Résumé
Il existe une très grande hétérogénéité dans l’évolution des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » et cette hétérogénéité semble dépendre de multiples facteurs (biologiques, psychologiques, environnementaux et sociaux). Un de ces facteurs paraît être les stratégies de « coping » mises en place par les proches aidant(e)s face aux difficultés qu’ils rencontrent.
En effet, Tschanz et al. (2012) ont récemment montré que le déclin cognitif et fonctionnel des personnes présentant une démence » pouvait être modulé par l’adoption par les proches aidant(e)s de certaines stratégies de « coping », et en particulier, de la stratégie focalisée sur le problème et sa solution.
Cette étude suggère que des interventions visant à favoriser auprès des proches aidant(e)s l’adoption de stratégies de « coping » fonctionnelles (comme la focalisation sur le problème et sa solution ou la recherche de soutien social/émotionnel) plutôt que dysfonctionnelles (comme le déni, le blâme de soi ou d’autrui ou encore l’évitement) pourraient être bénéfiques, non seulement aux proches aidant(e)s eux-mêmes, mais aussi aux personnes ayant reçu un diagnostic de « démence ».
Comme nous l’avons maintes fois mentionné, il existe une très grande hétérogénéité dans l’évolution des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » avec, en particulier, un pourcentage important de personnes qui restent longtemps stables ou qui évoluent très lentement (voir p. ex., notre chronique « L’évolution de la démence est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique »). Par ailleurs, cette hétérogénéité constitue un phénomène très complexe et semble dépendre de multiples facteurs (biologiques, psychologiques, environnementaux et sociaux).
Dans une recherche récente, Tschanz et al. (2012) ont montré que le type de stratégies de « coping » mises en place par les proches aidant(e)s face aux difficultés qu’ils rencontrent représente un des nombreux facteurs pouvant influer sur le devenir cognitif et fonctionnel des personnes présentant une « démence ».
Les stratégies de coping
Les stratégies de « coping » renvoient à l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux que déploie une personne afin de maîtriser une situation difficile (exigeante, éprouvante) ou d’en diminuer l’impact sur son bien-être physique et psychologique.
Différents types de stratégies peuvent être distingués : des stratégies focalisées sur le problème (et sa solution) et visant à gérer la source du stress; des stratégies focalisées sur les émotions et dont le but est de réguler la souffrance psychologique ; des stratégies focalisées sur la signification et qui ont pour but de maintenir la motivation afin de pouvoir recruter des ressources en cas d’échec dans la gestion d’un problème (il s’agit de stratégies qui vont se fonder sur les valeurs personnelles et les croyances de type spirituel, religieux ou existentiel).
Les stratégies de coping peuvent également être caractérisées selon trois dimensions : active/cognitive (p. ex., redéfinir un problème, voir le côté positif, réévaluer positivement la situation) ; active/comportementale (p. ex.. chercher un soutien émotionnel, se focaliser sur la résolution du problème) ; évitement (p. ex., ignorer le problème).
Une méta-analyse récente (Li et al., 2012) a mis en évidence que l’utilisation, par les proches aidant(e)s de personnes présentant une « démence », de stratégies de « coping » dysfonctionnelles (comme le déni, se blâmer ou l’évitement) était corrélée (dans les études transversales) à la dépression et à l’anxiété et prédisait (dans 2 études longitudinales) la dépression 6 et 12 mois plus tard. Par ailleurs, les stratégies d’acceptation et de recherche de soutien émotionnel étaient associées (dans les études transversales) à moins d’anxiété et de dépression et prédisaient (dans une étude longitudinale) moins d’anxiété et de dépression une année plus tard.
Contrairement à ce qui était observé dans d’autres domaines que le vieillissement cérébral/cognitif problématique, les stratégies centrées sur la résolution de problèmes n’étaient pas associées de façon positive à la santé psychologique des proches aidant(e)s. Une étude longitudinale a d’ailleurs montré que les proches aidant(e)s qui rapportaient utiliser davantage ce type de stratégies tendaient à avoir plus de dépression et d’anxiété un an plus tard. Les auteurs suggèrent que cela pourrait être lié au caractère progressif de la « démence » et au fait que le stress généré par la « démence » serait moins susceptible de bénéficier, avec le temps, de stratégies de résolution de problèmes. Ils reconnaissent cependant que les stratégies focalisées sur la résolution de problèmes pourraient être bénéfiques pour d’autres dimensions que l’anxiété et la dépression. Par ailleurs, il se pourrait également que ce type de stratégies de « coping » ne soit bénéfique que si une aide est apportée aux proches aidant(e)s pour la formulation et la mise en place de solutions efficaces.
Influence des stratégies de « coping » chez les proches aidant(e)s sur l’évolution de la « démence »
Dans le cadre de la « Cache County Study on Memory in Aging » (CCSMA), Tschanz et al., (2012) ont examiné dans quelle mesure les stratégies de « coping » des proches aidant(e)s prédisaient la progression de la « démence » . Pour ce faire, ils ont suivi, deux fois par an et jusqu’à un maximum de 6 ans, 226 personnes (issues de la population générale) avec une « démence » et leur proche aidant(e).
Les stratégies de « coping » des proches aidant(e)s ont été évaluées au moyen du « Ways of Coping Checklist – Revised ». Dans ce questionnaire composé de 57 items, on demande aux proches aidant(e)s de penser à un problème et d’évaluer la fréquence (jamais, rarement, parfois, régulièrement) avec laquelle ils utilisent diverses stratégies de « coping ». Les items se regroupent en 8 catégories de stratégies : focalisation sur le problème (chercher une solution et établir un plan d’action), recherche de soutien émotionnel/social, évitement, prendre ses désirs pour des réalités (« wishful thinking »), se faire des reproches, blâmer autrui, s’estimer heureux avec ce que l’on a (« counting blessings ») et « coping » religieux.
L’évaluation de la progression de la « démence » a été réalisée au moyen du MMSE (en ajustant le score en fonctions des items échoués du fait de problèmes sensoriels ou moteurs) et de l’échelle « Clinical Dementia Rating » (CDR).
Différents facteurs sociodémographiques (co-variables) pouvant affecter l’association entre les stratégies de « coping » des proches aidant(e)s et le déclin des personnes présentant une « démence » ont été contrôlés : le genre et le niveau scolaire du es proches aidant(e)s, leur lien de parenté avec la personne âgée, l’âge de début de la « démence » et sa durée au moment de la ligne de base.
L’âge moyen de l’installation de la « démence » chez les personnes ayant reçu ce diagnostic était de 82.11 (±5.84) ans et l’âge moyen des proches aidant(e)s était de 67.41 (±13.95) ans. La durée moyenne du suivi des participants était de 1.65 (±1.63) ans.
Les résultats montrent que l’utilisation plus importante de stratégies consistant à se focaliser sur le problème et à s’estimer heureux avec ce que l’on a est associée à un déclin plus lent au MMSE. Par ailleurs, l’adoption de stratégies consistant à se focaliser sur le problème, à chercher un soutien social et à prendre ses désirs pour des réalités est associée à un déclin plus lent à l’échelle CDR (somme des cases).
En prenant en compte les co-variables sélectionnées, il apparaît que l’utilisation plus importante de la stratégie consistant à se focaliser sur le problème est associée à un déclin moindre de 0.70 points par année au MMSE et de 0.55 points par année à l’échelle CDR. Enfin, en comparaison avec l’absence d’utilisation (« Jamais »), l’utilisation fréquente (« Régulièrement ») de cette stratégie est associée à un déclin moindre de 2 points par année au MMSE et de 1.65 points par année à l’échelle CDR.
Cette étude suggère donc que le déclin cognitif et fonctionnel des personnes présentant une « démence » pourrait être modulé, en partie du moins, par l’adoption par les proches aidant(e)s de certaines stratégies de « coping » (en particulier, la stratégie focalisée sur le problème), même si les résultats ne permettent pas d’attribuer de façon certaine un rôle causal à ces stratégies
Incontestablement, cette recherche en appelle d’autres, visant à confirmer les résultats obtenus, mais aussi à mieux comprendre les facteurs qui conduisent à l’adoption de tel ou tel type de stratégie de « coping » (p. ex., la perception et l’interprétation qu’ont les proches aidant(e)s des problèmes rencontrés). Il serait également intéressant d’examiner dans quelle mesure la combinaison de certaines stratégies pourrait être encore plus bénéfique.
Intervenir auprès des proches aidant(e)s
Le travail de Tschanz et al., (2012) suggère que des interventions visant à favoriser auprès des proches aidant(e)s l’adoption de stratégies de « coping » fonctionnelles pourrait être bénéfique, non seulement aux proches aidant(e)s eux-mêmes, mais aussi aux personnes ayant reçu un diagnostic de « démence ».
Dans cette perspective, Rodriguez-Sanchez et al. (2012) ont testé, dans le cadre de Centres de Soins de Santé Primaire en Espagne, l’efficacité d’une intervention de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) destinée aux proches aidant(e)s de personnes âgées présentant une « démence » ou manifestant un autre type de problème (musculo-squelettique, cardiaque, etc.). Pour ce faire, ils ont réalisé un essai randomisé contrôlé dans lequel 125 proches aidant(e)s ont été alloués à un groupe d’intervention TCC ou à un groupe de contrôle (soins habituels).
L’intervention de TCC avait pour objectif d’améliorer la gestion des pensées dysfonctionnelles et d‘apprendre des techniques d’auto-assistance (« self-help »). Elle consistait en 8 sessions de 90 minutes, menées en groupes de 8 à 12 proches aidant(e)s pendant 8 semaines consécutives dans les Centres de Soins de Santé Primaire.
Le contenu des différentes sessions était le suivant :
* Explication du contenu de l’intervention, ainsi que du modèle du stress sur laquelle elle se fonde.
* Mise en avant de l’importance qu’il y a à prendre soin de soi
* Explication des différences entre situation, pensée et émotion et focalisation sur l’importance qu’il y a à analyser les pensées automatiques.
* Explication des erreurs de pensée.
* Focalisation sur les facteurs qui affectent l’état d’humeur : valoriser le temps libre, entreprendre des activités plaisantes, apprendre à ajuster ses pensées à la réalité.
* En apprendre plus sur le sentiment « je devrais » (culpabilité) : d’où il vient, comment il se forme et les stratégies pour l’identifier.
* Analyser les droits des proches aidant(e)s et les difficultés pour les faire valoir.
* Apprendre comment demander de l’aide.
Les résultats de cet essai randomisé contrôlé ont mis en évidence une amélioration significative de la santé psychologique (auto-évaluée au moyen du « General Health Questionnaire » ; GHQ-12) chez les proches aidant(e)s ayant reçu l’intervention TCC. De plus, une amélioration significative a également été observée chez les participants aux groupes d’intervention TCC au niveau des pensées dysfonctionnelles pouvant agir en tant qu’obstacles à un style de « coping » adapté chez les proches aidant(e)s. Les deux effets bénéfiques de l’intervention étaient de taille modérée.
Il s’agirait cependant d’examiner dans quelle mesure les contacts sociaux suscités par les groupes d’intervention TCC ont pu contribuer aux effets bénéfiques, et ce en incluant des groupes de contrôle avec contacts sociaux.
Par ailleurs, il faut relever qu’aucune amélioration n’a été observée dans la qualité de vie et le fardeau perçus par les proches suite à l’intervention TCC, ce qui indique la nécessité d’adopter une perspective d’intervention plurielle (visant plusieurs facteurs), intégrée et individualisée (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »).
Ainsi, un des autres axes d’intervention pourrait se focaliser sur l’engagement concret dans des activités plaisantes, ainsi que sur le sentiment de restriction des activités (l’évaluation cognitive de ne pas être capable de s’engager dans le nombre souhaité d’activités plaisantes). Il a en effet été observé que la combinaison d’un engagement moindre dans des activités plaisantes et du sentiment de restriction des activités plaisantes était plus prédictif des perturbations de l’humeur, de l’utilisation de stratégies de « coping » dysfonctionnelles et d’une évaluation négative de la santé chez les proches aidant(e)s de personnes avec une « démence » que chaque facteur pris isolément (Mausbach et al., 2011 ; modèle « PEAR » : « Pleasant Events and Activity Restriction »).
Récemment, Chatillion et al. (2012) ont montré que la combinaison d’un engagement élevé dans des activités plaisantes et d’une perception faible de restriction des activités plaisantes était associée à une tension artérielle plus basse chez des proches aidant(e)s de personnes avec une « démence », par comparaison à la combinaison d’un engagement bas dans des activités plaisantes et d’une perception forte de restriction des activités plaisantes.
Notons enfin que la qualité de vie des proches aidant(e)s semble être associée à la perception que ces proches aidant(e)s ont de l’importance qu’accordent les personnes avec une « démence » à certaines valeurs et préférences (Reamy et al., 2012). Cette perception était évaluée comme suit : « Dites-moi si vous pensez qu’il est très important, moyennement important ou pas du tout important pour XXX (la personne avec une « démence ») d’avoir une vie privée, d’aller et venir comme il/elle lui plaît, d’éviter de devenir un fardeau physique pour sa famille, d’être avec des amis ou sa famille, de se sentir en sécurité dans sa propre maison ».
En suivant longitudinalement 198 dyades (personne avec une « démence » et proche aidant(e)), les auteurs ont montré que la perception que les proches aidant(e)s avaient de l’importance accordée par les personnes avec une « démence » à certaines valeurs et préférences diminuait avec le temps, sur une période de 4 ans. De plus, les changements dans l’importance perçue par les proches co-variaient avec les changements dans leur propre qualité de vie avec le temps.
Ces données indiquent en quoi les proches aidant(e)s peuvent être progressivement moins capables de prendre des décisions qui représentent réellement les valeurs et préférences des personnes avec une « démence ». Cependant, elles montrent également en quoi cette incapacité progressive pourrait être freinée par des interventions permettant d’accroître la qualité de vie des proches aidant(e)s.
Chatillion, E.A., Ceglowski, J., Roepke, S.K., von Känel, R., Losada, A., Mills, P.J., Romero-Moreno, R., Grant, I., Patterson, T.L., & Mausbach, B.T. (2012). Pleasant events, activity restriction, and blood pressure in dementia caregivers. Health Psychology, sous presse.
Li, R., Cooper, C., Bradley, J., Shulman, A., & Livingston, G. (2012). Coping strategies and psychological morbidity in family carers of people with dementia: A systematic review and meta-analysis. Journal of Affective Disorders, 139, 1-11.
Reamy, A. M., Kyungmin Kim, M.A., Zarit, S.H., & Whitlach, C.J. (2012). Values and preferences in individual with dementia: Perceptions of family caregivers over time. The Gerontologist, sous presse.
Rodriguez-Sanchez, E., Patino-Alonso, M.C., Mora-Simon, S., Gomez-Marcos, M.A., Pérez-Penaranda, A., Losada-Baltar, A., & Garcia-Ortiz, L. (2012). Effects of a psychological intervention in a primary care center for caregivers of dependent relatives : A randomized trial. The Gerontologist, sous presse.
Tschanz, J.T., Piercy, K., Corcoran, Ch., Fauth, E., Norton, M.C., Rabins, P.V., … Lyketsos, C.G. (2012). Caregiver coping strategies predict cognitive and functional decline in dementia: The Cache County dementia progression study. American Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse.
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