Dans une chronique précédente (« Quand les psychologues états-uniens s’insurgent contre la médicalisation du vieillissement cérébral et de ses manifestations psychologiques »), nous avons relaté la prise de position de Susan Krauss Whitbourne, professeure de psychologie à l’Université du Massachussetts à Amherst, concernant la médicalisation du fonctionnement psychologique. Susan Krauss Whitbourne nous informait également du fait que, aux Etats-Unis, des groupes de psychologues travaillant dans les domaines du vieillissement cognitif, de la neuropsychologie et de la psychologie clinique avaient commencé à élaborer une réponse commune à la « médicalisation de l’esprit ». Nous en appelions à une démarche analogue des psychologues francophones.
Dans une perspective plus générale, la Société pour une Psychologie Humaniste (Division 32 de l’ « American Psychological Association », APA) des Etats-Unis, alliée à la Société Psychologique Britannique (BPS), à la Société Psychologique Danoise, à la Division de Neuroscience Comportementale et de Psychologie Comparative (Division 6 de l'APA), à la Division de Psychologie Développementale (Division 7 de l'APA), à la Division de Psychologie Clinique (Division 12 de l'APA), à la Société du Conseil et de l'Orientation (Counseling; Division 17 de l'APA), à la Société pour une Action et une Recherche Communautaires: Division de Psychologie Communautaire (Division 27 de l’APA), à la Division de Psychothérapie (Division 29 de l'APA), à la Société pour la Psychologie de la Femme (Division 35 de l'APA), à la Division de Psychanalyse (Division 39 de l'APA), aux Psychologues en Pratique Indépendante (Division 42 de l'APA), à la Société pour l'Etude Psychologique des Questions relatives aux Personnes Gays, Lesbiennes, Bisexuelles et Transexuelles (Division 44 de l'APA), à la Société pour la Psychologie et la Psychothérapie de Groupe (Division 49 de l’APA), à la Société pour l'Etude Psychologique de l'Homme et de la Masculinité (Division 51 de l'APA, à la Division de Psychologie Internationale (Division 52 de l'APA), à l'Association des Conseillers d'Orientation et de Supervision (Division de l'Association Américaine de Counseling), à l'Association pour le Conseil et l'Orientation (Counseling) Humanistes (Division de l'Association Américaine de Counseling), à l'Association pour la Créativité dans le Conseil et l'Orientation (Counseling; Division de l'Association Américaine de Counseling), à l'Association pour le Développement de l'Adulte et le Vieillissement (Division de l'Association Américaine de Counseling), à l'Association des Spécialistes du Travail en Groupe (ASGW, Division de l'Association Américaine de Counseling), aux Conseillers pour la Justice Sociale (Division de l'Association Américaine de Counseling), à l'Association de la Réhabilitation en Counseling (ARCA; Division de l'Association Américaine de Counseling), à l'American College Counseling Association (ACCA), à l'Association Psychanalytique Américaine, à l'Académie Américaine de Thérapie de la Famille, à l'Association des Psychologues Noirs, à l’Association pour les Femmes en Psychologie, à la Société pour l'Evaluation de la Personnalité, à la Société pour la Psychologie Descriptive, au Conseil du Royaume-Unis pour la Psychothérapie, à l'Association pour la Science Comportementale et Constructiviste, au Réseau de Psychologie Constructiviste, à l'Association Constructiviste Serbe, à la Société des Psychologues Indiens d'Amérique, à l'Association Psychologique Nationale Latina/o, à l'Association du Conseil et de l'Orientation (Counseling) dans les Questions relatives aux Personnes Gays, Lesbiennes, Bisexuelles et Transexuelles, à l'Association des Agences de Formation des Centres de Conseil et d'Orientation (Counseling), aux Psychologues pour la Responsabilité Sociale, à l'Institut Taos, à l'Université Saybrook, à l'Institut International de Psychologie Existentielle-Humaniste Zhi Mian, à l'Institut d'Analyse Expressive, à la Patient Alliance for Neuroendocrineimmune Disorders Organization for Research and Advocacy (PANDORA), à la Psychanalyse pour la Responsabilité Sociale (Section IX de la Division 39 de l'APA), au Conseil des Drogues Illicites de l'Association Nationale pour la Politique de la Santé Publique et à GoodTherapy.org, a récemment adressé une lettre ouverte à la commission d’études de l’ « American Psychiatric Association » chargée de développer la version 5 du DSM (« DSM-5 Task Force » ; http://www.dsm5.org/Pages/Default.aspx).
Le DSM (« Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » / Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux) propose une catégorisation des troubles mentaux et est considéré comme l’émanation la plus tangible du modèle biomédical de la psychopathologie. Ce manuel est largement utilisé aux États-Unis, et à travers le monde, tant par les cliniciens, les chercheurs, les compagnies d'assurances-santé et pharmaceutiques, que par le grand public
Cette lettre ouverte mentionne une série de réserves importantes concernant les propositions de changements dans le contenu du futur DSM-5. Ces diverses propositions visent notamment à :
* créer de nouvelles catégories diagnostiques concernant des manifestations extrêmement fréquentes dans la population générale, comme, p. ex., la catégorie « Trouble neurocognitif léger » (très similaire au concept de « Trouble cognitif léger » ou « Mild cognitive impairment, MCI ») ou le diagnostic de « Syndrome psychotique atténué »; ces changements sont ainsi considérés comme pouvant conduire à faire des personnes qui recevront ces diagnostics des cibles de choix de traitements pharmacologiques abusifs et dangereux.
* abaisser les seuils diagnostiques de catégories déjà présentes dans le DSM-4, ce qui aura pour effet automatique d’augmenter la prévalence dès à présent excessive de ces diagnostics : voir, p. ex., les changements dans le diagnostic de « Déficit de l’attention/ hyperactivité » et dans celui de « Trouble d’anxiété généralisée », ainsi que le retrait du deuil normal comme critère d’exclusion de « l’Episode dépressif majeur» (ce qui transforme ainsi le chagrin en pathologie).
* prendre en considération de nouvelles catégories de troubles n’ayant pratiquement aucune base empirique (comme, p. ex., le syndrome d’apathie ou encore les addictions comportementales, telles que le « Trouble d’addiction à Internet », premier pas vers la multiplication probable de diagnostics qui médicaliseraient les choix de vie : addiction au shopping, à la carte de crédit, au travail, au sexe, au sport. etc.
* modifier la définition d’un trouble mental de façon à indiquer que tous les troubles mentaux sont sous-tendus par un dysfonctionnement neurobiologique (en dépit du fait qu’aucun marqueur biologique ne peut être associé de façon solide à une catégorie diagnostique du DSM), à mettre sur le même pied les problèmes médicaux et les phénomènes mentaux et à permettre qu’une « déviance » sociopolitique puisse éventuellement être étiquetée comme un trouble mental.
De façon plus générale, les conclusions de cette lettre ouverte font directement écho aux différents points de la réponse adressée au DSM-5 par la « British Psychological Society » (BPS) et concernant :
* la souffrance psychologique que suscite la médicalisation progressive des variations individuelles normales ;
* la présentation de « diagnostics » largement fondés sur des attentes sociales normatives, avec des « symptômes » reposant sur des jugements subjectifs ;
* un système taxonomique qui localise les difficultés dans l’individu et qui oublie leur contexte relationnel et les indéniables causes sociales de beaucoup d’entre-elles
* la nécessité de revoir la manière avec laquelle la souffrance mentale est envisagée, en commençant par reconnaître les très nombreuses données qui indiquent, d’une part, que cette souffrance se situe au sein d’un éventail incluant des « expériences normales » et, d’autre part, que les facteurs qui en sont la cause comportent des dimensions psychosociales telles que la pauvreté, le chômage et les expériences traumatisantes ;
* l’importance d’élaborer un système empirique de classification en commençant par la base (« bottom up »), à savoir par une description détaillée et valide des expériences, problèmes, symptômes ou plaintes spécifiques, dans une approche plus inductive ;
Dans ce blog, nous avons régulièrement mis en question la médicalisation et la neurobiologisation croissantes du fonctionnement psychologique (notamment en ce qui concerne le vieillissement) et avons insisté sur la nécessité d’une approche psychologique de la psychopathologie et de la neuropsychologie, permettant de prendre en compte la complexité du fonctionnement psychologique et d’appréhender la personne dans sa globalité et dans son individualité (voir nos chroniques « Penser le vieillissement cérébral/cognitif dans toute sa complexité » et « Quelles interventions dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »).
C’est dans ce contexte que nous vous invitons à prendre connaissance de cette lettre ouverte et à signer la pétition qui l’accompagne, que vous soyez ou non psychologues ! http://www.ipetitions.com/petition/
commenter cet article …