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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 16:00

Le respect de l’autonomie, de l’individualité (« personhood ») et de la citoyenneté des personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») implique d’entendre et de respecter leur point de vue, de prendre en compte ce qu’elles disent ou expriment sur leur vécu, leurs souhaits et leurs besoins et de les inclure directement dans l’élaboration et l’évaluation des soins et interventions.

 

De plus en plus de données suggèrent que les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » à un stade léger à modéré sont capables de fournir un compte-rendu valide de leur bien-être, de leur qualité de vie et de la qualité des soins qui leur sont prodigués, que ce soit via des questionnaires, des entretiens (semi-) structurés, des entretiens ouverts ou encore des groupes de discussion (voir van Baalen et al., 2010, pour une description et une analyse des avantages et inconvénients de ces différentes méthodes). Chez les personnes ayant des problèmes plus importants (une « démence » sévère) et ne communiquant plus verbalement, des informations concernant leur attitude et la conscience qu’elles ont de leur situation peuvent être obtenues via l’observation de leurs réactions comportementales (voir Clare, 2010), mais aussi via l’avis de certaines personnes proches, tout en étant attentif au fait que des erreurs et des biais peuvent limiter la pertinence de ces informations.

 

Il faut cependant relever que les études qui se sont penchées sur la perspective des personnes âgées dites « démentes » concernant leur situation sont encore assez pauvres. Deux études récentes ont toutefois contribué à une meilleure compréhension des capacités d’auto-évaluation des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique.

 

L’évaluation de la qualité de vie par les personnes âgées elles-mêmes, les personnes proches et le personnel soignant

 

Beer et al. (2010) ont exploré les facteurs associés à l’évaluation de la qualité de vie de personnes présentant une « démence » et vivant dans des structures d’hébergement à long terme. Plus spécifiquement, ils ont comparé l’évaluation effectuée par les personnes âgées elles-mêmes (les personnes ayant un problème médical aigu, présentant un délire ou se trouvant en phase terminale d’une maladie comorbide ont été exclues), une personne proche (principalement un membre de la famille, ayant rendu visite à la personne âgée au moins une fois par semaine durant l’année qui a précédé) et un membre du personnel soignant (connaissant la personne âgée depuis au moins 2 semaines et ayant observé le résidant au moins 10 fois ou au minimum une heure au total durant les deux dernières semaines).

 

Les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » étaient au nombre de 351, elles avaient plus de 65 ans et avaient obtenu un score au Mini-Mental State Examinnation (MMSE ; évaluant le fonctionnement cognitif global) égal ou inférieur à 24.

 

La qualité de vie a été évaluée par les personnes âgées, leur proche et le personnel soignant au moyen de la « Quality of Life in Alzheimer’s Disease Scale » (comportant 13 questions). Les personnes âgées pouvaient répondre en entourant la réponse ou verbalement, et celles qui étaient incapables de fournir une réponse pour plus de 2 questions ont été exclues des analyses. En outre, les proches et le personnel soignant ont également rempli le questionnaire « Alzheimer’s Disease Related Quality of Life Scale » (qui comporte 47 questions évaluant 5 domaines : interactions sociales, conscience de soi, sentiments et humeur, plaisir dans les activités, réponses aux stimuli de l’environnement).

 

Les prédicteurs de qualité de vie suivants ont été déterminés : âge, genre, poids, nombre de médicaments, score au MMSE, douleur auto-rapportée ou douleur identifiée à une échelle d’observation de la douleur, troubles du comportement socio-émotionnel  (Neuropsychiatric Inventory, NPI), le fait d’avoir été attaché ou entravé physiquement, présence de chutes dans le mois précédant, hospitalisation durant le dernier mois, réunion d’équipe avec un spécialiste pour discuter de la situation de la personne.

 

Les résultats principaux montrent que 64% (226) des personnes avec une « démence » (MMSE moyen: 17 [12-21]) ont été capables d’évaluer leur qualité de vie. En outre, tant les soignants que les proches fournissent une évaluation de la qualité de vie des personnes âgées significativement inférieure à celle effectuée par les personnes âgées elles-mêmes.

 

La qualité de vie évaluée par les personnes âgées elles-mêmes est plus basse chez les personnes qui ont été attachées ou entravées physiquement, qui ont chuté durant le dernier mois et qui ont rapporté des douleurs ou chez qui la présence de douleurs a été observée. Par contre, la qualité de vie des personnes âgées évaluée par les proches et les soignants est plus basse chez les personnes âgées qui avaient des problèmes cognitifs importants, qui présentaient des troubles du comportement et qui avaient chuté durant le dernier mois. Enfin, les troubles cognitifs, la tenue d’une discussion d’équipe concernant la situation de la personne, l’hospitalisation et les troubles du comportement socio-émotionnel sont indépendamment associés aux évaluations de la qualité de vie menées par les soignants.

 

En conclusion, ces données montrent que les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » peuvent évaluer leur qualité de vie et que les proches ainsi que les soignants sous-estiment la qualité de vie des personnes âgées. Les résultats indiquent également la validité des évaluations de la qualité de vie effectuées par les personnes âgées elles-mêmes dans la mesure où ces auto-évaluations sont associées à des facteurs objectivement observables (entraves physiques et douleurs), dont on peut s’attendre à ce qu’ils affectent la qualité de vie.

 

Il apparaît en outre que des facteurs différents sont associés aux évaluations effectuées par les personnes âgées et celles effectuées par les proches et soignants, ce qui suggère que les caractéristiques de la relation qu’entretiennent les proches et les soignants avec la personne âgée peuvent influencer la perception qu’ils ont de la qualité de vie de cette personne. Enfin, les membres de la famille ne fournissent pas des évaluations plus proches de celles effectuées par les personnes âgées que ne le font les soignants.  

 

L’auto-évaluation du sentiment de but dans la vie

 

Mak (2010) s’est penchée sur un aspect important du bien-être existentiel des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence », à savoir le sentiment d’avoir des buts dans la vie (voir notre chronique « Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique »). Plus spécifiquement, elle a exploré les relations entre le sentiment d’avoir des buts dans la vie et la tendance à poursuivre des buts de façon opiniâtre/tenace, et ce en se basant sur les auto-évaluations des personnes âgées.

 

Les 91 personnes ayant participé à cette recherche avaient reçu un diagnostic de « démence », vivaient dans la communauté et étaient âgées en moyenne de 75,28 ans. L’importance de leur « démence » avait été évaluée via le TICS-m (« Modified Telephone Interview for Cognitive Status ») qui consiste en 12 questions explorant l’orientation, la mémoire, l’arithmétique, le langage, l’attention et la résolution de problèmes (score maximal = 50) : on considère généralement que les personnes avec une « démence » modérée obtiennent un score autour de 13 points à cette échelle ; les participants de l’étude avaient un score moyen de 18.66 (e.t.: 6.29, 3 personnes ayant des scores de 32 ou 33). Ont été exclues les personnes ayant une aphasie, d’importants problèmes de vision ou d’audition, une perte de l’usage des mains ou qui ne pouvaient pas fournir leur consentement.

 

Les participants ont été amenés à répondre à différents questionnaires présentés sous la forme d’un entretien (avec chaque question placée devant la personne) et évaluant : le sentiment d’avoir des buts dans la vie (« Purpose in Life Scale »), la tendance à poursuivre des buts de façon opiniâtre/tenace (Tenacious Goal Pursuit Scale), ainsi que la dépression (Geriatric Depression Scale).

 

Ils ont ensuite été répartis aléatoirement, pour moitié dans une activité dirigée vers un but et pour l’autre moitié dans une activité non dirigée vers un but. L’activité dirigée vers un but consistait à créer une carte postale pour un enfant malade ou un soldat se trouvant loin de chez lui : les participants recevaient quelques informations sur la personne à qui la carte serait envoyée et on leur expliquait que cette personne apprécierait grandement l’envoi ; cette carte comportait des illustrations et un message standard, mais les participants étaient invités à la décorer de façon créative et à inscrire quelques mots personnels. L’activité non dirigée vers un but consistait à compléter de façon créative une feuille de papier comportant les mêmes illustrations que celles présentes sur la carte postale.

 

Une fois la tâche (avec ou sans but) réalisée, les personnes âgées ont été soumises à des questions évaluant dans quelle mesure elles avaient eu le sentiment d’accomplir un but durant la réalisation de l’activité d’illustration graphique.

 

Les résultats peuvent être résumés comme suit :

 

* Une corrélation significative (.53) a été observée entre la tendance à poursuivre des buts avec opiniâtreté/ténacité et le sentiment d’avoir des buts dans la vie. Ce résultat indique d’une part que les personnes avec une « démence » sont capables de remplir des questionnaires de façon signifiante et d’autre part que ces personnes possèdent des représentations du bien-être, au-delà de ce qui est observable.

 

* Une simple manipulation visant à modifier la prégnance d’un but dans une activité d’illustration graphique influence le sentiment de but perçu : les personnes qui ont réalisé une carte pour quelqu’un d’autre ressentent un sentiment plus fort de but que celles qui ont effectué l’illustration graphique libre. Ce résultat montre d’une part qu’il est possible d’accroître le sentiment de but via une simple activité dirigée vers un but et d’autre part que les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » peuvent elles-mêmes évaluer l’effet du type d’activité proposé.

 

* Le degré de sévérité des problèmes cognitifs (« de la « démence ») ne module pas la relation entre la tendance à poursuivre des buts de façon tenace/opiniâtre et le sentiment d’avoir des buts dans la vie : en d’autres termes, le niveau de troubles cognitifs ne réduit ou n’augmente pas cette relation ; même si les personnes ont fréquemment demandé que les questions soient répétées, aucune d’entre elles n’a montré de problème de compréhension (il faut néanmoins relever que seules les personnes n’ayant pas de problèmes langagiers importants avaient été recrutées).

 

En conclusion, cette étude montre que les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » sont capables d’auto-évaluer un aspect de leur bien-être existentiel (le sentiment d’avoir des buts dans la vie) et également qu’il est possible de changer cet aspect du bien-être via une modification simple dans les activités proposées.

 

Des études futures devraient s’atteler à répliquer ces résultats et à explorer les capacités d’auto-évaluation concernant d’autres aspects de la qualité de vie et du bien-être.

 

Plus globalement, les résultats de ces deux études confirment l’importance qu’il y a à prendre réellement en compte le point de vue et les avis des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique. 

 

Nous profitons de cette chronique de reprise (après une interruption d’une dizaine de jours) pour vous souhaiter une excellente année 2011, une année durant laquelle nous poursuivrons avec vous, et amplifierons, notre défense d’une autre approche du vieillissement, moins réductrice et plus humaniste. Nous souhaitons aussi vous remercier chaleureusement pour le soutien que vous nous avez accordé durant l’année écoulée.

 

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Beer, Ch., Flicker, L., Horner, B., Bretland, N., Scherer, S., Nicola, T., et al. (2010). Factors associated with self and informant ratings of the quality of life of people with dementia living in care facilities: A cross sectional study. PLoS ONE, 5, e15621.

Clare, L., (2010). Awareness in people with severe dementia: Review and integration. Aging & Mental Health, 14, 20-32.

Mak, W. (2010). Self-reported goal pursuit and purpose in life among people with dementia. Journal of Gerontology: Psychological Sciences, à paraître.

van Baalen, A., Vingerhoets, A., Sixma, H.J., & de Lange, J. (2010). How to evaluate quality of care from the perspective of people with dementia: An overview of the literature. Dementia, à paraître.

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