Résumé
Le « Comité International de Réaction au DSM-5 » a été récemment créé suite à la décision de l’ « Association Américaine de Psychiatrie» et de la « DSM-5 Task Force » d’aller de l’avant dans la publication du DSM-5 (laquelle est prévue le 20 mai 2013), sans prendre en compte les nombreux problèmes qui ont été soulevés par rapport à ce nouveau manuel psychiatrique et en refusant de le soumettre à une expertise scientifique externe et indépendante. Ce comité rassemble une large coalition de personnes ayant mené indépendamment une opposition au DSM-5. Son but est de promouvoir une prise de conscience des problèmes posés par le DSM-5 et d’alerter les professionnels et le grand public des dangers de ce manuel.Ce comité est aussi guidé par l’espoir qu’un débat international et interprofessionnel conduise à l’adoption d’une autre manière d’aborder les problèmes psychologiques.
Ce comité nous invite toutes et tous (cliniciens, chercheurs, planificateurs en matière de santé, medias, etc.) à éviter autant que possible d’utiliser le DSM-5. Cet appel se fonde sur un ensemble de problèmes concernant la fiabilité, la validité et l’innocuité du DSM-5. Cette mise en question du DSM, et en particulier du DSM-5, s’inscrit parfaitement dans la conception que nous défendons dans ce blog : une conception des difficultés psychologiques qui refuse le réductionnisme, ainsi que le caractère pathologisant et neurobiologisant du modèle biomédical et catégoriel (type DSM) dominant.
C’est pourquoi nous vous invitons à signer l’appel initié par ce comité et à le diffuser largement : http://www.ipetitions.com/petition/protectnormal
En janvier 2012, une lettre ouverte adressée à l’ « Association Américaine de Psychiatrie » et à la « DSM-5 Task Force » que cette association avait mise en place mentionnait les nombreuses et importantes réserves que suscitaient les faiblesses scientifique et les dangers du DSM-5 (5ème édition du Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux) tel qu’il était en projet.
Cette lettre ouverte, initiée par la « Société pour une Psychologie Humaniste » (Division 32 de l’ « Association Américaine de Psychologie »), a été signée par plus de 14’000 personnes de par le monde (principalement des professionnels de la santé, dont certains qui suivent notre blog) et par plus de 50 organisations professionnelles, dont notamment 16 sections de l’ « Association Américaine de Psychologie » ainsi que l’ « Association Britannique de Psychologie » (voir notre chronique « Lettre ouverte au DSM-5 : signez la pétition ! »).
En dépit de cette mobilisation importante, l’ « Association Américaine de Psychiatrie» et la « DSM-5 Task Force » ont décidé d’aller de l’avant dans la publication du DSM-5 (laquelle est prévue le 20 mai 2013), sans prendre en compte la plupart des problèmes soulevés par la lettre ouverte.
Quand le développement du DSM-5 a démarré, en 1999, certains ont pensé que cela conduirait à une révision profonde de la définition même du trouble mental, tant étaient nombreuses les données recueillies depuis 30 ans montrant la faible validité des catégories diagnostiques définies par le DSM. Or, cette aspiration à un changement de paradigme a complètement été négligée et le DSM-5 n’a fait qu’accentuer les problèmes et les dangers des versions précédentes.
C’est à partir de ces constats que s’est créé l’« International DSM-5 Response Committee » (Comité International de Réaction au DSM-5), qui rassemble une large coalition de personnes ayant mené indépendamment une opposition au DSM-5. Le but de ce comité est de promouvoir une prise de conscience des problèmes posés par le DSM-5 et d’alerter les professionnels et le grand public des dangers de ce manuel (voir le site de ce comité « Stop the insanity » : http://dsm5response.com). Ce comité est aussi guidé par l’espoir qu’un débat international et interprofessionnel conduise à l’adoption d’une autre manière d’aborder les problèmes psychologiques.
Considérant qu’il existe des alternatives, le comité nous invite toutes et tous (cliniciens, chercheurs, planificateurs de soins de santé, medias, etc.) à éviter autant que possible d’utiliser le DSM-5. Cet appel se fonde sur un ensemble de problèmes concernant la fiabilité, la validité et l’innocuité du DSM-5, qui peuvent être résumés comme suit (une présentation plus détaillée de ces problèmes peut être trouvée sur le lien http://dsm5response.com/statement-of-concern) :
* Le DSM-5 comporte beaucoup de catégories diagnostiques dont la fiabilité (c.à.d., l’accord concernant un diagnostic auquel peuvent aboutir 2 - ou plus - professionnels soumis à la même information) est inférieure aux standards communément acceptés (à savoir, un coefficient kappa égal ou supérieur à .6 ; voir Frances, 2012 : http://www.psychologytoday.com/blog/dsm5-in-distress/201205/newsflash-apa-meeting-dsm-5-has-flunked-its-reliability-tests). La fiabilité est évidemment une condition préalable nécessaire à la validité, car il n’est pas possible d’utiliser une catégorie diagnostique (à des fins cliniques ou de recherche) qui fluctue empiriquement et dont l’identification n’aboutit pas à un consensus entre différents observateurs.
* Le DSM-5 n’a pas fait l’objet d’une expertise scientifique externe et indépendante (menée par des chercheurs et cliniciens non affiliés à ce système de classification psychiatrique ou à l’ « Association Américaine de Psychiatrie»), et ce en dépit, notamment, d’une demande explicite effectuée en janvier 2012 par le comité de la « Société pour une Psychologie Humaniste » (dont a émergé la première lettre ouverte).
* Le DSM-5 peut compromettre la sécurité des personnes du fait de l’abaissement des seuils diagnostiques (réduire le nombre et la gravité des critères considérés comme suffisants pour qu’un diagnostic soit établi) et de l’introduction de nouvelles catégories diagnostiques n’ayant pas de bases empiriques suffisantes. Dans la 3ème version du projet du DSM-5, cette réduction des seuils apparaissait, entre autres, pour le trouble d’anxiété généralisée, la boulimie ou encore le trouble d’utilisation d’alcool. Cet abaissement des seuils aura pour conséquence d’accroître fortement le nombre de personnes susceptibles de recevoir un diagnostic psychiatrique. Le DSM introduit aussi de nouveaux troubles, parmi lesquels le trouble dysphorique prémenstruel, le trouble de dérégulation d’humeur dit d’humeur explosive, le trouble de symptômes somatiques ou le trouble cognitif mineur. Ces nouveaux diagnostiques sont très problématiques quant à leur validité et à leur application potentielle à des populations vulnérables, comme les enfants, les personnes âgées ou les personnes ayant des problèmes médicaux chroniques. Ainsi, le trouble de symptômes somatiques (remplaçant les troubles somatoformes du DSM-IV-TR) peut conduire à diagnostiquer un trouble mental chez les personnes souffrant d’un problème médical chronique et se plaignant de douleurs excessives, ce qui peut aboutir à la conclusion prématurée que « tout est dans leur tête». De même, le diagnostic de trouble de dérégulation dit d’humeur explosive est susceptible d’être attribué à des enfants et des adolescents manifestant des sautes d’humeur importantes, lesquels peuvent être des manifestations normales au plan développemental et se résoudre sans traitement. Quant au trouble dysphorique prémenstruel, il peut conduire à pathologiser le vécu de certaines femmes. Enfin, comme nous l’avons maintes fois mentionné (voir notre chronique « Le trouble cognitif léger : une flagrante myopie intellectuelle ! »), le trouble cognitif léger amène à une pathologisation croissante du vieillissement cognitif.
* Le DSM-5 résulte d’un processus qui donne l’impression de placer les besoins institutionnels à la place du bien-être de la population. Ainsi, la seconde phase des essais sur le terrain, visant à effectuer des contrôles de qualité, a été annulée du fait des retards pris dans le processus de développement (la première phase des essais sur le terrain ayant été consacrée à la fiabilité, avec comme on l’a vu, des résultats montrant une fiabilité peu acceptable pour bon nombre de diagnostics) ! Par ailleurs, les médecins généralistes n’ont pas été inclus dans les essais sur le terrain, alors qu’ils sont au premier plan dans les soins de santé mentale et dans la prescription des médications psychiatriques. Enfin, il est intéressant de relever que, durant le développement du DSM-5, une firme de relations publiques a été engagée afin d’influencer l’opinion publique concernant ce manuel psychiatrique, et ce via un site web (http://dsmfacts.org)...
* L’utilisation du DSM-5, dans ses aspects problématiques précédemment décrits, peut conduire à attribuer erronément une étiquette de « maladie mentale » à des personnes qui se porteraient mieux sans ce diagnostic psychiatrique. La médicalisation (la pathologisation) de réactions normales et naturelles à certaines expériences de vie peut avoir des effets négatifs importants sur les personnes. Ces réactions, reflétant des variations individuelles normales, peuvent indéniablement s’accompagner d’une souffrance psychologique nécessitant de l’aide, mais pas sous la forme d’un diagnostic psychiatrique.
* Une autre conséquence négative possible de l’utilisation du DSM-5 concerne la prescription de traitements non indispensables et potentiellement nocifs, en particulier des médications psychiatriques. Il est en effet hautement probable que, si une personne reçoit un diagnostic issu du DSM-5, il lui soit recommandé une intervention impliquant un traitement pharmacologique. Or, de nombreuses données indiquent que les médications psychiatriques, p. ex., les médications antipsychotiques, peuvent avoir des effets secondaires très néfastes.
* L’adoption du DSM-5 dans la pratique clinique conduira également, du fait des problèmes mentionnés précédemment, à détourner les ressources rares et précieuses en matière de santé mentale de celles et ceux qui en le plus besoin. Dans la mesure où les problèmes de santé mentale affectent de façon disproportionnée les personnes pauvres et socialement exclues, la mise en place d’un système contestable de diagnostic risque de désavantager encore davantage les plus vulnérables.
Cette mise en question du DSM, et en particulier du DSM-5, s’inscrit parfaitement dans la conception que nous défendons dans ce blog : une conception qui refuse le réductionnisme, ainsi que le caractère pathologisant et neurobiologisant du modèle biomédical et catégoriel (type DSM) dominant. Dans plusieurs de nos chroniques (p. ex., « Les symptômes dépressifs chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique » et « Penser le vieillissement cérébral/cognitif dans toute sa complexité »), nous avons montré en quoi une autre approche de l’évaluation et du diagnostic psychologiques est à la fois nécessaire et possible : une approche qui assume la complexité du fonctionnement psychologique et qui favorise une interprétation psychologique individualisée (centrée sur la personne), prenant en compte et tentant d’intégrer de façon cohérente la contribution (variable selon les individus) de différents types de processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels), tout en considérant le rôle des facteurs sociaux, des événements de vie et des facteurs biologiques.
C’est pourquoi nous vous invitons à signer cette nouvelle pétition lancée par le « Comité International de Réaction au DSM-5 » et à la diffuser largement.
Le lien pour signer cette pétition est http://www.ipetitions.com/petition/protectnormal.
Pour rappel, le site du comité "Stop the insanity" qui l’a initiée est http://dsm5response.com.
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