Dans un article publié sur son blog (http://tribune-age.over-blog.com/), Richard Lefrançois (retraité et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, sociologue et gérontologue) s’en prend vigoureusement aux chantres du néolibéralisme qui prennent les personnes âgées comme boucs émissaires de nos malheurs et qui énumèrent la liste des scénarios-catastrophes associés au vieillissement démographique : escalade des dépenses de santé, réduction du panier de soins, effondrement des régimes de retraite, conflit intergénérationnel, ralentissement de la croissance économique, chute importante de la productivité et de la créativité, avènement du pouvoir gris…
Sans adopter une approche triomphaliste qui, par exemple, verrait dans le développement des nouvelles technologies la solution à tous les problèmes (voir notre chronique « Vieillir en bonne santé: L’enthousiasme biotechnologique et biomédical de Patrick Aebischer, président de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne »), Richard Lefrançois montre en quoi l’implication sociale accrue des aînés est bénéfique à toute la collectivité, via leur apport en tant que «bénévoles, personnes soutien, mentors, dépositaires de notre héritage et gardiens de nos traditions ». Cet apport est d’autant plus important que « la société postmoderne lamine les valeurs fondamentales, dissout les repères identitaires, érode les acquis sociaux, se dérobe devant ses responsabilités et abdique face à l’avenir après avoir enterré le passé ». Selon lui, la prochaine génération de retraités contribuera également à dynamiser l’économie, notamment en suscitant le développement de produits (y compris de technologies) mieux adaptés à ces personnes, ainsi que la mise en place de services de proximité susceptibles de créer de l’emploi et d’intensifier la solidarité au sein de la communauté.
Ainsi, plutôt que de les dénigrer, il s’agirait de renforcer le potentiel des aînés, de briser leur isolement et de lever les obstacles qui compromettent leur participation citoyenne (et nous ajouterions, « même quand ils présentent un vieillissement cérébral/cognitif problématique »). Richard Lefrançois ajoute que « des retraités mieux informés, aguerris, autonomes et en santé pendant de longues années représentent un actif indéniable pour la société» et que, dès lors, il importe « d’investir davantage pour préserver le plus longtemps possible leur santé et de les valoriser en reconnaissant leur contribution ». Cette conception, qui voit dans les aînés une ressource vitale plutôt qu’un fardeau, impose aussi de s’affranchir des pièges du mirage postmoderne, à savoir « le consumérisme débridé, la performance narcissique, l’exaltation illusoire dans les jeux de hasard et l’épanouissement de soi au détriment de la solidarité ».
Dans un article récemment publié dans le journal romand « Le Temps » (« Opinions », dans l’édition du 20 janvier 2011), Thomas Mattig, directeur de Promotion Santé Suisse, insiste sur la nécessité de lancer en Suisse une politique nationale visant à promouvoir la santé des aînés via la mise en place de mesures de prévention et de structures de conseil. Il montre également en quoi cette politique doit avoir un caractère transversal, touchant de nombreux secteurs : aménagement du territoire, politique du logement et mobilité en passant par les soins et la prise en charge des personnes âgées jusqu’aux relations intergénérationnelles. Il conclut en insistant sur le fait qu’une vieillesse en bonne santé amènera à des économies, mais qu’en plus de l’argument pécuniaire, il s’agit aussi de considérer qu’ « avec l’âge se développent des qualités bénéfiques pour notre société », un capital-vieillesse dont il faut prendre soin.
Selon nous, la mise en place de mesures visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé et leur autonomie passe par le développement de projets et de structures insérés dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Il s’agit donc d’envisager la personne dans son cadre de vie, en prenant en compte la signification et les implications des interventions pour la communauté (voir nos chroniques « Quand une absence d’efficacité d’un plan de soin destiné à des personnes ayant reçu le diagnostic de la soi-disant maladie d’Alzheimer n’étonne pas... » ; « Une autre façon d’organiser les cliniques de la mémoire ? ».
Notons enfin que l’efficacité des interventions intégrées dans la communauté devrait idéalement être explorée au moyen de méthodologies adaptées, comme la recherche-action participative, dans laquelle les intervenants et les personnes âgées cherchent un terrain d’entente dans la définition du problème et dans l’identification de l’action qui en découlera, tout en faisant preuve de réalisme dans les attentes, en fonction du contexte (voir notre chronique « Un programme d’intervention participatif et communautaire destiné à des personnes présentant une démence légère et à leurs proches »).
Dans une prochaine chronique, nous décrirons les actions communautaires, préventives, intergénérationnelles et d’information que nous avons entreprises dans le cadre de l’Association VIVA (Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement), association que nous avons créée à Lancy, une commune de la périphérie genevoise de près de 30'000 habitants.
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