Un nombre important d’études indiquent que des activités cognitives riches et stimulantes peuvent différer la survenue d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique (voir nos chroniques « Un niveau plus élevé de scolarité ne suffit pas pour réduire le risque de démence: il doit s’associer à une activité cognitive enrichie plus tard dans la vie ! », « Les liens entre la fréquence des activités cognitives et la survenue ou l’évolution d’un vieillissement cognitif/cérébral problématique » et « Des activités de loisirs stimulantes sur le plan cognitif, une vie sociale active et des activités physiques ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif évalué 20 ans plus tard »).
Cependant, on ne disposait pas, jusqu’à présent, de données concernant l’influence du maintien d’activités cognitivement stimulantes sur l’évolution de personnes ayant reçu un diagnostic de « démence ». Or, il se pourrait que ce maintien contribue, pour une part, aux variations importantes observées dans l’évolution des difficultés cognitives et fonctionnelles de ces personnes (voir nos chroniques « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées » et « L'hétérogénéité de la soi-disant maladie d'Alzheimer : de nouvelles preuves »). C’est précisément cette question que Treiber et al. (2011) ont récemment explorée.
Dans le contexte de la « Cache County Dementia Progression Study », Treiber et al. ont exploré l’association entre l’engagement dans des activités cognitivement stimulantes et le déclin fonctionnel de 187 personnes (dont 67% de femmes) ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et de « démence mixte (« maladie d’Alzheimer » en co-occurence avec une « démence vasculaire » ou un autre type de « démence »). Ce diagnostic était établi selon une procédure en plusieurs étapes, incluant notamment un examen neurologique, un examen neuropsychologique et un entretien clinique, l’ensemble de ces informations étant ensuite examinées par un panel d’experts en neurologie, psychiatrie gériatrique et neuropsychologie afin de déterminer le diagnostic final, selon les critères classiques.
Les participants, âgés de 84.6 ans lors de l’évaluation initiale (ligne de base), ont été suivis tous les 6 mois pendant une période moyenne de 2.7 années par une infirmière de recherche et un technicien en psychométrie. L’engagement des personnes dans des activités (lors de la ligne de base et des suivis) a été évalué en utilisant une adaptation du « Life-Style Activities Questionnaire » (Carlson et al., sous presse). Ce questionnaire énumère 31 activités associées à des exigences cognitives variées (p. ex., faire des mots croisés, lire, assister à des événements culturels, écouter de la musique...). La fréquence de ces activités était enregistrée via l’échelle suivante : 1 = jamais ou moins d’une fois par mois ; 2 = une fois par mois ; 3 = 2-3 fois par mois ; 4 = une fois par semaine ; 5 = quelques fois par semaine ; 6 = chaque jour. Les auteurs ont distingué les activités impliquant un traitement explicite ou une action basée sur le traitement d’informations nouvelles (p. ex., lire, faire des mots croisés, suivre un cours) et les activités cognitivement passives (regarder la télévision, écouter la radio ou de la musique). Des activités « intermédiaires » ont également été déterminées comme, par exemple, rendre visite à des amis ou à des proches, conduire ou utiliser les transports en commun ou cuisiner. Deux juges entraînés ont évalué chaque activité. L’accord inter-juges était de 84% et un autre juge expert (une neuropsychologue cognitiviste) a été consulté en cas de désaccord, afin d’aboutir à un consensus. Du fait d’une corrélation modérée (lors de la ligne de base) entre les activités plus exigeantes et les activités intermédiaires (r = .46), ces deux catégories ont été réunies pour constituer une variable correspondant au nombre d’activités cognitivement stimulantes (leur nombre maximal étant de 24). Les activités cognitivement stimulantes effectuées au moins une fois par semaine ont été incluses dans les analyses.
D’autres indicateurs de réserve cognitive/cérébrale (une meilleure capacité à compenser ou optimiser la performance cognitive ou le fonctionnement quotidien en présence de changements neuropathologiques) ont été identifiés, à savoir le nombre d’années d’études, le type de profession et l’estimation du QI prémorbide.
La capacité cognitive globale a été évaluée via la MMSE. Quand un maximum de 10% des items (3 points ou moins) étaient invalidés du fait de problèmes sensoriels ou moteurs, un score ajusté était établi en ignorant ces items. Si plus de 10% des items n’étaient pas disponibles, le score était catégorisé comme manquant. La capacité fonctionnelle des personnes était mesurée via le CDR (Clinical Dementia Rating scale), lequel permet via un entretien semi-structuré de caractériser 6 domaines de performance cognitive ou fonctionnelle (mémoire, orientation, jugement, activités dans la communauté, loisirs et soins personnels). Le trouble fonctionnel a été établi en sommant les scores de chaque domaine, ce qui donne un score global allant de 0 à 30.
Par ailleurs, divers facteurs censés pouvoir influer sur le décours de la « démence » ont été évalués et pris comme co-variables : âge, genre, durée de la « démence » lors de l’entretien initial, génotype ApoE (allèles E4), état de santé générale (« General Medical Health Rating ») et nombre d’heures d’activité physique par mois.
Les résultats montrent que, lors de l’évaluation initiale, 87% des participants étaient engagés dans au moins une activité cognitivement stimulante (moyenne : 4, ET : 3). Ce nombre a diminué à 2.4 (ET : 2) lors de la visite finale.
Par ailleurs, les analyses (modèles linéaires mixtes) indiquent que, en moyenne, l’engagement dans des activités cognitivement stimulantes est significativement associé à un déclin cognitif général plus lent. Ainsi, par exemple, après 2 ans et demi de suivi, les modèles prédisent que les personnes qui sont engagées dans 4 activités ou plus obtiennent un score plus élevé d’approximativement 4 points au MMSE que les personnes qui ne sont engagées dans aucune activité. Cette association entre activités stimulantes et déclin cognitif n’est cependant présente que chez les personnes dont la durée de la « démence » était plus courte lors de l’évaluation initiale (qui étaient à un stade plus précoce de « démence »). Il faut cependant relever que la diminution du nombre de participants tout au long du suivi (principalement du fait des décès) a possiblement contribué à réduire la puissance statistique de l’analyse des effets longitudinaux des activités stimulantes chez les personnes ayant le plus de problèmes cognitifs.
En ce qui concerne le déclin fonctionnel évalué par le CDR, les analyses montrent également qu’un nombre plus élevé d’activités cognitivement stimulantes est associé, en moyenne, à une meilleure performance fonctionnelle, mais cette fois uniquement chez les personnes ayant une durée de démence longue lors de l’évaluation initiale. Les auteurs suggèrent que cet effet spécifique pour les personnes avec une durée de « démence » plus longue pourrait être lié à la nature même du CDR, qui met davantage l’accent sur les activités routinières, lesquelles déclinent plus tardivement.
Ce travail ne constitue qu’un premier pas dans l’exploration des effets d’un engagement dans des activités stimulantes sur l’évolution du déclin cognitif et fonctionnel des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique. Il apporte néanmoins des données positives suggérant de mettre en œuvre d’autres recherches telles que :
* explorer plus directement l’effet bénéfique des activités cognitivement stimulantes sur le devenir des personnes « démentes » au moyen d’études d’intervention, randomisées contrôlées, et en utilisant des méthodes d’évaluation plus élaborées du fonctionnement cognitif et quotidien.
* examiner les effets différentiels de différents types d’activités selon leur caractère plus ou moins social, intergénérationnel et d’intégration dans la communauté (voir notre chronique «Un programme d’intervention participatif et communautaire destiné à des personnes présentant une démence légère et à leurs proches ») ou selon leur dimension d’engagement vers des buts utiles pour la communauté (voir notre chronique «Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique »)
* étudier l’effet d’activités spécifiquement élaborées pour des personnes présentant des problèmes cognitifs importants (comme p. ex., la méthode d’expression créative TimeSlips ; voir nos chroniques « TimeSlips : le pouvoir de l’expression créative et des récits », « Le programme TimeSlips : une nouvelle étude ayant exploré les effets bénéfiques de l’expression créative » et «Un premier atelier de TimeSlips en Suisse romande... »).
Les activités culturelles, intergénérationnelles et d’expression créative que l’Association VIVA propose aux personnes âgées (avec un souci constant d’insertion communautaire), et notamment aux personnes âgées vivant dans des structures d’hébergement à long terme et présentant des problèmes cognitifs parfois importants, nous montrent constamment combien ces personnes conservent une identité, de la vitalité, une capacité de s’ouvrir au monde et aux autres et une capacité de s’enthousiasmer et d’éprouver du plaisir. La mise en place généralisée de ces approches communautaires et le changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme ne sera possible que si une prise de conscience générale de l’inadéquation de l’approche biomédicale dominante se développe et mène à de nouvelles priorités de financement.
Carlson, M.C., Parisi, J.M., Xia, J., Xue, Q., Rebok, G.W., Bandeen-Roche, K., & Fried, L.P. (2011). Lifestyle activities and aging : Variety may be the spice of life. The Women’s Health and aging Study II. Journal of the International Neuropsychological Society, sous presse.
Treiber, K.A., Carlson, M.C., Corcoran, Ch., Norton, M.C., Breitner, J.C.S., Piercy, K.W., et al. (2011). Cognitive stimulation and cognitive and functional decline in Alzheimer’s disease: The Cache County Dementia Progression study. Journal of Gerontology: Psychological Sciences, sous presse (doi: 10.1093/geronb/gbr023).
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