Il est fréquent d’entendre les proches d’une personne âgée présentant un vieillissement cérébral problématique (étiqueté du terme impropre de « démence ») indiquer que les troubles sont apparus à la suite d’un événement stressant et grave, tel que le décès d’un membre de la famille (par ex., un enfant) ou des difficultés familiales.
En dépit du fait que cette association est également très souvent évoquée par les cliniciens, peu de recherches se sont penchées sur cette question. Cependant, une étude récente menée en Grèce par Tsolaki et al. (2010) a montré que chez 77.9% de 1271 personnes ayant reçu un diagnostic de démence (dans le décours d’un suivi d’une durée de 7 ans), les proches ont rapporté, suite à une question standardisée, la présence d’un événement stressant durant l’année ayant précédé le début des difficultés. Un événement stressant était défini comme un événement nouveau et/ou imprévisible, sur lequel la personne sentait n’avoir aucun contrôle. L’événement le plus fréquent était l’annonce d’une maladie menaçant la vie (37.1%), puis des problèmes familiaux (12.4%), le décès du conjoint (7.9%) et ensuite le décès d’un frère ou d’une sœur ou d’une autre personne aimée (6.1%). Seulement 55% des personnes d’un groupe de personnes âgées sans « démence » ont indiqué avoir vécu des événements stressants, ce qui est significativement différent du pourcentage rapporté chez les personnes avec vieillissement problématique.
Ces résultats confirment donc l’impression clinique selon laquelle un événement stressant et grave pourrait contribuer au déclenchement du déclin cognitif. Dans une recherche antérieure, Charles et al. (2006) ont également montré que 79 % des proches aidants qui avaient répondu à la question posée sur ce thème ont indiqué que des événements de vie pouvaient avoir joué un rôle dans le développement des troubles de la personne âgée, avec en premier le décès du conjoint (15.39%), puis le décès d’un parent (15%), une difficulté familiale (10.08%) et une anesthésie (8.49%).
L’association rapportée n’implique pas nécessairement l’existence d’un lien de causalité : comme l’indiquent justement Charles et al. (2010), il se pourrait que les proches aient alloué une attention plus forte à la personne âgée suite à l’apparition des premiers problèmes cognitifs et l’aient ainsi observé de façon plus intense consécutivement à l’événement stressant. Néanmoins, ces résultats invitent à la mise en place de nouvelles études visant à mieux identifier le phénomène. S’il se confirmait, il s’agirait alors d’en comprendre les mécanismes (en tenant compte notamment des effets d’un stress important sur le fonctionnement neurobiologique et cognitif) et d’examiner le rôle probable de la personnalité antérieure, des capacités de régulation et du niveau de stress vécu avant et autour de la cinquantaine (voir notre chronique « Risque de démence et stress psychologique » ; voir aussi Rothman & Mattson, 2010), en interaction avec l’existence d’une fragilité cognitive préalable. Ces travaux pourraient en outre permettre d’envisager la mise en place de mesures de prévention (voir Tsolaki, 2009).
Charles, E., Bouby-Serieys, V., Thomas, P., & Clément, J.P. (2006). Links between life events, traumatism and dementia: an open study including 565 patients with dementia. L’Encéphale, 32, 746-752.
Rothman, S.M., & Mattson, M.P. (2010). Adverse stress, hippocampal networks, and Alzheimer’s disease. NeuroMolecular Medicine, 12, 56-70.
Tsolaki, M. (2009). Severe psychological stress in elderly individuals: A proposed model of neurodegeneration and its implications. American Journal of Alzheimer’s Disease & Other Dementias, 24, 85-94.
Tsolaki, M., Papaliagkas, V., Kounti, F., Messini, Ch., Boziki, M., Anogianakis, G., & Vlaikidis, N. (2010). Severely stressful events and dementia : A study of an elderly Greek demented population. Psychiatry Research, 176, 51-54.commenter cet article …