Dans la chronique « Scanner » du journal romand « Le Temps » (édition du 14 avril 2010), Patrick Aebischer, président de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, se réjouit à juste titre de l'amélioration significative de la qualité et de l’espérance de vie des personnes âgées, amenée par certains progrès biotechnologiques tels que les valves cardiaques, les pace-makers, les prothèses orthopédiques, dentaires ou auditives, etc. Il souligne également les effets bénéfiques, eu égard aux maladies liées à l’âge (y compris les maladies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer »), de démarches préventives, telles que l’équilibre nutritionnel, la pratique d’une activité physique régulière ou une stimulation intellectuelle appropriée. Puis il évoque les avancées, selon lui extrêmement prometteuses, de la bioingénierie et de la pharmacologie, qui, associées aux mesures d’hygiène de vie susmentionnées pourront constituer « la meilleure garantie de vivre de vieux jours heureux ».
Nous ne pouvons que nous réjouir de l’engagement de Patrick Aebischer à ajouter « de la vie aux années et non des années à la vie », comme il l’écrit lui-même. Cependant, poussé par un indéniable enthousiasme biotechnologique et biomédical, Patrick Aebischer dresse un tableau par trop optimiste et à tout le moins partiel de la situation.
Tout d’abord, en ce qui concerne les soi-disant maladies neurodégénératives (et en particulier la maladie d’Alzheimer), il apparaît qu’en dépit de très nombreuses recherches biomédicales entreprises de par le monde, depuis de nombreuses années, aucune avancée significative n’a été réalisée dans le développement d’un traitement efficace. Face à ce constat de carence, de plus en plus de chercheurs et cliniciens en appellent à un véritable changement de paradigme. Plus spécifiquement, ils suggèrent de se libérer du paradigme biomédical (kraepelinien) dominant et du concept dépassé de maladie d'Alzheimer (et cela vaut aussi pour d’autres maladies neurodégénératives), pour réintégrer les diverses manifestations de ces soi-disant maladies spécifiques dans le contexte plus large du vieillissement cérébral, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie. La complexité des facteurs impliqués dans le vieillissement cérébral – et de leurs interactions – rend par ailleurs totalement illusoire la découverte d’un remède « miracle », dont l’attente est pourtant entretenue par tous ceux qui propagent une vision catastrophiste de la « maladie d’Alzheimer » ou des autres types de « démence ».
Une autre dimension qui est absente dans la réflexion de Patrick Aebischer est la dimension sociale et culturelle du vieillissement. La médicalisation du vieillissement, et en particulier l’« alzheimérisation » du vieillissement cérébral, contribuent en effet à la stigmatisation, aux stéréotypes, à l’isolement social, à la non prise en compte des capacités préservées et à la diminution de l’estime de soi, conduisant ainsi à accroître les difficultés des personnes âgées (ce que que Kitwood a appelé la « psychologie sociale maligne »). Plus généralement, Patrick Aebischer développe un point de vue essentiellement centré sur l’individu (et principalement sur ses dimensions biomédicales), en ne prenant pas en compte l’environnement socio-économique et culturel dans lequel il vit. Ainsi, il ne s’interroge nullement sur la question de l’accès aux progrès biotechnologiques et aux moyens de prévention pour toutes les personnes âgées, y compris les plus pauvres, les plus isolées et les plus déracinées. Il ne fait pas mention des nombreuses données qui attestent des effets bénéfiques majeurs sur le vieillissement cérébral de l’intégration sociale et de l’engagement dans la communauté. Il y a pourtant là matière à réflexion et à action sur le rôle des personnes âgées dans la société, sur un habitat, des structures sociales et un environnement qui favorisent les relations intergénérationnelles et interculturelles, ainsi que l’implication des personnes âgées dans la vie sociale, y compris quand elles ont des problèmes cognitifs.
Il n’aborde pas non plus d’autres facteurs qui semblent moduler le vieillissement cérébral et sur lesquels des actions sociales et politiques sont possibles, dès le plus jeune âge: le niveau d’éducation, un métier stimulant, la réduction des toxines environnementales, la capacité de gérer le stress, la prévention des traumatismes crâniens et des infections, etc.
En conclusion, oui aux recherches biotechnologiques et biomédicales quand elles assument réellement la complexité du vieillissement! Oui aux progrès biotechnologiques et biomédicaux quand ils s’inscrivent dans une approche intégrative et centrée sur la personne, dans son contexte social, économique et culturel spécifique !
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