Résumé
Les prédictions concernant le nombre de personnes vivant avec une « démence » à l’horizon 2050 suscitent de fréquentes annonces alarmistes prévoyant un « tsunami » de cas de « démences », qui submergerait les familles et les systèmes de soins de santé et qui imposerait un fardeau économique insupportable à la société. Afin de prévenir cette « crise de la démence », la position biomédicale dominante considère qu’il faut placer tous ses efforts sur le diagnostic et le traitement précoces, ainsi que sur l’application des outils de la neuroscience clinique, afin d’identifier les moyens de différer et, finalement, de guérir la « démence ».
Cet espoir mis dans l’approche neuroscientifique s’inscrit parfaitement dans le contexte de la « neuro-culture » qui gouverne ce début de 21e siècle. Cette neuro-culture conduit à une réduction des comportements, des croyances, des compétences à leurs seuls déterminants biologiques. En outre, elle amène à penser qu’il faut traiter, gérer, protéger, stimuler ou accroître les capacités (cognitives) du cerveau, afin d’améliorer ou d’optimiser la condition humaine et ce, dans une sorte de « fétichisation » du cerveau. Cela correspond bien aux principes du néo-libéralisme, qui attribuent une valeur primordiale au rendement, à l’efficacité, à la compétition et à l’individu. Par ailleurs, dans cette neuro-culture, l’efficacité de la mémoire est considérée comme un facteur social indispensable (pour vivre dans une société « hyper-cognitive ») et les difficultés de mémoire sont donc logiquement perçues comme un indicateur du passage vers un « quatrième âge » fait de déclin et de dépendance, un état qui est l’antithèse de l’individu compétent et efficace que promeut cette culture.
Néanmoins, diverses voix se font entendre, indiquant en quoi il importe de s’affranchir de cette neuro-culture et de la médicalisation / neurobiologisation du vieillissement qu’elle a induit. Il s’agit de prendre réellement en compte les facteurs sociaux, environnementaux et culturels impliqués dans la survenue des manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, en considérant que ces manifestations sont aussi le signe des dysfonctionnements de notre société et de notre manière de vivre. De façon plus spécifique, des changements sont également observés dans la conceptualisation de la mémoire des événements personnels, qui permettent d’aborder les difficultés de mémoire associées au vieillissement cérébral/cognitif problématique dans une perspective moins réductrice et de ne pas restreindre l’oubli à sa dimension pathologique.
Les prédictions concernant le nombre de personnes vivant avec une démence à l’horizon 2050 (voir, p. ex., Hebert et al., 2013) suscitent de fréquentes annonces alarmistes prévoyant un « tsunami » de cas de « démences », qui submergerait les familles et les systèmes de soins de santé et qui imposerait un fardeau économique insupportable.
Afin de prévenir cette « crise de la démence », la position biomédicale dominante considère qu’il faut placer tous ses efforts sur le diagnostic et le traitement précoces, ainsi que sur l’application des outils de la neuroscience clinique afin d’identifier les moyens de différer et finalement de guérir la « démence ».
L’influence de la neuro-culture
Cet espoir mis dans l’approche neuroscientifique s’inscrit parfaitement dans le contexte de la « neuro-culture » qui gouverne ce début de 21e siècle et que divers sociologues ont bien analysée (voir Williams, Higgs, & Katz, 2012). L’influence de cette neuro-culture ne se mesure pas seulement au pouvoir qu’ont pris les neurosciences dans la recherche et la pratique clinique (avec, notamment, une mise en question croissante de la légitimité des niveaux d’analyse psychologique et sociologique, ainsi qu’une focalisation grandissante sur les traitements psychopharmacologiques), mais aussi au développement de multiples « neuro-disciplines » hybrides (neuro-économie, neuro-marketing, neuro-éducation, neuro-didactique, neuro-esthétique, neuro-politique, neuro-droit, neuro-théologie, neuro-éthique, etc.), de produits visant à améliorer le fonctionnement cérébral (stimulants cérébraux ou « neuroceuticals »), de technologies d’optimisation ou de compensation cérébrale (« brain fitness technology industry », « neuro-prothèses ») ou d’objectifs sociaux (« neuro-diversité »).
Ainsi, le réductionnisme cérébral et plus largement neurobiologique est devenu une pensée dominante. Comme l’indiquent Guillaume, Tiberghien et Baudouin (2013), ces neuro-disciplines, neuro-produits et neuro-objectifs conduisent à réduire les comportements, les croyances, les compétences à leurs seuls déterminants biologiques. Ils font oublier que « […] notre vie psychique est aussi le produit de nos apprentissages, de notre trajectoire biographique, des caractéristiques socioculturelles et du milieu dans lequel on évolue ».
La neuro-culture fait aussi espérer en la possibilité de traiter, gérer, protéger, stimuler ou accroître les capacités (cognitives) du cerveau et, dès lors, d’améliorer ou d’optimiser la condition humaine. Il s’agit d’accroître la santé cérébrale (« neurobics »), tout comme l’activité physique (« aerobics ») peut améliorer la santé pulmonaire et cardiovasculaire. On assiste en fait à une sorte de « fétichisation » du cerveau, lequel est perçu comme une entité privilégiée, distincte, que les individus sains doivent constamment stimuler, recâbler, reconstruire, nourrir et dont ils doivent s’occuper s’ils veulent se maintenir mentalement en bonne santé et conserver leur identité (George & Whitehouse, 2011). Cela correspond bien aux principes du néo-libéralisme, qui attribuent une valeur primordiale au rendement, à l’efficacité, à la compétition et à l'individu, lequel est considéré comme ayant une propension intrinsèque à l’autosuffisance et à la protection de son individualité (sa vérité fondamentale), plutôt que des besoins plus vastes de la communauté (voir notre chronique « La stimulation cognitive ou l’engagement social ? »).
De façon plus spécifique, la neuro-culture a conduit à considérer l’efficacité de la mémoire comme un facteur social essentiel (voir Katz & Peters, 2008) : en effet, de bonnes capacités mnésiques sont vues comme indispensables pour vivre dans une société « hyper-cognitive » ou une « société de l’information » (les technologies pouvant en outre offrir des possibilités nouvelles de « stockage mnésique »). Par ailleurs, les difficultés de mémoire sont perçues comme un indicateur du passage vers un « quatrième âge » fait de déclin et de dépendance, un état qui est l’antithèse de l’individu compétent et efficace que promeut la « neuro-culture » (le vieillissement cérébral/ cognitif problématique ou la « démence » faisant ainsi l’objet de visions apocalyptiques). L’émergence du concept de « Mild Cognitive Impairment » (MCI ; trouble cognitif léger, voir notre chronique « Le "trouble cognitif léger" ou "mild cognitive impairment" : une flagrante myopie intellectuelle ») s’inscrit bien dans une telle conception : il s’agit en effet d’identifier le plus précocement possible les signes avant-coureurs du déclin cognitif et les moyens (pharmacologiques ou autres) de l’enrayer. Cela s’inscrit dans le cadre plus général d’une médicalisation croissante du vieillissement, ayant conduit au développement de la médecine « anti-aging » (anti-vieillissement).
S’affranchir de la neuro-culture !
Dans un article récemment paru dans la revue « Neurology » et intitulé « La culture humaine et le futur de l’épidémie de démence : Crise ou croisée des chemins ? », Whalley et Smyth (2013) indiquent en quoi les facteurs culturels et sociaux (facteurs autres que ceux en lien avec les apports de la recherche biomédicale de laboratoire) ont, historiquement, contribué à la diminution de l’incidence des maladies graves. Ces facteurs incluent, entre autres, l’amélioration des conditions sociales et de l’alimentation ainsi que les changements dans le style de vie.
En exergue de leur article, Whalley et Smyth ont placé une citation de Rudolph Virchow, célèbre médecin allemand et l'un des pères de la médecine sociale : « Les épidémies apparaissent et souvent disparaissent sans laisser de trace, à la suite d’une évolution culturelle… L’histoire des épidémies est dès lors l’histoire des perturbations de la culture humaine. ». Dans cette perspective, Whalley et Smith considèrent que nous sommes à la croisée des chemins dans la compréhension de la prévalence et de l’incidence de la « démence » et des moyens d’y faire face.
Dans la ligne de Virchow, il s’agirait de prendre réellement en compte les facteurs sociaux, environnementaux et culturels impliqués dans la survenue des manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, en considérant que ces manifestations sont aussi le signe des dysfonctionnements de notre société et de notre manière de vivre.
Comme le relève Zelig (2013), la « démence » peut être considérée comme une image de notre société (une métaphore culturelle), « révélant ce que nous sommes réellement ». Elle nous conduit à considérer les similitudes entre la manière dont nous vivons (dans une société extrême, « démente ») et la façon qu’a la personne ayant reçu un diagnostic de « démence » d’aborder le monde : un monde qui valorise l’efficacité, l’individualisme et l’acquisition incessante d’habiletés cognitives au détriment de la compassion, de la solidarité et de la «mémoire de notre humanité partagée ». Elle constitue ainsi un prisme au travers duquel nous pouvons voir plus clairement l’état de notre société et la nécessité de la faire évoluer (voir également notre chronique « Déclin cognitif chez les personnes âgées, style de vie contemporain et accumulation de médicaments »).
Dans un article à paraître en parallèle dans le « Journal of Alzheimer’s Disease » et le « Journal of Intergenerational Relationships » (une publication ayant pour but d’établir un pont entre les deux lectorats, qui a été approuvée par les éditeurs et a fait l’objet d’une expertise par les pairs), Whitehouse (2013) revient sur les limites de l’approche biomédicale dominante de la « maladie d’Alzheimer » et en appelle lui-aussi à une autre approche de ce qu’il intitule les « défis cognitifs associés à l’âge ». Cette approche, intégrative, viserait à rétablir l’équilibre entre un point de vue biomédical (assumant réellement la complexité du vieillissement cérébral et cognitif) et les perspectives sociale, environnementale et culturelle.
Une telle approche mettrait notamment l’accent sur les relations intergénérationnelles et le développement de structures nouvelles d’enseignement (favorisant l’apprentissage tout au long de la vie, l’apprentissage par le service à la communauté, l’esprit civique, l’implication des personnes âgées ; voir pour exemple l’école intergénérationnelle que Peter Whitehouse a mise en place à Cleveland [lien]), mais aussi sur les actions sociales, environnementales et de santé publique permettant de réduire les facteurs de risque modifiables de vieillissement cérébral/cognitif au niveau psychologique, social, environnemental et en lien avec le style de vie. Il s’agirait de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve son potentiel de vitalité, son identité et sa place dans la communauté : une société qui serait d’ailleurs bénéfique à chacun d’entre nous quel que soit notre âge ! Whitehouse insiste sur le fait qu’une telle approche intégrative, s’affranchissant d’une conception neurobiologisante réductrice, est tout aussi essentielle pour les difficultés cognitives rencontrées par des personnes plus jeunes, comme, par exemple, les difficultés attentionnelles et d’apprentissage pouvant être observées chez certains enfants (voir aussi Timimi & Leo, 2009, nous incitant à penser autrement le THADA ou Troubles Hyperactifs avec Déficit d’Attention ; voir également notre chronique « L’efficacité des antidépresseurs : un autre mythe à démonter ! »).
La mémoire des événements personnels : un processus constructif et incarné
La neuro-culture (en lien avec la société « hypercognitive ») a contribué à renforcer la neurobiologisation (la « chosification ») de la mémoire, mais aussi à appuyer l’idée selon laquelle l’efficacité continue de la mémoire est la garantie du maintien de l’identité personnelle rationnelle. L’oubli est dès lors envisagé comme une manifestation essentiellement pathologique, consécutive à un dysfonctionnement cérébral contre lequel il faut agir (voir Katz, 2012 ; Katz & Peters, 2008).
Or, ces dernières années, des changements importants ont été observés dans la conceptualisation de la mémoire des événements personnels (voir le modèle « Self-memory system » de Conway, 2005 ; voir également Lardi & Van der Linden, 2012, et notre chronique « Une approche moins réductionniste des difficultés de mémoire épisodique et autobiographique »). Ces changements nous paraissent à même de conduire à une approche moins réductionniste (moins focalisée sur l’impact de dysfonctionnements cérébraux) des difficultés de mémoire associées au vieillissement cérébral/cognitif problématique. Ils ont notamment été suscités par la nécessité de rendre compte des liens étroits que la mémoire des événements personnels entretient avec l’identité. En effet, la mémoire autobiographique joue un rôle fondamental dans la construction d’un sentiment d’identité et de continuité de l’existence.
Par ailleurs, la mémoire autobiographique n’est pas un enregistreur passif qui conserve chaque événement de notre vie quotidienne. En effet, seuls sont maintenus aisément accessibles les événements spécifiques qui sont en lien avec nos buts et nos valeurs. En outre, les souvenirs d’événements personnels ne constituent pas une représentation parfaitement exacte de la réalité. Nous mettons en mémoire et nous récupérons les composantes d’un événement qui correspondent au mieux à la conception que nous avons de nous-mêmes ou du monde. Dans certains cas, les souvenirs peuvent même être déformés, afin d’être plus en phase avec nos buts et nos valeurs. En d’autres termes, nos souvenirs sont façonnés par ce que nous sommes et par ce que nous avons été amenés à penser, imaginer et croire.
Il est de plus nécessaire de prendre en compte les deux exigences complémentaires auxquelles doit pouvoir répondre la mémoire des événements personnels. D’une part, il s’agit de mettre en mémoire et d’avoir accès à un enregistrement (proche de l’expérience vécue) de l’action en cours et ce, notamment, afin de ne pas répéter cette action et de pouvoir réaliser les suivantes (nos buts à court terme) : c’est la fonction de correspondance de la mémoire des événements personnels. D’autre part, nous devons pouvoir disposer aisément de connaissances et de souvenirs personnels qui nous informent sur nos buts et valeurs actuels et qui guident notre action sur le long terme : c’est la fonction de cohérence de la mémoire des événements personnels.
Dans cette perspective, il apparaît qu’un bon fonctionnement psychologique dépend d’un équilibre optimal entre la fonction de correspondance de la mémoire (pouvoir garder des souvenirs proches du réel sans être submergé par eux, ce qui perturberait le travail de construction et de sélection des souvenirs et donc la construction de l’identité) et la fonction de cohérence de la mémoire (avoir accès aux souvenirs qui correspondent à nos buts, valeurs et croyances, en évitant que notre vision du passé ne soit asservie par des croyances dysfonctionnelles). La nécessité d’un tel équilibre a particulièrement bien été mise avant par Hans Loewald, psychanalyste allemand (émigré aux Etats-Unis), qui a élaboré, en 1976, une conception de la mémoire très similaire au modèle cognitif élaboré par Conway (2005 ; pour une présentation de la conception de Loewald, voir Singer & Conway, 2011).
Une telle approche donne à l'oubli un rôle dans la construction et la mise à jour de l'identité et ne le limite donc pas à sa dimension pathologique. Cette approche s'éloigne également d'une conception de la mémoire en termes de rendement et d'efficacité. Par ailleurs, elle suggère que les difficultés de mémoire des événements personnels liées à l'âge ne peuvent être réduites à une atteinte cérébrale prétendue ou objectivée. Le fonctionnement de la mémoire des événements personnels d’une personne âgée peut, en effet, être modulé par divers facteurs en lien avec son identité et le contexte social dans lequel elle vit, tels qu’une conception négative de soi (des stéréotypes négatifs ou un faible sentiments d'auto-efficacité), des stratégies de coping visant à éviter les informations menaçant l’image de soi ou qui contredisent les buts et les valeurs, des changements dans les valeurs et buts, des changements dans le contexte de vie, l’absence de buts et de contrôle sur sa vie, un environnement routinier (sans événements qui ont un sens), etc.
Il est un autre aspect de la mémoire qui mérite d’être mis en avant, car il permet d’élargir le regard que l’on porte sur les personnes présentant une « démence » et de réfuter l’idée selon laquelle ces personnes se caractériseraient par une perte d’identité. Plusieurs auteurs (voir Wilson, 2002) suggèrent que la mémoire et, plus largement, les activités cognitives, sont profondément enracinées dans les interactions du corps avec le monde. Autrement dit, la cognition s'incarne dans le corps et est située dans un environnement : on parle ainsi de « cognition incarnée » et « située ». Plus spécifiquement, nos représentations les plus abstraites (y compris la représentation que l’on a de soi ou notre identité) seraient largement déterminées par la réactivation de nos expériences perceptives, émotionnelles ou motrices.
Dans ce contexte, il a été suggéré que l’identité des personnes présentant une « démence » (et d’importants problèmes cognitifs) pourrait se manifester par le corps (à un niveau pré-réflexif), dans les relations qu’il entretient avec le monde, relations installées sous l’influence de divers facteurs sociaux et culturels (voir Kontos & Martin, 2013). Ainsi, l’identité de ces personnes pourrait s’exprimer via diverses manifestations de la communication non-verbale (expression faciale, gestualité, etc.), les préférences alimentaires et la manière de manger, la façon de s’habiller et le soin accordé à son apparence, etc. En outre, les habits, la nourriture, les habitudes en lien avec la toilette, etc., pourraient contribuer au maintien d’un sentiment de continuité personnelle et susciter l’accès à certains souvenirs personnels. Nous reviendrons sur cette question dans une de nos prochaines chroniques, en examinant notamment les implications d’une telle approche pour les pratiques de soin et l’environnement de vie des personnes présentant une « démence ».
Conclusion
Whitehouse (2013) a adopté la formulation de « défis cognitifs liés à l’âge » pour dénommer les aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, car un défi, cela se relève et cela peut même, dans certains cas, constituer une source de développement. Le défi que nous avons à relever implique de s’affranchir d’une approche biomédicale réductrice, nourrie par la neuro-culture ambiante, et de s’engager plutôt dans une approche qui intègre les dimensions neurobiologiques du vieillissement (dans toute leur complexité), mais aussi ses dimensions psychologiques, sociales, culturelles et environnementales.
La « démence » et la manière dont nous nous comportons avec les personnes qui ont reçu ce diagnostic nous donne une image claire de l’état de notre société et nous indique en quoi il est indispensable de la faire évoluer. Ainsi, défendre une autre manière d’aborder le vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi s’engager pour un autre type de société !
Une étude récente (Qiu et al., 2013) a montré que la prévalence globale de la « démence », au sein de l’île de Kungsholmen (au centre de Stockholm), était restée constante entre 1987-1994 et 2001-2008 et que la survie (avec et sans démence) était plus longue dans la cohorte évaluée en 2001-2008. Les auteurs ont considéré que la stabilité de la prévalence de la démence, ainsi que l’amélioration de la survie, pouvaient être le reflet d’une diminution de l’incidence de la démence. En étant bien conscients que leurs données ne permettent pas de déterminer un lien de causalité, ils suggèrent néanmoins que l’incidence de la démence pourrait avoir diminué du fait de la réduction de multiples facteurs de risque vasculaire entre 1987 et 2008 ainsi que d’une amélioration du niveau d’éducation, d’un accès plus grand à des emplois et loisirs cognitivement complexes et d’un accroissement de l’activité physique. Les auteurs reconnaissent néanmoins que le statut socio-économique de la population de Kungsholmen est le plus élevé de Suède, ce qui limite la généralisation des données obtenues (voir notre chronique « Des facteurs socio-économiques défavorables, tout au long de la vie, sont associées à un risque accru de démence »).
Cette étude engendre un certain optimisme quant au rôle bénéfique que pourraient jouer des politiques publiques focalisées sur divers facteurs de risque de « démence » (voir également notre chronique « Une diminution de la prévalence de la démence et une compression de la période de morbidité cognitive de 1993/1995 à 2002/2004 aux Etats-Unis »). Il s’agirait cependant de confirmer les résultats de cette recherche sur d’autres cohortes et dans d’autres pays. On peut en outre s’interroger sur l’impact négatif qu’aura la crise économique/financière actuelle (qui laisse un nombre important de personnes dans un état de grande précarité, avec le stress et la dépression qui s’ensuivent) sur le vieillissement cérébral/cognitif. L’augmentation de la prévalence du diabète de type 2 et du syndrome métabolique (obésité abdominale, hypertriglycéridémie, taux HDL/cholestérol bas, élévation de la glycémie et hypertension) dans le monde, y compris dans les pays émergents, constitue également un élément perturbant, mais qui pourrait aussi être la cible de politiques publiques de prévention (voir notre chronique « Repérer et traiter le diabète de type 2 pour différer la démence: l’importance d’une approche globale »).
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