Les manifestations plus ou moins problématiques du vieillissement cérébral/cognitif sont modulées par de multiples facteurs, dont l’alimentation (voir notre chronique « Quand une combinaison spécifique d’aliments et de nutriments semble réduire le risque de vieillissement cérébral problématique »). En particulier, différentes études ont montré que l’adhérence à un régime alimentaire méditerranéen était associée à un risque moindre de « démence » et notamment de « maladie d’Alzheimer » (Scarmeas et al., 2006 a et b ; Scarmeas et al., 2009).
Les effets protecteurs de ce type de régime pourraient s’exercer via une réduction des maladies cérébrovasculaires. En effet, une adhérence plus élevée à ce régime est liée à un moindre risque d’obésité, de syndrome métabolique, de dyslipidémie, d’hypertension, de métabolisme anormal du glucose, de diabète et de maladie coronarienne. Par ailleurs, un nombre croissant de recherches ont mis en évidence la contribution de facteurs de risque vasculaires à la « démence » et en particulier à la prétendue « maladie d’Alzheimer (voir nos chroniques « Une confirmation de l’impact des facteurs vasculaires sur la présence et l’évolution de la soi-disant maladie d’Alzheimer » et « De nouveaux éléments appuyant la relation entre risques / troubles vasculaires et risque de démence et de maladie d’Alzheimer »).
Cependant, Scarmeas et al. (2006 b) n’ont pas observé que la comorbidité vasculaire, établie par l’histoire médicale, constituait un médiateur des liens entre régime méditerranéen et « maladie d’Alzheimer », ce qui suggère que d’autres mécanismes seraient impliqués tels que des processus oxydatifs ou inflammatoires. Néanmoins, il se pourrait aussi que les variables vasculaires examinées cliniquement par les auteurs n’aient pas été suffisamment sensibles.
Dans cette perspective, Scarmeas et al. (2011) ont examiné l’association entre le régime méditerranéen et la présence d’infarctus cérébraux identifiés via l‘Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) chez des personnes âgées issues de la population de New York (des personnes participant à une sous-étude d’imagerie du « Washington Heights/Hamilton Heights Columbia Aging Project, WHICAP»).
Une IRM structurelle à haute résolution a été obtenue auprès de 707 personnes âgées de 65 ans et plus. Des informations sur le régime alimentaire ont par ailleurs été recueillies en moyenne 5.8 ans avant l’IRM. Sur base des réponses à un questionnaire évaluant la consommation de différents aliments et en prenant en compte les aliments bénéfiques (fruits, légumes, légumineuses, céréales, poissons et consommation légère/modérée d’alcool) et néfastes (produits laitiers, viande, consommation de graisses saturées), les participants ont été scindés en trois groupes en fonction de leur adhérence au régime méditerranéen (basse, moyenne et élevée).
Les résultats montrent que 222 participants ont eu au moins un infarctus cérébral. Par ailleurs, les participants qui montraient une adhérence moyenne au régime méditerranéen avaient une probabilité réduite de 22% d’avoir un infarctus cérébral et cette réduction était de 36% pour les personnes présentant une adhérence élevée. L’association entre adhérence au régime méditerranéen et infarctus subsistait quand on contrôlait pour l’influence possible de l’âge, du genre, de l’appartenance ethnique, de la scolarité, du génotype ApoE, de l’indice de masse corporelle, de la durée entre l’évaluation du régime et l’IRM, des facteurs de risque vasculaires (tabagisme, hypertension, diabète et maladie cardiaque), des niveaux de lipides plasmatiques et de l’activité physique. Cette association ne variait pas en fonction de la taille de l’infarctus, ni après avoir exclu les personnes avec une « démence » ou un AVC clinique. Enfin, les auteurs n’ont pas constaté de lien entre le régime méditerranéen et la présence de foyers hyperintenses de la substance blanche.
En conclusion, il apparaît que l’adhérence au régime méditerranéen est associée à un niveau moindre de maladie cérébrovasculaire, et ce après avoir contrôlé l’influence des comorbidités vasculaires. Il faut par ailleurs relever qu’aucun des aliments du régime méditerranéen considéré isolément n’est associé à la présence d’infarctus, ce qui confirme l’importance pour la santé d’une association spécifique entre aliments ou nutriments, plutôt que d’aliments ou de nutriments isolés.
Les auteurs reconnaissent qu’ils ne peuvent totalement exclure l’influence du statut socioéconomique ou d’autres caractéristiques en lien avec le style de vie, même s’ils ont contrôlé l’influence de la scolarité, du tabagisme et de l’appartenance ethnique, En fait, seuls des essais cliniques randomisés contrôlés pourraient réellement aborder une réponse à cette question.
Dans un éditorial commentant les résultats de Scarmeas et al., Barnes (2011) indique que l’étude de Scarmeas et al. est importante car elle apporte un éclairage sur le mécanisme (en l’occurrence un mécanisme vasculaire) par lequel le régime méditerranéen contribuerait à la prévention du vieillissement cérébral/cognitif problématique (de la « démence »). Elle ajoute cependant qu’il serait important de suivre les personnes qui présentent une adhérence faible à ce régime et des infarctus cérébraux, afin de voir s’ils ont une plus grande probabilité de développer une « démence ». Elle s’interroge aussi sur les raisons de l’absence de lien entre l’adhérence au régime méditerranéen et la présence de foyers hyperintenses de la substance blanche (lesquels seraient la conséquence des effets chroniques d’une maladie des petits vaisseaux, alors que les infarctus cérébraux seraient la conséquence d’une maladie des gros vaisseaux). Enfin, elle relève que la majorité des travaux sur les liens entre régime méditerranéen et « démence » ont été réalisés sur la cohorte WHICAP, au sein de la petite entité géographique de New York, dont le profil diététique ne reflète peut être pas celui présent dans d’autres régions.
Néanmoins, Barnes considère que des interventions de prévention focalisées sur le régime de type méditerranéen (ou proche de ce régime ; voir notre chronique « Quand une combinaison spécifique d’aliments et de nutriments semble réduire le risque de vieillissement cérébral problématique ») sont à encourager, car elles sont à très faible risque et ont un potentiel élevé de bénéfice, elles sont peu coûteuses et pourraient réduire le risque d’autres problèmes que la « démence », comme les maladies cardiovasculaires et métaboliques (voir Sofi et al., 2010).
Barnes, D.E. (2011). The Mediterranean diet: Good for the heart = Good for the brain ? Annals of Neurology, 69, 226-228 (Editorial).
Scarmeas, N., Stern, Y., Ming-Xin, T., Mayeux, R., & Luchsinger, J.A. (2006 a). Mediterranean diet and risk for Alzheimer’s disease. Annals of Neurology, 59, 912-921.
Scarmeas, N., Stern, Y., Mayeux, R., & Luchsinger, J.A. (2006 b). Mediterranean diet, Alzheimer’s disease, and vascular mediation. Annals of Neurology, 63, 1709-1717.
Scarmeas, N., Luchsinger, J.A., Schupf, N., Brickman, A.M., Cosentino, S., Ming-Xin, T., Stern, Y. (2009). Physical activity, diet, and risk of Alzheimer diease. Journal of the American Medical Association, 302, 627-637.
Scarmeas, N., Luchsinger, J.A., Stern, Y., Gu, Y., He, J., DeCarli, Ch., Brown, T., & Brickman, A.M. (2011). Mediterranean diet and magnetic resonance imaging-assessed cerebrovascular disease. Annals of Neurology, 69, 257-268.
Sofi, F., Abbate, R., Gensini, G.F., & Casini, A. (2010). Accruing evidence on benefits of adherence to the Mediterranean diet on health: an updated systematic review and meta-analysis. American Journal of Clinical Nutrition, 92, 1189-1196.
commenter cet article …