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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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8 juillet 2011 5 08 /07 /juillet /2011 06:46

Les difficultés psychologiques et comportementales observées dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence »), ainsi que les mécanismes qui les sous-tendent, peuvent considérablement varier d’une personne à l’autre (voir p. ex., notre chronique « Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées »). Il s’ensuit que les interventions psychologiques proposées à ces personnes doivent être individualisées, c’est-à-dire taillées sur mesure en fonction de leurs difficultés spécifiques (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral cognitif problématique ? »).  

 

Il existe cependant encore peu de travaux ayant exploré l’efficacité d’une démarche individualisée d’intervention (voir cependant la recherche de Clare et al., 2010, décrite dans notre chronique « L’efficacité clinique de la revalidation cognitive individualisée chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Un exemple d’intervention psychosociale individualisée a également été fourni par Cohen-Mansfield, Libin et Marx (2007) et ce dans le domaine des comportements d’agitation fréquemment observés chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » et vivant dans une structure d’hébergement à long terme.

 

L’étude de Cohen-Mansfield et al. : contexte général

 

Le terme d’« agitation » renvoie à une variété de comportements considérés comme inappropriés, tels que des actions répétitives, des comportements qui s’écartent des normes sociales ou encore des conduites agressives envers soi ou autrui. Ces comportements d’agitation ont été associés à de multiples facteurs, incluant des déficits cognitifs, l’environnement physique et social, certaines expériences personnelles passées, l’état médical, la dépression et l’isolement social. Trop souvent encore, les interventions visant les manifestations d’agitation se fondent sur l’entrave physique (la contention) et le traitement pharmacologique, en dépit du caractère inhumain des conséquences de la contention et des effets secondaires graves liés aux médicaments (voir nos chroniques « La prescription fréquente de médicaments psychotropes aux personnes ayant reçu le diagnostic de démence : une atteinte inacceptable à leurs droits » et « Les antipsychotiques atypiques aggravent les difficultés cognitives des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »). Par ailleurs, aucune de ces interventions ne prend réellement en compte les facteurs qui sous-tendent l’agitation et plus particulièrement les besoins non satisfaits des personnes agitées (douleur, sentiment de solitude ou d’isolement, privation sensorielle, ennui).

 

Cohen-Mansfield et al. (2007) ont examiné l’efficacité d’interventions non pharmacologiques, en se basant sur l’approche « Treatment Routes for Exploring Agitation » (TREA). Cette approche se fonde sur un cadre théorique et méthodologique permettant d’élaborer des interventions individualisées, associées aux besoins non satisfaits des personnes agitées. Les besoins et les préférences des personnes agitées sont identifiés via le recueil de données auprès des aidants professionnels et des proches aidants et par l’observation du comportement et de l’environnement de la personne agitée. Il s’agit en fait d’un arbre décisionnel qui guide les intervenants dans les étapes à suivre pour explorer et identifier les besoins non satisfaits contribuant aux comportements d’agitation.

Ainsi, par exemple, des recherches antérieures ont montré que l’agitation verbale (p. ex,. crier, se plaindre) était associée à la présence d’une douleur physique ou d’un état d’inconfort, au besoin de contact social, à l’ennui et au besoin de stimulation, à la présence d’hallucinations, à la dépression (et au besoin de plus de sentiment de contrôle, ainsi que de plus de stimuli renforçants) ou encore à une mauvaise interprétation de la situation. En fonction des besoins non satisfaits identifiés, l’intervention pourra viser à traiter la douleur ou le sentiment d’inconfort, à accroître les interactions sociales, à identifier des activités ayant une signification pour la personne, à contrôler la vision/l’audition et à confronter la personne à des objets/personnes familiers, à offrir des choix et proposer des tâches qui permettent d’augmenter le sentiment de contrôle, ainsi qu’à améliorer la communication et la compréhension des indices situationnels. Par contre, l’agitation physique non agressive (p. ex., avoir des mouvements répétés, arpenter) semble être associée à d’autres facteurs, tels que l’effet secondaire d’un antipsychotique (akathisie ou sentiment d’être agité intérieurement et grande difficulté à rester assis ou debout calmement), la recherche de son domicile, la recherche de quelque chose et de quelqu’un ou encore le besoin d’activité ou d’exercice. En fonction des facteurs impliqués dans l’agitation physique et du caractère plus ou moins perturbant du comportement d’agitation (pour la personne elle-même, au plan émotionnel, et pour les autres), différents types d’interventions pourront aussi être proposées.

 

En résumé, les principes généraux de cette approche TREA sont :

* essayer de comprendre l’étiologie des comportements d’agitation à partir d’un examen individualisé ;

* différents types de comportements d’agitation ont des étiologies différentes et requièrent différents types d’intervention ;

* en développant un projet d’intervention, il faut capitaliser sur les capacités préservées de la personne, tout en tenant compte de ses déficits (sensoriels, cognitifs et moteurs) ;

* les caractéristiques propres à chaque personne (profession antérieure, hobbies, relations personnelles importantes, sentiment d’identité) doivent être explorées, afin de faire correspondre au mieux l’intervention avec ses préférences actuelles et passées ;

*la prévention, la capacité de s’adapter aux circonstances et la flexibilité constituent les éléments essentiels de l’intervention.

 

L’étude de Cohen-Mansfield et al. : procédure et résultats

 

Cohen-Mansfield et al. (2007) ont exploré l’efficacité de cette approche individualisée en la comparant à une intervention de contrôle (placebo), auprès de personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » et vivant dans une structure d’hébergement à long terme. Les personnes présentant des comportements agressifs n’ont pas été incluses dans cette recherche, dans la mesure où les conduites agressives ont fréquemment une étiologie différente des comportements d’agitation verbale et physique et exigent dès lors une approche différente. 

 

L’approche individualisée a appliqué le protocole TREA, qui permet de déterminer des interventions spécifiques à chaque personne à partir des données issues des évaluations d’un gériatre, des observations directes, des évaluations psychosociales auprès des proches et des entretiens avec le personnel. Cette approche a été proposée à 89 personnes âgées (âge moyen : 86 ans ; MMSE moyen : 7.26)  résidant dans 6 structures d’hébergement à long terme. Les interventions individualisées ont été administrées à chaque participant durant la période d’agitation la plus forte, telle que déterminée lors d’une évaluation initiale.

L’intervention de contrôle a concerné 78 personnes (âge moyen : 85 ans ; MMSE moyen : 6.88) résidant dans 6 autres structures d’hébergement à long terme (comparables à celles des participants de l’approche individualisée). Elle consistait en une présentation éducative aux membres du personnel de chaque structure d’hébergement des différents types de manifestations d’agitation, de leurs étiologies et des possibles traitements non pharmacologiques : cette situation de contrôle a été choisie, car il a précédemment été montré qu’une présentation éducative de ce type n’affectait par la pratique des membres du personnel. Il faut noter que les deux groupes de participants ne différaient pas quant aux variables démographiques, aux diagnostics et à la médication.

 

Les comportements d’agitation ont été évalués via l’observation directe à partir de l’ « Agitation Behavior Mapping Instrument » (un accord de 95% a été obtenu, sur un sous-groupe de participants, entre l’observation directe et l’observation sur vidéo). La mesure utilisée dans les analyses était le score global d’agitation (regroupant l’agitation verbale et l’agitation physique non agressive). Les affects positifs et négatifs (plaisir, intérêt, colère, anxiété et tristesse) ont également été identifiés via l’observation directe, à partir du « Lawton’s Modified Behavior Stream » (un accord de 85% a été obtenu, sur un sous-groupe de participants, entre l’observation directe et l’observation sur vidéo). Les observations de l’agitation et des affects ont été enregistrées via un ordinateur Palm Pilot m100.

Lors de l’évaluation initiale (préalable aux interventions), chaque participant a été observé pendant 3 jours consécutifs, une fois toutes les demi-heures, de 8 heures du matin à 9 heures du soir, à raison de 3 minutes par observation : en moyenne, 72 observations par participants ont été obtenues. Sur la base de ces données, une période de pic d’agitation d’une durée de 4 heures a été identifiée pour chaque participant.

Les interventions individualisées ont ensuite été menées pendant 10 jours consécutifs. Par ailleurs, l’évolution des comportements d’agitation et des affects a été explorée via des observations réalisées lors du pic d’agitation de 4 heures et ce pendant les 3 premiers et les 3 derniers jours des interventions. Les mêmes jours d’observations ont été établis pour la situation de contrôle.

 

Les résultats des analyses (prenant le score au MMSE comme covariable) montrent une diminution significativement plus importante de l’agitation dans le groupe « interventions individualisées » que dans le groupe de contrôle. Il en va de même pour les scores d’intérêt et de plaisir (aucun changement n’étant observé pour les affects négatifs). La condition de contrôle a doncaussi conduit à une diminution des manifestations d’agitation, mais de façon significativement moins importante que la condition « interventions individualisées ».

Il faut relever qu’aucune différence n’a été observée entre les deux groupes dans l’administration d’antipsychotiques, d’anxiolytiques et de sédatifs tout au long de la période d’intervention (individualisée ou de contrôle), ce qui permet d’exclure l’hypothèse selon laquelle la diminution d’agitation serait liée à des différences entre les groupes dans la médication administrée. Il a uniquement été observé que le groupe de contrôle a reçu plus d’antidépresseurs durant la phase de traitement que le groupe « interventions individualisées ».

Enfin, selon Cohen-Mansfield et al., l’augmentation de plaisir et d’intérêt dans la condition "interventions individualisée" est selon toute vraisemblance liée au fait qu’un grand nombre d’interventions impliquaient les résidants dans des activités (musiques, photographies et enregistrements vidéos, parfum, etc.) ayant une signification particulière pour eux.

 

En conclusion, cette étude est la première à montrer, de façon contrôlée et sur un grand nombre de participants, l’efficacité d’interventions non pharmacologiques individualisées pour la réduction des manifestations d’agitation verbale et physique chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » et résidant au sein d’une structure d’hébergement à long terme.

 

Les auteurs indiquent que les résultats obtenus constituent certainement une sous-estimation des effets bénéfiques pouvant être obtenus de ces interventions individualisées : en effet, la durée de préparation des interventions s’est avérée dans certains cas trop courte et la collaboration des membres du personnel était très variable entre les différentes structures d’hébergement (avec, p. ex., une certaine résistance à ôter les entraves physiques, le refus d’appliquer certaines interventions du fait que la personne avait un score au MMSE trop bas ou encore un désaccord avec le médecin quant à la présence de douleurs chez les résidants).

Il faut relever que l’identification des interventions adaptées aux besoins propres de chaque personne a été réalisée à partir d’une analyse assez « intuitive » des données recueillies auprès des proches, du personnel et via les observations. Selon nous, cette approche individualisée pourrait certainement bénéficier d’études psychologiques visant à mieux comprendre, à partir d’un cadre théorique plus précis, les différents facteurs en jeu dans les manifestations d’agitation.

 

Enfin, plus généralement, nous pensons qu’un facteur essentiel de prévention des manifestations d’agitation consiste à changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme en passant d’une philosophie et d’une pratique qui se focalisent sur la sécurité, l’uniformité et les questions médicales à une approche dirigée vers le résident, la promotion de son bien-être (psychologique et physique) et de sa qualité de vie, le maintien d’un sentiment de contrôle ainsi que l’ouverture vers la société et les générations plus jeunes (voir notre chronique « Les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d’un changement de culture »).

 

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Cohen-Mansfield, J., Libin, A., & Marx, M.S. (2007). Nonpharmacological treatment of agitation: A controlled trial of systematic individualized intervention. Journal of Gerontology: Medical Sciences, 62A, 908-916.

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