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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 20:50

Résumé de la chronique

Haslam et al. (2012) ont examiné, chez des personnes âgées sans « démence », l’impact sur la performance à des tests cognitifs (utilisés dans l’évaluation clinique de la « démence ») de deux facteurs psychosociaux : la catégorisation de soi fondée sur l’âge (c.-à-d., se voir comme étant plus vieux ou plus jeune que d’autres personnes ) et les attentes concernant les effets du vieillissement sur le déclin cognitif (des attentes relatives à un déclin spécifique de la mémoire versus des attentes relatives à un déclin cognitif général). Ces facteurs ont été manipulés expérimentalement.

Les résultats montrent que les personnes âgées qui ont été amenées à se catégoriser comme « plus vieilles » que les autres participants obtiennent des performances cognitives plus faibles que les personnes qui ont été amenées à se catégoriser comme « plus jeunes ». Par ailleurs, le déclin de la performance aux tests de mémoire est plus net quand les participants sont amenés à considérer que le vieillissement est spécifiquement associé à un déclin de la mémoire. Inversement, le déclin de la performance dans la capacité cognitive générale est plus marqué quand les participants s’attendent à ce que le vieillissement implique un déclin cognitif plus global.

Enfin, les participants qui ont été conduits à se catégoriser comme « plus vieux » que les autres participants et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général obtiennent des performances à une batterie d’évaluation du fonctionnement cognitif global, qui, dans 70 % des cas, correspondent à un critère de « démence ».

 

De nombreuses études ont mis en évidence que les personnes âgées qui possèdent des stéréotypes négatifs (ou des attentes négatives) en lien avec le vieillissement montrent une réduction de leur performance cognitive, notamment à des tâches de mémoire (voir nos chroniques «Le rôle des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées» et «Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes»).

Plus concrètement, le fait, pour des personnes âgées, de s’attendre à ce que le vieillissement soit associé à un déclin inévitable de la mémoire réduit leur performance à une tâche de mémoire, en comparaison à des personnes âgées qui n’ont pas de telles attentes. 

En dépit de la solidité de cet effet, ses implications concernant l’évaluation clinique du fonctionnement cognitif ont été peu explorées. Or, comme le relèvent Kit, Tuokko, et Mateer (2008), les déficits cognitifs observés chez des patients cérébro-lésés ou chez des personnes âgées pourraient, en partie, être attribuables à l’influence de stéréotypes négatifs sur la performance aux tests cognitifs (neuropsychologiques), plutôt qu’aux effets directs d’un dysfonctionnement cérébral.

En fait, les stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement n’ont une influence sur la performance cognitive des personnes âgées que si ces personnes considèrent que les stéréotypes s’appliquent à elles-mêmes, c’est-à-dire si elles considèrent qu’elles font effectivement partie du groupe des personnes âgées. Or, l’âge est une catégorie flexible et c’est le sentiment subjectif d’appartenir ou non au groupe des personnes âgées qui détermine si les stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement s’appliquent ou non à soi.

Dans cette perspective, Haslam et al. (2012) ont examiné l’impact de la catégorisation de soi fondée sur l’âge (c.-à-d., se voir comme étant plus vieux ou plus jeune que d’autres participants), ainsi que des attentes négatives en lien avec le vieillissement sur la performance à des tests cognitifs utilisés dans l’évaluation clinique de la « démence ».

Participants, manipulations expérimentales et hypothèses

Les auteurs ont examiné 68 personnes issues de la communauté, âgées en moyenne de 65.1 ans et ayant suivi un nombre moyen d’années d’études de 12 ans. Pour être incluses, ces personnes devaient avoir entre 60 et 70 ans et ne pas avoir d’histoire de traumatisme, de maladie importante ou de trouble de l’humeur, ni avoir reçu un diagnostic de pathologie progressive.

Par ailleurs, les participants ont été soumis à deux manipulations expérimentales :

* La première manipulation visait à faire varier parmi les participants la catégorisation de soi basée sur l’âge. On disait aux participants que le but de l’étude état d’explorer la performance cognitive de personnes d’âges différents. Les participants inclus dans la condition « plus vieux » étaient informés du fait que l’âge des personnes examinées variait entre 40 et 70 ans et qu’ils étaient les personnes les plus âgées de l’échantillon. Par contre, les participants inclus dans la condition « plus jeunes » étaient informés que l’âge des personnes examinées variait entre 60 et 90 ans et qu’ils étaient les personnes les plus jeunes de l’échantillon.

* La deuxième manipulation visait à façonner les attentes des participants concernant la nature des déficits cognitifs associés au vieillissement. Il s’agissait de lire aux participants un bref article (un tiers de page) censé avoir été écrit pour un magazine traitant du vieillissement. La moitié des participants recevait un article intitulé « La mémoire et les personnes âgées » dans lequel on les informait du fait que « le vieillissement est spécifiquement associé à un déclin de la mémoire »  (avec des exemples des difficultés mnésiques classiquement rapportées par les personnes âgées quand elles consultent en milieu clinique). Les autres participants recevaient un article intitulé « Capacités générales et personnes âgées » dans lequel on les informait du fait que « le vieillissement est associé à un déclin cognitif généralisé » . Cet article mettait en avant les changements dans les habiletés intellectuelles générales (autres que la mémoire, qui n’était pas mentionnée), tels que des difficultés de concentration, de prise de décision, de planification de la journée ou de résolution de problèmes.

Les participants ont été aléatoirement répartis dans 4 groupes constitués à partir des deux manipulations expérimentales : groupe « catégorisation plus vieux / attente de déclin mnésique spécifique » ; groupe « catégorisation plus jeunes / attente de déclin mnésique spécifique » ; groupe « catégorisation plus vieux / attente de déclin cognitif général » ; groupe « catégorisation plus jeunes / attente de déclin cognitif général ».

Après ces manipulations expérimentales, il était demandé aux participants d’indiquer s’ils se sentaient plus jeunes ou plus vieux que les autres participants, et ceci afin de vérifier que la manipulation de la catégorisation de soi basée sur l’âge avait réellement fonctionné.

Ensuite, les participants étaient soumis à deux tests cognitifs : un test de mémoire (la mémoire de récits de l’Echelle de Mémoire de Wechsler : rappel de deux récits, immédiatement après leur présentation et ensuite après 30 minutes) ;  une échelle d’évaluation des capacités cognitives générales, classiquement utilisée dans les « consultations mémoire » en Grande-Bretagne afin de détecter une « démence précoce » (l’Addenbrooke’s Cognitive Examination-Revised, ACE-R, qui évalue 5 domaines : attention/orientation, mémoire, fluence verbale, langage et capacité visuospatiale ; un score sur 100 est établi et un score-seuil de 82 est utilisé comme critère pour la détection d’une « démence, donnant une sensibilité de 84% et une spécificité de 100%).

Les hypothèses suivantes ont été testées : 1. Les personnes qui sont amenées à se percevoir comme plus âgées auront de moins bonnes performances cognitives que les personnes poussées à se percevoir comme plus jeunes. 2. Les effets de la catégorisation de soi basée sur l’âge seront plus marqués au test évaluant la fonction cognitive dont les participants ont été amenés à considérer qu’elle décline avec l’âge (déclin mnésique ou déclin cognitif général).

Résultats

Les 4 groupes de participants ne différaient pas en âge, niveau scolaire, scores au MMSE et au NART (National Adult Reading Test, évaluant la capacité intellectuelle générale antérieure). Par ailleurs, tous les participants avaient un score au MMSE supérieur à 24. Enfin, le contrôle de la manipulation de la catégorisation de soi basée sur l’âge a confirmé que cette manipulation avait réussi.

Les comparaisons de groupes menées sur les trois mesures dépendantes de la performance cognitive (mémoire immédiate, mémoire différée et capacité cognitive générale) ont confirmé les hypothèses.

Tout d’abord, les participants qui ont été encouragés à se catégoriser comme « plus vieux » ont obtenu des performances cognitives plus faibles aux trois tests.

Par ailleurs, comme attendu, le déclin de la performance aux tests de mémoire est plus net quand les participants s’attendent à ce que le vieillissement soit spécifiquement associé à un déclin de la mémoire. Inversement, le déclin de la performance dans la capacité cognitive générale est plus marqué quand les participants s’attendent à ce que le vieillissement implique un déclin cognitif plus global et plus diffus. En d’autres termes, la catégorisation de soi basée sur l’âge et les attentes spécifiques relatives aux effets du vieillissement sur le fonctionnement cognitif interagissent pour produire des formes particulières de déficit cognitif.

Enfin, des implications cliniques très importantes apparaissent quand on examine la performance des participants en regard du score-seuil utilisé comme critère de « démence » (score-seuil de 82 au ACE-R). En effet, dans le groupe des participants qui ont été conduits à se catégoriser comme « plus vieux » et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général, 70% obtenaient une performance à l’ACE-R correspondant au critère de « démence », contre seulement 14% en moyenne dans les trois autres conditions. Ainsi, le fait d’être dans le groupe « catégorisation plus vieux / attente d’un déclin cognitif général associé au vieillissement » accroît la probabilité de recevoir un diagnostic de « démence» (sur base de l’ACE-R) de 400% !

Conclusions

L’étude de Haslam et al. (2012) est importante, car non seulement elle confirme l’influence des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur la performance cognitive, mais aussi et surtout elle montre que ces stéréotypes peuvent affecter de façon spécifique certaines capacités cognitives, en fonction de l’attente qu’a la personne d’un déficit cognitif particulier.

Ainsi, par exemple, si le déclin de la mémoire est particulièrement saillant dans l’esprit d’une personne âgée qui s’adresse à une « consultation mémoire », les clinicien(ne)s doivent être conscient(e)s du fait que la performance mnésique de cette personne peut être affectée par des facteurs situationnels, tels que la perception qu’elle a d’être dans la catégorie des « vieux ». On voit là, une fois de plus, en quoi l’interprétation d’une performance mnésique (et, plus largement, d’une performance cognitive) faible se doit de prendre en compte de multiples facteurs et ne doit pas réduire automatiquement ce déclin mnésique (ou cognitif) à un prétendu dysfonctionnement cérébral ou à une prétendue « maladie neurodégénérative » (voir notre chronique « Le trouble cognitif léger ou mild cognitive impairment (MCI) : une flagrante myopie intellectuelle »).

Ainsi, les clinicien(ne)s ne peuvent ignorer le risque considérable de diagnostic erroné auquel peuvent conduire la catégorisation de soi basée sur l’âge et les attentes particulières de déclin cognitif.

De façon plus spécifique, Haslam et al. indiquent en quoi il semble peu pertinent de discuter des stéréotypes et attentes des personnes âgées avant une évaluation, au risque de les exacerber. Il s’agirait plutôt d’encourager une performance optimale en mettant en question les stéréotypes négatifs et en augmentant l’estime de soi liée à l’âge (p. ex., en relevant toutes les réalisations positives des personnes âgées). Par contre, la question des attentes et des stéréotypes peut être soulevée lors de la transmission des résultats de l’évaluation, afin de proposer une interprétation prenant en compte la conception qu’a la personne d’elle-même ainsi que le contexte de l’évaluation.

Il faut relever que la nécessité d’envisager l’influence, possiblement importante, des stéréotypes et des attentes en lien avec les déficits cognitifs (ou autres), vaut tout autant pour les clinicien(ne)s travaillant dans d’autres domaines que celui du vieillissement...

haslam.jpg

Haslam, C., Morton, Th., Haslam, A., Varnes, L., Graham, R., & Gamaz, L. (2012). “When the age is in, the wit is out”: Age-related self-categorization and deficit expectations reduce performance on clinical tests used in dementia assessment. Psychology and Aging, sous presse (doi: 10.1037/a0027754).

Kit, K.A., Tuokko, H.A., & Mateer, C.A. (2008). A review of the stereotype threat literature and its application in a neurological population. Neuropsychology Review, 18, 132-148.

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