De nombreuses études montrent que les stéréotypes positifs ou négatifs concernant le vieillissement peuvent avoir des effets bénéfiques ou néfastes sur le fonctionnement cognitif et la santé physique des personnes âgées (voir Levy, 2009). D’une manière générale, ces données indiquent que le vieillissement ne peut pas être uniquement expliqué sur base d’un inévitable processus physiologique de déclin. En d’autres termes, le vieillissement est aussi en partie une construction sociale.
Il a ainsi été montré chez des personnes de plus de 50 ans, suivies aux Etats-Unis pendant deux décennies, que les participants qui avaient des perceptions positives de leur vieillissement au début du suivi présentaient une meilleure santé dans le décours de l’étude (Levy, Slade, & Kasl, 2002). De plus, ils vivaient en moyenne 7.5 années plus longtemps que les participants qui avaient des perceptions négatives (et ce en ayant contrôlé le rôle possible de l’état de santé initial, ainsi que d’autres variables pertinentes).
Une étude menée en Allemagne auprès de personnes âgées suivies pendant 6 ans a par ailleurs constaté que les stéréotypes sur le vieillissement sont un meilleur prédicteur de la santé que l’inverse (Wurm et al., 2007).
L’influence multiple des stéréotypes
Les stéréotypes peuvent exercer leur influence de manière non consciente. Par exemple, Levy (2000) a présenté à des personnes âgées des mots activant un stéréotype négatif (par ex., "décrépitude") ou positif (par ex., "sagesse") pendant une durée tellement brève que les personnes n’avaient pas conscience que les mots avaient été présentés. Elle a observé que l’écriture manuscrite des personnes âgées qui avaient été soumises aux mots négatifs, évaluée par des juges externes, apparaissait comme étant une écriture plus âgée, plus détériorée, plus tremblante, plus sénile, par rapport à un échantillon d’écriture recueilli avant l’expérience. Le résultat inverse a été obtenu suite à l’exposition à des mots positifs.
Si les personnes âgées ne sont pas conscientes de l’influence négative que peuvent avoir certains stimuli de l’environnement (activateurs de stéréotypes négatifs), il s’ensuit qu’elles attribueront préférentiellement leurs difficultés cognitives ou physiques au vieillissement plutôt qu’à des influences environnementales.
L’influence néfaste des stéréotypes négatifs a été observée sur divers aspects du vieillissement : ainsi, il a été montré que l’activation de stéréotypes négatifs pouvait affecter la performance mnésique, l’équilibre, la vitesse de marche ou encore l’audition. Dans la mesure où les stéréotypes négatifs sur le vieillissement sont souvent basés sur le postulat selon lequel les problèmes de santé sont une conséquence inévitable du vieillissement, les personnes âgées ont tendance à considérer les pratiques visant à optimiser la santé comme étant futiles et à avoir un sentiment d’efficacité personnelle réduit. Par contre, les personnes âgées qui ont une perception positive du vieillissement seront plus susceptibles de mettre en œuvre de bonnes pratiques pour leur santé.
Au plan physiologique, il a été observé que des personnes âgées qui avaient été soumises à des mots brièvement présentés, activant des stéréotypes négatifs, présentaient une augmentation de la réponse cardiovasculaire suite à une situation stressante (une tâche exigeante, par exemple, résoudre un problème mathématique). L’inverse était observé après présentation de mots positifs. L’augmentation répétée de la réponse cardiovasculaire au stress est susceptible d’accroître le risque de problèmes cardiaques, ce qui explique peut-être pourquoi le fait d’avoir durablement internalisé des stéréotypes négatifs sur le vieillissement accroît le risque de problèmes cardiovasculaires (Levy et al., 2009).
Les stéréotypes négatifs sur le vieillissement sont activés et internalisés dès l’enfance et cette activation/ internalisation se poursuit tout au long de la vie, avec une augmentation, variable selon les cas, durant la vieillesse.
Il paraît donc indispensable de développer des interventions visant à maximiser l’influence de stéréotypes positifs liés au vieillissement sur la vie quotidienne des personnes âgées. Il serait également important de tenter d’accroître leur prise de conscience de l’influence de ces stéréotypes.
Les stéréotypes négatifs sur le vieillissement comme une menace sociale : la peur du regard des autres
A côté des approches qui se centrent sur l’internalisation des stéréotypes positifs ou négatifs, c’est-à-dire leur incorporation dans l’identité de la personne, d’autres approches se focalisent davantage sur la menace externe (sociale) induite par les stéréotypes négatifs (la peur du regard de l’autre ou la crainte de favoriser la perpétuation du stéréotype).
Les deux approches des stéréotypes diffèrent non seulement quant au caractère plus ou moins individuel ou social de l’influence des stéréotypes, mais aussi dans l’importance accordée à la prise de conscience de cette influence.
Une combinaison de ces deux types d’approches semble être la meilleure façon de comprendre l’influence des stéréotypes dans le domaine du vieillissement.
Stéréotypes et «maladie d’Alzheimer »
Scholl et Sabat (2008) ont décrit et illustré en quoi la soi-disant «maladie d’Alzheimer» est aussi une construction sociale (voir également le livre «Le mythe de la maladie d’Alzheimer» de Whitehouse & George) et en quoi les personnes ayant reçu ce diagnostic, ainsi que leurs proches, vont être influencés par les différents stéréotypes accolés à cet état. Ces stéréotypes seront à l’origine d’incapacités supplémentaires, s’ajoutant à celles qui découlent du vieillissement cérébral en tant que tel.
Les termes de «démence», «maladie d’Alzheimer», «dépendance», «confusion», «sénilité», amplifiés par certaines campagnes médiatiques (voir la page de ce blog « Madame la Présidente, nous vous faisons une lettre ») et certaines initiatives (voir notre chronique « La carte d’identité Alzheimer ») drainent avec eux les stéréotypes les plus catastrophistes sur le vieillissement cérébral.
Certains contextes rencontrés par les personnes ayant reçu ou allant recevoir le diagnostic de soi-disant «maladie d’Alzheimer», comme l’hôpital ou les cliniques de la mémoire, vont également contribuer à accroître la saillance des stéréotypes négatifs liées au vieillissement cérébral et à sa biomédicalisation. Droz Mendelzweig (2009) montre ainsi, de manière très précise, en quoi les interactions et les pratiques d’évaluation d’une clinique de la mémoire contribuent à la construction d’une version médicalisée (d’une «pathologisation») des difficultés cognitives (mnésiques) vécues par les personnes âgées qui consultent.
A cet égard, l’annonce d’un diagnostic de «Mild Cognitive Impairment» (Trouble Cognitif Léger) est particulièrement problématique (voir Corner & Bond, 2006), dans les menaces qu’elle va activer, alors que sa validité est extrêmement contestable (voir notre rubrique « Pour en finir avec le diagnostic catégoriel de MCI… »).
On voit donc tout le bénéfice que les personnes peuvent tirer d’une approche moins réductrice (avec le changement de terminologie qui en découle), mettant en avant les capacités préservées, le maintien de l’identité, les relations intergénérationnelles, l’engagement et les liens avec la société, c’est-à-dire une approche qui maximise une perception positive du vieillissement cérébral.
Comment réduire l’influence des stéréotypes?
Outre le changement d’approche du vieillissement cérébral (un changement de contexte et de «culture») visant à maximiser les perceptions positives du vieillissement, d’autres types d’interventions, plus individuelles, semblent pourvoir atténuer l’influence néfaste des stéréotypes sur le fonctionnement quotidien des personnes âgées (voir Scholl & Sabat, 2008).
Il est possible de réduire l’influence des stéréotypes négatifs et la menace (personnelle et sociale) qu’ils représentent en diminuant la frustration vécue par la personne quand elle réalise des tâches qui sont l’objet de ces stéréotypes. Dans cette perspective, on peut voir tout l’intérêt que peuvent présenter les multiples techniques et stratégies qui ont été élaborées par les psychologues afin d’optimiser la réalisation de tâches cognitives dans la vie quotidienne (mémorisation de nouvelles informations, récupération de souvenirs autobiographiques, réalisation d’intentions, etc.), et ce en exploitant les capacités préservées des personnes. Nous reviendrons de façon plus approfondie sur ces techniques et stratégies dans une future rubrique.
Un niveau général élevé d’anxiété constitue aussi un facteur de vulnérabilité à la menace induite par les stéréotypes sur lequel des interventions sont possibles. Cette menace peut affecter la performance à une tâche cognitive via l’anxiété et les inquiétudes/pensées intrusives qu’elle génère, lesquelles entravent la mise en place des bonnes stratégies pour réaliser la tâche. Il y a là un facteur trop souvent négligé dans les évaluations neuropsychologiques.
Enfin, on pourrait également atténuer l’impact des stéréotypes négatifs en augmentant le lieu de contrôle interne («internal locus of control»), c’est-à-dire la croyance selon laquelle nous avons davantage le contrôle des conséquences de nos actions que ne l’a l’environnement externe. De manière générale, la présence d’un lieu de contrôle interne a été associée à une meilleure santé, de meilleures capacités d’adaptation, une plus grande qualité de vie et de meilleures performances mnésiques chez les personnes âgées. Accroître le lieu de contrôle interne peut aussi contribuer à se protéger des stéréotypes en augmentant la capacité de contrer la menace externe (sociale). Il s’agit donc de favoriser tout ce qui peut renforcer le sentiment de contrôle et de responsabilité sur les décisions personnelles (voir la chronique précédente « Des études anciennes mais qui gardent toute leur pertinence… »).
Corner, L., & Bond, J. (2006). The impact of the label of mild cognitive impairment on the individual’s sense of self. Philosophy, Psychiatry and Psychology, 13, 3-12.
Droz Mendelzweig, M. (2009). Construction the Alzheimer patient: Bridging the gap between symptomatology and diagnosis. Sciences Studies, 22, 55-79.
Levy, B. (2000). Handwriting as a reflection of aging self-stereotypes. Journal of Geriatric Psychiatry, 33, 81-94.
Levy, B. (2009). Stereotype embodiment. A psychosocial approach of aging. Current Directions in Psychological Sciences, 18, 332-336.
Levy, B.R., Slade, M.D., & Kasl, S.V. (2002). Longitudinal benefit of positive self-perceptions of aging on functional health. Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 61, P82-P87.
Levy, B.R., Zonderman, A., Slade, M.D., & Ferrucci, L. (2009). Negative age stereotypes held earlier in life predict cardiovacsular events in later life. Psychological Science, 20, 296-298.
Scholl, J., M., & Sabat, S.R. (2008). Stereotypes, stereotypes threat and ageing: Implications fort he understanding and treatment of people with Alzheimer’s disease. Ageing & Society, 28, 103-130.
Steele, C.M., & Aronson, J. (1995). Stereotype threat and the intellectual test performance of African Americans. Journal of Personality and Social Psychology, 69, 797-811.
Wurm, S., Tesch-Römer, C., & Tomasik, M.J. (2007). Longitudinal findings on aging-related cognitions, control beliefs and health in later life. Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 62, P156-P164.
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