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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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21 juillet 2010 3 21 /07 /juillet /2010 23:59

Nous avons vu dans une chronique précédente (« Quand une absence d’effet bénéfique d’un plan de soin destiné à des personnes ayant reçu le diagnostic de soi-disant « maladie d’Alzheimer n’étonne pas… ») qu’un plan français de Soin et d’Aide destiné aux personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et administré via des Cliniques de la Mémoire spécialisées ne s’était pas avéré efficace (Nourhashemi et al., 2010).

Nous avons suggéré trois raisons principales à cette absence d’efficacité : 1. Ce plan s’inscrit dans une démarche majoritairement pathologisante et focalisée sur les déficits. 2. Il vise à implanter concrètement des changements dans le fonctionnement quotidien des personnes âgées ayant un vieillissement problématique et de leurs proches aidants (souvent aussi des personnes âgées), essentiellement sur la base de conseils transmis verbalement et éventuellement par écrit et donc sans accompagnement régulier au quotidien. 3. Il ne comporte aucune proposition d’intervention spécifique visant à optimiser le fonctionnement cognitif et socio-émotionnel dans la vie quotidienne des personnes présentant un vieillissement problématique, au-delà de conseils et principes généraux, souvent assez vagues, concernant les troubles du comportement

 

Les résultats de l’étude de Nourhashemi et al. conduisent à s’interroger sur l’adéquation des Cliniques de la Mémoire spécialisées pour le suivi des personnes, dès lors qu’un diagnostic a été posé (voir Melis et al., 2009). Aider les personnes âgées présentant un vieillissement problématique et leurs proches, dans une perspective de soutien, de prévention (dans le but de ralentir ou différer des problèmes plus importants) et d’interventions psychologiques et sociales (visant à optimiser la qualité de vie et le sentiment d’identité), nécessite à la fois une grande disponibilité et une très bonne connaissance des personnes âgées (de leurs aspirations, craintes et croyances), de leur milieu de vie (familial et social) et des structures locales aptes à leur offrir de l’aide ou des possibilités d’engagement dans la communauté. Cette disponibilité et cette connaissance du terrain devraient être plus aisément obtenues via des structures de soins primaires, ancrées dans la communauté, plutôt que par des structures spécialisées (de soins secondaires).  

 

Plus généralement, dans une approche du vieillissement cérébral qui s’affranchit des catégories pathologisantes (telles que la soi-disant « maladie d’Alzheimer »), on peut même se demander dans quelle mesure l’évaluation elle-même (le diagnostic) des aspects problématiques du vieillissement cérébral nécessite d’avoir recours automatiquement à une consultation spécialisée, le plus souvent organisée dans un contexte hospitalier et, dès lors, susceptible d’être perçue comme menaçante et stigmatisante. En effet, une autre approche de l’évaluation et du diagnostic, très différente de la démarche biomédicale et pathologisante classique, est possible, une approche qui s’intégrerait facilement au sein d’une structure de soins primaires.

 

Plutôt que d’aller à la recherche d’un hypothétique diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou d’une autre maladie neurodégénérative (processus dont on a vu la faible validité ; voir notre chronique « Le diagnostic de la prétendue "maladie d’Alzheimer" repose-t-il sur des critères valides ? »), la démarche consisterait à informer la personne qui présente un vieillissement cognitif problématique qu’elle a effectivement des difficultés cognitives dans certains domaines, que le vieillissement s’accompagne inévitablement de difficultés cognitives et que cela fait partie de l’aventure humaine, et que même si elle a plus de difficultés que d’autres personnes âgées, elle a aussi des capacités préservées. Elle serait en outre informée du fait que l’évolution de ses difficultés n’est pas prévisible, qu’il existe de grandes différences interindividuelles dans cette évolution et que ses difficultés et leur évolution sont déterminées par des facteurs multiples (environnementaux, sociaux, psychologiques, biologiques...). On lui indiquerait en outre que l’on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives et avoir une place et un rôle dans la société, qu’il existe différentes démarches susceptibles de ralentir et d'atténuer l’impact des difficultés cognitives, qu’une de ces démarches est de rester partie prenante dans la société et de continuer à s’engager utilement en fonction de ses moyens. On lui dirait enfin qu’il n’existe pas et n’existera pas de médicament miracle et, donc, qu’elle doit laisser au médicament la place qu’elle souhaite lui donner en ayant connaissance de ses mérites réels et de ses effets secondaires…

 

Faut-il réellement, pour une telle approche, passer par des structures spécialisées, en sachant en outre que les examens médicaux visant à identifier des marqueurs biologiques de la prétendue « maladie d’Alzheimer » ou de ses « manifestations précoces » (MCI) sont également d’une faible validité et que les bénéfices que peuvent en tirer les personnes âgées sont globalement inexistants ? Il faut par ailleurs noter que l’impact réel des difficultés cognitives sur l’autonomie et la qualité de vie sera indéniablement mieux identifié par quelqu’un qui connaît bien la personne âgée et son milieu, et qui a l’occasion de l’observer en situation, que par le seul intermédiaire de tests cognitifs. 

En d’autres termes, la mise en place d’un réseau de Cliniques de la Mémoire spécialisées, établies dans un contexte hospitalier, constitue-t-elle une stratégie pertinente, ou ne faudrait-il pas plutôt changer de politique afin d’offrir aux personnes âgées présentant un vieillissement cérébral problématique, ainsi qu’à leurs proches, des possibilités d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi au sein même de leur milieu de vie, c’est-à-dire dans des structures de soins primaires ? 

 

Un débat sur cette question a récemment vu le jour en Angleterre dans le cadre du plan stratégique (« National Dementia Strategy ») publié en février 2009. Plusieurs personnes ont en effet contesté la nécessité d’adresser automatiquement les personnes âgées présentant des difficultés cognitives à des structures spécialisées en milieu hospitalier (soins de santé secondaires) et ont plaidé pour la mise en place de structures de soins primaires, insérées dans les communautés locales et accordant un rôle essentiel aux médecins généralistes  (Greaves & Jolley, 2010 ; voir également Illife et al., 2009 ; Robinson et al., 2010).

 

Il existe dès à présent en Angleterre quelques expériences de cliniques de la mémoire en contexte de soins primaires,  dans lesquelles les médecins généralistes jouent un rôle clé (comme, par ex., la « Gnosall Memory Clinic » ; Greenings et al., 2010). La « Gnosall Memory Clinic » emploie des médecins généralistes, des infirmiers/infirmières, un physiothérapeute et un travailleur social associé à la structure (relevons toutefois ici l’absence de psychologues…). Un clinicien de liaison est identifié, qui a pour fonction de compléter les informations et d’établir les liens bidirectionnels et continus entre la clinique, la personne âgée, ses proches et les professionnels. Les objectifs de cette structure sont d’identifier les aspects problématiques du vieillissement cérébral, d’améliorer la santé générale des personnes âgées, ainsi que de minimiser l’évolution des problèmes et donc de fournir avis, conseils et soutien. Cette structure peut, si nécessaire, faire appel à un service de psychiatrie de référence (plus spécifiquement un membre de l’unité de santé mentale communautaire ou un consultant en psychiatrie gériatrique). Un spécialiste en psychiatrie gériatrique intervient ponctuellement (une séance par mois) au sein de la Clinique de la Mémoire et est par ailleurs accessible par téléphone ou par courriel.

 

De manière plus générale, les initiateurs de cette « Gnosall Memory Clinic » proposent la mise en place d’une organisation en trois niveaux (Jolley et al., 2010) : d'abord les Cliniques de Mémoire en contexte de soins primaires ; un niveau secondaire sous forme d’une Unité Mémoire (située, par ex., dans un service de psychiatrie gériatrique), composée de cliniciens spécialisés, dont la fonction serait de diffuser les connaissances (sur les difficultés cognitives, la « démence », etc.) au sein des Cliniques de la Mémoire et, surtout, d’interagir avec les membres de ces cliniques pour des situations difficiles ; enfin, une structure tertiaire (régionale), encore plus spécialisée, en milieu universitaire, qui interviendrait dans des situations particulièrement difficiles et qui contribuerait aussi à la diffusion des connaissances.

Le « Croydon Memory Service » (voir Banrjee et al, 2007 ; Willis et al., 2009) constitue un autre type de structure d’évaluation et d’intervention pour les personnes présentant une « démence » légère à modérée, insérée dans le système local (primaire) de soins. Il s’agit d’une équipe multidisciplinaire composée d’un psychologue clinicien (responsable de l’équipe), d’une infirmière clinique spécialisée dans le domaine de la « démence », d’un psychiatre, d’un gestionnaire de cas, d’une assistante sociale (et aussi d’un administrateur et d’un assistant psychologue). Chacun des membres de l’équipe (indépendamment de sa profession) est formé pour effectuer les activités d’évaluation, de diagnostic et d’intervention. L’évaluation initiale s’effectue autant que possible au domicile des personnes. L’équipe établit conjointement le diagnostic et le plan d’intervention. Les interventions incluent le feedback concernant le diagnostic aux personnes âgées et aux professionnels, des interventions psychologiques individuelles et de groupe (y compris cognitives), la médication, les interventions pharmacologiques et non pharmacologiques visant les problèmes comportementaux, ainsi qu'une aide pour l’accès aux services sociaux (centre de jour, aide à domicile, etc.) et aux associations de bénévoles. Il faut noter que l’équipe est directement intégrée aux services sociaux, ce qui permet une transmission aisée et rapide des informations. Le « Croydon Memory Service » reçoit les demandes d’évaluation et d’intervention via des médecins généralistes, ainsi que par le biais d’autres professionnels/services de santé (y compris des structures d’hébergement de personnes âgées). 

Les protagonistes de ces deux expériences anglaises, menées en contexte de soins primaires, rapportent des résultats probants concernant notamment l’acceptation par les personnes âgées, la disponibilité des intervenants, la clarté de la communication, la déstigmatisation et le suivi à long terme (voir Greenings et al., 2009 ; Banerjee et al., 2007 ; Willis et al., 2010). On ne dispose cependant pas, actuellement, de données suffisantes permettant d’évaluer de façon précise l’efficacité de ce type de structures (selon les options différentes que représentent la « Gnosall Memory Clinic » et le « Croydon Memory Service »), par rapport à d’autres structures, comme les Cliniques de la Mémoire spécialisées. Néanmoins, le débat mériterait d’être mené dans les pays francophones et des initiatives innovantes devraient pouvoir être mises en place et évaluées sur différents plans. L’intégration possible de ces structures nouvelles dans des organisations telles que les Maisons Médicales, Maisons de Santé, réseaux de santé (type HMO) ou cabinets de groupe devrait également être envisagée.

Il faut noter que ces expériences anglaises, même si elles ont le souci de ne pas pathologiser à outrance, de ne pas stigmatiser, de se centrer davantage sur la personne et ses capacités préservées et d’ancrer leur pratique dans la communauté, s’inscrivent néanmoins encore dans la perspective biomédicale dominante. Il s’agirait de réfléchir aux caractéristiques des structures qui pourraient être mises en place dans la perspective différente que nous soutenons, ainsi d’ailleurs qu’au type de formation qu’il serait nécessaire de proposer aux intervenants de telles structures. Nous considérons en tout cas que des psychologues devraient y jouer un rôle important, en lien étroit avec les médecins généralistes, assistants sociaux et autres protagonistes.

Commentant les propositions de Greaves et Jolley (2010) d’accroître le rôle des soins de santé primaires dans le domaine de la « démence », Iliffe (2010) indique en quoi le plan stratégique anglais (« National Dementia Strategy ») a été façonné sous l’influence de groupes de pression divers (médias, politiciens, médecins spécialistes, firmes pharmaceutiques, association Alzheimer) ayant chacun un intérêt direct à promouvoir une approche alarmiste, spécialisée et biomédicale du vieillissement cérébral. On pourrait vraisemblablement en dire autant du plan de Soin et d’Aide pour la « maladie d’Alzheimer » initié par le gouvernement français dès 2001 et aménagé par la suite. Plus généralement, il apparaît que des initiatives nouvelles, plus proches des besoins réels des personnes âgées, devront s’affranchir du pouvoir et intérêts des « Alzheimérologues » (voir notre chronique « Pas d’Alzheimérologues, mais des personnes, y compris des psychologues, capables de prendre en compte la complexité du vieillissement cérébral, dans ses différentes dimensions ») et de ce que Whitehouse et Georges  appellent l’ «Empire Alzheimer». 

cliniques_memoire.jpg

Banerjee, S., Willis, R., Matthews, D., Contell, F., Chan, J., & Murray, J. (2007). Improving the quality of care for mild to moderate dementia: an evaluation of the Croydon Memory Service Model. International Journal of Geriatric Psychiatry, 22, 782-788.

Greaves, I., & Jolley, D. (2010). National Dementia Strategy: well intentioned – but how well founded and how well directed? British Journal of General Practice, 60, 572, 193-198.

Greenings, L., Greaves, I., Greaves, N., & Jolley, D. (2009). Positive thinking on memory problems and dementia in primary care: Gnosall Memory Clinic. Community Practitioner, 18, 26-29.

Iliffe, S. (2010). National Dementia Strategy.  British Journal of General Practice, 60, 574, 193-198.

Iliffe, S., Robinson, L., Brayne, C., Goodman, C., Rait, G., Manthorpe, J., Ashley, P., and the DeNDRoN Primary Care Clinical Studies Group. (2009). Primary care and dementia: 1. Diagnosis, screening and disclosure. International Journal of Geriatric Psychiatry, 24, 895-901.

Jolley, D., Greaves, I., Greaves, N., & Greening, L. (2010). Three tiers for a comprehensive regional memory service. Journal of Dementia Care, 18, 26-29.

Robinson, L., Iliffe, S., Brayne, C., Goodman, C., Rait, G., Manthorpe, J., Ashley, P., Moniz-Cook, E., and the DeNDRoN Primary Care Clinical Studies Group (2010). Primary care and dementia: 1. Long-term care at home: psychosocial interventions, information provision, care support and case management. International Journal of Geriatric Psychiatry, 25, 657-664.

Willis, R., Chan, J., Murray, J., Matthews, D., & Banerjee, S. (2009). People with dementia and their family carer’s satisfaction with a memory service: A qualitative evaluation generating quality indicators for dementia care. Journal of Mental Health, 18, 26-37.

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