Plusieurs études ont montré que le statut socio-économique des personnes âgées (évalué par un score combinant plusieurs dimensions ; Lee et al., 2010) et la vulnérabilité sociale (définie par un indice fondé sur de nombreuses variables sociales ; Andrews & Lockwood, 2010 ) étaient associés à un fonctionnement cognitif faible ou à un déclin cognitif (voir notre chronique « Optimiser le vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi s’engager pour réduire les inégalités sociales »). Plus récemment, Scazufca et al. (2011) ont confirmé, auprès d’une population de personnes âgées de Sao Paulo, que la présence d’éléments socio-économiques défavorables durant l’enfance était associée à la « démence » et que cette association était cumulative, le risque de « démence » augmentant régulièrement avec l’accumulation d’éléments défavorables. Les auteurs ont également relevé que cette relation était médiatisée par des éléments socio-économiques défavorables à l’âge adulte. Ce résultat a été interprété en termes de limitation de la réserve cognitive, les facteurs socio-économiques défavorables durant l’enfance ayant conduit à des métiers non qualifiés, peu rétribués, un faible revenu et, vraisemblablement, à peu d’accès à des activités de loisirs (voir notre chronique « Des facteurs socio-économiques défavorables, tout au long de la vie, sont associés à un risque accru de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).
L’évolution du statut socio-économique tout au long de la vie et le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique
Al Hazzouri et al. (2011) ont quant à eux exploré l’association entre les changements dans le statut socio-économique durant la vie et le risque de « démence » et de « trouble cognitif sans démence » auprès d’une cohorte de personnes âgées mexico-américaines, recrutées dans le cadre de la « Sacramento Area Latino Study on Aging ». Les participants (n=1’789), Mexicains d’origine et résidant dans la vallée de Sacramento en Californie, étaient âgés de 60 à 101 ans lors de l’établissement de la ligne de base (en 1998-1999). Les données cliniques ont été obtenues via des visites à domicile se déroulant tous les 12 à 15 mois, pour un total de 7 visites. Les personnes ont rapporté leur état de santé, ainsi que les facteurs de risque sociodémographiques et en lien avec le style de vie. Les personnes présentant une « démence » (n=155) durant la ligne de base ont été exclues des analyses, les personnes restantes (n=1’634) ayant été suivies en moyenne pendant 6.3 ans (ET = 3.1). Le diagnostic de « démence » et de « trouble cognitif sans démence » a été établi sur base des critères classiques et en adoptant une procédure en plusieurs étapes (y compris une batterie de tests neuropsychologiques). Les analyses ont été conduites en regroupant les personnes avec « démence » et avec « troubles cognitifs sans démence ».
Les mesures du statut socio-économique durant la vie ont été prises à trois étapes de la vie. Les mesures relatives au statut socio-économique durant l’enfance concernaient le niveau scolaire et la profession des parents, la privation de nourriture durant la croissance et la mortalité dans la fratrie. Le niveau scolaire atteint et la profession occupée ont été considérés comme des mesures du statut socio-économique durant, respectivement, le début de l’âge adulte et le milieu de la vie. Sur base de ces informations, une mesure à 4 niveaux de la trajectoire du statut socio-économique a été créée : 1. un statut socio-économique bas aux trois étapes de la vie (enfance, début de l’âge adulte et milieu de la vie) ; 2. une trajectoire descendante (statut socio-économique haut durant l’enfance, bas durant le début de l’âge adulte et bas durant le milieu de la vie ; bas durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte et bas durant le milieu de la vie ; haut durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte, bas durant le milieu de la vie) ; 3. une trajectoire montante (statut socio-économique bas durant l’enfance, bas durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie ; haut durant l’enfance, bas durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie), avec en outre la présence d’un niveau scolaire faible (moins que l’école élémentaire) ; 4. un statut socio-économique élevé à toutes les étapes de la vie (statut socio-économique haut durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie) ou une trajectoire montante (bas durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie), avec en outre un niveau scolaire élevé (école élémentaire ou au-delà). Les participants ayant une trajectoire montante ont été scindés en bas et hauts niveaux scolaires, compte tenu de l’importance de la scolarité dans la prédiction de la « démence » et du « trouble cognitif sans démence ». De plus, les participants ayant une trajectoire montante et un niveau scolaire élevé ont été mélangés avec ceux ayant un statut socio-économique élevé à toutes les étapes de la vie, dans la mesure où ils avaient le même risque de «démence / trouble cognitif sans démence ».
Par ailleurs, un score cumulatif (de 0 à 8) d’éléments socio-économiques défavorables a aussi été construit à partir des mesures du statut socio-économique durant l’enfance, le début de l’âge adulte et le milieu de la vie. Enfin, l’influence d’une série de facteurs a été contrôlée : le lieu de naissance (USA ou Mexique), le revenu lors du mois précédent, la glycémie à jeun, la pression artérielle, la présence de diabète, l’hypertension, l’existence d’un accident vasculaire cérébral, l’indice de masse corporelle, la circonférence de la taille, le tabagisme et la consommation d’alcool.
Les résultats montrent que les personnes qui maintiennent un niveau socio-économique élevé tout au long de leur vie ou qui ont des trajectoires montantes, avec en outre un niveau scolaire élevé, ont 51% moins de risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » que les personnes qui maintiennent un niveau socio-économique bas tout au long de la vie. De plus, les participants avec des trajectoires montantes, mais un niveau scolaire faible, ainsi que les personnes avec des trajectoires descendantes ont un risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » similaire à celui des personnes qui maintiennent un statut socio-économique bas tout au long de la vie. Enfin, un nombre plus élevé d’éléments socio-économiques défavorables est associé à un risque accru de « démence/troubles cognitifs sans démence » : plus spécifiquement, les personnes montrent un risque accru de 16% pour chaque augmentation d’une unité dans le score cumulatif d’éléments socio-économiques défavorables.
Ces résultats indiquent donc que le statut socio-économique durant l’enfance n’est pas le seul déterminant du vieillissement cognitif : en effet, un statut socio-économique bas durant l’enfance peut être compensé par la présence d’une trajectoire montante chez les personnes avec un niveau élevé de scolarité. Par ailleurs, les effets protecteurs d’une enfance ou d’un début de vie plus avantageux au plan socio-économique peuvent être dilués par une trajectoire descendante durant les phases ultérieures de la vie, comme l’indique le fait que le risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » est similaire chez les personnes ayant ce profil par rapport aux personnes ayant un statut socio-économique bas tout au long de la vie.
Il apparaît en outre que le niveau de scolarité joue un rôle important dans le lien entre trajectoire socio-économique et risque de « démence/troubles cognitifs sans démence ». En effet, alors que les personnes avec une trajectoire socio-économique montante et un haut niveau de scolarité ont un risque similaire à celles qui maintiennent un statut socio-économique élevé tout au long de la vie, les participants avec une trajectoire montante et un bas niveau de scolarité ne diffèrent pas de celles qui maintiennent un statut socio-économique bas tout au long de la vie. Il faut en outre relever que, parmi les personnes qui montrent une trajectoire socio-économique descendante, celles qui ont un niveau élevé de scolarité ont un risque plus faible de « démence/troubles cognitifs sans démence » que celles ayant un niveau bas de scolarité. Enfin, le contrôle de facteurs de risque possiblement confondants (en particulier le diabète et la survenue d’un accident vasculaire cérébral) atténue un peu, mais n’élimine pas, la différence de risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » entre les personnes qui maintiennent un niveau socio-économique élevé tout au long de leur vie ou qui ont une trajectoire montante (avec un niveau élevé de scolarité) et celles qui maintiennent un niveau socio-économique bas tout au long de la vie. De même, la prise en compte de la consommation d’alcool atténue également, mais n’élimine pas cette association. En fait, les données indiquent un effet protecteur de la consommation d’alcool : le risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » est plus faible chez les personnes qui consomment de l’alcool que chez ceux qui n’en consomment pas et les participants ayant une trajectoire élevée de statut socio-économique ont une probabilité deux fois plus importante d’avoir consommé de l’alcool que les personnes ayant une trajectoire basse.
Cette recherche comporte certaines limites (reconnues par les auteurs), notamment l’utilisation de mesures auto-rapportées du statut socio-économique durant l’enfance (bien que plusieurs mesures de ce statut aient été incluses) et aussi le fait que le statut socio-économique pourrait être un marqueur d’autres facteurs non mesurés (la malnutrition chronique ou l’exposition à des facteurs de risque environnementaux). Néanmoins, cette étude est importante car elle suggère fortement en quoi le vieillissement cérébral/cognitif est façonné par le statut socio-économique présent tout au long de la vie.
Vivre dans un contexte de problèmes financiers affecte le volume de l’hippocampe et de l’amygdale dans la période du milieu de la vie
Peu d’études ont examiné chez l’être humain dans quelle mesure le fait de vivre dans un environnement socio-économique défavorable pouvait avoir une influence négative sur le développement du cerveau. C’est ce sur quoi se sont penchés Butterworth, Cherbuin, Sachdev et Anstey (2011). Les données analysées sont issues de la « Personality and Total Health (PATH) through Life Study », une recherché longitudinale menée dans la communauté et évaluant la santé et le bien-être de trois cohortes, nées en 1975-79, 1956-60 et 1937-41. Il est prévu de suivre chaque cohorte tous les 4 ans pendant 20 ans.
L’analyse entreprise pas Butterworth et al. a porté sur la cohorte d’âge moyen vue durant la seconde vague d’entretiens (réalisée en 2004), alors que les personnes étaient âgées de 44-48 ans. Cependant, des informations rétrospectives sur le vécu durant l’enfance, obtenues durant la première vague d’entretiens, ont également été utilisées. Il a été proposé à un sous-ensemble de 656 personnes (aléatoirement sélectionnées) d’être soumis à un examen d’imagerie cérébrale en IRM et finalement, cet examen a été administré à 431 personnes. Aucune différence significative n’a été observée entre celles qui ont et celles qui n’ont pas été soumises à cet examen concernant l’âge, le genre et le niveau scolaire.
Parmi les nombreuses dimensions de la santé et du bien-être évaluées dans la recherche longitudinale, une seule a été prise en compte dans le travail de Butterworth et al., à savoir la présence de problèmes financiers. Ces problèmes ont été abordés via 4 items dichotomiques (oui-non) : « Durant l’année qui vient de s’écouler, avez-vous vécu les événements suivants du fait d’un manque d’argent : mettre en gage ou vendre quelque chose ; rester sans manger ; être incapable de chauffer sa maison ; demander de l’aide à une structure d’aide sociale ou communautaire ? ». Il a également été demandé aux participants s’ils avaient dû vivre sans certaines choses dont ils avaient réellement besoin du fait d’un manque d’argent, durant les 12 derniers mois. Une mesure globale (1 ou 0) a été construite : 1 quand la personne a répondu oui à 1 ou plus des 5 items et 0 quand aucun problème n’a été mentionné. En outre, une mesure dichotomique (oui/non) de pauvreté durant l’enfance a aussi été établie sur base des réponses obtenues durant la première vague d’entretien à la question « Avez-vous grandi dans la pauvreté ? ».
D’autres mesures du statut socio-économique actuel ont aussi été obtenues (durant la 2ème vague d’entretiens) concernant le statut professionnel et le niveau scolaire. Enfin, outre l’âge, le genre et le statut marital, une série de covariables (ayant été associées à une atrophie des structures temporales médiales) ont été incluses dans les analyses : consommation problématique d’alcool actuelle et antérieure, avoir été victime d’un événement traumatique ou d’une adversité durant l’enfance (négligences, abus émotionnel ou sexuel), diabète, hypertension, maladie cardiaque et accident vasculaire cérébral. Une évaluation auto-rapportée de la santé a également été obtenue, y compris une mesure des symptômes dépressifs. En outre, un score composite de performance cognitive a été construit à partir des mesures de mémoire épisodique, de mémoire de travail et de vitesse de traitement. Enfin, l’utilisation actuelle d’antidépresseurs a été évaluée.
Les résultats montrent tout d’abord que les difficultés financières sont associées à des niveaux plus élevés de symptômes dépressifs et à une performance cognitive plus faible. Les effets de la pauvreté durant l’enfance sont plus modestes et se limitent à une association avec la dépression. Par ailleurs, il apparaît que les adultes d’âge moyen qui rapportent des difficultés financières actuelles ont des volumes hippocampiques et amygdaliens (gauche et droit) plus petits que ceux qui ne rapportent pas de problèmes financiers. Ce résultat est observé dans l’analyse sur le groupe entier et également dans une analyse menée en utilisant un groupe de contrôle qui est mieux apparié au groupe de personnes décrivant des problèmes financiers.
Cette étude présente certaines limites, admises par les auteurs : il s’agit d’une étude transversale ne permettant pas d’exclure une causalité inverse, à savoir le fait que ce serait l’atrophie temporale qui aurait conduit aux problèmes financiers ; en outre, ce travail ne permet pas non plus de distinguer ce qui revient à la pauvreté à court terme versus à la pauvreté persistante (présente tout au long de la vie) ; il faut enfin relever que la mesure de la pauvreté durant l’enfance manque clairement de précision.
Cette étude suggère néanmoins que la pauvreté a un impact significatif sur le cerveau, en plus d’effets observables sur le fonctionnement cognitif. Les auteurs indiquent en quoi ces résultats sont compatibles avec la conception selon laquelle la pauvreté constitue un facteur puissant de stress et conduit à une réduction des volumes hippocampiques et amygdaliens, via l’influence de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou axe de l’hormone du stress) et l’exposition aux glucocorticoïdes. Le fait que la pauvreté est uniquement associée au volume des structures temporales internes, et non au volume intracrânien, permet de considérer que l’effet neurobiologique observé est bien lié à la pauvreté et pas à des différences développementales plus précoces et généralisées
Cette recherche en appelle à des travaux ultérieurs de nature longitudinale et visant à contraster la pauvreté à court terme et la pauvreté persistante. Il s’agirait également d’examiner si ces modifications cérébrales peuvent être compensées par la présence d’un environnement social positif, ce qui permettrait de déterminer dans quelle mesure les interventions sociales visant à réduire la pauvreté (et son impact au plan cérébral et cognitif) peuvent être des interventions tertiaires ou si elles doivent être par nature préventives.
De façon plus générale, les deux recherches que nous avons décrites indiquent à nouveau en quoi l’optimisation du vieillissement cérébral/cognitif passe par une lutte contre les inégalités sociales et un engagement pour un autre type de société !
Al Hazzouri, A.Z., Haan, M.N., Kalbfleisch, J.D., Galea, S., Lisabeth, L.D., & Aiello, A.E.(2011). Life-course socioeconomic position and incidence of dementia and cognitive impairment without dementia in older Mexican Americans: Results from the Sacramento Area Latino Study on Aging. American Journal of Epidemiology, 173, 1148-1158.
Andrew, M.K. & Rockwood, K. (2010). Social vulnerability predicts cognitive decline in a prospective cohort of older Canadians. Alzheimer’s & Dementia, 6, 319-325.
Butterworth, P., Cherbuin, N., Sachdev, P., & Anstey, K.J. (2011). The association between financial hardship and amygdale and hippocampal volumes: results from the PATH through life project. Social Cognitive and Affective Neuroscience, à paraître (doi:10.1093/scan/nsr027).
Lee, Y., Back, J.H., Kim, J., & Byeon, H. (2010). Multiple socioeconomic risks and cognitive impairment in older adults. Dementia and Geriatric Cognitive Disorders, 29, 523-529.
Scazufca, M., Menezes, P.R., Araya, R., Di Rienzo, V.D., Almeida, O.P., Gunnel, D., & Lawlor, D.A. (2008). Risk factors across the life course and dementia in a Brazilian population : results from the Sao Paulo Ageing & Health Study (SPAH). International Journal of Epidemiology, 37, 879-890.
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