« La technologie ne doit pas infantiliser et isoler les plus âgés, elle doit créer du lien » : c’est la phrase qui se trouve en exergue du livre « Bien Vieillir grâce au numérique » rédigé par Carole-Anne Rivière et Amandine Brugière et paru récemment chez FYP Editions. Dans le deuxième chapitre de cet ouvrage, accessible librement via ce lien, les auteures indiquent en quoi les nouvelles technologies peuvent être utilisées pour le bien, mais aussi pour le pire, des personnes âgées.
Ainsi, elles montrent qu’en l’absence d’une approche préventive et sociale du vieillissement (nous ajouterions en l’absence d’une « approche globale » de la personne âgée), les dispositifs de détection (téléassistance, bracelets de localisation, capteurs de toutes sortes) peuvent conduire, sous couvert de gestion des risques, à une surveillance permanente, une déresponsabilisation, une anxiété et une dépendance aux équipements (conduisant à davantage d’isolement et d’enfermement), ainsi qu’à une atteinte à la dignité des personnes et au sentiment de contrôle de leur existence.
Il s’agit donc de concevoir des aides technologiques qui fournissent un appui à l’autonomie et qui permettent au maximum à la personne d’agir par elle-même face à ses difficultés, sans dépendre d’une intervention externe. Comme le relèvent les auteures, « […] il n’y a pas d’âge ni de seuil de dépendance qui empêchent de penser le rôle de la technologie pour l’autonomie ».
Par ailleurs, les auteures décrivent bien ce que l’internet représente comme changement fondamental pour les personnes âgées, en ce qu’il fait passer la vie quotidienne (acheter, s’informer, conserver des documents, etc.) et la communication du « présentiel » au « virtuel ». Les personnes âgées trouvent néanmoins une motivation importante à adopter l’internet, en ce qu’il permet un accès et une « co-présence » aux autres, indépendamment de la distance.
Les offres de formation à l’utilisation d’internet destinées aux personnes âgées se multiplient et il apparaît que les ateliers collectifs constituent une réponse particulièrement adaptée, en offrant un espace de contacts sociaux et de stimulation. Par ailleurs, Rivière et Brugière relèvent que l’appropriation de l’internet par les personnes âgées ne dépend pas uniquement de la maîtrise de l’interface avec l’ordinateur mais aussi, et surtout, du sentiment que cette technologie accroît, ou rétablit, la maîtrise qu’elles ont sur leur vie quotidienne, ainsi que de l’appropriation collective (par la famille, les amis, le personnel de l’institution) de cette technologie. Elles indiquent également en quoi la simplification des interfaces, « à l’usage des personnes âgées », peut être contre-productive, en suggérant une moindre capacité à comprendre, à apprendre, à interagir et en conduisant ainsi à une réduction de l’estime de soi et de la motivation. Comme dans d’autres domaines, il s’agit de prendre en compte l’extrême hétérogénéité des personnes âgées, ainsi que la dynamique du vieillissement, et d’adapter les technologies aux aspirations et caractéristiques spécifiques de la personne. Les interfaces tactiles, qui font appel au geste et au toucher, semblent néanmoins offrir des perspectives intéressantes, exploitables à tout âge.
Ce chapitre éclaire de manière judicieuse, et illustre par de nombreux exemples, à la fois les apports possibles et les dangers des nouvelles technologies pour les personnes âgées et il donne envie de consulter l’ouvrage entier. Il est cependant un point dans ce chapitre qui aurait mérité un peu plus de recul critique : il s’agit de l’utilisation de l’ordinateur à des fins d’entraînement cognitif (même si les auteures mentionnent que « Le jardinage au milieu d’une journée bien remplie procure du plaisir et stimule autant les capacités d’anticipation, d’attention, de mémoire, d’inventivité qu’un entraînement cognitif sur ordinateur »). Si les jeux cognitifs informatisés semblent pouvoir améliorer certains processus perceptifs, attentionnels ou de coordination visuo-motrice (Green & Bavelier, 2008), leur efficacité au plan de la prévention des difficultés cognitives dans la vie quotidienne des personnes âgées et de l’augmentation de leur qualité de vie est très loin d’être démontrée. Il existe même des données suggérant que la pratique fréquente des jeux vidéo puisse avoir des effets néfastes sur la capacité de contrôle proactif, à savoir la capacité de maintenir des traitements dirigés par un but, quand on est confronté à des distracteurs ou à différentes possibilités de réponses (Bailey et al., 2010). Mais, bien entendu, ce qui n’est pas à démontrer, c’est le marché juteux potentiel que représentent les personnes âgées pour les marchands de jeux vidéo…
Un facteur qui semble par contre plus efficace, c’est l’engagement actif des personnes âgées dans des activités (éducatives, sociales, militantes, etc.) ayant une signification personnelle (voir notre chronique « Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique ») et les nouvelles technologies peuvent, dans une certaine mesure, contribuer à cet engagement….
Un article récent, Niemeijer et al. (2010) s’est penché sur les préoccupations éthiques et pratiques en lien avec l’utilisation des technologies de surveillance dans les structures d’hébergement à long terme pour personnes « démentes » et celles présentant un « retard mental », et ce via l’examen de 79 articles ayant abordé cette question. Les auteurs montrent qu’il n’existe aucun consensus concernant une contribution, éthiquement acceptable, des technologies de surveillance à la qualité des soins et interventions proposées aux résidents. Ils indiquent également en quoi la question éthique est peu élaborée et aussi en quoi le point de vue des résidents est largement négligé. En fait, quand il y a débat, il se focalise essentiellement sur l’acceptabilité morale des effets des technologies de surveillance, quand il existe un conflit entre les intérêts de l’institution et les intérêts des résidants. Du point de vue de l’institution, on constate que la sécurité est le facteur clé qui conduit à décider de l’utilisation de ces technologies. Les auteurs en appellent à davantage de réflexion théorique et de recherche empirique (incluant le point de vue des résidants) sur ces questions.
Plus largement, il y a un urgent besoin de recherches de psychologie appliquée visant à explorer les différents facteurs contribuant à des interactions entre les personnes âgées et les nouvelles technologies, qui soient à la fois efficaces, bénéfiques et respectueuses de la dignité et des droits des personnes. Il s’agira de prendre en compte les caractéristiques psychologiques (notamment cognitives) spécifiques, ainsi que les besoins, préférences et souhaits des personnes âgées, et aussi de les impliquer directement dans le processus de recherche (Rogers & Fisk, 2010). Il faut noter que ces recherches de nature appliquée peuvent, en retour, nous permettre de mieux comprendre les multiples facteurs qui modulent le vieillissement cognitif.
Bailey, K., West, R., & Anderson, C.A. (2010). A negative association between video game experience and proactive cognitive control. Psychophysiology, 47, 34-42.
Green, C.S. (2008). Exercising your brain: A review of human brain plasticity and training-induced learning. Psychology and Aging, 23, 692-701.
Niemeijer, A., R., Frederiks, B.J.M., Riphagen, I.I., Legemaate, J., Eefsting, J.A., & Herthog, C.M.P.M. (2010). Ethical and practical concerns of surveillance technologies in residential care for people with dementia or intellectual disabilities: an overview of the literature. International Psychogeriatrics, 22, 1129-1142.
Rogers, W.A., & Fisk, A.D. (2010). Toward a psychological science of advanced technology design for older people. Journal of Gerontology: Psychological Science, à paraître
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