Il existe de nombreuses données montrant qu’une activité mentale et une vie sociale riches et stimulantes peuvent contribuer à réduire le risque de « démence » (voir Valenzuela & Sachdev, 2006 a ; voir aussi nos chroniques « L’influence bénéfique du nombre d’années d’études sur le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique », « Les liens entre la fréquence des activités cognitives et la survenue ou l’évolution d’un vieillissement cognitif/cérébral problématique », « Apprendre à utiliser un ordinateur et pratiquer des exercices physiques: des interventions bénéfiques au fonctionnement cognitif des personnes âgées » et « Des activités de loisirs stimulantes sur le plan cognitif, une vie sociale active et des activités physiques ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif évalué 20 ans plus tard »). De plus, il a été observé que cette association était « dose-dépendante », le risque de « démence » diminuant en fonction des différents niveaux d’accroissement des activités stimulantes (Valenzuela & Sachdev, 2006 b).
Cependant, il est un point qui n’a pas été clarifié, à savoir l’importance relative des différentes composantes du style de vie cognitif enrichi, ainsi que les interactions éventuelles entre ces composantes. C’est ce sur quoi se sont penchés Valenzuela et al. (2011). Ces auteurs ont analysé les données sur le style de vie cognitif obtenues auprès de 12’600 personnes âgées de plus de 65 ans vivant en Angleterre et au Pays de Galles. Ces personnes ont été interrogées une première fois en 1991-1992 et ont été suivies sur une période de 10 ans afin de déterminer l’apparition d’une « démence » et sur une période de 12 ans pour déterminer le taux de mortalité.
En ce qui concerne le style de vie cognitif, des informations ont été obtenues sur l’étendue et l’intensité des activités en lien avec la scolarité (nombre d’années de scolarité), la profession (au milieu de la vie ; l’occupation professionnelle principale en nombre d’années, recodée en termes de statut et de complexité) et l’engagement social (durant la vieillesse ; fréquence des contacts avec les enfants et autres proches, fréquence des contacts individuels avec les voisins, fréquence de la participation à des réunions, associations ou autres événements sociaux). Les questions posées sur les composantes du style de vie constituent un sous-ensemble de celles contenues dans le « Lifetime of Experiences Questionnaire » qui a été élaboré ultérieurement (Valenzuela & Sachdev, 2007). Sur base des réponses à ces questions et d’opérations de recodage, trois sous-scores correspondant aux trois composantes explorées ont été établis de manière à ce qu’ils contribuent de façon similaire et non biaisée au score global de style de vie cognitif. Il est important de noter que les trois sous-scores sont faiblement inter-corrélés, ce qui suggère qu’ils mesurent des facettes du style de vie cognitif relativement indépendantes.
La présence d’une « démence » durant le suivi était déterminée au moyen de l’algorithme AGECAT (« Automated Geriatric Examination for Computer Assisted Taxonomy ». Par ailleurs, ont également été évalués la dépression, l’anxiété, la présence d’un traumatisme crânien et les facteurs de risque vasculaire (diabète, pression sanguine élevée, accident cardiaque, angine de poitrine, tabagisme).
Les résultats montrent qu’après contrôle de l’âge, du genre, de la période d’évaluation durant le suivi (2, 6 et 10 ans) et d’un score résumé de risque vasculaire, les personnes ayant un score global de style de vie cognitif enrichi plus élevé ont un risque diminué de 40% de développer une « démence ». Par ailleurs, un effet similaire est observé quand on considère uniquement deux composantes du score global (après avoir contrôlé l’influence de la troisième), que ce soit la combinaison de la scolarité et du métier ou la combinaison de la scolarité et de l’engagement social durant la vieillesse. La combinaison métier/engagement social n’est par contre pas significativement associée à l’incidence de « démence », quand on prend en compte le niveau de scolarité. De plus, aucune composante n’est à elle seule significativement associée au risque de « démence »., que ce soit avant ou après avoir ajusté pour les deux autres composantes. Les analyses de sensibilité montrent que l’exclusion des personnes qui ont reçu le diagnostic de « démence » durant la première période de suivi (période de 2 ans) ne modifie pas les résultats. Par ailleurs, aucune influence modératrice de la dépression (et autres problèmes émotionnels), des différents facteurs individuels de risque vasculaire (plutôt que d’un score résumé) ou d’antécédents de traumatisme crânien n’a été observée.
Selon les auteurs, l'absence d'influence d'une composante unique du style de vie cognitif sur le risque de "démence", alors qu'un tel effet a été observé dans certaines études (mais pas dans d'autres), pourrait être liée au taux modéré d'apparition de cas de "démence" dans la population qu'ils ont examinée (1.8% de nouveaux cas par an, alors que dans la méta-analyse examinant l'effet du style de vie sur le risque de "démence" effectuée par Valenzuela & Sachdev, 2006a, ce taux variait de 0.2 à 4.9%). Ils ajoutent qu'une analyse complète des interactions entre les composantes du style de vie nécessiterait la mise en place d'une méta-analyse prenant en compte les données individuelles, les facteurs contextuels et la conception des études. Il faut par ailleurs relever qu’aucune association n’a été constatée entre le style de vie cognitif et la survie (le taux de mortalité) après l’établissement du diagnostic de « démence ». Les auteurs indiquent cependant que des études longitudinales plus complexes et de plus grande ampleur devraient être menées pour permettre d’identifier des effets probablement subtils et de dissocier les effets du style de vie cognitif sur le moment d’apparition de la « démence », sur la vitesse du déclin cognitif et sur le moment du décès, et ce en examinant les co-morbidités et en réalisant un suivi plus long.
En dépit de certaines limites (notamment le fait que l’évaluation du style de vie cognitif était assez limitée et en tout cas pas aussi élaborée que celle fournie par le « Lifetime of Experiences Questionnaire »), il apparaît qu’un certain niveau d’enrichissement cognitif, au-delà du niveau de scolarité atteint en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte, est nécessaire pour aboutir à une prévention efficace du vieillissement cérébral/cognitif problématique.
©VIVA 2010
Valenzuela, M., & Sachdev, P. (2006a). Brain reserve and dementia: a systematic review. Psychological Medicine, 36, 441-454.
Valenzuela, M., & Sachdev, P. (2006b). Cognitive leisures activities, but not watching TV, for future brain benefits. Neurology, 67, 729.
Valenzuela, M., & Sachdev, P. (2007). Assessment of complex mental activity across the lifespan: development of the Lifetime of Experiences Questionnaire (LEQ). Psychological Medicine, 37, 1015-1025.
Valenzuela, M., Brayne, C., Sachdev, P., Wilcock, G., & Matthews, F. on Behalf of the Medical Research Council Cognitive Function and Ageing Study (2011). Cognitive lifestyle and long-term risk of dementia and survival after diagnosis in a multicenter population-based cohort. American Journal of Epidemiology, sous presse.
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