Nous avons déjà mentionné à maintes reprises à quel point le vieillissement cérébral résulte d'interactions complexes entre des facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux.. Parmi les facteurs environnementaux, il faut souligner le rôle majeur des toxiques présents dans l’environnement. En décembre 2006, Grandjean et Landrigan, deux professeurs états-uniens spécialisés dans les effets à long terme des produits chimiques, dénonçaient, dans le journal médical anglais The Lancet, le rôle des industries chimiques dans la survenue de troubles neurodéveloppementaux chez les êtres humains, qu'ils comparaient à "une pandémie silencieuse" de la société moderne.
Depuis des années, les données s'accumulent pour montrer qu'une exposition aux métaux, solvants et pesticides présents dans l'environnement est associée à une augmentation de la prévalence de quantité de troubles (sensoriels, mnésiques, attentionnels...), notamment chez les personnes âgées. Cependant, comme pour les études concernant les effets de mesures préventives sur le vieillissement cérébral (voir notre chronique du 2 mai 2010, « Pour une autre manière d'aborder les effets de la prévention sur le vieillissement cérébra l») , divers reproches méthodologiques ont été exprimés aux recherches sur les toxiques environnementaux et leurs effets sur le vieillissement cérébral (notamment quant à la taille des échantillons étudiés).
Dans ce contexte, l'étude qui vient de paraître dans la revue Neurology (Hayden et al., 2010) est particulièrement intéressante. En effet, elle présente le suivi longitudinal du fonctionnement cognitif (3, 7 et 10 ans après la première évaluation) de plus de 3'000 agriculteurs d'un comté états-uniens (le comté de Cache, en Utah), dont l'exposition à divers pesticides a été évaluée par des questionnaires détaillés. Rappelons ici que la plupart de ces produits agissent par une action inhibitrice de l'acétylcholinestérase au niveau synaptique et qu’il est donc légitime de s'interrroger sur leur effet au niveau du cerveau humain. Cet échantillon présentait en outre l'avantage d'être constitué de personnes étant sensiblement du même niveau socio-éducatif et pour plus de 90% d'entre elles membres de l'Eglise de Jésus Christ des Saints des derniers jours, dans laquelle le tabac et l'alcool sont proscrits.
Les résultats de cette recherche indiquent un risque accru de développer une affection démentielle chez les personnes exposées à des pesticides (risque relatif [HR]= 1.38, avec un intervalle de confiance à 95% [CI] 1.09-1.76). Ce risque est similaire si l’on limite l'analyse au développement de la seule maladie d'Alzheimer (HR 1.42, 95% CI 1.06-1.91). Les auteurs concluent leur article en soulignant l'intérêt que pourraient avoir des études toxicologiques visant à préciser les mécanismes biologiques responsables de cette augmentation.
Signalons aussi la parution prochaine d'un article de Gong et O'Bryant (2010) concernant le développement, suite à une exposition à l'arsenic, de « changements biochimiques, pathologiques et cliniques, similaires à ceux que l'on observe dans la "maladie d'Alzheimer" et les troubles apparentés », par le biais de modifications engendrées au niveau de la cascade amyloïde, de la phosphorylation de la protéine tau, des facteurs de risque cardiovasculaires ainsi que de processus inflammatoires et oxydatifs... autant de modifications qui renvoient à l'hétérogénéité des processus biologiques pouvant affecter le vieillissement cérébral et au rôle que des toxiques environnementaux jouent dans ces processus.
Ces conclusions vont dans le même sens que l'excellent rapport «Environmental Threats to Healthy Aging » (« Menaces environnementales sur le vieillissement en bonne santé »), publié conjointement par un groupe de médecins de la région de Boston militant pour la responsabilité sociale (« Greater Boston Physicians for Social Responsibility ») et une organisation non-gouvernementale très engagée dans la promotion d'un monde plus sain (« Science and Environmental Health Network »). Ce rapport examine l'influence sur le développement d'une maladie d'Alzheimer ou de Parkinson de facteurs environnementaux auxquels on est soumis toute sa vie durant, dès le stade foetal et jusque dans le grand âge. Parmi de nombreux autres facteurs, le rapport souligne le rôle particulier de l’exposition à diverses substances chimiques toxiques dans l’apparition des maladies dites d'Alzheimer et de Parkinson, ainsi que de nombreuses autres maladies chroniques également susceptibles d'affecter le fonctionnement cognitif, à savoir le diabète, les maladies cardiovasculaires, les maladies métaboliques, etc.
Les données mises en évidences par ces études et rapports devraient nous alarmer quant à l'impact des substances neurotoxiques environnementales, tant dans la survenue de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants que de déficits cognitifs chez les personnes âgées. Et ce d'autant plus que, comme le soulignent Grandjean et Landrigan (2006), « les quelques substances dont on a démontré la toxicité sur le neurodéveloppement humain devraient [...] être considérées comme la pointe d'un très gros iceberg » ...
Gong, G., & O'Bryant, S.E. (2010). The arsenic exposure hypothesis for Alzheimer disease. Alzheimer's Disease and Associated Disorders, sous presse.
Grandjean, P., & Landrigan, P.J. (2006). Developmental neurotoxicity of industrial chemicals. The Lancet, 168, 2167.
Hayden, K.M., Norton, M.C., Darcey, D., Østbye, T., Zandi, P.P., Breitner, J.C.S., & Welsh-Bohmer, K.(2010). Occupational exposure to pesticides increases the risk of incident AD. The Cache County Study. Neurology, 74, 1524-1530.
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