La plupart des diagnostics de « maladie d’Alzheimer » à survenue tardive renvoient à une forme sporadique. Cependant, l’apparition de cette forme sporadique semble aussi associée à des facteurs de risque génétiques (partagés par les membres d’une même famille). Ainsi, on constate une concordance plus importante de survenue de la « maladie d’Alzheimer » chez des jumeaux monozygotes que chez des jumeaux dizygotes. Cependant, l’apparition de la « maladie d’Alzheimer » chez des jumeaux monozygotes peut varier de plusieurs années au sein des membres d’une paire, suggérant dès lors la contribution de facteurs environnementaux.
Dans cette perspective, Scheinin et al. (2011) ont examiné la présence de bêta-amyloïde, au moyen d’une technique d’imagerie cérébrale (C-PiB PET), chez 9 paires de jumeaux monozygotes (âge moyen : 76.2) et 8 paires de jumeaux dizygotes (âge moyen : 71.6), dans lesquelles un membre de la paire avait des déficits cognitifs et l’autre pas. Les auteurs ont également exploré 9 personnes âgées de contrôle, sans troubles cognitifs (âge moyen : 71.2).
Le fonctionnement cognitif des participants a été évalué au moyen du MMSE et de tâches de rappel libre de mots, de fluence verbale catégorielle et du Trail-Making Test.
Les résultats indiquent que les membres des paires de jumeaux monozygotes ne présentant pas de troubles cognitifs montrent une accumulation accrue de bêta-amyloïde (identifiée via la technique de C-PiB PET) dans les régions temporales, pariétales et du gyrus cingulaire postérieur, par rapport aux personnes âgées de contrôle. Notons néanmoins que 3 personnes âgées de contrôle (sans troubles cognitifs) présentaient également une accumulation accrue de bêta-amyloïde (en utilisant le cut-off souvent employé de 1.5) : ces données correspondent à celles observées dans plusieurs études, selon lesquelles 10 à 30 % des personnes âgées sans troubles cognitifs présentent une accumulation accrue de plaques amyloïdes (observée via la technique C-PiB PET).
De plus, les membres des paires de jumeaux monozygotes sans troubles cognitifs manifestent des patterns similaires d’accumulation accrue de protéine bêta-amyloïde par rapport à ceux de leurs co-jumeaux présentant des troubles cognitifs.
En ce qui concerne les membres des paires de jumeaux dizygotes sans troubles cognitifs, ils ne diffèrent pas des personnes de contrôle quant à l’accumulation de protéine bêta-amyloïde. Par contre, les membres des paires dizygotes avec troubles cognitifs ont des patterns d’accumulation de bêta-amyloïde comparables aux membres des paires monozygotes avec troubles cognitifs.
Selon les auteurs, l’accroissement de bêta-amyloïde observé chez les membres des paires de jumeaux monozygotes sans troubles cognitifs suggère que cette accumulation de plaques amyloïdes est influencée par des facteurs génétiques. Cependant, ils ajoutent que la dissociation mise en évidence entre l’accumulation accrue de béta-amyloïde et le fonctionnement cognitif chez les paires de jumeaux monozygotes suggère aussi l’implication importante de facteurs environnementaux/acquis dans la relation entre la présence de plaques amyloïdes et la dégénérescence cérébrale/cognitive. Ils considèrent enfin que la présence accrue de plaques amyloïdes chez les membres des paires de jumeaux monozygotes sans troubles cognitifs constituerait une phase pré-symptomatique de la « maladie d’Alzheimer ».
Ces conclusions s’inscrivent dans la conception dominante selon laquelle l’accumulation de plaques amyloïdes constitue un événement causal précoce conduisant à la prétendue « maladie d’Alzheimer» (l’hypothèse de la cascade amyloïde). Cependant comme nous l’avons indiqué précédemment (voir notamment nos chroniques « Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta-amyloïde dans la soi-disant maladie d’Alzheimer », « Les hypothèses causales les plus populaires de la prétendue maladie d’Alzheimer ne résistent pas à l’analyse » et « Réintégrer le vieillissement cérébral/cognitif problématique dans le cadre plus général du vieillissement »), différents auteurs mettent en question cette interprétation et considèrent que la présence de plaques amyloïdes ne joue pas un rôle causal dans la survenue d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique (de la « maladie d’Alzheimer »), mais qu’il s’agirait au contraire d’un phénomène secondaire (voir aussi Castellani & Smith, 2011).
Dans cette perspective, la contribution génétique observée dans l’étude de Scheinin et al. serait liée à d’autres mécanismes impliqués dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique. Plus généralement, cette étude apporte des éléments de plus en faveur d’une approche qui considère que le vieillissement cérébral/cognitif problématique est modulé par de multiples facteurs et ne se réduit pas à la présence ou à l’absence d’un facteur pathogène spécifique.
Les Liégeoises Gabrielle Vaudremer et Marie Hendrix-Vaudremer
sont les soeurs jumelles les plus âgées au monde. Voir une :-) vidéo
sur http://www.deredactie.be/cm/vrtnieuws.francais/magazine/1.876453
Castellani, R.J., & Smith, M.A. (2011). Compounding artefacts with uncertainty, and an amyloïd cascade hypothesis that is ‘too big to fail’. Journal of Pathology, 224, 147-152.
Scheinin, N.M., Aalto, S., Kaprio, J., Koskenvuo, M., Räihä, I., Rokka, J., Hinkka-Yli-Salomäki. S., & Rinne, J.O. (2011). Early detection of Alzheimer disease. C-PiB PET in twins discordant for cognitive impairment. Neurology, sous presse.
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