La prévalence du diabète de type 2 et du syndrome métabolique (un groupement de facteurs de risque cardiovasculaire et de diabète de type 2, à savoir l’obésité abdominale, l’hypertriglycéridémie, un taux HDL/cholestérol bas, l’élévation de la glycémie et l’hypertension) ne cesse de progresser de par le monde, y compris dans les pays émergents (les incidences les plus élevées étant attendues en Amérique latine, en Afrique et en Asie). Ainsi, selon la Fédération internationale du diabète, il y a en 2010, 285 millions de personnes souffrant de diabète (de type 2 dans 90% des cas). Les projections pour 2030 prédisent environ 444 millions de diabétiques.
Par ailleurs, plusieurs études ont montré que le diabète de type 2 était lié à un risque accru de déficits cognitifs (Awad et al., 2004 ; McFall et al., 2010) et de « démence » (Arvanitakis et al., 2004 ; Xu et al., 2004 ; Raffaitin et al., 2009 ; Ahtiluoto et al., 2010).
En outre, Raffaitin et al. (2009) ont montré qu’une des composantes du syndrome métabolique (l’hypertriglycéridémie) était associée à l’incidence de la « démence ». Notons que la relation entre diabète de type 2 et fonctionnement cognitif est extrêmement complexe et met en jeu différents types de facteurs distaux et proximaux (voir notre chronique « Diabète de type 2 et troubles cognitifs chez les personnes âgées : des relations complexes… »).
Quoi qu’il en soit, il apparaît essentiel de détecter et traiter précocement le diabète et les composantes du syndrome métabolique dans le but de différer l’installation d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique (d’une « démence »).
Dans un article récent, Ruiz et Egli (2010) montrent en quoi cette pandémie du diabète (et du syndrome métabolique) doit faire l’objet d’une approche holistique prenant en compte des facteurs physiopathologiques, psychologiques, socioculturels, politiques et environnementaux. En fait, l’approche traditionnelle a essentiellement privilégié la pharmacothérapie et les modifications du style de vie avec une éducation à l’autocontrôle (activité physique, alimentation moins riches en graisses et en hydrates de carbone).
Ruiz et Egli indiquent cependant en quoi il est fondamental de prendre aussi en compte les facteurs sociaux. Ainsi, des données de la « Framingham Heart Study » montrent, sur un suivi de plus de 30 ans, que le risque de devenir obèse augmente de 57% si la personne a un ou une ami(e) qui est aussi obèse durant la même période. Ce lien est plus fort entre des amis proches qu’entre personnes de la même famille. De plus, ce risque accru n’est pas explicable par une proximité géographique ou un mimétisme comportemental. Relevons que la même association a été observée pour la dépression, le tabagisme et l’alcoolisme.
L’étude Whitehall II, menée sur plus de 10’000 fonctionnaires anglais, a révélé, quant à elle, une corrélation inverse entre le niveau de revenus et le risque de syndrome métabolique : plus spécifiquement, les catégories à plus bas revenus ont 2,3 à 4,1 fois plus de risques de développer un syndrome métabolique. Une autre étude de la cohorte Whitehall a mis en évidence une corrélation significative entre une atteinte de la fonction autonome cardiaque et le statut social, cette relation étant en très grande partie expliquée par les composantes du syndrome métabolique (tour de taille, HDL-cholstérol, triglycérides et glucose postprandial).
Dans une étude récente, issue également de la « Whitehall II Study », menée auprès de 4’150 participants (sur une période de 10 ans, avec 3 évaluations), Akbaraly et al. (2010) ont montré que la présence d’un syndrome métabolique persistant (observé à au moins 2 des 3 évaluations) était associée à une performance cognitive plus faible autour de la soixantaine. Cependant, le statut professionnel (identifié à partir du salaire) atténue de façon substantielle cette relation, confirmant ainsi la nécessité de prendre en compte les variables socioéconomiques.
Comme l’indiquent Ruiz et Egli : « Malheureusement, le positionnement actuel de la médecine, pour la gestion thérapeutique des patients souffrant de maladies chroniques issus de niveaux socioculturels défavorisés, n’est pas adapté aux particularités de cet environnement pathogène ».
Il faut noter que le syndrome métabolique (comme d’autres problèmes chroniques) est influencé, non seulement par la pauvreté, mais aussi par des facteurs psychosociaux comme la stigmatisation, la discrimination, le racisme ou le sexisme.
Si l’on souhaite freiner l’augmentation de la prévalence du syndrome métabolique et du diabète de type 2 (mais c’est également vrai pour d‘autres états chroniques), et ainsi avoir un impact sur l’apparition d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique, il importe « de développer des programmes de prévention transversaux incluant activement tous les secteurs de la société : social, économique, industrie agro-alimentaire, transports, éducation, aménagement du territoire, culture, santé, etc.». Il s’agit aussi de ne pas perdre de vue les repères culturels et identitaires des différentes communautés.
Ruiz et Egli indiquent qu’une telle approche nécessite l’intégration de différents partenaires, autres que les médecins, comme par exemple des sociologues, des anthropologues, des médiateurs culturels, des assistants sociaux, etc., et nous ajoutons… des psychologues! Ces partenaires devraient suivre une formation médicale (clinique) adéquate et en symétrie, la formation médicale devrait inclure une formation en sciences humaines. Cela exige également, selon les auteurs, une évolution des pratiques de recherche (« evidence-based »), qui devrait promouvoir des stratégies de recherche mixtes, qualitatives et quantitatives, plus adaptées à l’exploration de problèmes complexes.
De façon générale, cette approche globale (dite « syndémique ») s’inscrit parfaitement dans le cadre de la conception du vieillissement que nous défendons : une conception qui assume réellement la complexité des phénomènes.
Dans la ligne de cette complexité, il faut rappeler que l’obésité et la présence d’un syndrome métabolique sont souvent associés à des conséquences bénéfiques chez les personnes très âgées, suggérant ainsi que des changements biologiques, censés être négatifs à certains âges, pourraient en fait être adaptatifs chez les plus âgés (voir notre chronique « Et si certains troubles liés au grand âge étaient adaptatifs ? »). Dans cette perspective, Forti et al. (2010) ont récemment mis en évidence que la présence d’un syndrome métabolique était associée, chez les personnes âgées de plus de 75 ans, à un risque plus faible de « démence d’Alzheimer » (mais pas de « démence vasculaire ») et que l’existence d’une obésité abdominale était reliée à une risque plus faible de « démence » en général (même si le caractère causal de ces associations n’est pas démontré).
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Ahtiluoto, S., Polvikoski, T., Peltonen, M., Solomon, A., Tuomilheto, J., Winblad, B., et al. (2010). Diabetes, Alzheimer’s disease, and vascular dementia. Neurology, 75, 1195-1202.
Akbaraly, T., Kivimaki, M., Shipley, M.J., Tabak, A.G., Jokela, M., Virtanen, M. et al. (2010). Metabolic syndrome over 10 years and cognitive functioning in late midlife. The Whitehall II study. Diabetes Care, 33, 84-89.
Arvanitakis, Z., Wilson, R.S., Bienias, J.L., Evans, D.A., & Bennett, D.A. (2004). Diabetes mellitus and risk of Alzheimer disease and decline in cognitive function. Archives of Neurology, 61, 661-666.
Awad, N., Gagnon, M., & Messier, C. (2004). The relationship between impaired glucose tolerance, type 2 diabetes, and cognitive function. Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, 26, 1044-1080.
Fort, P., Pisacane, N., Rietti, E., Lucicesare, A., Olivelli, V., Mariani, E. et al. (2010). Metabolic syndrome and risk of dementia in older adults. Journal of the American Geriatrics Society, 58, 487-492.
McFall, G.P., Geall, B.P., Fischer, A.L., Dolcos, S., & Dixon, R.A. (2010). Testing covariates of type 2 diabetes-cognition associations in older adults: Moderating or mediating effects? Neuropsychology, 24, 547-562.
Raffaitin, Ch., Gin, H., Empana, J.-Ph., Helmer, C., Berr, C., Tzourio, Ch. et al. (2009). Metabolic syndrome and risk for incident Alzheimer’s disease or vascular dementia. Diabetes Care, 32, 169-174.
Ruiz, J., & Egli, M. (2010). Syndrome métabolique, diabète sucré et vulnérabilité: une approche «syndémique»de la maladie chronique. Revue Médicale Suisse, 271, 2205-2208.
Xu, W.L., Qiu, C.X., Wahlin, A., Winblad, B., & Fratiglioni, L. (2004). Diabetes mellitus and risk of dementia in the Kungsholmen project. Neurology, 63, 1181-1186.
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