estime de soi, les capacités intellectuelles et physiques ne se dégradent pas ». Il examine ensuite les modalités possibles de financement de la dépendance (l’épargne, la solidarité et l’assurance) et montre clairement en quoi seul le système solidaire (constitué d’un socle commun universel) répond aux valeurs qui maintiennent la cohésion sociale.

Thomas Mattig, directeur de Promotion Santé Suisse, s’exprimant dans la rubrique « Opinions » du journal romand Le Temps (édition du 20.01.11), insiste pour sa part sur la nécessité de développer les mesures de prévention optimisant les chances de vivre une vieillesse en bonne santé sur les plans physique et psychique, des institutions offrant des conseils pratiques adaptés au 3e âge et surtout le besoin urgent de développer une politique nationale de la vieillesse, qui prenne en compte des dimensions transversales : « […] aménagement du territoire, politique du logement et mobilité en passant par les soins et la prise en charge des personnes âgées jusqu’aux relations intergénérationnelles. »

La conception du vieillissement cérébral/cognitif que nous défendons a fait l’objet de critiques, issues notamment des Associations Alzheimer, concernant les implications de cette conception pour la prise en charge et le remboursement des soins aux personnes âgées présentant une « démence ». Plus spécifiquement, il nous a été reproché que, en interprétant la « démence » par l’avancement en âge et l’influence de facteurs de risque et ainsi en refusant les critères diagnostiques médicaux traditionnels, on faisait courir aux personnes âgées présentant une « démence » le risque que leurs problèmes ne soient pas pris en charge par le système de soins de santé. A ces critiques, nous avons répondu que nous devrions avoir assez d’imagination collective (politique) pour élaborer des critères qui prennent en compte toute la complexité et les nuances du vieillissement cérébral, tout en garantissant des soins et des lieux d’hébergement de qualité à toutes les personnes âgées qui en ont besoin, et ce sans quelles soient confrontées à la stigmatisation, à la marginalisation et à la peur que suscite l’approche biomédicale « moléculaire ». Il nous paraît donc inadmissible de maintenir un système de catégorisation médicale du vieillissement cérébral/cognitif, qui est à la fois scientifiquement contestable et socialement stigmatisant, au seul motif que les critères diagnostiques qu’il a développés sont utilisés comme critères pour la prise en charge et le remboursement des soins.

La proposition d’une nouvelle couverture de protection sociale universelle d’aide à l’autonomie, indépendante de l’âge et de l’origine du besoin d’aide et de soin, nous paraît constituer une réponse adéquate aux aspects problématiques, multidéterminés, du vieillissement cérébral/cognitif, et ce en évitant sa médicalisation (sa pathologisation). Un défi important soulevé par cette proposition est d’élaborer des critères d’évaluation de la perte d’autonomie qui ne soient pas fondés sur les critères réducteurs de l’approche biomédicale actuellement dominante. Dans ce domaine également, les psychologues devraient être impliqués, en lien avec d’autres professionnels issus de diverses disciplines.

Dans ce travail de réflexion sur ce qui caractérise la perte d’autonomie, on ne pourra pas faire l’impasse sur la dimension politique de la « démence ». Dans notre chronique « Vers une approche politique de la démence : la question du pouvoir », nous avons décrit la conception de Behuniak (2010), qui propose de considérer les personnes avec « démence » comme des personnes vulnérables. Selon Behuniak, une personne vulnérable est quelqu’un qui peut, parfois, avoir besoin de protection ou de soins particuliers, sans que cela ne la prive de ses droits, de sa dignité, de sa citoyenneté ou de son humanité. De plus, cette conception de la vulnérabilité met en avant les liens qui nous relient aux autres, dans la mesure où nous sommes tous susceptibles de devenir vulnérables et que nous partageons tous la responsabilité de répondre aux besoins de personnes vulnérables. Tel qu’utilisé par Behuniak, le concept de vulnérabilité met l’accent sur la qualité des relations plutôt que sur l’autonomie, sur la responsabilité plutôt que sur les droits et sur le pouvoir « avec » plutôt que le pouvoir « sur ». Plus globalement, le modèle politique de la « démence » proposé par Behuniak permet d’envisager la personne « démente » comme une personne légale, avec son identité individuelle, et de considérer qu’elle demeure un membre de la communauté, ayant droit à être aidée et soignée avec compassion.

 

solidarite.jpg Behuniak, S.M. (2010). Toward a political model of dementia: Power as compassionate care. Journal of Aging Studies, 24, 231-240.

Vasse, E., Vernooij-Dassen, M., Cantegreil, I., Franco, M., Dorenlot, P., Woods, B., & Moniz-Cook, E. (2011). Guidelines for psychosocial interventions in dementia care: a European survey and comparison. International Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse

Whitehouse, P.J., George, D.R., & D’Alton, S. (2011). Describing the dying days of “Alzheimer’s disease”. Journal of Alzheimer’s Disease, sous presse.  

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