Il existe de nombreuses données suggérant que les personnes âgées qui sont le plus socialement actives présentent moins de déclin cognitif et sont moins à risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique ou de « démence » (voir par ex. Fratiglioni et al., 2004 ; Lovden et al., 2005 ; Saczynski et al., 2006 ; voir aussi notre chronique « Les effets bénéfiques des contacts et soutiens sociaux sur le fonctionnement cognitif tant chez les adultes jeunes que chez les personnes âgées »).
Cependant, plusieurs experts ont considéré que les données existantes n’étaient pas concluantes du fait d’évaluations cognitives trop peu élaborées et/ou de périodes de suivi trop courtes. En outre, les données obtenues pourraient s’interpréter en postulant une causalité inverse (c’est-à-dire le fait que l’activité sociale serait limitée du fait de la présence d’un déclin cognitif préalable à l’exploration) ou la présence de facteurs confondants non évalués.
Il s’avérait donc nécessaire d’entreprendre de nouvelles études en évitant les limites méthodologiques des recherches précédentes. C’est ce à quoi se sont attaqués James et al. (2011).
Dans le contexte du projet longitudinal « Rush Memory and Aging Project », les auteurs ont examiné l’association entre l’activité sociale et le déclin cognitif chez 1138 personnes âgées, issues de la communauté, ayant un âge moyen de 79.6 ans (E.T. = 7.5) et étant sans « démence » lors de l’évaluation initiale (score moyen au MMSE : 27.9 ; E.T. = 2.1). Ces personnes ont été suivies jusqu’à un maximum de 12 années (moyenne = 5.2 ans ; E.T.= 2.8) et elles ont fait l’objet de 2 à 13 évaluations annuelles.
La fréquence de l’activité sociale a été évaluée au moyen d’une échelle dans laquelle les personnes devaient estimer la fréquence avec laquelle elles s’étaient engagées, l’année précédente, dans 6 activités courantes impliquant des interactions sociales : 1. aller au restaurant, se rendre à des événements sportifs ou encore participer à des jeux de carte ; 2. partir en excursion un ou deux jours ; 3. effectuer un travail communautaire non rémunéré ou bénévole ; 4. rendre visite à des membres de sa famille ou à des amis ; 5. participer à des groupes de personnes âgées, à des œuvres de charité ou à des structures similaires ; 6. aller à des services religieux. Les personnes devaient évaluer leur engagement social dans ces différentes activités sur une échelle à 5 niveaux : 1. une fois par an ou moins ; 2. plusieurs fois par an ; 3. plusieurs fois par mois; 4. plusieurs fois par semaine ; 5. chaque jour ou pratiquement chaque jour. Les items étaient sommés et divisés par le nombre total d’items, afin d’obtenir un score composite d’activité sociale (un score plus élevé indiquant davantage d’activités).
Le fonctionnement cognitif a été évalué annuellement au moyen d’une batterie de 21 tests standardisés. Les scores à 19 tests ont été utilisés afin de créer un indice de fonctionnement cognitif global, ainsi que des indices associés à 5 domaines cognitifs spécifiques (la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail, la vitesse perceptive et la capacité visuo-spatiale).
Le diagnostic de démence (critère d’exclusion lors de la ligne de base) et de MCI (« Mild Cognitive Impairment ») a été déterminé via un processus en trois étapes incluant des résultats à des tests cognitifs, le jugement clinique d’un neuropsychologue expérimenté et une classification diagnostique par un clinicien expérimenté, et ce à partir des critères classiques de diagnostic.
Une série de variables, pouvant jouer un rôle confondant dans la relation entre activité sociale et déclin cognitif, ont été évaluées lors de la ligne de base : la taille du réseau social (nombre d’enfants, de membres de la famille et d’amis vus au moins une fois par mois) ; la symptomatologie dépressive (échelle CESD) ; le nombre total de problèmes médicaux parmi 7 (diabète, hypertension, maladie cardiaque, cancer, maladie de la thyroïde, traumatisme crânien et accident vasculaire cérébral) ; les incapacités fonctionnelles (l’indépendance dans 6 activités basiques de la vie quotidienne : marche, bain, habillage, nourriture, se rendre du lit à une chaise et aller à la toilette) ; les traits de personnalité de neuroticisme et d’extraversion (sous-échelles du NEO) ; participation à des activités stimulantes (p. ex., lire un livre ou se rendre dans une bibliothèque ; un score global sur les différents items a été établi à partir d’une évaluation sur une échelle à 5 niveaux, avec le niveau 5 indiquant une participation à l’activité chaque jour ou quasiment et le niveau 1 une fois par an ou moins ; les items ayant une composante sociale, tels que se rendre à un concert, ont été enlevés) ; la fréquence de l’activité physique (participation durant les deux dernières semaines à 5 activités, dont la marche ou la gymnastique suédoise, avec le nombre de fois et le temps moyen par occasion : une mesure du nombre d’heures d’activité physique par semaine a été ensuite calculé) ; le revenu total familial (13 % des personnes n’ont pas fourni cette information).
Les analyses (modèles linéaires mixtes contrôlant le rôle confondant possible d’une série de variables décrites précédemment : statut socioéconomique, taille du réseau social, santé, incapacités fonctionnelles, affect, personnalité et activités cognitives et physiques) montrent qu’une activité sociale plus fréquente est associée un déclin cognitif moindre durant la période de suivi d’une durée moyenne de 5.2 ans. Plus spécifiquement, l’augmentation d’un point dans le score d’activité sociale (étendue : 1 - 4.2) est associée à une réduction de 47% du taux de déclin dans le fonctionnement cognitif global. De plus, le taux de déclin cognitif est réduit en moyenne de 70% chez les personnes qui étaient fortement actives au plan social (score = 3.33, centile 90) en comparaison aux personnes qui l’étaient peu (score = 1.83, centile 10). Par ailleurs, l’association entre l’activité sociale et le déclin cognitif est similaire pour les 5 domaines cognitifs.
Des analyses de sensibilité montrent que cette association entre activité sociale et déclin cognitif subsiste quand on retire de l’analyse les personnes qui, lors de l’évaluation initiale (ligne de base), présentaient le niveau cognitif le plus bas (30% des personnes) ou qui avaient reçu le diagnostic de « MCI » : ces résultats sont donc en désaccord avec l’hypothèse de la causalité inverse selon laquelle la réduction de l’activité sociale serait causée par la présence de difficultés cognitives préalables.
L’intérêt de cette étude est d’avoir établi une méthodologie évitant les limites des études précédentes : suivi relativement long, avec, en moyenne, 6 évaluations annuelles par personne, ce qui augmente la capacité de détecter des changements dans le déclin cognitif ; une évaluation cognitive très approfondie, au moyen de tests standardisés et couvrant différents domaines cognitifs ; le contrôle d’un grand nombre de variables confondantes, ce qui a notamment permis de montrer que la contribution de l’activité sociale au déclin cognitif était indépendante de l’activité physique et cognitive ; la mise en place d’analyses de sensibilité afin de tester l’hypothèse de la causalité inverse : l’exploration d’une grande cohorte de personnes âgées issues de la communauté, sans « démence » lors de la ligne de base, et avec un taux élevé de participation (84%) lors du suivi.
Les auteurs reconnaissent cependant que l’hypothèse de la causalité inverse et la contribution de possibles variables confondantes ne peuvent totalement être exclues du fait du design « observationnel » de cette étude. Par ailleurs, si l’activité sociale a bien un rôle causal dans la réduction du déclin cognitif, la nature des mécanismes impliqués reste à déterminer : réserve cognitive/cérébrale, sentiment d’avoir un but dans la vie avec réduction concomitante du stress, activité physique au-delà de ce qui a été évalué, etc.
Les limites de cette étude sont notamment d’avoir évalué l’activité sociale au moyen d’une auto-évaluation. De plus, la population examinée était âgée de près de 80 ans, ce qui faisait peut-être de ces personnes âgées des individus ayant un vieillissement « optimal », avec une activité sociale plus importante que la population générale de 65 ans et plus. Enfin, l’activité sociale n’a pas été évaluée avant la vieillesse, ce qui ne permet pas d’identifier l’importance du moment de mise en place de cette activité et de sa durée tout au long de la vie.
Quoi qu’il en soit, cette recherche fournit des données convaincantes indiquant qu’un style de vie socialement actif peut aider à prévenir le déclin cognitif durant la vieillesse. C’est clairement dans cette perspective que nous proposons aux personnes âgées, dans la commune de Lancy dans laquelle nous vivons et dans le cadre de l’Association VIVA que nous avons créée, une série d’activités ayant une forte composante sociale, y compris dans une perspective intergénérationnelle (voir notre chronique « VIVA : Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement »).
©VIVA2010
Fratiglioni, L., Paillard-Borg, S., & Winblad, B. (2004). An active and socially integrated lifestyle in late life might protect against dementia. The Lancet Neurology, 3, 343-353.
James, B.D., Wilson, R.S., Barnes, L.L., & Bennett, D.A. (2011). Late-life social activity and cognitive decline. Journal of the International Neuropsychological Society, 17, 998-1005.
Lovden, M., Ghisletta, P., & Lindenberger, U. (2005). Social participation attenuates decline in perceptual speed in old and very old age. Psychology and Aging, 20, 423-434.
Saczinsky, J.S., Pfeifer, L.A., Masaki, K., Korf, E.S., Laurin, D., White, L., & Launer, L.J. (2006). The effect of social engagement on incident dementia. American Journal of Epidemiology, 163, 433-440.
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