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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 09:30

L’évolution des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » ou plus spécifiquement de « maladie d’Alzheimer » est extrêmement variable : certaines personnes peuvent rester stables pendant une longue période de temps, voire même montrer une amélioration, certaines peuvent évoluer lentement, alors que d’autres peuvent manifester une détérioration rapide  (voir nos chroniques « Trois exemples de diagnostic réversible de maladie d’Alzheimer », « L’hétérogénéité de la soi-disant maladie d’Alzheimer : de nouvelles preuves », « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées » et « L’évolution du vieillissement cérébral problématique est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique »).

Les facteurs qui modulent cette évolution sont encore mal compris, mais ils sont très vraisemblablement multiples et de nature différente (psychologique, sociale, environnementale, biomédicale). Il a ainsi été récemment montré que l’entrée dans une structure d’hébergement à long terme ou le fait d’avoir vécu un tremblement de terre (et un tsunami) et d’avoir été déplacées dans un site d’évacuation pouvaient contribuer à l’exacerbation des problèmes cognitifs et comportementaux chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer », suggérant ainsi la contribution d’un facteur de stress psychologique (voir notre chronique précédente « Le stress psychologique: un facteur-clé du vieillissement cérébral cognitif/problématique ? »).

Deux publications récentes ont identifié d’autres facteurs en lien avec l’évolution plus ou moins rapide du déclin des personnes âgées : le rôle des inhibiteurs de la cholinestérase (médicaments « anti-Alzheimer » : donézépil/Aricept, rivastigmine/Exelon et galantamine/Reminyl) et celui des emboles cérébraux.

Le rôle des inhibiteurs de la cholinestérase 

Sona et al. (2012) ont entrepris une étude visant identifier les facteurs associés à un déclin cognitif rapide, sur une période de 18 mois, auprès de 156 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » (probable et possible) selon les critères classiques. Les auteurs ont défini un déclin rapide par une chute de 6 points ou plus au MMSE entre la ligne de base et le suivi à 18 mois : 51 personnes (32.7%) ont été considérées comme présentant un déclin cognitif rapide.

Des analyses de corrélation ont été réalisées afin d’examiner les liens entre un déclin rapide et l’âge, le genre, une histoire familiale de « démence », le niveau de scolarité, le tabagisme, le diabète, l’hypertension, une angine de poitrine ou une crise cardiaque, les niveaux de cholestérol, la protéine C-réactive, une maladie cérébrovasculaire, le génotype ApoE, le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF), un traitement par inhibiteur de la cholinestérase et le fonctionnement cognitif durant la ligne de base (évalué par l’échelle « Clinical Dementia Rating, CDR » et le MMSE).

Les résultats ont montré qu’un statut cognitif et fonctionnel plus déficitaire lors de la ligne de base (évalué par le CDR) et l’utilisation d’inhibiteurs de la cholinestérase étaient associés à un risque plus élevé de présenter un déclin cognitif rapide (ce qui était aussi le cas pour le fait d’être de sexe masculin et d’être plus jeune). L’utilisation d’un seuil de 4, 5, 7 ou 8 au MMSE pour définir un déclin rapide a confirmé les relations entre le déclin rapide et le statut cognitif lors de la ligne de base, ainsi que l’utilisation d’inhibiteurs de la cholinestérase. Il en va de même quand les analyses ont été effectuées en incluant comme personnes avec un déclin rapide les personnes décédées (n=17) et les personnes dont la « démence »  était « trop sévère » (n=9). L’exclusion des personnes avec une « maladie d’Alzheimer possible » (n=31) n’a pas non plus affecté les résultats.

Dans une étude antérieure, Schneider et al. (2011) avaient déjà montré que les personnes ayant reçu un diagnostic de « trouble cognitif léger dû à une maladie d’Alzheimer » (c’est-à-dire un diagnostic de « maladie d’Alzheimer prodromique ») et qui prenaient des inhibiteurs de la cholinestérase depuis 12 à 15 mois avaient des troubles cognitifs légèrement plus importants, montraient un déclin plus grand aux scores cliniques et progressaient vers la « démence » plus rapidement que les personnes qui ne recevaient pas ces médicaments. Il faut par ailleurs noter que les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer légère » (MMSE entre 21 et 26) et qui prenaient à la fois des inhibiteurs de la cholinestérase et de la mémantine (Ebixa) avaient un trouble fonctionnel plus important et montraient un déclin plus grand au MMSE et à l’échelle CDR (mais pas à l’ADAS-Cog) que les personnes qui prenaient seulement des inhibiteurs de la cholinestérase.

Il est utile, comme l’a fait Schneider (2012), de placer les résultats de Sona et al. (2012) dans une perspective plus large. Il faut tout d’abord rappeler que les essais cliniques qui ont appuyé le marketing des inhibiteurs de la cholinestérase ont essentiellement été conduits sur des durées courtes (3 à 6 mois) et que ces essais ont mis en évidence des effets bénéfiques - au mieux - « extrêmement réduits » (voir notre chronique « La Haute Autorité de Santé en France conclut à l’inefficacité des médicaments contre la maladie d’Alzheimer : cela conduira-t-il à un changement d’approche ? »). Dans la même ligne, une revue systématique récente de 15 essais randomisés contrôlés (dont 4 concernaient le donézépil) a montré qu’il n’existait pas actuellement de données consistantes suggérant un effet bénéfique d’un médicament sur la qualité de vie et le bien-être des personnes présentant une « démence » (Cooper et al., 2012).  

Par ailleurs, il n’y a donc pas eu d’essais examinant de façon prospective et randomisée l’effet d’une consommation à long terme d’inhibiteurs de la cholinestérase chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Quelques essais randomisés contrôlés avec placebo ont été menés chez des personnes avec « troubles cognitifs légers » (« mild cognitive impairment ou MCI ») sur une durée allant de 1 à 4 ans, mais ils n’ont pas mis en évidence d’effet bénéfique significatif des inhibiteurs de la cholinestérase en comparaison à un placebo. Il existe aussi quelques études observationnelles ayant suivi à long terme des personnes traitées par inhibiteurs de la cholinestérase et qui ont rapporté des bénéfices tirés de ce traitement. Cependant, comme le relève Schneider (2012), ces études observationnelles sont confrontées à de nombreux biais potentiels non contrôlés. Ainsi, par exemple, elles ne prennent pas en compte les personnes qui ont initialement refusé de prendre le médicament, celles qui ont commencé à le prendre, mais qui ont dû l’arrêter suite à des effets indésirables ou pour des souhaits personnels, ou encore celles qui ont interrompu le traitement parce qu’elles montraient une détérioration rapide.

En outre, les données de Sona et al. (2012) et de Schneider et al. (2011) que nous avons décrites précédemment, indiquent que l’utilisation à long terme des inhibiteurs de la cholinestérase pourrait accroître le déclin des personnes, même si ces études observationnelles (comme celles ayant rapportés des bénéfices d’un traitement à long terme) comportent également divers biais potentiels (p.ex., la décision des médecins d’administrer à la personne un médicament et celle de la personne âgée de s’engager dans un essai pharmacologique pourraient notamment être liées à la présence d’un déclin plus rapide).

Enfin, il faut ajouter que les inhibiteurs de la cholinestérase ont été associés à divers effets indésirables autres qu’un déclin cognitif plus rapide, en particulier un taux accru de bradycardie, de syncopes, d’insertions de pacemaker et de fractures de hanche (voir Schneider, 2012).

Schneider (2012) relève qu’il pourrait y avoir des variations importantes dans l’efficacité des médicaments et que ce qui peut marcher pour une personne peut ne pas marcher pour une autre. Il reconnaît néanmoins qu’une individualisation des traitements s’avérera bien difficile dans l’état actuel des choses.

Personnellement, nous pensons que les données existantes, considérées dans leur ensemble, amènent à sérieusement mettre en question, de façon générale, la pertinence des prescriptions d’inhibiteurs de la cholinestérase aux personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ou de « MCI » ... 

 

Le rôle des emboles cérébraux

Dans une étude menée en 2006 sur 170 personnes ayant reçu un diagnostic de « démence », Purundare et al. ont mis en évidence, durant un contrôle par Doppler transcrânien d’une durée d’une heure, que 40% des personnes avec une « maladie d’Alzheimer » et 37% des personnes avec une « démence vasculaire » présentaient des emboles cérébraux spontanés dans les artères cérébrales moyennes (lesquelles fournissent le sang aux régions frontales, temporales et pariétales du cerveau), et ce contre 14% seulement des personnes de contrôle, appariées en âge et en genre. Un embole cérébral constitue un corps insoluble (étranger à la circulation normale) qui migre dans le circuit artériel qu’il peut bloquer. Pour les auteurs, la fréquence similaire d’emboles dans les deux types de « démence » suggère l’existence d’une cause commune et d’un mécanisme physiopathologique partagé. Ces données ajoutaient ainsi aux multiples facteurs impliqués dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique.

Plus récemment, les mêmes auteurs (Purundare et al., 2012) ont présenté les données d’une étude prospective, dans laquelle ils ont exploré dans quelle mesure les emboles cérébraux spontanés prédisaient une progression plus rapide (cognitive, comportementale et fonctionnelle) sur une période de 2 ans chez des personnes avec « maladie d’Alzheimer » et « démence vasculaire ».

Les emboles cérébraux voyageant dans les artères cérébrales moyennes ont été comptés, lors de la ligne de base et tous les 6 mois durant un suivi de 18 mois, et ce en utilisant l’ultrasonographie par Doppler transcrânien. Cette exploration a été menée auprès de 84 personnes avec « maladie d’Alzheimer » et 60 personnes avec « démence vasculaire » La détérioration cognitive, comportementale et fonctionnelle a été explorée tous les 6 mois pendant une durées de 2 ans, au moyen de l’ « Alzheimer’s Disease Assessment Scale-Cognitive, ADAS-Cog », du MMSE, de l’ « Interview for Deterioration in Daily Living Activities in Dementia » et du « Neuropsychiatric Inventory ». La relation entre les emboles cérébraux et la progression de la « démence » a été analysée par un modèle de régression longitudinale, avec un ajustement pour l’âge, le genre, le sous-type diagnostique, l’âge de début de la « démence » et divers facteurs de risque vasculaires.

Les résultats montrent tout d’abord que des emboles cérébraux spontanés ont été détectés chez 43% des personnes avec « maladie d’Alzheimer » et 45% avec « démence vasculaire ».

Par ailleurs, les scores à l’ADAS-Cog révèlent une détérioration cognitive significativement plus rapide chez les personnes avec des emboles cérébraux, avec une augmentation moyenne du score (indiquant une aggravation) de 15.4 chez ces personnes contre 6 chez les personnes sans emboles cérébraux. Il en va de même pour le MMSE, avec une diminution moyenne du score de 6.9 chez les personnes avec emboles contre 3.4 pour les personnes sans emboles. De plus, les scores à l’ « Interview for Deterioration in Daily Living Activities in Dementia » révèlent une détérioration fonctionnelle plus rapide chez les personnes ayant des emboles cérébraux, avec un accroissement moyen de 59 chez ces personnes comparé à 17.9 chez les personnes sans embols. Enfin, les scores au « Neuropsychiatric Inventory » indiquent aussi un déclin plus rapide au plan comportemental et émotionnel, avec un accroissement moyen du score de 12 chez les personnes avec emboles contre une diminution de 3.8 chez les personnes sans emboles. En conclusion, il apparaît que la présence d’emboles cérébraux spontanés prédit une progression plus rapide, tant de la « maladie d’Alzheimer » que de la « démence vasculaire ». En d’autres termes, les emboles cérébraux semblent expliquer au moins une partie de la variabilité dans la progression de la « démence ».       

Ces emboles cérébraux sont potentiellement évitables et ils pourraient ainsi constituer la cible de stratégies de prévention et d’intervention visant à atténuer les aspects problématiques du vieillissement cérébral/cognitif. Cependant, les mécanismes qui sont à la base de ces emboles chez les personnes avec « démence » restent incertains. Enfin, des études en population générale se devraient d’explorer dans quelle mesure les emboles cérébraux constituent un facteur de risque de développement d’une démence.

En conclusion

Ces données amènent de nouveaux éléments en faveur d’une conception qui assume l’extrême complexité du vieillissement cérébral et cognitif et qui considère que la « démence », et son évolution, sont le résultat d’une combinaison de nombreux facteurs, pouvant intervenir de façon différente chez chaque personne. Elles indiquent également en quoi les catégories diagnostiques de l’approche biomédicale dominante (p. ex., maladie d’Alzheimer, démence vasculaire, etc.) ne permettent pas de capter adéquatement la nature des mécanismes impliqués dans les difficultés cognitives, comportementales et fonctionnelles des personnes âgées (nous reviendrons sur cette question dans une prochaine chronique).

Concernant plus spécifiquement l’évolution de la « démence », il apparaît essentiel de mener d’autres études visant à mieux comprendre la diversité des facteurs impliqués dans la progression des difficultés des personnes, et ce afin de pouvoir mettre en place des mesures de prévention et des interventions visant à en atténuer l’importance ou à la différer.

 

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Cooper, C., Mukadam, N., Katona, C., Lyketsos, C.G., Blazer, D., Rabins, P., Brodaty, H., de Mendonça Lima, C., & Linvingston, G. (2012). Systematic review of the effectiveness of pharmacological interventions to improve quality of life and well-being in people with dementia. American Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse.

Purandare, N., Burns, A., Daly, K.J., Hardicre, J., Morris, J., Macfarlane, G., & McCollun, Ch. (2006). Cerebral emboli as a potential cause of Alzheimer’s disease and vascular dementia: case-control study. British Medical Journal, 332, 1119-1124.

Purandare, N., Burns, A., Morris, J., Perry, E.W., Wren, J., & McCollum, Ch. (2012). Association of cerebral emboli with accelerated cognitive deterioration in Alzheimer’s disease and vascular dementia. American Journal of Psychiatry, sous presse.

Schneider, L.S. (2012). Could cholinesterase inhibitors be harmful overt the long term? International Psychogeriatrics, 24, 171-174.

Schneider, L.S., Insel, Ph.S., Weiner, M.W., for the Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative. (2011). Treatment with cholinesterase inhibitors and memantine of patients in the Alzheimer’s Disease Initiative. Archives of Neurology, 68, 58-66.

Sona, A., Zhang, P., Ames, D., Bush, A.I., Lautenschlager, N.T., Martins, R.N., Masters, C.L., Rowe, Ch.C., Szoeke, C., Taddei, K., Ellis, K.A. and AIBL Research Group. (2012). Predictors of rapid cognitive decline in Alzheimer’s disease: results from the Australian Imaging, Biomarkers and Lifestyle (AIBL) study of ageing. International Psychogeriatrics, 24, 197-204.  

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