Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

Rechercher Dans Le Blog

Pour nous contacter

Pour nous contacter, vous pouvez nous écrire à :

contact@mythe-alzheimer.org

6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 11:28

Dans plusieurs de nos chroniques (voir, p. ex., « Prendre réellement en compte le point de vue des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »), nous avons indiqué en quoi il est essentiel de prendre en compte ce que les personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») expriment sur leur vécu, leurs souhaits et leurs besoins et de les inclure directement dans l’élaboration et l’évaluation des soins et interventions. Parallèlement, nous avons montré que les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » à un stade léger à modéré sont capables de fournir un compte-rendu valide de leur bien-être, de leurs valeurs et préférences, de leur qualité de vie et de la qualité des soins qui leur sont prodigués.

On connaît cependant moins de choses sur la manière dont les proches aidants perçoivent et comprennent les valeurs et les préférences des personnes présentant une « démence ». Dans ce contexte, Reamy et al. (2011) ont récemment mené une étude visant à déterminer s’il y avait des discordances entre les valeurs et les préférences exprimées par les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence légère à modérée » et la perception qu’ont les proches aidants des valeurs et des préférences des personnes « démentes ». Il s’agissait aussi de mieux comprendre la nature de ces discordances.

Selon la théorie du coping dyadique, ces discordances seraient liées à divers facteurs qui affectent la vision partagée des défis posés par la « démence ». Ces facteurs peuvent être démographiques (p. ex., l’appartenance ethnique, la scolarité), relationnels (p. ex., la nature de la relation entre la personne âgée et le proche aidant, les tensions relationnelles) et/ou individuels (p. ex., les croyances du proche aidant, les capacités cognitives de la personne âgée).

Reamy et al. ont examiné 266 dyades composées d’une personne ayant reçu le diagnostic de « démence légère à modérée » et d’un proche aidant. Les personnes présentant une « démence » avaient un âge moyen de 76.2 ans, un score moyen au MMSE de 22.24 (entre 13 et 27) et devaient vivre à domicile. Les proches aidants étaient en majorité des femmes (77.1%) avec un âge moyen de 64.94 ans : il s’agissait essentiellement des épouses/époux (54.5%) et des enfants (36.5%).

L’importance accordée par les personnes « démentes » à certaines valeurs et préférences a été évaluée au moyen de la « Values and Preferences Scale », composée de 37 items. Il a également été demandé aux proches aidants d’évaluer quelle était l’importance qu’accordaient les personnes « démentes » à ces valeurs et préférences. Les valeurs et préférences suivantes ont été retenues dans l’analyse : autonomie (p. ex., dépense son argent comme on en a envie) ; fardeau (p. ex., éviter d’être un fardeau physique pour sa famille) ; contrôle (p. ex., choisir une personne spécifique pour recevoir de l’aide) ; famille (p. ex., participer aux fêtes de famille) ; sécurité (p. ex., pouvoir contacter quelqu’un en cas d’urgence).

Par ailleurs, ont été évalués différents facteurs pouvant être impliqués dans les discordances entre les valeurs et préférences de la personne avec une « démence » et la perception qu'en a le proche aidant : des caractéristiques sociodémographiques (âge, genre, ethnie, niveau de scolarité), le type de relation entre la personne âgée et le proche aidant (enfant, époux/épouse, autre), le score au MMSE, les croyances des proches aidants concernant la prise en charge (7 items évaluant l’importance pour le proche aidant de prendre en compte l’intérêt de la personne présentant une « démence » dans les décisions de prise en charge et de soins) ; l’implication de la personne présentant une « démence » dans les décisions quotidiennes, telle qu’évaluée par le proche aidant (sur une échelle à 15 items ; p.ex., quand aller dormir, décider de rendre visite à des amis), la tension dans la relation entre la personnes présentant une « démence » et le proche aidant (évaluée par les deux membres de la dyade, au moyen de la Dyadic Relationship Scale).

Les résultats (modèles à multi-niveaux) montrent des discordances significatives pour les 5 types de valeurs et préférences (autonomie, fardeau, contrôle, famille et sécurité) : les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » accordent un niveau plus élevé d’importance aux 5 types de valeurs et de préférences que ce que rapportent les proches aidants. 

 

En outre, l’évaluation par les proches aidants de l’implication des personnes « démentes » dans les décisions quotidiennes est significativement associée aux scores de discordances : quand les proches aidants rapportent que les personnes « démentes » sont plus impliquées dans les décisions, alors ils ont plus tendance à considérer que les personnes « démentes » accordent une plus grande importance aux valeurs et préférences explorées ; inversement, quand les proches aidants considèrent que les personnes « démentes » sont moins impliquées dans les décisions quotidiennes, alors ils rapportent que les personnes « démentes » accordent moins d’importance aux valeurs et préférences examinées. Il faut relever que l’évaluation effectuée par les personnes « démentes » elles-mêmes de leur implication dans les décisions quotidiennes n’est pas associée aux scores de discordances.

Par ailleurs, seuls le score cognitif au MMSE et l’appartenance ethnique sont également significativement associés aux scores de discordances. Plus spécifiquement, les personnes avec une « démence » qui ont un score plus élevé au MMSE ont tendance à accorder une importance plus élevée à la valeur de fardeau (ne pas être un fardeau) que ne le rapportent leurs proches aidants. Enfin, les proches aidants afro-américains ont tendance à considérer que les personnes "démentes" accordent une importance plus élevée aux valeurs de contrôle et de sécurité que ne le font les personnes "démentes".

En conclusion, les résultats principaux de cette étude montrent que les proches aidants sous-estiment les valeurs et préférences des personnes présentant une « démence » et que ces discordances sont principalement associées aux croyances développées par les proches aidants concernant l’implication des personnes « démentes » dans les décisions quotidiennes. 

Les proches aidants ne disposent donc pas d’une représentation adéquate des valeurs et préférences des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence légère à modérée », alors qu’ils peuvent être amenés à prendre des décisions en tant que représentants de ces personnes quand les aspects problématiques de leur vieillissement cérébral/cognitif deviendront plus importants...

Plus généralement, ces données indiquent la nécessité d’évaluer les valeurs et préférences des personnes présentant une « démence » concernant les soins et la prise en charge, de prendre en compte les croyances des proches aidants concernant la situation de prise en charge et d’améliorer la communication au sein des dyades proches aidants / personnes âgées. Il s’agirait aussi de conduire d’autres études (notamment dans une perspective longitudinale) visant à comprendre de façon plus approfondie les autres facteurs impliqués dans les discordances concernant la perception des valeurs et préférences : en effet, les croyances développées par les proches aidants concernant l’implication des personnes « démentes » dans les décisions quotidiennes n’expliquent qu’une part de la variance dans ces discordances.

Reamy, A.M., Kim, K., Zarit, S.H., & Whitlatch, C.J. (2011). Understanding discrepancy in perceptions of values: individuals with mild to moderate dementia and their family caregivers. The Gerontologist, 51(4), 473-483. (doi:10.1093/geront/gnr010).

Partager cet article
Repost0

commentaires