Une étude récente (Elseviers et al., 2010) a été menée en Belgique afin d’examiner la consommation de médicaments auprès de 2510 résidents choisis aléatoirement dans 76 structures d’hébergement et de soin à long terme pour personnes âgées (sélectionnées au hasard parmi des structures d’hébergement ayant au moins 30 lits, y compris des lits de soins intensifs). Ces structures accueillent des personnes âgées plus ou moins dépendantes, présentant ou non une « démence ».
Les résidents inclus avaient un âge moyen de 85 ans et 77 % étaient des femmes. Ils présentaient un nombre médian de deux problèmes cliniques (étendue de 0 à 10), les problèmes les plus fréquents étant l’hypertension (54%), l’insuffisance cardiaque (32%) et l’ulcère peptique (25%). Ils présentaient également un nombre médian de 3 problèmes nécessitant des soins (étendue 0-10), les plus fréquents étant le risque de chute (45%), l’insomnie (44%), la constipation (42%), l’incontinence (36%) et la douleur chronique (35%). De plus, 48% des résidents avaient reçu, via le médecin généraliste référant, un diagnostic de « démence » et 36% un diagnostic de dépression (16% avaient reçu un diagnostic de « démence » et de dépression). Enfin, 14% des résidents avaient un diagnostic fatal, et 9% recevaient des soins palliatifs (3% dans la phase terminale).
Les résultats montrent que les personnes examinées avaient en moyenne une prescription de 8,4 médicaments : seul 1 % d’entre elles n’avaient aucune médication alors qu’un tiers des résidents avaient au moins 10 lignes de médicaments notées dans leur dossier. La plupart des médicaments (88%) étaient destinés à un traitement chronique, les plus fréquents étant les benzodiazépines (61%), les antidépresseurs (50%) et les laxatifs (50%).
On constate un pic de consommation autour de 70 ans et une diminution par la suite. En outre, on relève une diminution marquée de prescriptions chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence », en particulier pour les antalgiques. Un diagnostic de dépression conduit, quant à lui, à un accroissement des traitements médicamenteux chroniques.
Ces données montrent le haut niveau de consommation de médicaments chez les personnes âgées résidant dans des structures d’hébergement et de soin à long terme, confirmant ce qui a également été rapporté aux Etats-Unis, au Canada, en Suède et en Autriche (voir les références dans Elseviers et al., 2010) avec, en particulier, une consommation élevée de médicaments psychotropes.
Même si, évidemment, les structures d’hébergement et de soin à long terme accueillent des personnes âgées ayant souvent de nombreux problèmes de santé, qui nécessitent un niveau élevé de traitement médicamenteux, les résultats obtenus par Elseviers et al. soulèvent de nombreuses questions.
D’une part, et de façon générale, on peut se demander dans quelle mesure il y a une réelle prise en compte des effets d’interactions entre médicaments, ainsi que des possibles réactions indésirables à certains d’entre eux. Par ailleurs, il est indéniable qu’une part de cette consommation médicamenteuse élevée est certainement liée à des prescriptions inadéquates, par exemple quant on voit le taux élevé de prescription de benzodiazépines. On peut ainsi s’interroger sur les effets de la consommation de benzodiazépines, par exemple, sur le fonctionnement cognitif, le risque de chute ou encore le risque de délire. Par ailleurs, la consommation élevée d’antidépresseurs peut difficilement se justifier en regard des données empiriques montrant que leur efficacité est des plus réduite (voir notre chronique « L’efficacité des antidépresseurs : Un autre mythe à démonter ! »). D’autre part, la réduction de prescriptions médicamenteuses chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » soulève également des questions relatives au fait qu’un traitement utile au bien-être de la personne pourrait ne pas lui être administré, comme par exemple un antalgique.
On voit là les dérives d’une approche essentiellement médicale de l’hébergement et du soin à long terme chez la personne âgée et la nécessité d’un changement de culture. De façon générale, il s’agirait de passer d’une philosophie et d’une pratique qui se focalisent sur la sécurité, l’uniformité et les questions médicales à une approche dirigée vers le résident, la promotion de sa santé (psychologique et physique) et de sa qualité de vie, en donnant toute leur place aux interventions non pharmacologiques (taillées sur mesure en fonction des caractéristiques de chaque personne) et en installant un système de contrôle rigoureux de la qualité et de la pertinence des prescriptions médicamenteuses (voir notre chronique « Les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d’un changement de culture »).
Elseviers, M.M., Vander Stichele, R.R., & Van Bortel, L. (2010). Drug utilization in Belgian nursing homes: impact of resident’s and institutional characteristics. Pharmacoepidemiology and Drug Safety, à paraître.
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