De nombreuses données indiquent qu’une activité sociale plus importante est associée à un moindre déclin cognitif et à un moindre risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique ou de « démence » (voir nos chroniques « Les personnes âgées socialement actives présentent moins de déclin cognitif » et « Les effets bénéfiques des contacts et soutiens sociaux sur le fonctionnement cognitif tant chez les adultes jeunes que chez les personnes âgées »).
Dans cette perspective, Pitkala et al. (2011) ont récemment réalisé une étude randomisée contrôlée dans laquelle ils ont exploré les effets d’activités socialement stimulantes sur le fonctionnement cognitif de personnes âgées souffrant de solitude.
Les participants ont été recrutés via un questionnaire postal envoyé à un échantillon aléatoirement sélectionné de 6’786 personnes âgées de 75 ans et plus et vivant dans 6 communautés reprises dans le Registre national de la population finlandaise. Les critères d’exclusion étaient la présence d’une « démence » modérée ou sévère (MMSE < 19 ou CDR > 1), le fait de vivre dans une structure d’hébergement à long terme, la cécité, la surdité et l’incapacité de se mouvoir sans l’aide d’une tierce personne.
La solitude des personnes était déterminée via une seule question: « Souffrez-vous de solitude » (1 = rarement ou jamais, 2 = parfois, 3 = souvent ou toujours). Sur les personnes ayant répondu (71.2%), celles ayant indiqué qu’elles souffraient de solitude (n = 1’541) ont reçu un second questionnaire dans lequel on leur demandait si elles acceptaient de participer à un groupe de stimulation sociale et on les interrogeait sur leurs préférences quant au contenu des activités de ce groupe.
Les 235 volontaires ont été répartis en trois groupes selon leurs préférences et intérêts : expériences artistiques et discussion (n = 95) ; exercices physiques et discussion (n = 92); écriture thérapeutique et discussion (n = 48). A l’intérieur de ces trois groupes, les participants ont été à nouveau aléatoirement répartis en des participants recevant les interventions et des participants de contrôle. L’âge moyen des participants était de 80 ans, 3 sur 4 étaient des femmes et environ 80% vivaient seuls. L’étude a été menée sur 7 centres répartis partout en Finlande, avec une répartition par ensembles d’environ 16 personnes pour les trois types d’activités (8 recevant l’’intervention et 8 de contrôle)
Lors de la ligne de base, une évaluation a été effectuée concernant les caractéristiques démographiques, la comorbidité (nombre et gravité des états comorbides) et le fonctionnement cognitif global (MMSE et CDR). Par ailleurs, lors de la ligne de base et à trois mois, les participants ont été soumis à l’ADAS-Cog (une échelle qui évalue différents domaines de la cognition). Enfin, on leur a aussi administré, durant la ligne de base et après 12 mois, une échelle (15D) qui évalue la qualité de vie en lien avec différentes dimensions de la santé (mobilité, vision, audition, sommeil, dépression, vitalité, etc,). Dans cette étude, les auteurs se sont tout particulièrement focalisés sur la dimension « fonctionnement mental » : les participants devaient choisir un parmi les 5 énoncés suivants : « Je suis capable de penser clairement et logiquement et ma mémoire fonctionne bien » ; « J’ai de légères difficultés à penser clairement et logiquement ou ma mémoire me lâche parfois » ; « J’ai de nettes difficultés à penser clairement et logiquement ou ma mémoire est quelque peu perturbée » ; « J’ai d’importantes difficultés à penser clairement et logiquement ou ma mémoire est gravement perturbée » ; « Je suis constamment confus et désorienté dans le temps et l’espace ».
En ce qui concerne les interventions socialement stimulantes (d’une durée de trois mois), leurs principes étaient similaires pour les trois groupes d’activités (principes dont le respect était assuré par les responsables des groupes, qui avaient reçu un entraînement spécifique à ce sujet ; voir Pitkala et al., 2004). En exploitant la dynamique et la maturation normale des groupes, les responsables suscitaient le soutien par les pairs, visaient à promouvoir les relations amicales et appuyaient la responsabilisation. Ils fonctionnaient plus comme des facilitateurs que comme des leaders. L’objectif était que les participants partagent leurs expériences avec les autres, discutent de leurs sentiments, reçoivent du soutien d’autres personnes, se donnent le défi de surpasser leurs limites et développent des sentiments de solidarité. Les trois types d’activités servaient simplement de stimuli pour les groupes de discussion (un détail des interventions peut être trouvé dans Pitkala et al., 2009, et Savikko et al., 2010).
Dans les groupes « expériences artistiques », divers artistes (musiciens, acteurs, peintres, etc.) étaient invités aux réunions. Les participants visitaient aussi des expositions ou se rendaient à divers événements culturels, mais effectuaient également eux-mêmes des activités artistiques. Enfin, ils discutaient de leurs expériences au sein de leur groupe. Dans les groupes « exercices physiques », les participants réalisaient divers exercices (marche nordique, entraînement physique à la salle de gymnastique, natation ou danse). Les participants discutaient également de leurs activités. Dans les groupes « écriture thérapeutique », les participants écrivaient sur leur passé, leur solitude et leurs sentiments concernant les réunions. En outre, ils partageaient leurs écrits et leurs réminiscences.
Les contenus des activités étaient sciemment introduits en fonction des intérêts des différents participants, lesquels pouvaient influer sur le programme. Il faut relever qu’aucun entraînement cognitif particulier n’était fourni. Les personnes des groupes d’intervention se réunissaient une fois par semaine pendant 3 mois (12 fois). Chaque groupe comportait 7 à 8 personnes âgées et deux responsables de groupe. Chaque réunion durait environ 6 heures : le matin, les participants étaient amenés en minibus et prenaient le petit déjeuner ensemble ; ensuite, ils s’engageaient dans les activités durant 1h. ou 1h1/2, après quoi ils discutaient des activités pendant 1/2h ou 1h ; à midi, il y avait un repas, suivi d’un repos d’1/2 heure, et, l’après-midi, ils s’engageaient à nouveau dans les activités pendant 1h. ou 1h1/2, puis dans une discussion autour d’un café, la séance se terminant vers 15 heures. Tout était gratuit. Il faut relever que l’assiduité a été importante : pour les groupes « expériences artistiques », une participation moyenne de 10.8 (sur 12 séances) ; pour les groupes « exercices physiques », une participation moyenne de 11 ; pour les groupes « écriture », une participation moyenne de 9.7.
Quant aux participants dans les groupes de contrôle, ils pouvaient continuer leurs activités et loisirs habituels et demeuraient dans leur environnement habituel.
Les résultats montrent tout d’abord que les participants ayant reçu les interventions et les participants de contrôle ne différaient pas quant à l’indice de comorbidité, la distribution des facteurs de risques principaux de déclin cognitif, le MMSE (26.9 et 26.6, respectivement) et le CDR lors de la ligne de base. Par ailleurs, lors de l’évaluation après trois mois, le score à l’ADAS-Cog s’est significativement plus amélioré chez les participants ayant reçu les interventions (tous types d’activités confondus) que chez les participants du groupe de contrôle (en prenant comme covariable les scores lors de la ligne de base et le site où a été réalisée l’intervention). Il apparaît cependant que l’amélioration s’est surtout manifestée dans le groupe « écriture thérapeutique ». Enfin, l’indice global de l’échelle 15D évaluant la qualité de vie en lien avec la santé et la dimension plus spécifique de «fonctionnement mental » montrent aussi, à 12 mois, une amélioration significative chez les personnes ayant participé aux activités socialement stimulantes par rapport aux personnes de contrôle.
L’intérêt de cette étude tient au fait qu’elle est la première à avoir montré, au moyen d’un essai randomisé contrôlé, que des activités socialement stimulantes (n’impliquant pas d’entraînement cognitif spécifique) peuvent améliorer le fonctionnement cognitif de personnes âgées souffrant de solitude.
Il faut par ailleurs relever que d’autres études réalisées par les mêmes auteurs ont montré que leur intervention à base d’activités socialement stimulantes conduit aussi à des améliorations dans la santé et le bien-être des personnes âgées ainsi qu’à une réduction de la mortalité (Pitkala et al., 2009 ; Routasalo et al.. 2009). En outre, ce type d’intervention apparaît rentable en termes de coûts de la santé en Finlande.
Il est intéressant de noter qu’une amélioration suite à l’intervention s’observe encore après 12 mois dans la qualité de vie (auto-évaluée) en lien avec la santé, y compris la santé cognitive. Comme l’indiquent les auteurs, cetle amélioration durable est vraisemblablement liée au fait que les personnes ont eu de nouveaux amis suite à l’intervention et qu’elles ont continué à les rencontrer par la suite.
Cette étude n’est cependant pas sans limites. Tout d’abord, la taille des effets observés est petite à modérée et l’amélioration à l’ADAS-Cog n’a pas persisté après 6 mois. Cependant, il faut prendre en compte la durée assez courte de l’intervention, avec un nombre de séances assez limité. De plus, un nombre important de personnes présentaient un bon fonctionnement cognitif lors de la ligne de base, ce qui a conduit à limiter les possibilités d’amélioration du fonctionnement cognitif (en particulier avec l’utilisation d’un outil d’évaluation, l’ADAS-Cog, peu adapté à l’identification de changements cognitifs subtils). Des études ultérieures devraient être menées sur d’autres populations (notamment sur des échantillons avec des difficultés cognitives plus importantes), en adoptant des interventions de plus longue durée et en utilisant des outils d’évaluation du fonctionnement cognitif plus sensibles. Par ailleurs, l’intervention ayant un format flexible (ce qui est d’ailleurs une de ses qualités), il est difficile de déterminer comment les activités ont influé sur le fonctionnement cognitif. Des recherches futures devraient se pencher sur cette question, de nouveau en adoptant des outils d’évaluation plus différenciés et permettant notamment d’explorer, de façon sensible, divers aspects de la cognition.
En conclusion, les interventions de groupe à base d’activités socialement stimulantes semblent avoir des effets bénéfiques sur la santé, le fonctionnement cognitif et le bien-être des personnes âgées isolées. Une partie des activités de l’Association VIVA s’inscrit parfaitement dans cette perspective d’intervention.
Groupe de lecture intergénérationnel, ©VIVA 2011
Pitkala, K. H., Blomqvist, L., Routasalo, P., Saarenheimo, M., Karvinen, E., Oikarinen, U., & Mantyranta, C. (2004). Leading groups of older people: description and evaluation of education of professionals. Educational Gerontology, 30, 821-834.
Pitkala, K. H., Routasalo, P., Kautiainen, H., & Tilvis, R.S. (2009). Effects of psychosocial group rehabilitation on health, use of health care services, and mortality of older persons suffering from loneliness: a randomized, controlled trial. The Journal of Gerontology A, Biological Sciences and Medical Sciences, 19, 654-663.
Pitkala, K. H., Routasalo, P., Kautiainen, H., Sintonen, H., & Tilvis, R.S. (2011). Effects of socially stimulating group intervention on lonely, older people’s cognition : A randomized, controlled trial. American Journal of Geriatric Psychiatry, 19, 654-663.
Savikko, N., Routasalo, P., Tilvis, S., & Pitkala, K.H. (2010). Psychosocial group rehabilitation for lonely older people : a description of intervention and participants’ feedback. International Journal of Older People Nursing, 5, 16-24.
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