Il existe des données suggérant qu’une consommation légère à modérée d’alcool puisse réduire le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique ou de « démence » (voir la méta-analyse de Peters et al., 2008). Comme l’indiquent Weyerer et al. (2011), cet effet protecteur peut être lié à différents mécanismes directs et indirects : une concentration accrue de lipoprotéines sériques de haute densité, un taux réduit de cholestérol, un effet bénéfique sur le fonction plaquettaire, de coagulation et de fibrinolyse et une meilleure sensibilité à l’insuline. Par ailleurs, les composantes non alcooliques peuvent avoir des propriétés anti-oxydantes, anti-inflammatoires et vaso-relaxantes. Il subsiste cependant des interrogations quant aux effets spécifiques des différents types de boissons alcoolisées, telles que le vin, la bière et les spiritueux. Certaines études ont uniquement montré un effet positif du vin ,qui peut être dû à la fois au niveau d’éthanol, à la composition complexe du vin ou au style de vie plus sain observé chez les consommateurs de vin.
De plus, on ne sait pas si l’association entre une consommation légère à modérée d’alcool et la diminution du risque de « démence » s’observe aussi chez les personnes âgées de plus de 75 ans, la méta-analyse de Peters et al. ayant inclus des personnes de moins de 75 ans.
Dans cette perspective, Weyerer et al. (2011) ont exploré le lien entre consommation d’alcool (y compris la quantité et le type d’alcool) et la survenue d’une « démence » chez des personnes initialement « non-démentes » et ayant eu recours à un médecin généraliste. Les critères d’inclusion étaient, outre l’âge (75 ans et plus), d’avoir eu au moins un contact avec un médecin généraliste durant les 12 derniers mois et de ne pas avoir de « démence » (via l’utilisation par le généraliste d’un instrument validé de dépistage).
Lors de l’évaluation initiale (ligne de base), 3’327 personnes ont été interrogées à domicile par des investigateurs entraînés (médecins, psychologues et gérontologues) et elles ont été réévaluées 1.5 ans et 3 ans plus tard. Les informations sur le statut cognitif des personnes qui sont décédées entre-temps ont été obtenues auprès des membres de la famille, des soignants ou des médecins généralistes.
La consommation actuelle d’alcool a été évaluée via la question suivante : « Actuellement, combien de jours par semaine consommez-vous de l’alcool ? Jamais / 1-2 jours / 3-4 jours / 5-6 jours / 7 jours / je ne sais pas). Les personnes qui consommaient de l’alcool ont ensuite été soumises à la question suivante : « Quand vous buvez, combien d’alcool buvez-vous en moyenne ? ». La fréquence de consommation d’alcool et la quantité de vin, bière et spiritueux ont ainsi été déterminées. Les données ont été converties en une mesure uniforme de grammes par jour (une boisson standard étant considérée comme contenant 10 g d’alcool). Ont été distinguées les quantités consommées suivantes : abstinent / 1-9 g / 10-19 g / 20-29 g / 30-39 g / 40 g ou plus. Par ailleurs, les types d’alcool consommés ont également été distingués : abstinent / vin (uniquement) / bière (uniquement) / mélange (vin, bière et autres boissons alcoolisées).
Le diagnostic de « démence » et de « trouble cognitif léger » (Mild Cognitive Impairment, MCI) a été établi selon les critères classiques. En outre, ont également été évalués : le niveau de scolarité, la situation de vie (isolé(e) ou non), la consommation de tabac (oui / non / je ne sais pas), la dépression (version courte de la GDS), les activités de base de la vie quotidienne (IADL, échelle à 8 items), les co-morbidités (via le médecin généraliste : pas de co-morbidité / 1-4 diagnostics / plus de 5 diagnostics) et le statut ApoE (au moins un allèle E4 versus pas d’allèle E4).
Lors de la ligne de base, 3’202 personnes étaient sans démence et les informations relatives à la consommation d’alcool ont été obtenues auprès de 3’180 personnes : 50% d’abstinents, 24.8% consommant moins d’un verre (10 g) par jour, 12.8% 10-19 g, et 12.4% 20 g ou plus. Un petit sous-groupe de 25 personnes consommaient un taux problématique d’alcool (plus de 60 g par jour pour les hommes et plus de 40 g pour les femmes). Par ailleurs, presque la moitié des consommateurs d’alcool (48.6%) buvaient du vin uniquement, 29% de la bière uniquement et 22.4% des alcools divers.
Durant la période de suivi de 3 ans, 217 cas de « démence » ont été identifiés (111 ayant reçu un diagnostic de prétendue « maladie d’Alzheimer »). Par ailleurs, après avoir contrôlé les différents facteurs possiblement confondants (sociaux, de santé physique et mentale, de style de vie, génétique), les analyses univariées et multivariées montrent que la consommation d’alcool est significativement associée à une incidence plus faible de « démence » (risque relatif ajusté : 0.71, 95%, CI 0.53-0.96). Plus spécifiquement, la consommation d’alcool est significativement associée à des facteurs protecteurs de « démence » (niveau plus élevé d’éducation, ne pas vivre seul, absence de dépression), mais, même après avoir contrôlé ces facteurs (et les autres), la consommation d’alcool prédit un risque plus faible de « démence » (diminution de 29% du risque pour la « démence » en général, et de 42% pour la « maladie d'Alzheimer »).
En ce qui concerne la quantité d’alcool, tous les risques relatifs sont inférieurs à 1 (indiquant un effet bénéfique), mais une association statistiquement significative n’est observée que chez les personnes consommant entre 20 et 29 g par jour (2 à 3 verres par jour). Pour ce qui est des types de boissons alcoolisées, les risques relatifs sont également tous inférieurs à 1, mais une association statistiquement significative n’est observée que pour la consommation d’alcools divers.
L’intérêt de cette étude est d’avoir exploré un grand nombre de personnes et contrôlé de nombreux facteurs possiblement confondants. Néanmoins, elle comporte quelques limites : seulement 50% des personnes ont consenti à participer au sein de l’échantillon initialement sélectionné de façon aléatoire et l’évaluation de la consommation d’alcool était auto-rapportée. Il faut enfin relever, comme l’indiquent les auteurs, que la relation entre consommation d’alcool et risque moindre de « démence » n’est pas nécessairement de nature causale : il se pourrait, en effet, que les participants qui consomment de l’alcool aient un style de vie plus sain au plan physique, nutritionnel, social ou cognitif. Une étude d’intervention randomisée contrôlée (avec contrôle de la dose d’alcool) n’étant pas réalisable tant d’un point de vie éthique que pratique, une étude observationnelle prospective et longitudinale constitue la seule alternative. Des recherches futures devraient dès lors inclure un contrôle plus précis de facteurs en lien avec le style de vie des personnes.
Peters, R., Peters, J., Warber, J., Beckett, N, & Bulpitt, Ch. (2008). Alcohol, dementia and cognitive decline in the elderly: a systematic review. Age and Ageing, 37, 505-512.
Weyerer, S., Schäufele, M., Wiese, B., Maier, W., Tebarth, F., van den Bussche, H., et al., for the German AgeCoDe Sudy Group (German Study on Ageing, Cognition and Dementia in Primary Care Patients) (2011). Current alcohol consumption and its relationships to incident dementia: results from a 3-year follow-up study among primary care attenders aged 75 years and older. Age and Ageing, sous presse (doi: 10.1093/ageing/afr007).
commenter cet article …