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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 13:42

Nous avons à maintes reprises mis en avant l’importante hétérogénéité des difficultés cognitives, psychopathologiques et fonctionnelles, ainsi que de leur évolution, des personnes présentant un vieillissement cérébral cognitif problématique (voir notamment nos chroniques « L’hétérogénéité de la soi-disant maladie d’Alzheimer : de nouvelles preuves » et « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées »). 

Cependant, l’exploration de l’évolution des personnes « démentes » (notamment celles ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») a le plus souvent été menée sur des échantillons recrutés au sein de structures cliniques ou de centres de recherche, ce qui a pu conduire à divers biais (en termes d’âge, de co-morbidités, de caractéristiques sociodémographiques, etc.). En outre, peu d’études ont examiné simultanément l’évolution des troubles cognitifs, psychopathologiques et fonctionnels. Enfin, la plupart des études ont réalisé un suivi d’une durée assez courte.

Dans ce contexte, Tschanz et al. (2011) ont réalisé une recherche prospective, en population générale, visant à suivre l’évolution des difficultés cognitives, fonctionnelles et psychopathologiques de personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer », et ce à partir d’un point de départ proche de l’installation de la « démence ». Cette recherche a été menée dans le cadre de la « Cache County Study on Memory in Aging (CCSMA) ».

Dans la première phase de l’étude (1995-1996), la CCSMA a enrôlé 90% des 5’677 habitants d’un comté aux Etats-Unis, âgés de 65 ans et plus, dans le but de détecter l’existence d’une « démence ». Dans l’étude présente, l’analyse a uniquement porté sur les personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Les personnes identifiées ont été suivies longitudinalement lors de trois phases ultérieures : en 1998-1999, 2002-2004 et 2005-2007. Les personnes ayant été nouvellement détectées dans chacune de ces trois phases ultérieures ont également été invitées à participer au suivi. Au total, 328 personnes ont été incluses : elles avaient un MMSE moyen lors de la ligne de base de 21.92 (s.d. 4.6). En moyenne, le suivi des participants a été d’une durée de 3.8 ans (de 0.07 à 12.9 ans). Les personnes qui ont manqué l’une des phases de suivi étaient au nombre de 112 (34%) et leur décès en était la cause principale.

Le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » a été posé à partir d’une exploration à étapes multiples, incluant un examen neurologique et physique, un examen neuropsychologique et un entretien avec un proche, dont les résultats ont été analysés par un psychiatre spécialisé en gériatrie et un neuropsychologue, lesquels ont établi le diagnostic de « démence » sur base des critères du DSM-III-R. Les personnes diagnostiquées ont en outre été soumises à des examens de neuroimagerie et de laboratoire. Ensuite, un panel d’experts en gériatrie, neurologie, neuropsychologie et neuroscience cognitive a établi le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou d’un autre type de « démence », sur base de toutes les données disponibles. Toutes les personnes pour lesquels il y avait seulement une suspicion de « démence » ont été réexaminées après 18 mois et le panel d’experts a alors établi le diagnostic final.

Les mesures de progression de la « démence » étaient les suivantes :

* Le MMSE : test d’évaluation du fonctionnement cognitif global (score maximal = 30), administré par un neuropsychologue entraîné ; score maximal = 30  (un score ajusté a été établi en retirant les items échoués du fait de troubles sensoriels ou moteurs ; les personnes dont les troubles sensoriels ou moteurs réduisaient le score de plus 3 points étaient retirés de l’analyse : n = 30 ou 9%) ; il faut relever que la majorité des participants (89%) n’ont pas obtenu de performance plancher durant le suivi.

* L’échelle « Clinical Dementia Rating, CDR » : évaluation des capacités fonctionnelles dans 6 domaines (mémoire, orientation, jugement/résolution de problèmes, participation aux activités dans la communauté, participation aux activités à domicile/loisirs et soins personnels), effectuée à partir des informations fournies par les proches et les performances aux tests neuropsychologiques ; elle était administrée par une infirmière de recherche entraînée (les cotations étant revues régulièrement par un psychogériatre) ; scores : 0 = pas de trouble, 0.5 = suspicion, 1 = trouble léger, 2 = trouble modéré, 3 = trouble grave, 4 = trouble profond ; 5 = terminal).

* Le « Neuropsychiatric Inventory (NPI) », évaluant les idées délirantes, les hallucinations, l’agitation/agressivité, l’élation/euphorie, l’apathie/indifférence, l’anxiété, la dépression/dysphorie, la désinhibition, l’irritabilité/labilité et les comportements moteurs aberrants (score de fréquence et de gravité des symptômes allant de 0 à 120) ; le NPI a été administré à une personne proche par une infirmière de recherche entraînée.

Les résultats montrent tout d’abord que la gravité des difficultés cognitives, fonctionnelles et psychopathologiques s’accroît  avec le temps, avec un taux annuel de -1.53 (2.69) au MMSE, 1.44 (1.82) au CDR et 2.55 (5.37) au NPI. Par ailleurs, il a été observé qu’entre 30% et 58 % des personnes qui ont survécu de 5 à 7 ans après l’installation de la « démence » ont décliné lentement, à savoir de moins d’un point par année aux trois mesures. Il apparaît en outre que le nombre et la gravité des symptômes psychopathologiques s’accroît globalement avec le temps, mais que cette évolution est assez fluctuante. De plus, il existe une corrélation significative entre les changements au MMSE et au CDR et entre les changements au CDR et au NPI, mais pas entre le changement au MMSE et au NPI. Le statut ApoE, le niveau d’éducation et la prise de médicaments « anti-Alzheimer » ne sont pas associés aux changements avec le temps. Par contre, les femmes montrent une détérioration plus importante au MMSE, ainsi que les personnes les plus jeunes.

Bien que cette étude ne se soit basée que sur une mesure unique du fonctionnement cognitif, du statut fonctionnel et des symptômes psychopathologiques, son intérêt est d’avoir été menée en population générale, d’avoir suivi trois aspects du fonctionnement des personnes, d’avoir pratiqué un suivi étendu depuis l’installation de la « démence » et d’avoir un taux de participation assez élevé tout au long du suivi.

L’apport principal de cette recherche est d’avoir montré qu’une proportion importante de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » évolue lentement avec le temps, et ce indépendamment de la prise de médicaments « anti-Alzheimer ».

Ces données confirment celles recueillies par Bozoki et al. (2009 ; voir notre chronique « L’hétérogénéité de la soi-disant maladie d’Alzheimer : de nouvelles preuves ») qui avaient montré que 22% des personnes de leur échantillon, ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » (et étant sans médication), présentaient une période de stabilité dans leur fonctionnement cognitif d'une durée moyenne de 3 ans et demi (de 3-7 ans). 

De même, Mungas et al. (2010 ; voir notre chronique « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées ») ont mis en évidence une importante hétérogénéité dans les trajectoires cognitives, tant chez des personnes âgées dites « normales », des personnes avec un diagnostic de MCI et des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence ». Ils ont également montré que le diagnostic clinique initial rendait mal compte de cette hétérogénéité et qu’il existait un recouvrement considérable dans la distribution des taux de déclin cognitif entre les trois types de personnes.

Mieux comprendre la nature de l’hétérogénéité des difficultés cognitives, psychoaffectives et fonctionnelles du fonctionnement des personnes âgées et de leur évolution constitue donc un défi considérable.

Les résultats de Mungas et al. indiquent en quoi l’exploration des facteurs impliqués dans cette hétérogénéité s’avèrera d’autant plus efficace que les échantillons explorés incluront une diversité de fonctionnements cognitifs et ne se fonderont pas sur des catégories arbitraires. Il s’agira donc d’adopter une approche qui considère le vieillissement cérébral/cognitif en termes de continuum et qui tente d’identifier la multitude des facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux,environnementaux…), ainsi que leurs différentes combinaisons, impliqués dans l’évolution plus ou moins rapide des difficultés cognitives, fonctionnelles et psychopathologiques.

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© J. Stephen Conn

Bozoki, A.C., An, H., Bozoki, E.S., & Little, R.J. (2009). The existence of cognitive plateaus in Alzheimer's disease. Alzheimer's & Dementia, 5, 470-478. 

Mungas, D., Beckett, L., Harvey, D., Tomaszewski Farias, S., Reed, B., Carmichael, O., et al. (2010). Heterogeneity of cognitive trajectories in diverse older persons. Psychology and Aging, 25, 606-619.

Tschanz, J.T., Corcoran, Ch.D., Schwartz, S., Treiber, K., Green, R.C., Norton, M.C., et al. (2011). Progression of cognitive, functional, and neuropsychiatric symptom domains in a population cohort with Alzheimer dementia. The Cache County Dementia Progression Study. American Journal of Geriatric Psychiatry, 19, 532-542.

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19 mai 2011 4 19 /05 /mai /2011 20:46

Dans une chronique précédente (« La résistance à l’approche réductrice et pathologisante du vieillissement cérébral/cognitif s’impose plus que jamais »), nous avons notamment rapporté la position de Chen, Maleski et Sawmiller (2011), selon laquelle le vieillissement naturel joue un rôle important dans les phénomènes neurodégénératifs. Par ailleurs, pour Chen et al., le fait que toutes les personnes âgées ne manifestent pas une « démence» peut s’interpréter, non pas sur base de la présence ou de l’absence d’un facteur pathogène spécifique, mais en considérant l’influence de différents facteurs de risque (absence d’activité physique et cognitive, nutrition inadéquate, isolement social, etc.), qui vont accroître les effets négatifs des phénomènes neurodégénératifs naturels. Du fait de la variabilité des contextes de vie, l’action de ces facteurs de risque aura un caractère essentiellement probabiliste. Enfin, d’autres problèmes peuvent affecter le cerveau vieillissant et contribuer à son évolution problématique, en particulier les problèmes vasculaires et infectieux, les effets d’un traumatisme crânien ou des mutations génétiques (qui contribueraient à accélérer la progression du vieillissement cérébral). De façon plus globale, les auteurs envisagent donc la « maladie d’Alzheimer » comme une condition hétérogène, liée à l’âge avancé, sous l’influence de différents facteurs de risque.

 

D’autres auteurs ont récemment avancé des positions allant dans le même sens. Ainsi, Collier, Kanaan et Kordower (2011) proposent un modèle de la « maladie de Parkinson » selon lequel les différents événements cellulaires qui contribuent au vieillissement normal des neurones dopaminergiques de la substance noire sont fondamentalement les mêmes que ceux sous-tendant le développement et la progression de la « maladie de Parkinson ». En effet, ces événements cellulaires (métabolisme de la dopamine, stress oxydatif et nitrosatif, inflammation, dommage mitochondrial, dysfonctionnement du système ubiquitine-protéasome, etc.) seraient identiques, indépendamment du fait qu’ils sont induits par le vieillissement ou par des toxines environnementales, des infections prénatales, des prédispositions cellulaires, des prédispositions génétiques ou d’autres facteurs. Plus spécifiquement, cette hypothèse suggère que les changements cellulaires existent sur un continuum dans lequel le vieillissement produit activement un état pré-parkinsonien de vulnérabilité, lequel, quand il est aggravé ou accéléré par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux (pouvant différer selon les individus), conduit au phénotype de la « maladie de Parkinson ». De plus, les mécanismes cellulaires altérés peuvent être inter-reliés de différentes manières et selon des patterns spécifiques à chaque personne. Ainsi, ce modèle incorpore un caractère aléatoire à la présence de changements cellulaires qui aboutissent aux mêmes conséquences, à savoir un dysfonctionnement et finalement une dégénérescence des neurones dopaminergiques.

 

En corollaire à ce modèle, on peut se demander si chaque individu finira par développer la « maladie de Parkinson ». En fait, ce modèle prédit effectivement que les personnes qui survivent au-delà du fonctionnement normal de leur système dopaminergique développeront inévitablement la « maladie de Parkinson ». Cependant, il suggère également que les caractéristiques environnementales et de style de vie, ainsi que les facteurs génétiques qui contribuent à un meilleur vieillissement diminueront l’incidence de la « maladie de Parkinson » dans la population générale. Enfin, une implication de ce modèle est qu’il n’y pas de traitement unique pour la maladie de Parkinson. Les traitements les plus efficaces devront en effet se focaliser sur les multiples mécanismes qui contribuent au dysfonctionnement des neurones dopaminergiques, et ce en élaborant un traitement adapté à chaque personne. Il est par ailleurs un point non mentionné par les auteurs et qui découle pourtant directement de leur modèle : il s’agira de mettre également en place des mesures de prévention concernant les différents facteurs qui peuvent contribuer à l’aggravation des problèmes parkinsoniens.

 

Herrup (2010) a lui-aussi proposé une interprétation qui considère que le facteur de risque le plus important de développer la condition appelée « maladie d’Alzheimer » est l’âge, avec la réduction de la complexité structurale des cellules cérébrales et des défenses du cerveau qui s’ensuit. Plus spécifiquement, à partir d’un cerveau naturellement affaibli par l’âge, trois évènements clé vont conduire à un vieillissement cérébral problématique (une « démence ») : 1. une atteinte cérébrale initiatrice liée à divers événements tels que un traumatisme physique, une maladie ou infection importante, un problème vasculaire, un stress métabolique, un stress associé à un événement de vie majeur (comme le décès d’un proche), etc. ; 2. cette atteinte suscite un deuxième événement, à savoir un processus inflammatoire chronique qui ajoute un stress supplémentaire et constant à des cellules cérébrales déjà affaiblies par l’âge ; 3. le troisième événement est un changement important dans la physiologie de la cellule cérébrale qui va conduire à un dysfonctionnement synaptique majeur et à la mort neuronale.

 

En fait, chez la personne plus jeune, et en l’absence de facteur prédisposant (notamment génétique), l’atteinte cérébrale causée par les événements initiateurs est corrigée par la réponse cérébrale naturelle qui a été développée à cet effet (y compris la production de bêta-amyloïde, laquelle s’accumule naturellement avec l’âge). Par contre, l’avancement en âge conduit à une fréquence plus élevée d’atteintes cérébrales et, avec cela, à une réponse prolongée visant à corriger ces atteintes. Et c’est précisément cette réponse persistante (et non pas l’atteinte cérébrale initiatrice) qui va susciter différents phénomènes conduisant à un vieillissement cérébral problématique (une « démence »), tels qu’un cycle de dépôt de bêta-amyloïde (la bêta-amyloïde stimulant la réponse immunitaire qui elle-même stimule davantage la production de bêta-amyloïde), des tentatives de réentrée dans le cycle cellulaire, un dysfonctionnement synaptique et finalement la mort neuronale.

 

Il faut relever que, selon Herrup, la présence de plaques amyloïdes, bien que corrélée au vieillissement cérébral problématique, ne constitue pas une composante essentielle de ce qui conduit à la « démence » : en d’autres termes, l’accumulation de plaques amyloïdes est considérée comme un mécanisme distinct des trois étapes obligatoires conduisant à la « démence ». Enfin, l’auteur indique également que différents types d’atteintes initiatrices d’un cerveau affaibli par l’âge conduiront à des réponses différentes des cellules cérébrales et ainsi à des manifestations problématiques (« démentielles ») différentes. De plus, différentes atteintes cérébrales pouvant coexister (et donc aussi différentes réponses cérébrales), cela conduira à la co-occurrence de différents types de manifestations problématiques (correspondant à ce qui est classiquement appelé « démences mixtes », lesquelles sont particulièrement fréquentes).

 

Plus généralement, ces différentes conceptions réintègrent la soi-disant « maladie d’Alzheimer », mais aussi les autres « maladies neurodégénératives », dans le cadre plus général du vieillissement cérébral. En outre, elles prennent en compte la multiplicité et le caractère probabiliste des facteurs qui modulent son évolution. Elles conduisent également à sortir d’une approche d’intervention focalisée sur un processus pathogène qui serait spécifique à chaque « maladie » singulière. L’objectif sera au contraire de diversifier les interventions, en prenant en compte la pluralité des facteurs biologiques impliqués mais aussi et surtout en visant tout particulièrement à protéger les neurones âgés et à cibler les facteurs de risque (et les événements initiateurs) environnementaux et de style de vie (c’est-à-dire intervenir au plan de la prévention). Il s’agira également d’élaborer des interventions taillées sur mesure en fonction des perturbations spécifiques de chaque personne.

 

Enfin, ces conceptions conduisent à s’interroger sur la distinction entre le vieillissement « dit » normal et vieillissement « dit » pathologique : en effet, les événements qui contribuent à aggraver les effets du vieillissement naturel du cerveau font intrinsèquement partie de la vie normale et, par ailleurs, les réponses cérébrales à ces événements et aux atteintes cérébrales qu’ils induisent sont également des phénomènes normaux. Ces modèles nous amènent ainsi à considérer que le monde n’est pas divisé entre ceux qui ont et qui n’ont pas une « maladie neurodégénérative » mais que, en fait, nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral 

 

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Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 3-10.

Collier, T.J., Kanaan, N.M., & Kordower, J.H. (2011). Ageing as a primary factor for Parkinson’s disease: evidence from studies of non-human primates. Nature Reviews Neuroscience, sous presse (doi: 10.1038/nrm3039).

Herrup, K. (2010). Reimagining Alzheimer’s disease. An age-based hypothesis. The Journal of Neuroscience, 15, 16755-16762.      

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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 15:09

Nous avons maintes fois indiqué en quoi les difficultés observées chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») étaient sous-tendues par différents types de mécanismes et que ces mécanismes pouvaient considérablement varier d’une personne à l’autre (voir par exemple notre chronique « Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées »).

 

Dans une étude récente, Clare et al. (2011) se sont penchés sur la nature des discordances observées entre l’évaluation réalisée par les personnes âgées de leur propre fonctionnement et l’évaluation qui en est faite par les proches aidants. Encore trop souvent, comme c’est d’ailleurs le cas pour d’autres aspects du fonctionnement des personnes âgées (comme par exemple l’apathie), cette discordance est réifiée sous le terme trompeusement unificateur d’anosognosie et attribuée à un dysfonctionnement neuropsychologique consécutif à une hypothétique atteinte cérébrale. On assiste ainsi à un phénomène de réduction de la complexité des processus en jeu dans l’auto-évaluation et l’hétéro-évaluation du fonctionnement d’une personne dans sa vie quotidienne.

 

Les résultats de Clare et al. indiquent cependant en quoi il est indispensable d’aborder cette discordance dans l’évaluation effectuée par les personnes âgées et les proches dans une perspective multifactorielle.

 

Les auteurs ont établi des scores de divergence dans les évaluations fournies par des personnes âgées ayant reçu le diagnostic de « démence débutante » et par une personne proche à trois questionnaires : un questionnaire d’évaluation de la mémoire (« Memory Functioning Scale »), un questionnaire évaluant les capacités fonctionnelles dans la vie quotidienne (« Functional Activities Questionnaire ») et un questionnaire évaluant les capacités socio-émotionnelles. Ces scores ont été calculés sur base de la différence entre les évaluations des personnes âgées et celles des proches, divisée par leurs moyennes. Une discordance proche de 0 indique un bon accord et un score positif indique que l’auto-évaluation est plus élevée que celle du proche, et inversement.

 

Par ailleurs, différents facteurs cognitifs, affectifs et sociaux potentiellement impliqués dans les discordances entre les évaluations ont été explorés. Ainsi, ont été évalués chez les personnes âgées : l’anxiété et la dépression  (HAD) ; la solidité de la conception de soi (« Tennessee Self-Concept Scale ») ; le caractère consciencieux (trait de personnalité évaluée par la sous-échelle « Conscientiousness » du NEO-PI) ; le QI pré-morbide (NART) ; la mémoire épisodique (rappel immédiat de mots de l’Echelle de Mémoire de Wechsler) ; la connaissance sémantique (appariements image-image du test « Pyramids & Palm Tree ») ; le langage (dénomination ; « Grade Naming Test ») ; le fonctionnement exécutif (fluences phonémique et catégorielle). Par ailleurs, les proches aidants ont été soumis à des questionnaires évaluant les symptômes psychopathologiques des personnes âgées et le niveau de souffrance psychologique qui en résulte pour les proches (« Neuropsychiatric Inventory Questionnaire »), leur santé (« General Health Questionnaire »), leur stress (« Relatives’ Stress Questionnaire ») et la  qualité de leur relation avec la personne âgée (« Positive Affect Index »). Les évaluations, tant des personnes âgées que des proches aidants, ont été effectuées au domicile, sur deux à trois séances.

 

Les participants étaient 101 personnes ayant reçu le diagnostic de « démence débutante » (âge moyen : 78.74 ; MMSE moyen : 24.17) et 101 proches aidants (âge moyen : 68.39 ; 66 conjoints ou partenaires, 26 enfants adultes, 3 personnes de la fratrie, 3 nièces/neveux, 3 amis).

 

Pour les trois domaines examinés (mémoire, fonctionnement dans la vie quotidienne, processus socio-émotionnels), les évaluations effectuées par les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » sont plus positives que les évaluations réalisées par les proches aidants. Les divergences sont les plus importantes pour le fonctionnement dans la vie quotidienne, modérées pour la mémoire et les plus petites pour le fonctionnement socio-émotionnel. En outre, les corrélations entre les trois types de divergences sont assez faibles.    

 

De plus, les discordances dans l’évaluation du fonctionnement mnésique sont significativement prédites (63.2% de la variance) par l’âge de la personne âgée, son niveau de dépression, la conception qu’elle à d’elle-même, son caractère consciencieux, le stress du proche aidant et son évaluation de la qualité de sa relation avec la personne âgée. Par ailleurs, les discordances dans l’évaluation des capacités fonctionnelles dans la vie quotidienne sont significativement prédites (38.6% de la variance) par  l’âge de la personne âgée, son niveau d’anxiété, sa performance en dénomination et en fluence verbale phonémique et le stress du proche. Enfin, les discordances dans l’évaluation du fonctionnement socio-émotionnel sont significativement prédites (46.3% de la variance)  par la conception de soi de la personne âgée, le statut socio-économique du proche aidant et sa perception du caractère négatif de sa relation avec la personne âgée.

 

L’intérêt principal de cette étude est de montrer que les discordances dans l’évaluation de la mémoire, des capacités fonctionnelles dans la vie quotidienne et du fonctionnement socio-émotionnel entre les personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence débutante » et les proches aidants sont associées à une variété de facteurs socio-démographiques, psychoaffectifs et cognitifs. Les résultats montrent également que les facteurs reliés aux discordances diffèrent selon les domaines évalués. Il faut cependant relever que les facteurs explorés ne rendent compte que d’une partie de la variance dans les discordances observées, ce qui indique que d’autres facteurs sont impliqués dans ces divergences

 

La limite principale de ce travail tient au fait que les facteurs (cognitifs, affectifs, sociaux) qui ont été explorés ne découlent pas d’hypothèses précises, élaborées à partir d’un modèle théorique spécifiant les différents mécanismes en jeu dans l’auto-évaluation et l’hétéro-évaluation du fonctionnement d’une personne (dans leurs composantes de sous- et surestimation). De même, les questionnaires et  tâches utilisées pour évaluer les processus cognitifs, affectifs et sociaux sont peu spécifiques et peu fondés sur le plan théorique.

 

Des travaux ultérieurs devraient se pencher sur cette question, en adoptant un cadre théorique plus solide (élaboré pour chaque domaine de fonctionnement), des outils d’évaluation plus spécifiques et permettant également d’aborder les mécanismes non conscients (implicites) impliqués dans la surestimation ou la sous-estimation du fonctionnement psychologique (dans ses différents domaines) et de l’autonomie quotidienne d’une personne âgée.  

 

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© auremar - Fotolia.com

Clare, L. Nelis, S.M., Martyr, A., Roberts, J., Whitaker, C.J., Markova, I.A. et al. (2011). The influence of psychological, social and contextual factors on the expression and measurement of awareness in early-stage dementia: testing a biopsychosocial model. International Journal of Geriatric Psychiatry, DOI: 10.1002/gps.2705.

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20 février 2011 7 20 /02 /février /2011 06:07

Dans une de nos chroniques récentes (« La résistance à l’approche réductrice et pathologisante du vieillissement cérébral/cognitif s’impose plus que jamais »), nous avons présenté le point de vue de  Chen, Maleski et Sawmiller (2011) selon lequel la « maladie d’Alzheimer » ne peut pas être considérée comme une maladie singulière (liée à un facteur pathogène spécifique) et curable, mais plutôt comme  une condition hétérogène, associée à l’âge avancé et sous l’influence de différents facteurs de risque.

 

L’analyse que vient de mener Jack C. de la Torre (2011) concernant les différentes hypothèses causales de la prétendue « maladie d’Alzheimer » conduit à conforter cette conception. L’auteur est parti de la proposition effectuée en 1890 par le bactériologiste Robert Koch selon laquelle trois postulats doivent être démontrés si l’on souhaite établir, de façon raisonnablement solide, l’existence d’une relation causale entre un microbe spécifique et une maladie infectieuse. De la Torre va se fonder sur ces trois postulats pour évaluer les différentes hypothèses qui ont été formulées pour expliquer la pathogenèse de la « maladie d’Alzheimer ».

 

Le premier postulat exige que la cause présumée de la « maladie d’Alzheimer » précède le déclin cognitif et la pathologie neurodégénérative qui caractériserait cette « maladie ». Il faut donc identifier un premier événement, se distinguant des effets neuropathologiques liés au processus de la « maladie ». Le second postulat stipule que des interventions ciblant le facteur causal devraient prévenir (lors de la phase asymptomatique) ou inverser (lors de la phase de troubles cognitifs légers) le déclin cognitif. Enfin, si ces deux postulats sont démontrés, un troisième devrait permettre de faire réellement correspondre la théorie aux faits : il s’agit de montrer que des interventions ciblant le facteur causal conduisent à une incidence significativement plus basse de « maladie d’Alzheimer ».

 

Tout en reconnaissant que ces postulats ne sont pas parfaits, de la Torre considère qu’ils peuvent néanmoins aider à déterminer les forces et faiblesses d’une hypothèse causale concernant la « maladie d’Alzheimer ». Il va ainsi examiner, à partir des trois postulats, la valeur empirique des hypothèses les plus fréquemment mentionnées ces 25 dernières années et qui ont proposé l’existence d’un événement pathologique spécifique lié au développement d’un déclin cognitif préclinique, conduisant ensuite à la « maladie d’Alzheimer ». Quand elles étaient disponibles, de la Torre s’est fondé sur les méta-analyses des « Cochrane Central Register of Controlled Trials » (effectuées sur des essais randomisés contrôlés et des études observationnelles) et, sinon, sur des études observationnelles individuelles (y compris les études transversales, en dépit de leur difficulté à établir un lien de causalité).

 

Sept hypothèses causales représentatives ont été examinées: l’hypothèse amyloïde (accumulation de protéine bêta-amyloïde), l’hypothèse cholinergique (réduction cholinergique), l’hypothèse du cycle cellulaire (réentrée dans le cycle de division cellulaire), l’hypothèse inflammatoire (inflammation cérébrale), l’hypothèse du stress oxydatif (accumulation de radicaux libres), l’hypothèse tauiste (présence de dégénérescences neurofibrillaires/protéine tau) et l’hypothèse vasculaire (hypoperfusion cérébrale liée à l’avancée en âge, en présence de facteurs de risque vasculaires).

 

Aucun des trois postulats n’est appuyé par les données empiriques pour les hypothèses amyloïde, cholinergique, inflammatoire et tauiste.  

Ainsi, par exemple, en ce qui concerne l’hypothèse amyloïde, de la Torre montre que plusieurs études n’ont pas corroboré l’existence d’une relation entre le niveau de plaques amyloïdes situées dans la formation hippocampique ou dans le néocortex et les troubles cognitifs dans la « maladie d’Alzheimer ». Par ailleurs, un grand nombre de cerveaux de personnes « non-démentes » (jusqu’à 33% dans une étude neuropathologique menée sur des cerveaux de personnes âgées de 70 à 103 ans) montrent des densités de plaques et dépôts amyloïdes  similaires à celles de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Il a également été montré que 33% des personnes âgées non-démentes avaient un niveau élevé de dépôts amyloïdes (détecté par une technique d’imagerie : PiB scans) et que ce taux élevé montait à 65% chez des personnes âgées non-démentes âgées de 80 ans et plus. En ce qui concerne le deuxième postulat, il n’existe actuellement aucune donnée indiquant qu’une thérapie amyloïde (limitant la production de dépôts amyloïdes ou les éliminant) peut prévenir ou inverser le déclin cognitif. Enfin, pour ce qui est du troisième postulat, aucune amélioration cognitive ou prévention d’une aggravation des phénomènes neurodégénératifs n’a été observée chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » suite à des essais d’immunisation contre la bêta-amyloïde (en dépit d’une évacuation des plaques amyloïdes). Ces données indiquent que les dépôts amyloïdes ne semblent pas constituer la force causale des phénomènes neurodégénératifs dans la « maladie d’Alzheimer » et que, en conséquence, ils n’affecteraient pas l’incidence de cette « maladie ».

La même absence de soutien empirique a été relevée, pour les trois postulats, concernant les hypothèses cholinergique, inflammatoire et tauiste. Il existe cependant quelques données suggérant l’existence d’un stress oxydatif actif avant la survenue de déficits cognitifs et d’une pathologie neurodégénérative (premier postulat) ; par contre, les deux autres postulats ne sont pas démontrés pour cette hypothèse du stress oxydatif. Pour ce qui est de l’hypothèse vasculaire, des études d’imagerie ont confirmé qu’une hypoperfusion cérébrale, et un hypométabolisme parallèle étaient des précurseurs d’une pathologie cognitive et neurodégénérative subséquente (premier postulat). De même, il a été montré qu’une thérapie anti-hypertensive pouvait retarder le déclin cognitif avant la survenue d’une « maladie d’Alzheimer » (deuxième postulat). Cependant, une méta-analyse n’a pas observé que cette thérapie avait des effets à long terme sur l’incidence de la « maladie d’Alzheimer » (troisième postulat non confirmé). Selon de la Torre, on peut donc considérer qu’il existe un appui partiel aux hypothèses vasculaire et de stress oxydatif. En ce qui concerne l’hypothèse relativement récente du cycle cellulaire (suggérant une activation anormale du cycle cellulaire et une réentrée dans ce cycle par des neurones mitotiques vulnérables, ce qui conduirait à leur dégénérescence), il n’y a  actuellement pas de données cliniques permettant de l’évaluer.

 

Même si de la Torre fait preuve de prudence en indiquant que « l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence », il en appelle néanmoins à un élargissement du cadre de la recherche et à un scepticisme vis-à-vis de conceptions qui ont été populaires pendant des dizaines d’années en dépit du fait qu’elles ont été incapables d’influer sur le déclin cognitif et la progression neuropathologique. Il indique aussi que quand des données négatives substantielles sont obtenues vis-à-vis de certaines conceptions, ces dernières devraient être abandonnées, et d'autres pistes de recherche plus prometteuses devraient pouvoir être approfondies. Il est intéressant de relever que l’analyse effectuée par de la Torre conduit à identifier davantage de soutien pour l’hypothèse vasculaire, qui implique de prendre en compte à la fois l’avancée en âge (l’hypoperfusion) et des facteurs de risque vasculaires.

 

Dans ce contexte, Armstrong (2011) vient lui aussi de mettre en question l’hypothèse de la cascade amyloïde, en considérant que les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires, d’une part se développent indépendamment, et d’autre part sont les produits plutôt que les causes des phénomènes neurodégénératifs (voir également notre chronique « Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta amyloïde dans la soi-disant maladie d’Alzheimer »). Il conclut que la « maladie d’Alzheimer » (à tout le moins dans sa forme tardive) est un état complexe dont le déclencheur essentiel est le vieillissement du cerveau (avec la perte synaptique et la dégénérescence cellulaire qui l’accompagnent), associé à des facteurs de risque (traumatisme crânien, maladies vasculaires, maladies systémiques, etc.) et à des facteurs génétiques qui vont exacerber/influencer les processus conduisant à la mort cellulaire. Il ajoute que si les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires représentent des conséquences de phénomènes neurodégénératifs plutôt que des caractéristiques spécifiques d’une « maladie » (en l’occurrence la « maladie d’Alzheimer »), il s’ensuit que, dans beaucoup de cas, il existera une combinaison de caractéristiques pathologiques, à savoir la co-existence de plaques séniles, de dégénérescences neurofibrillaires, de corps de Lewy, etc.   

 

Ainsi, il existe manifestement de plus en plus de voix qui mettent en question l’approche dominante, catégorielle et réductrice, du vieillissement cérébral/cognitif et qui considèrent qu’il faut réintégrer la prétendue « maladie d’Alzheimer », et les autres « maladies neurodégénératives », dans le cadre plus général du vieillissement cérébral, en prenant en compte la multitude des facteurs qui modulent son évolution plus ou moins problématique.           

 

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©123rf

Armstrong, R.A. (2011). The pathogenesis of Alzheimer’s disease: A reevaluation of the “Amyloid Cascade Hypothesis”. International Journal of Alzheimer’s Disease, ID 630865.

Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, sous presse.

de la Torre, J., C. (2011). Three postulates to help identify the cause of Alzheimer’s Disease. Journal of Alzheimer’s Disease, sous presse.

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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 00:01

La possession de l’allèle E4 du gène de l’apolipoprotéine E (ApoE) est considérée comme un facteur de risque de la prétendue « maladie d’Alzheimer ». Par contre, les études qui ont exploré la relation entre la présence de l’allèle ApoE E4 et le déclin cognitif lié à l’âge, ne répondant pas aux critères de « démence », ont fourni des résultats contradictoires.

Schiepers et al. (2011) ont réexaminé cette question au moyen d’une étude longitudinale, en excluant les personnes ayant une « démence », en évaluant différents domaines du fonctionnement cognitif, et en contrôlant l’influence du niveau cognitif antérieur et des facteurs de risque vasculaires. En effet, selon les auteurs, seules des études longitudinales sont à même de déterminer si l’allèle ApoE E4 est réellement associé à un déclin cognitif au sein d’un groupe donné de personnes âgées. Par ailleurs, il s’agit d’exclure les personnes ayant une « démence », en particulier lors du suivi, et ce afin d’éviter une surestimation de l’association entre l’allèle ApoE E4 et le déclin cognitif lié à l’âge.  De plus, il a été montré que l’allèle ApoE E4 pouvait affecter de façon spécifique le fonctionnement cognitif dans certains domaines ; dès lors, il importe d’évaluer différentes capacités cognitives et pas uniquement le fonctionnement cognitif global. Il est également essentiel de contrôler l’influence de la capacité cognitive antérieure, dans la mesure où il a été montré qu’environ 50% de la variance dans la capacité cognitive à l’âge adulte est expliquée par la capacité cognitive durant l’enfance. Enfin, il faut aussi contrôler l’influence possible de facteurs de risque vasculaires, car ces facteurs, tels que l’hypertension, le diabète et le tabagisme, sont associés au génotype ApoE.

Dans cette étude, le génotype ApoE a été déterminé chez 501 participants issus de la « Lothian Birth Cohort 1921 ». Le niveau intellectuel de ces personnes, durant l’enfance, avait été déterminé en 1932 (à l’âge de 11 ans). Par ailleurs, leur performance cognitive dans les domaines de la mémoire épisodique (mémoire de récits, immédiate et différée), du raisonnement abstrait (Matrices de Raven) et de la fluence verbale (fluence phonémique) a été évaluée quand elles avaient un âge moyen de 79 ans (501 personnes) et, à nouveau, à l’âge moyen de 83 ans (284 personnes) et à l’âge moyen de 87 ans (187 personnes) : ainsi, la relation entre l’allèle ApoE E4 et les changements cognitifs a été explorée sur une période de 8 ans. L’échantillon de 501 personnes a été constitué en retirant les personnes chez lesquelles, lors de la ligne de base, une histoire de « démence » avait été rapportée ou qui avaient un MMSE inférieur à 24, ainsi que les personnes qui ont développé des signes de « démence » durant la période de suivi. Lors de la ligne de base, tous les participants vivaient de façon indépendante dans la communauté et étaient pour la plupart en bonne santé.

Les analyses ont été menées au moyen de modèles linéaires mixtes (lesquels permettent d’inclure des personnes ayant des données incomplètes durant le suivi), après avoir contrôlé pour l’âge, le genre, le quotient intellectuel à 11 ans, le tabagisme, la consommation d’alcool, l’indice de masse corporelle, le cholestérol total, une histoire de maladie cardiovasculaire, une histoire de maladie cérébrovasculaire et une histoire de diabète et d’hypertension. Il faut par ailleurs relever que le statut ApoE E4 n’était pas associé à un taux plus élevé de « dropout » ou de mortalité durant le suivi.

Les résultats montrent que la possession de l’allèle ApoE E4 est associée à un déclin cognitif relatif plus important sur la période de 8 ans en mémoire épisodique verbale et en raisonnement abstrait. Par contre, la fluence verbale n’est pas affectée par le statut ApoE E4. Il est à noter que l’allèle ApoE E2 n’entretient aucun lien avec un changement dans la performance cognitive

Globalement, ces données indiquent que la présence de l’allèle ApoE E4 constitue non seulement un facteur de risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique, mais qu’elle a aussi un impact sur le déclin cognitif de personnes « non démentes ».

Il faut néanmoins noter que l’influence de l’allèle ApoE E4 sur le déclin lié à l’âge dans des domaines particuliers du fonctionnement cognitif reste encore à déterminer, et ce en utilisant des tâches cognitives plus spécifiques. Ainsi, une méta-analyse récente de Wisdom et al. (2011), reprenant des études transversales effectuées cher des adultes sans « troubles cognitifs » (essentiellement des personnes âgées « non démentes »), a montré que les porteurs de l’allèle ApoE E4 ont un fonctionnement cognitif moins bon que les non-porteurs, et ce dans divers domaines, incluant la mémoire épisodique, le fonctionnement exécutif, la vitesse perceptive et même le fonctionnement cognitif global. Cependant, les auteurs reconnaissent que les conclusions de cette méta-analyse sont limitées par la variabilité des tests cognitifs utilisés, la faible qualité psychométrique et le caractère multi-déterminé de certains d’entre eux, ainsi que par la non prise en compte de facteurs confondants.    

Néanmoins, la mise en évidence d’une relation entre  l’allèle ApoE E4 et le déclin cognitif chez des personnes âgées « non démentes » constitue un argument supplémentaire pour s’affranchir de l’approche biomédicale catégorielle et pour envisager le vieillissement cérébral/cognitif selon un continuum d’expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie (voir aussi notre chronique « Le vieillissement cérébral/cognitif problématique ou la démence : une entité qualitativement distincte ou un continuum? »).

Des études ultérieures devraient poursuivre l’exploration de la contribution de l’allèle ApoE E4 au déclin plus ou moins problématique dans certains domaines cognitifs (sans a priori de type catégoriel et au moyen de tâches cognitives plus pertinentes) et en examinant les interactions potentielles entre ce facteur génétique et d’autres facteurs de risque. Les mécanismes impliqués dans cette association se devraient également d’être explorés.

En tout cas, ces études devront considérer la contribution de  l’ApoE E4 dans toute sa complexité, avec des influences variées (à la fois négatives et positives) et modulées par de nombreux facteurs (éducation, genre, facteurs vasculaires, etc.). Ainsi, par exemple, Lock, Prest et Lloyd (2006) rappellent que l’ApoE E4 agit de façon inattendue dans certaines populations et, notamment, semble protéger contre la « démence » chez les Pygmées et d’autres populations, dont l’économie de subsistance était jusqu’il y a peu dominée par la chasse et la cueillette. 

 

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©123rf

Lock, M., Prest, J., & Lloyd, S. (2006). Genetic susceptibility and Alzheimer’s disease: the penetrance and uptake of genetic knowledge. In A. Leibing & L. Cohen (Eds.), Thinking about dementia: culture, loss, and the anthropology of senility. New Jersey: Rutgers University Press.

Schiepers, O.J.G., Harris, S.E., Gow, A.J., Pattie, A., Brett, C.E., Starr, J.M., & Deary, I.J. (2011). APOE E4 status predicts age-related cognitive decline in the ninth decade: longitudinal follow-up of the Lothian Birth Cohort 1921. Molecular Psychiatry, sous presse (doi:10.1038/mp.1010.137).

Wisdom, N.M., Callahan, J.L., & Hawkins, K.A. (2011). The effect of apolipoprotein E on non-impaired cognitive functioning: A meta-analysis. Neurobiology of Aging, 32, 63-74. 

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4 janvier 2011 2 04 /01 /janvier /2011 18:45

En ce début d’année 2011, il nous paraît utile de rappeler que l’approche biomédicale dominante poursuit son approche de plus en plus réductrice et pathologisante du vieillissement cérébral/cognitif, mais aussi que de plus en plus de voix se font entendre pour contester cette approche.

 

Dans une chronique précédente « L’empire Alzheimer ne désarme pas ! », nous avons montré en quoi les marqueurs biologiques (obtenus via la neuroimagerie et l’examen du liquide céphalorachidien) sont devenus les éléments clés du diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Nous avons également rapporté la proposition des experts mandatés par le « National Institute of Aging » et l’« Alzheimer’s Association » des Etats-Unis de créer une nouvelle catégorie diagnostique, relative à un état encore antérieur au « Mild Cognitive Impairment (MCI) » : la « maladie d’Alzheimer préclinique » ou maladie d’Alzheimer sans symptôme, définie essentiellement sur bases des biomarqueurs ! On voit là le niveau de réductionnisme auquel aboutissent les « experts » de l’approche biomédicale dominante.

 

Par ailleurs, en dépit des données montrant que le vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») dépend de multiples facteurs, des problèmes importants que posent le concept de « Mild Cognitive Impairment » et, plus généralement, les catégories de pré-démence, des nombreuses incertitudes concernant la validité et la fiabilité des biomarqueurs ainsi que des controverses relatives au rôle causal de la substance amyloïde (voir notre chronique « L’empire Alzheimer ne désarme pas ! »), un rapport d’un groupe de travail composé de spécialistes du développement de médicaments vient de paraître dans la revue « Neurology » (Aisen et al., 2011), concernant la mise en place d’essais cliniques dans la maladie d’Alzheimer précoce (pré-démentielle).

 

Le travail de ces experts (dans une réunion soutenue financièrement par de nombreuses firmes pharmaceutiques) a conduit à une déclaration de consensus indiquant notamment que la sélection de personnes pour des essais pharmacologiques peut être étendue aux personnes avec pré-démence, en utilisant les critères du MCI amnésique, avec un ou plusieurs marqueurs biologiques. Les experts ajoutent que les biomarqueurs obtenus via la neuroimagerie et l’examen du liquide céphalorachidien (CSF Aβ42 et TEP amyloïde) constituent les biomarqueurs optimaux pour sélectionner des sujets pour des interventions amyloïdes.

 

La mise en place d’essais pharmacologiques chez des personnes n’ayant aucun symptôme  (mais ayant des biomarqueurs positifs indiquant une prétendue « maladie d’Alzheimer ») est proche…

 

Heureusement, certains résistent à cette approche biomédicale réductrice qui, constamment, en appelle à plus d’argent, à des centres de recherches plus importants et à davantage d’essais cliniques, avec la promesse toujours renouvelée d’un nouveau médicament efficace.

 

La maladie d’Alzheimer constitue-t-elle une entité nosologique homogène ? Non !

 

Dans le cadre du 4ème congrès mondial « Controversies in Neurology (CONy) » qui s’est tenu à Barcelone en octobre 2010, Amos Korczyn (Sieratzki Chair of Neurology, Université de Tel Aviv) a défendu de façon très claire le point de vue selon lequel la « maladie d’Alzheimer » ne constitue en rien une entité nosologique homogène  (son exposé, en anglais très accessible, peut être visionné via le lien suivant : http://www.comtecmed.com/cony/2010/clip13.aspx ; l’exposé de son contradicteur, Pablo Martinez-Martin, qui a défendu le point de vue opposé, en mentionnant néanmoins les problèmes associés à ce point de vue, peut être trouvé via le lien suivant : http://www.comtecmed.com/cony/2010/clip12.aspx.

 

Après avoir brièvement retracé l’évolution historique du concept de « maladie d’Alzheimer », Amos Korczyn met en question l’approche « essentialiste » actuelle du vieillissement cérébral/cognitif en indiquant en quoi la « maladie d’Alzheimer » n’est pas une entité homogène, une « maladie » singulière renvoyant à un processus spécifique, avec une étiologie, une pathogenèse, une évolution, une pathologie qui seraient partagées par toutes les personnes âgées souffrant de cette « maladie ». Il montre les limites de la focalisation sur les facteurs neuropathologiques dans le diagnostic de la « maladie d’Alzheimer » et il indique en quoi les pathologistes ont longtemps négligé les atteintes vasculaires (micro-saignements, leucoaraïose) et les corps de Lewy. Plus spécifiquement, il met en question le rôle causal des plaques amyloïdes et des dégénérescences neurofibrillaires dans l’apparition des troubles cognitifs (« Les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires sont comme des pierres tombales : elles sont présentes, mais, si vous les enlevez, cela ne ramènera personne à la vie »). Il reconnaît que l’amyloïde joue vraisemblablement un rôle important dans les variantes génétiques de la « maladie d’Alzheimer » (trisomie 21, mutation APP, mutations préséniline 1 et 2, angiopathie amyloïde héréditaire), mais que d’autres facteurs interviennent sans aucun doute : en effet, les personnes ayant ces mutations génétiques peuvent vivre longtemps sans trouble cognitif.

 

Selon lui, le cerveau (comme d’autres organes tels que le foie) a un répertoire limité de changements pathologiques et ces changements peuvent être induits par des facteurs multiples. Dans ce contexte, il considère que la plupart des « démences séniles » sont mixtes, c’est-à-dire déterminées par des facteurs multiples.En d’autres termes, la « démence sénile » est l’aboutissement d’un processus neurodégénératif résultant des effets cumulatifs de plusieurs facteurs environnementaux, principalement vasculaires, et de perturbations génétiques (« polymorphismes »).

 

Il s’ensuit qu’aucune méthode isolée ne sera capable de prévenir ou de guérir la « démence ».

 

Vérité scientifique ou faux espoir ?

 

Dans un article de mise en perspective intitulé « Vérité scientifique ou faux espoir ? Comprendre la maladie d’Alzheimer du point de vue du vieillissement », Chen, Maleski et Sawmiller (2010) considèrent que la conception officielle actuelle de la « maladie d’Alzheimer » est trompeuse, car elle conduit à définir la « démence sénile » comme une maladie singulière et curable. Cette conception « optimiste » a vu le jour dans les années 1970 sur un fonds de peur face à une « maladie épouvantable » et d’attente désespérée d’un traitement curatif. Dès ce moment, la « maladie d’Alzheimer » s’est conceptuellement transformée pour passer d’une maladie rare (affectant les personnes dans la cinquantaine) à une pandémie sociale. Plus spécifiquement, on est passé d’une conception (ayant prévalu très longtemps) qui distinguait la « démence présénile » (maladie singulière et potentiellement curable) et la « démence sénile » associée au vieillissement à une conception selon laquelle démence présénile et démence sénile constituaient une seule « maladie ». En d’autres termes, la classification proposée ne se basait plus sur l’âge, mais sur les symptômes et les caractéristiques pathologiques (plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires).

 

Il apparaît cependant que la conception qui assimile « démence présénile » et « démence sénile » est loin d’être démontrée (voir également Amos Korczyn sur ce point). Plus généralement, Chen et al. se demandent si l’on doit baser une classification uniquement sur les symptômes et la pathologie ou principalement sur l’âge des personnes. Cette interrogation les a conduits à réexaminer en profondeur le concept de « maladie d’Alzheimer ».

 

En premier lieu, ils partent du constat selon lequel les problèmes qui apparaissent chez les personnes âgées peuvent être différents des maladies singulières apparaissant chez les personnes jeunes. Ainsi, par exemple, la perte d’audition observée chez les personnes âgées diffère de celle observée chez les personnes jeunes, même si ces pertes auditives peuvent partager les mêmes symptômes : l’une résulte du vieillissement, alors que l’autre est une maladie singulière/curable provoquée par un facteur pathogène (une anomalie). Adoptant une analogie avec l’automobile, Chen et al. proposent ainsi de distinguer les maladies singulières (les pannes de voiture), imprévisibles par nature, provoquées par une erreur et potentiellement réparables, alors que les problèmes séniles ressembleraient aux pannes des vieilles voitures, qui sont prévisibles, multifactorielles et irréversibles, quoique pouvant être différées.

 

Très longtemps, et avec beaucoup de succès, la médecine a été dominée par la loi selon laquelle « une maladie est causée par un facteur pathogène ». Il apparaît cependant que cette loi devrait être réexaminée. En effet, avec les progrès de la médecine, les personnes vivent plus longtemps et les problèmes liés au vieillissement ont rapidement augmenté. Ces problèmes diffèrent des maladies singulières sur de nombreux points, à la fois leur origine, leur prévalence, la manière de les étudier et les stratégies d’intervention. En particulier, il ne s’agit plus de systématiquement rechercher le facteur pathogène, mais de se demander quel âge a la personne. Par ailleurs, une des caractéristiques des problèmes rencontrés par les personnes âgées est leur prévalence : ainsi, la perte de vision, la perte d’audition, la « démence » peuvent toucher plus de 50% des personnes âgées à partir d’un certain âge. Cette caractéristique peut seulement être expliquée par le vieillissement de l’organe, et non pas par une « maladie ». Ces problèmes ne peuvent dès lors pas être considérés comme anormaux, puisqu’ils deviennent la norme statistique chez les personnes âgées. En conséquence, ils devraient être expliqués par des facteurs qui peuvent se produire chez la majorité des personnes âgées, c’est-à-dire des facteurs « normaux », ce qui en appelle à un nouveau modèle de la « démence sénile ».    

 

Ce modèle peut être décrit à partir de deux éléments principaux :

1. La racine de la « démence sénile » se trouve dans l’accroissement de l’espérance de vie : l’avancement en âge est l’élément nécessaire au modèle (pas de vieillissement, pas de « démence sénile ») ; autrement dit, le vieillissement naturel joue un rôle important dans les phénomènes neurodégénératifs, lesquels font partie intégrante de la détérioration naturelle du corps qui se produit dans la dernière étape de la vie (Chen & Fernandez, 2000). 

2. Le fait que toutes les personnes âgées ne présentent pas de démence sénile conduit à faire appel, non pas à un facteur pathogène, mais à des facteurs de risque : à l’âge avancé, les cellules cérébrales sont si fragiles qu’elles sont vulnérables à toutes sortes d’influences négatives, telles qu’une absence d’activité physique et cognitive, une nutrition malsaine, un isolement social, etc.; ces facteurs peuvent contribuer à l’accélération de la mort cellulaire.

Comme l’indiquent Chen et Fernandez (2000), en agissant de manière additive et durant les dernières étapes d’une longévité étendue, les facteurs de risque déclencheraient la mort cellulaire ou exagèreraient les effets négatifs des phénomènes neurodégénératifs naturels (faible réserve synaptique). Du fait de la variabilité des contextes de vie, l’action de ces facteurs de risque aurait un caractère essentiellement probabiliste. Les auteurs ajoutent que d’autres problèmes peuvent affecter le cerveau vieillissant et contribuer à son évolution problématique, en particulier les problèmes vasculaires et infectieux, les effets d’un traumatisme crânien ou des mutations génétiques (qui contribueraient à accélérer la progression du vieillissement cérébral). De façon plus globale, ils envisagent donc la « maladie d’Alzheimer » comme une condition hétérogène, liée à l’âge avancé, sous l’influence de différents facteurs de risque.

 

Ainsi, ce modèle rend compte de la « démence » de la personne âgée par l’avancement en âge et l’influence de facteurs de risque. Dans ce contexte, les interventions ne devraient pas viser à inhiber des processus pathogènes (comme c’est le cas dans les maladies singulières), mais plutôt cibler les facteurs de risque (la prévention), ainsi que l’ « énergisation physiologique » et la protection des neurones âgés. Selon Chen et al., une telle approche ne conduira à des progrès substantiels que si se développe une prise de conscience générale, amenant à des priorités de financement.

 

Chen et al. se demandent enfin dans quelle mesure la recherche scientifique peut conserver son intégrité et son objectivité en étant soumise à une pression sociale. En effet, si la « maladie d’Alzheimer » est en fait un problème lié au vieillissement, il s’ensuit que nous l’aurons tous si nous vivons suffisamment longtemps. Comment ce « sombre destin » peut-il être accepté ? Ainsi, pour les auteurs, la peur aurait infiltré la recherche scientifique, en poussant les chercheurs à trouver un traitement curatif, au détriment de la vérité scientifique. Ils indiquent également en quoi leur modèle de la « démence » est ouvert et falsifiable (au cas où serait découvert un facteur pathogène causal), alors qu’il ne semble y avoir aucun moyen de falsifier la conception actuelle de la « démence sénile » : si aucun facteur causal n’est trouvé dans 100 ans, la croyance en un traitement curatif pourra encore guider la recherche du fait de sa popularité et de son caractère politiquement correct. Dans cette perspective, les auteurs analysent la popularité, le financement important et le maintien de l’hypothèse amyloïde (la toxicité de l’amyloïde), en dépit des données qui contredisent cette hypothèse (voir aussi notre chronique « Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta amyloïde dans la soi-disant maladie d’Alzheimer »).

 

Il apparaît donc que les controverses sur le statut de la « démence sénile » sont moins le reflet de la science que de l’idéologie et de la culture, avec, profondément ancré, le rêve de la jeunesse éternelle...

 

Commentaires de conclusion

 

Commentant l’article de Chen et al. (2010), Whitehouse, George et D’Alton (2010) indiquent également, dans la ligne de leur livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer », combien un changement d’approche est indispensable. Après une décennie d’échecs pharmacologiques (en particulier des traitements anti-amyloïde), il s’agit de dépasser le paradigme « moléculaire » de l’approche biomédicale dominante pour envisager le vieillissement cérébral dans une perspective multifactorielle et en termes de continuum (plutôt que sur base de catégories essentialistes et pathologisantes). Pour eux aussi, il s’agit de réintégrer la soi-disant « maladie d’Alzheimer », et les autres « maladies neurodégénératives », dans le cadre plus général du vieillissement cérébral, en prenant en compte la multitude des facteurs qui modulent son évolution plus ou moins problématique.

 

Les auteurs indiquent en quoi ce changement de conception peut conduire à une approche plus imaginative concernant les moyens à mettre en œuvre pour différer les effets négatifs du vieillissement cérébral et pour prévenir les problèmes les plus importants associés aux modifications liées à l’âge. Ces moyens impliqueront des facteurs biologiques, mais une attention particulière devra être portée sur les facteurs de risque environnementaux et de style de vie ainsi que sur l’accès aux soins de santé et à l’éducation (tout au long de la vie), en prenant en compte le contexte social, économique et politique dans lequel ces facteurs apparaissent et peuvent être améliorés.

 

Selon Whitehouse et al., ce changement de conception doit aussi nous inviter à une réflexion sur nous-mêmes et à plus d’humilité concernant les défis auxquels nous devons faire face. Il doit aussi nous conduire à ne pas considérer le monde comme étant divisé entre ceux qui ont la « maladie d’Alzheimer » et ceux qui ne l’ont pas, mais plutôt à penser que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral : cela peut contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à mettre en place des structures communautaires dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, pourront trouver des buts et un rôle social valorisant, plutôt que d’être confrontées à la stigmatisation, à la marginalisation et à la peur que suscite l’approche biomédicale « moléculaire ».   

 

resistance2.jpg 

Aisen, P.S., Andrieu, S., Sampaio, C., Carrillo, M., Khachaturian, Z.S., Dubois, B. et al. (2011). Report of the task force on designing clinical trials in early (predementia) AD. Neurology, à paraître.

Chen, M., & Fernandez, H.L. (2000). Revisiting Alzheimer’s disease from a new perspective: Can “risk factors” play a key role? Journal of Alzheimer’s Disease, 2, 97-108. 

Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 3-10.      

Whitehouse, P.J., George, D.R., & D’Alton, S. (2011). Describing the dying days of “Alzheimer’s disease”. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 11-13.      

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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 20:12

Les problèmes psychoaffectifs et comportementaux sont fréquents chez les personnes qui ont reçu un diagnostic de « démence ». Il apparaît cependant que ces difficultés sont également présentes chez de nombreuses personnes âgées « non-démentes ».

 

Ainsi, dans une étude menée chez des personnes issues d’un échantillon représentatif de la population d’Angleterre et du Pays de Galles et âgées de 65 ans et plus, Savva et al. (2009) ont exploré la prévalence de différents problèmes psychoaffectifs et comportementaux auprès de 587 personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » et 1’782 personnes « non démentes ». Ces difficultés ont été identifiées via des entretiens avec les personnes âgées elles-mêmes (et des observations durant ces entretiens) et avec leurs proches aidants. Elles concernaient les domaines suivants : apathie, problèmes de sommeil, irritabilité, sentiment de persécution, dépression, distorsions de la réalité (mauvaises identifications, sentiment d’avoir son esprit ou son corps contrôlé), hallucinations, déambulation, élation (exultation), agitation, anxiété et confabulations.

 

Les résultats montrent que les symptômes psychoaffectifs et comportementaux sont globalement plus fréquents chez les personnes avec « démence »  (apathie : 50.3% ; problèmes de sommeil : 40.2% ; irritabilité : 28.8% ; persécution : 25.4% ; dépression : 20.5%; distorsions de la réalité : 20.3% ; hallucinations : 15.1% ; déambulation : 12.8% ; élation : 9.5% ; agitation : 9% ; anxiété : 8.9% ; confabulations : 5.8%). Cependant, ils sont également présents chez les personnes « non démentes », avec pour certains d’entre eux une prévalence relativement importante (apathie : 12.1% ; problèmes de sommeil : 43.8% ; irritabilité : 12.8% ; persécution : 8.1% ; dépression : 8.6%; distorsions de la réalité : 3% ; hallucinations : 3.7% ; déambulation : 0.3% ; élation : 3.2% ; agitation : 3.6% ; anxiété : 6.3% ; confabulations : 0.3%).

 

Dans une étude plus récente menée par la même équipe et reprenant les données recueillies auprès des 1’782 personnes âgées « non-démentes », van der Linde et al. (2010) ont notamment montré que la prévalence de bon nombre de ces symptômes augmentait chez les personnes qui avaient le plus de difficultés cognitives et de problèmes fonctionnels dans les activités (de base) de la vie quotidienne, et quand des difficultés de mémoire étaient subjectivement rapportées par les personnes âgées elles-mêmes ou par leurs proches. La dépression était plus fréquente chez les femmes et chez les personnes de moins de 75 ans, alors que l’apathie était plus fréquemment rapportée chez les hommes. Par ailleurs, la dépression, l’anxiété et l’apathie étaient plus fréquentes chez les personnes ayant une histoire de maladie vasculaire. Il faut relever que peu de personnes âgées vivaient en institution et que ni la gravité des symptômes, ni leur caractère problématique n’ont été déterminés.

 

Les résultats de ces deux études suggèrent deux commentaires généraux :

 

* Tout comme cela a été montré pour les troubles cognitifs (voir notre chronique « Le vieillissement cérébral/cognitif problématique ou la "démence" : une entité qualitativement distincte ou un continuum ? »), il est très vraisemblable que les problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées se situent sur un continuum de manifestations plus ou moins problématiques, les symptômes observés chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » se trouvant à l’extrémité de ce continuum et ne différant pas qualitativement, mais seulement quantitativement, du vieillissement dit « normal » ; des études devraient être menées sur ce type de symptômes chez les personnes âgées en adoptant des procédures d’analyse taxométriques spécifiquement développées pour déterminer si des relations entre des observables reflètent l’existence d’un taxon latent ou d’un type, d’une catégorie, d’une espèce, d’une entité pathologique ou d’une maladie, comme Walters (2010) l’a fait pour les troubles cognitifs.

 

* Les recherches visant à comprendre la nature de ces symptômes psychoaffectifs et comportementaux devraient être menées dans une perspective multifactorielle, et non dans une approche réductrice conduisant à « neurobiologiser » ces manifestations ; en effet, de plus en plus de données montrent que ces différents symptômes sont déterminés par des facteurs multiples, en interaction et relatifs à différents niveaux d’analyse (sociaux, psychologiques, biologiques, médicaux) ; ainsi, par exemple, au plan strictement psychologique, il apparaît que l’apathie (dans ses acceptions de perte d’intérêt et de perte d’initiative) est associée à de nombreux mécanismes psychologiques en lien avec l’estime de soi, la capacité de se projeter dans le futur, l’état d’humeur, la gestion de l’effort, la capacité de passer de façon flexible d’une attention centrée sur l’environnement externe à une attention centrée sur soi (ses buts, intentions), etc. ; de même, les idées délirantes (de persécution) sont aussi associées à différents facteurs psychologiques tels que anxiété, biais de raisonnement, problèmes perceptifs, difficultés exécutives et mnésiques, personnalité antérieure, etc. ; nous menons actuellement des études sur les facettes de l’apathie et les idées délirantes chez les personnes âgées dans une perspective multifactorielle et en continuum, et les résultats de ces recherches feront l’objet de chroniques futures.

 

Parmi les nombreux facteurs pouvant être associés aux symptômes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées, il en est un, de nature socioéconomique, qu’il importe de ne pas négliger : il s’agit des inégalités de revenus. En effet, diverses études ont montré que, de façon générale, les problèmes psychoaffectifs, les troubles du contrôle des impulsions et l’abus de drogues chez les adultes sont très nettement plus fréquents dans les pays riches où les inégalités de revenus sont les plus importantes (voir Pickett & Wilkinson, 2010). Cette relation est vraisemblablement sous-tendue par l’impact de l’inégalité de revenus sur la qualité des relations sociales ainsi que sur le statut social et l’image de soi. Il existe quelques recherches ayant montré que les inégalités sociales contribuent au vieillissement cérébral/cognitif problématique (voir notre rubrique « Optimiser le vieillissement cérébral/cognitif… c’est aussi s’engager pour réduire les inégalités sociales »). Des travaux devraient également être menés afin d’examiner la contribution des inégalités sociales, et plus spécifiquement de l’inégalité de revenus, aux problèmes psychoaffectifs et comportementaux des personnes âgées.

 

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Pickett, K.E., & Wilkinson, R.G. (2010). Inequality: an underacknowledged source of mental illness and distress. The British Journal of Psychiatry, 197, 426-428.

Savva, G.M., Zaccai, J., Matthews, F.E., Davidson, J.E., McKeith, I., Brayne, C. et al. (2009). Prevalence, correlates and course of behavioural and psychological symptoms of dementia in the population. The British Journal of Psychiatry, 194, 212-219.

van der Linde, R., Blossom, C.M.S., Matthews, F.E., Brayne, C., Savva, G.M., and the Medical Research Council Cognitive Function and Ageing Study (2010). Behavioural and psychological symptoms in the older population without dementia – relationship with socio-demographics, health and cognition. BMC Geriatrics, 10:87 doi:10.1186/1471-2318-10-87.

Walters, G.D. (2010). Dementia: Continuum or distinct entity. Psychology and Aging, 25(3), 534-544.

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5 décembre 2010 7 05 /12 /décembre /2010 18:41

De plus en plus d’études montrent que le vieillissement cérébral/cognitif problématique est très fréquemment associé à la coexistence de multiples caractéristiques neuropathologiques (voir notre chronique «Le vieillissement cérébral/cognitif problématique est associé à de multiples anomalies neuropathologiques»).


Dowling et al. (2011) ont quant à eux examiné les relations entre les éléments neuropathologiques les plus fréquemment observés et les déficits cognitifs dans différents domaines, en utilisant les données recueillies auprès de 652 personnes âgées. Ces personnes étaient initialement sans « démence » et elles avaient accepté de recevoir une évaluation clinique et psychologique annuelle, ainsi que de donner leur cerveau pour un examen neuropathologique post-mortem. Lors de ces évaluations, elles ont toutes été soumises à 17 tests neuropsychologiques évaluant 6 domaines cognitifs (identifiés par une analyse factorielle) : la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la fluence verbale, la mémoire de travail, les capacités visuospatiales et la vitesse perceptive. Au moment de leur décès, elles étaient âgées en moyenne de 84 ans et, lors de leur dernière évaluation, un tiers environ d’entre-elles ne présentaient pas de vieillissement cognitif problématique, 24 % avaient reçu un diagnostic de « trouble cognitif léger » et 43% un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou d’un autre type de «démence».


Les données neuropathologiques ont été obtenues via un protocole standard appliqué en moyenne 6.8 mois après la dernière évaluation clinique. Les caractéristiques pathologiques suivantes ont été explorées : plaques séniles, dégénérescences neurofibrillaires, corps de Lewy, infarctus microscopiques chroniques (nombre), infarctus macroscopiques (volume total) et poids cérébral. Ces caractéristiques neuropathologiques ont été mises en relation avec les performances cognitives observées lors de la dernière évaluation effectuée avant le décès.


Les résultats montrent que tous les domaines cognitifs sont déterminés par des caractéristiques neuropathologiques multiples, lesquelles diffèrent cependant selon les domaines. Ainsi, la présence de dégénérescences neurofibrillaires néocorticales (dans des régions frontales, temporales, pariétales) constitue le prédicteur relatif le plus important pour la plupart des domaines cognitifs explorés. Les dégénérescences neurofibrillaires temporales médianes (au niveau de l’hippocampe et du cortex entorhinal) prédisent de façon marginale la performance en mémoire de travail et représentent un prédicteur substantiel des capacités visuo-spatiales et de la mémoire épisodique. Il est cependant intéressant de noter que les dégénérescences neurofibrillaires néocorticales prédisent les performances en mémoire épisodique de façon 3 fois plus importante que les dégénérescences neurofibrillaires temporales médianes, ce qui correspond bien aux données montrant que la mémoire épisodique dépend d’un vaste réseau de régions cérébrales (y compris frontales).


Les plaques séniles ont également un lien relativement fort avec plusieurs domaines cognitifs, en particulier la vitesse perceptive, les capacités visuospatiales, la mémoire épisodique et la fluence verbale. Les corps de Lewy et les infarctus macroscopiques sont associés aux 6 domaines cognitifs explorés (les corps de Lewy représentant la prédiction relative la plus importante des capacités visuospatiales). Les liens entre les infarctus microscopiques et la cognition sont plus limités et moins consistants ; ils concernent seulement la fluence verbale et la mémoire épisodique dans les modèles où le poids cérébral n’est pas pris en compte et la mémoire sémantique et la vitesse perceptive quand le poids du cerveau est intégré dans les modèles.


Enfin, le poids cérébral est relié positivement aux 6 domaines cognitifs évalués et il explique jusqu’à 3.4% de variance supplémentaire dans ces 6 domaines, indépendamment des anomalies neuropathologiques spécifiques. Ce facteur pourrait correspondre, en partie du moins, à une perte neuronale et/ou perte de substance blanche, non évaluées dans cette étude, à d’autres anomalies neuropathologies non intégrées dans l’analyse ou encore à des différences de poids cérébral préexistant plus tôt dans la vie.


Une limite de cette étude, reconnue par les auteurs, est d’avoir exploré des personnes de niveau d’éducation élevé : ceci pourrait notamment avoir restreint la contribution des facteurs vasculaires. Une autre limite tient au caractère assez réduit de l’évaluation des fonctions exécutives. Enfin, l’exploration des infarctus microscopiques n’a été menée que sur un nombre restreint de sections du cerveau.


Néanmoins, cette étude montre que le vieillissement cognitif problématique est associé, de façon complexe, à de multiples anomalies neuropathologiques.


Il faut par ailleurs ajouter que la quantité totale de variance expliquée par les variables neuropathologiques spécifiques et le poids cérébral n’excède pas 48 % et, pour la plupart des domaines cognitifs, seul un tiers de la variance est expliqué.


Même si le développement de mesures nouvelles et plus précises de la neuropathologie et de l’intégrité du cerveau devrait permettre d’accroître la quantité de variance expliquée, la discordance entre neuropathologie et cognition doit aussi être envisagée en considérant les nombreux facteurs (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux) qui rendent le cerveau plus ou moins résiliant à la présence de caractéristiques neuropathologiques (la réserve cérébrale/cognitive). Nous reviendrons sur cette question dans une prochaine chronique.


Il faut par ailleurs rappeler que le rôle causal de certaines caractéristiques neuropathologiques, par exemple les plaques séniles (amyloïdes), est loin de faire l’unanimité (voir la chronique «Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta amyloïde dans la soi-disant "maladie d’Alzheimer" » ; voir aussi Smith, 2010).

 

brain-lesions.jpg©123rf

Dowling, N.M., Tomaszewski Farias, S., Reed, B.R., Sonnen, J.A., Strauss, M.E., Schneider, J.A., et al. (2011). Neuropathological associates of multiple cognitive functions in two community-based cohorts of older adults. Journal of the International Neuropsychological Society, 17, 1-13.

Smith, A.D. (2010). Why are drug trials in Alzheimer’s disease failing ? The Lancet, 376, 1466.

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24 octobre 2010 7 24 /10 /octobre /2010 23:22

 

Les changements qui accompagnent le vieillissement sont habituellement considérés comme des troubles ou des détériorations et sont ainsi caractérisés en des termes négatifs. Il apparaît cependant que certaines des modifications biologiques observées dans le vieillissement, censées êtres négatives, pourraient en fait être bénéfiques pour la santé et la longévité.

Elles pourraient même représenter des adaptations évolutionnaires associées à l’accroissement de la longévité chez les humains (Le Couteur & Simpson, 2010).

 

Le vieillissement chez les humains est typiquement associé à une augmentation du stress oxydatif, une tension artérielle élevée, une prévalence accrue de l’obésité et d’un syndrome métabolique (avec ses composantes, telles que la résistance à l’insuline), ainsi que de moindres niveaux circulants d’hormones sexuelles et de croissance. Ces changements liés à l’âge étant considérés comme nocifs, il a été suggéré que le fait de les inverser conduirait à une augmentation de l’espérance de vie. Cependant, plusieurs études épidémiologiques et cliniques entreprises chez des personnes très âgées suggèrent que ce n’est pas ce cas.

 

Ces recherches, résumées par Le Couteur et Simpson, ont en effet montré que fournir des suppléments d’hormones et d’antioxydants pouvait contribuer à accroître la mortalité. De même, il a été observé qu’une pression sanguine élevée, l’obésité et la présence d’un syndrome métabolique étaient souvent associés à des conséquences bénéfiques chez les personnes très âgées.

L’avantage tiré d’une tension artérielle élevée dans le grand âge tiendrait au fait qu’elle augmenterait la circulation sanguine et permettrait de vaincre la résistance accrue liée à la sténose des artères, consécutive au vieillissement et aux facteurs de risque vasculaires.

De plus, selon Le Couteur et Simpson, il est plausible de considérer que l’obésité et le surpoids, fréquents chez les personnes les plus âgées, fournissent un stock d’énergie supplémentaire nécessaire pour aider les personnes âgées à survivre aux maladies graves dont elles peuvent être l’objet. Il a d’ailleurs été montré que des personnes âgées en surpoids, et même obèses, récupéraient mieux de maladies telles qu’un accident cardiaque ou une fracture de hanche. Il a ainsi été considéré que les recommandations pour un indice de masse corporelle (rapport entre poids et taille) entre 18.5 et 24.9 chez les personnes âgées étaient par trop restrictives et que des régimes visant à une perte de poids pouvaient être préjudiciables à leur santé.

 

Dans la même perspective, la résistance à l’insuline (une des composantes du syndrome métabolique) pourrait induire un état de restriction calorique intracellulaire, reproduisant peut-être les effets bénéfiques de la restriction calorique sur la longévité. Enfin, dans la mesure où des suppléments d’œstrogènes et de testostérone peuvent avoir un effet négatif sur la longévité, via un risque accru de thrombose et de cancer, il se pourrait que le déclin des hormones sexuelles constitue un moyen de réduire le risque de cancer et de thrombose chez les personnes plus âgées.

 

Les études rapportées par Le Coutre et Simpson ne sont pas exemptes de possibles biais et facteurs confondants (comme les auteurs le reconnaissent d’ailleurs) et leur interprétation doit donc être considérée avec prudence. Néanmoins, les résultats de ces recherches sont globalement compatibles avec l’hypothèse selon laquelle la sélection pourrait activement favoriser des traits conduisant à une extension de la vie au-delà de la période de reproduction, même si ces traits peuvent avoir des effets négatifs plus tôt dans la vie. A l’inverse, certains traits (comme un haut niveau d’hormones sexuelles) seraient sélectionnés chez les plus jeunes, favorisant ainsi la reproduction, même si ces traits réduisent la survie chez les personnes plus âgées via des cancers et des problèmes vasculaires. Il pourrait aussi y avoir une étape intermédiaire, post-reproduction mais pré-grand âge, durant laquelle les conséquences délétères des deux types de traits se combinent. Il est ainsi intéressant de noter que l’impact des dommages oxydatifs, de la tension artérielle élevée, de l’obésité et du syndrome métabolique sur le risque de maladie est le plus grand quand ces changements se manifestent durant la cinquantaine.

 

Ces interprétations sont bien sûr spéculatives mais, si l’on s’éloigne de la croyance selon laquelle les changements qui accompagnent le vieillissement sont nécessairement nocifs, il en résultera des changements dans les attitudes thérapeutiques adoptées vis-à-vis des personnes âgées. On pourrait en effet choisir de ne pas traiter certaines conditions fréquentes chez les personnes âgées, même si elles constituent des facteurs de risque chez les adultes plus jeunes.

 

Une approche évolutionnaire du vieillissement cérébral/cognitif

 

De manière encore plus spéculative, Reser (2009) a suggéré que les changements cérébraux/cognitifs apparaissant progressivement avec l’âge constitueraient une composante des programmes adaptatifs de réduction du métabolisme (d’économie de calories) accompagnant le vieillissement. Ces programmes auraient été sélectionnés naturellement pour rencontrer les exigences liées à la recherche d’une nourriture rare imposées à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Plus spécifiquement, cette adaptation découlerait du fait que les chercheurs de nourriture plus âgés, ayant accumulé de l’expérience, n’auraient pas eu besoin des mêmes capacités cognitives que les plus jeunes. La composante cérébrale du programme de réduction métabolique (associée au fait que les humains allouent une grande partie de leur budget d’énergie au fonctionnement de leur cerveau)  se traduirait pas une réduction du métabolisme cérébral, une élimination sélective des synapses et un recours plus important à la connaissance accumulée et automatique (procédurale, implicite).

 

Avant l’allongement récent de l’espérance de vie, nos ancêtres mouraient (autour de 55 ans) avant que ce programme de réduction du métabolisme ne conduise à des manifestations problématiques (étiquetées sous le terme de « démence »). Il n’y aurait donc pas eu de pression sélective permettant d’empêcher les changements adaptatifs de progresser vers des changements problématiques. En d’autres termes, le vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») constituerait la progression de changement adaptatifs liés à l’âge, progression qui se serait rarement produite chez nos ancêtres dont la vie était beaucoup plus courte.

 

Cette interprétation évolutionnaire est compatible avec le fait que les caractéristiques cognitives et cérébrales du vieillissement problématique (de la « démence ») sont aussi observées, quoique de façon moins importante, chez des personnes âgées sans « démence » (voir nos chroniques « Faut-il distinguer un vieillissement cognitif normal d’un vieillissement cognitif pathologique ? » et « L’empire Alzheimer ne désarme pas ! »). Elle est également compatible avec la mise en évidence de capacités préservées (par ex., mémoire procédurale, mémoire implicite, traitements automatiques, habiletés préexistantes, etc.) dans le vieillissement tant normal que problématique. Il est également intéressant de noter que le gène ApoE4 (le facteur de risque génétique le plus fréquemment associé à la prétendue « maladie d’Alzheimer ») est plus fréquent chez les Pygmées de l’Afrique sub-saharienne, les KhoiSan d’Afrique australe, les Aborigènes de Malaisie et d’Australie, etc. qui vivent et recherchent de la nourriture comme le faisaient vraisemblablement nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Il faut relever que cette interprétation permet aussi de comprendre la comorbidité fréquente entre le vieillissement cérébral/cognitif problématique et le présence d’un syndrome métabolique (incluant notamment la résistance à l’insuline), ainsi que des tendances génétiques qui y sont associées : ce syndrome aurait permis d’aider le métabolisme à s’adapter à la disponibilité faible en nourriture, mais, avec l’abondance de nourriture qui caractérise les sociétés actuelles (ou du moins certaines d’entre-elles), il serait responsable du niveau élevé d’obésité et de diabète (voir cependant plus haut le caractère possiblement adaptatif  du surpoids pour les personnes les plus âgées).

 

Ces approches évolutionnaires, suggérant que les changements liés à l’âge ont eu ou peuvent encore avoir une valeur adaptative, ont le mérite de changer le regard que l’on porte sur les manifestations problématiques du vieillissement en considérant qu’elles sont intrinsèquement liées à notre humanité et au style de vie spécifique qui y est associé. Elles conduisent également à se focaliser davantage sur les capacités préservées et donc à s’éloigner d’une approche strictement déficitaire.

 

Il est à noter que des approches similaires abordent les symptômes psychopathologiques en tentant de comprendre leurs caractéristiques adaptatives et les facteurs qui conduisent à les rendre problématiques (voir par exemple pour les symptômes dépressifs, Keller & Nesse, 2006).                    

 

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Keller, M.C., & Nesse, R.M. (2006). The evolutionary significance of depressive symptoms : Different adverse situations lead to different symptoms patterns. Journal of Personality and Social Psychology, 91, 316-330.

Le Couteur, D.G., & Simpson, S.J. (2010). Adaptative senectitude: The prolongevity effects of aging. Journal of Gerontology: Biological Sciences and Medical Sciences, à paraître.

Reser, J.E. (2009). Alzheimer’s disease and natural cognitive aging may represent adaptive metabolism reduction programs. Behavioral and Brain Functions, 5, 13, 1-14.

 

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18 octobre 2010 1 18 /10 /octobre /2010 23:01

Dans la ligne du livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer » et de l’article de Fotuhi, Hachinski et Whitehouse (2009), un nombre croissant de chercheurs et cliniciens en viennent à contester la pertinence du concept de « maladie d’Alzheimer », en tant qu’entité  neuropathologique discrète définie par un facteur neuropathologique spécifique (en lien avec les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires; voir par exemple l’hypothèse amyloïde).

 

Ainsi, Marcus Richards du « MRC Unit for Lifelong Health and Ageing » à Londres et Carol Brayne de l’ « Institute of Public Health » à l’Université de Cambridge ont récemment publié dans la revue « British Medical Journal » une analyse dont le résumé est le suivant : « Dans sa forme la plus fréquente, à survenue tardive, le terme de maladie d’Alzheimer ne renvoie vraisemblablement pas à une entité neuropathologique discrète, mais à un syndrome clinique diffus qui représente l’accumulation de pathologies multiples résultant de facteurs de risque tout au long de la vie » (Richards & Brayne, 2010).

 

Richards et Brayne rappellent utilement que la conception dominante de la « maladie d’Alzheimer » (une conception essentialiste ; voir notre chronique « Penser le vieillissement cérébral/cognitif problématique dans toute sa complexité ! ») est confrontée à au moins deux problèmes importants :

 

Premièrement, il n’existe pas une relation consistante entre la sémiologie clinique et la présence de plaques séniles et de dégénérescences neurofibrillaires : ainsi, on peut constater, post-mortem, la présence de ces caractéristiques pathologiques chez des personnes qui ne manifestaient pas de vieillissement cérébral/cognitif problématique (de « démence ») avant leur décès.

 

Deuxièmement, le cerveau de la majorité des personnes avec une démence et environ la moitié de celles qui ont reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent des pathologies cérébrales mixtes, le plus souvent des plaques séniles/dégénérescences neurofibrillaires et des atteintes vasculaires, ces dernières paraissant jouer un rôle causal dans le déclin cognitif (d’autres types de modifications pathologiques pouvant également être observées comme par exemple des corps de Lewy).

 

Cette  hétérogénéité neuropathologique vient d’être récemment réaffirmée par Schneider et Bennett (2010), qui ont pour ce faire revu des données issues de deux études : la « Rush Religious Orders Study » et le « Memory and Aging Project ». Ces auteurs indiquent en outre que les phénotypes vasculaires et « Alzheimer » se recouvrent largement (des infarctus macroscopiques pouvant affecter la mémoire épisodique, déficit pourtant considéré comme caractéristique de la « maladie d’Alzheimer »). Il s’ensuit que des facteurs de risque censés être associés à la « maladie d’Alzheimer » (à l’accumulation de plaques séniles et de dégénérescences neurofibrillaires) peuvent en fait être des facteurs de risque d’une pathologie vasculaire. Ainsi, Schneider et Bennett ont constaté que le diabète était associé à la pathologie vasculaire et non à la pathologie dite « Alzheimer ». De plus, le génotype ApoE4, qui est fortement relié à la pathologie « Alzheimer », l’est aussi à la pathologie vasculaire. Enfin, les auteurs ajoutent que d’autres pathologies vasculaires peuvent contribuer aux troubles cognitifs des personnes âgées, comme des infarctus microscopiques,  des microsaignements, une lipohyalinose (surcharge de la paroi des petites artères) ou encore des modifications de la substance blanche.

 

Pour Richards et Brayne, la contribution des problèmes vasculaires est en accord avec les données suggérant que la présence de facteurs de risque cardiovasculaire à la cinquantaine ou avant (obésité, hypertension et hypercholestérolémie), ainsi que de facteurs de risque en lien avec le style de vie (tabagisme, consommation élevée d’alcool, faible consommation de fruits et de légumes, faible activité physique) est associée à l’existence d’un vieillissement cognitif problématique : il y a évidemment là matière à prévention (« Ce qui est bon pour votre cœur est également bon pour votre tête »).

 

Richards et Brayne portent également un regard critique sur le caractère déterministe (oui ou non) du diagnostic de « maladie d’Alzheimer », ainsi que sur la prolifération des catégories intermédiaires (MCI et ses différentes variantes) qui sont source d’anxiété pour les personnes âgées et leur famille.

Ils indiquent que nous ne pouvons pas identifier quand le déclin cognitif commence, puisqu’il a été montré que le risque de « démence » augmente avec une enfance défavorisée (voir notre chronique « L’influence d’une enfance défavorisée et d’une histoire de problèmes psychiatriques ou psychologiques sur le fonctionnement et le déclin cognitifs des personnes âgées »). De plus, ils ajoutent que l’on ne peut pas déterminer dans quelle mesure des difficultés cognitives occasionnelles chez un individu progresseront vers un déclin cognitif suffisamment important pour perturber la qualité de la vie.

Ceci est d’autant plus vrai, disent-ils, que l’expression des problèmes cognitifs varie selon le niveau scolaire, l’état de santé ou encore les normes culturelles. Les difficultés d’une personne seront également considérées différemment selon la trajectoire clinique suivie par la personne, par exemple selon qu’elle est vue par un psychiatre, un gériatre ou un médecin généraliste (nous ajouterions un psychologue prenant en considération la personne dans ses différentes facettes). Certaines personnes résidant dans une structure d’hébergement à long terme et présentant des déficits cognitifs ne seront pas nécessairement évaluées pour une éventuelle « démence » et l’on ne sait d’ailleurs pas vraiment, disent les auteurs, s’ils en tireraient un  quelconque bénéfice. Ils concluent qu’un dépistage de routine des troubles cognitifs dans la population générale n’est de toute évidence pas à envisager

 

Plus généralement, Richards et Brayne indiquent que ce changement d’approche du vieillissement cérébral/cognitif, qui met l’accent sur l’accumulation graduelle de multiples pathologies en lien avec de multiples  facteurs de risque en interaction et intervenant tout au long de la vie, n’est bien sûr pas compatible avec l’attente du remède miracle.

Il s’agirait plutôt de tenter de réduire le risque vasculaire, mais aussi d’intervenir sur une série de facteurs dès le début de la vie : les risques d’atteintes cérébrales in utero, la pauvreté durant l’enfance et ses conséquences (comme une alimentation inappropriée), une scolarité limitée, un style de vie à risque, un métier dangereux, un stress chronique, etc. On voit là une démarche très similaire à celle défendue dans le livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer ».

 

Enfin, les auteurs rappellent que les personnes âgées qui éviteront une mort précoce auront inévitablement un risque accru de présenter un vieillissement cérébral problématique à mesure qu’ils avancent en âge : ainsi, alors que 6% des personnes qui meurent entre 50 ans et la fin de la soixantaine le feront en ayant une « démence », ce sera le cas pour 58% des personnes qui meurent à 95 ans. Pour ces personnes, il s’agit de maximiser les années de vie de qualité en différant l’installation d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique vers l’âge du décès.

Cela se prépare aussi tout au long de la vie, en particulier via la scolarité chez l’enfant, l’apprentissage et une vie mentale riche toute la vie durant (conduisant ainsi à une réserve cognitive/cérébrale).

Nous ajouterions que l’engagement social et le fait de donner un sens à sa vie constituent également un facteur essentiel et qu’il importe aussi de mettre en place des structures d’hébergement centrées sur la personne et sa qualité de vie, y compris pour les personne en fin de vie et présentant d’importants problèmes cognitifs.  

 

 

Fotuhi, M., Hachinski, V., & Whitehouse, P. (2009). Changing perspectives regarding late-life dementia. Nature Reviews Neurology, 5, 649-658.

Richards, M., & Brayne, C.  (2010). Alzheimer’s disease: What do we mean by Alzheimer’s disease ? British Medical Journal, à paraître.

Schneider, J.A., & Bennett, D.A. (2010). Where vascular meets neurodegenerative disease. Stroke, 41 (suppl 1), S144-S146.

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