De nombreuses données suggèrent qu’une intégration sociale plus importante est associée à un risque moindre de déclin cognitif et de vieillissement cérébral/cognitif problématique (voir Fratiglioni, Paillard-Borg & Winblad, 2004 ; voir également notre chronique « Le statut marital à la cinquantaine: un autre facteur impliqué dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique»).
Dans un travail récent, Seeman et al. (2010) ont examiné dans quelle mesure cette association était présente tant chez les adultes jeunes que chez les personnes âgées. Cette recherche a analysé les données issues de l’étude «Midlife in the U.S. (MIDUS)». Plus spécifiquement, elle a exploré les relations entre les interactions sociales et le fonctionnement cognitif, pendant une période de 10 ans et sur une cohorte de personnes âgées de 30 à plus de 80 ans. Les participants ont tout d’abord été évalués en 1994/1995 (phase 1 ; N=7.108; âge: 24 à 74 ans), puis réévalués en 2005/2006 (phase 2; N=3.525 ; âge: de 32 à 84 ans).
Trois aspects des interactions sociales ont été évalués durant les phases 1 et 2 de l’étude : la fréquence des contacts sociaux (somme de la fréquence des contacts sociaux dans deux domaines: la famille et les amis), l’étendue du soutien social auto-rapporté (en quoi l’époux, d’autres membres de la famille et les amis sont source de compréhension, de soin, de reconnaissance et de soutien sur différents plans, par ex., émotionnel : moyenne des réponses) et les conflits/tensions sociaux (en quoi l’époux, d’autres membres de la famille et les amis sont à l’origine d’exigences, de critiques, de tensions/disputes, de déception, d’énervement : moyenne des réponses). Il faut relever que les corrélations entre les trois aspects de l’intégration sociale (dans les deux phases de l’étude) sont très faibles à modérées (relation entre contacts et soutiens : .32, .39 ; contacts et conflits : .05, .02 ; soutiens et conflits :-.40, -.37).
Le fonctionnement cognitif a été évalué, durant la phase 2 de l’étude, par le «Brief Test of Adult Cognition by Telephone (BTACT)», qui comporte différentes tâches de mémoire épisodique, de mémoire de travail, de mémoire sémantique/fonctionnement exécutif, de raisonnement et de vitesse de traitement. Une tâche de flexibilité a également été administrée. Sur base d’une analyse factorielle exploratoire et confirmatoire, deux mesures composites ont été établies, l’une évaluant la mémoire épisodique et l’autre le fonctionnement exécutif.
Une série de variables possiblement confondantes ont été contrôlées: âge, genre, scolarité, appartenance ethnique, santé (maladies cardiaques, AVC, hypertension et diabète auto-rapportés ; mesure de dépression ; nombre d’incapacités dans les activités de la vie quotidienne), comportements en lien avec la santé (tabagisme, activité physique).
Les résultats principaux des analyses de régression montrent que la fréquence des contacts sociaux et l’importance du soutien social sont positivement associées aux mesures de mémoire épisodique et de fonctionnement exécutif, et ce indépendamment de l’âge, de la scolarité, du genre, de l’appartenance ethnique, ainsi que des variables de santé et de comportements en lien avec la santé. En outre, une fréquence plus importante de tensions/conflits sociaux est négativement associée au fonctionnement exécutif (mais pas à la mémoire épisodique).
Les données longitudinales indiquent également qu’un déclin dans la fréquence des contacts sociaux entre les phases 1 et 2 (séparées de 10 ans) est associé à un fonctionnement exécutif et une mémoire épisodique plus faibles. Une augmentation du soutien social entre les deux phases tend aussi à être associée à une meilleure performance cognitive.
Il est important de relever que, globalement, ces associations s’observent tant chez les personnes plus jeunes (dès 32 ans) que chez les plus âgées, ce qui indique que les influences sociales sur le fonctionnement cognitif sont présentes, non seulement chez les personnes âgées, mais tout au long de la vie.
Une des limites de cette recherche est de n’avoir effectué une évaluation cognitive que lors de la phase 2 de l’étude: des études ultérieures devraient examiner la séquence temporelle et la dynamique des changements dans l’intégration sociale et le fonctionnement cognitif au moyen d’une évaluation longitudinale de ces deux aspects du fonctionnement. Néanmoins, les auteurs relèvent que les participants de cette étude présentaient un niveau d’efficience cognitive suffisamment élevé pour rendre peu plausible l’hypothèse d’une causalité inverse, selon laquelle les problèmes d’intégration sociale seraient la conséquence des dysfonctionnements cognitifs.
En conclusion, ces données montrent en quoi une intégration sociale plus grande (davantage de contacts et de soutiens sociaux) et une réduction des relations sociales négatives constituent des éléments clé de l’optimisation du fonctionnement cognitif, tant chez les personnes âgées que chez les personnes se trouvant dans la période du milieu de leur vie (« midlife).
Elles plaident également en faveur de la mise en place de recherches visant à explorer en quoi une meilleure intégration sociale au milieu de la vie (dans ses liens avec un meilleur fonctionnement cognitif) peut contribuer à réduire les risques de vieillissement cérébral/cognitif problématique (de «démence »). En ce sens, les résultats de cette étude doivent être envisagés en parallèle avec les éléments présentés dans une de nos chroniques récentes («La période du milieu de la vie: une période clé pour le vieillissement cérébral/cognitif »), suggérant que le vieillissement physique et psychologique optimal dépend grandement des expériences de vie des personnes durant le milieu de la vie.
Il s’agit cependant de prendre en compte les variables socioéconomiques, susceptibles d’influer grandement sur les expériences de vie et le fonctionnement psychologique des personnes se trouvant au milieu de leur vie. En effet, dans une étude menée en Angleterre sur un échantillon représentatif au plan national (N=100’457), Lang et al. (2010) ont récemment mis en évidence, comparativement aux personnes plus jeunes et plus âgées, un plus haut niveau de souffrance psychologique, d’états psychopathologiques courants et de traitements psychiatriques pharmacologiques chez les personnes se trouvant au milieu de leur vie (dans la quarantaine et la cinquantaine), mais cela uniquement chez les personnes dont le revenu était bas. Ce pic dans les problèmes psychologiques chez les personnes se trouvant au milieu de leur vie ne constitue donc pas un phénomène « universel », mais représente un phénomène socioéconomique pouvant faire l’objet de mesures de prévention (notamment en s’attaquant aux inégalités sociales).
©VIVA 2010
Fratiglioni, L., Paillard-Borg, S., & Winblad, B. (2004). An active and socially integrated lifestyle in late life might protect against dementia. The Lancet Neurology, 3, 343-353.
Lang, I.A., Llewellyn, Hubbard, K.M., Langa, K.M., & Melzer, D. (2010). Income and the midlifepeak in common mental disorder prevalence. Psychological Medicine, à paraître (doi : 10.1017/S0033291710002060).
Seeman, T.E., Miller-Martinez, D.M., Stein Merkin, S., Lachman, M.E., Tun, P.A., & Karlamanga, A.S. (2010). Histories of social engagement and adult cognition: Midlife in the U.S. study. Journal of Gerontology: Psychological Sciences, 10.1093/geronb/gbq091
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