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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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15 janvier 2012 7 15 /01 /janvier /2012 21:48

De nombreuses études suggèrent qu’il existe un lien entre le stress psychologique et le vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence »).

Ainsi, rappelons que, dans une étude menée auprès d’un échantillon représentatif de 1462 femmes âgées de 38 à 60 ans et évaluées 5 fois pendant une période de 35 ans, Johansson et al. (2010) ont montré que le risque de démence était plus élevé chez les femmes ayant rapporté un stress fréquent/constant durant la période du milieu de leur vie, et ce après avoir contrôlé une séries de facteurs de style de vie possiblement confondants (voir notre chronique « Risque de démence et stress psychologique »).

Par ailleurs, Yaffe et al. (2010) ont observé, sur une cohorte de 181’093 anciens combattants des Etats-Unis, que les personnes avec un état de stress post-traumatique avaient un risque deux fois plus élevé de développer une « démence » que celles sans état de stress post-traumatique, et ce après avoir contrôlé d’éventuelles différences entre les deux groupes de participants en ce qui concerne divers facteurs démographiques (éducation, ethnicité, revenus) et de co-morbidité médicale/psychiatrique (voir notre chronique « Etat de stress post-traumatique et risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

En outre, Norton et al. (2011) ont mis en évidence  que le décès de la mère durant l’adolescence était significativement associé à un risque plus élevé (de plus de deux fois) de « maladie d’Alzheimer », après avoir contrôlé pour l’âge, le genre, le niveau de scolarité, le génotype ApoE et le statut socioéconomique. Le décès du père durant les 5 premières années de la vie était aussi associé à un risque augmenté de « maladie d’Alzheimer », mais cette relation était plus faible (voir notre chronique « Le décès de la mère durant l’adolescence : un facteur de risque de maladie d’Alzheimer »). Dans un travail plus récent, Ravona-Springer et al. (2012) ont confirmé l’existence d’un lien entre le décès d’un parent durant l’enfance et l’adolescence et le risque ultérieur de « démence ». En 1965, il a été demandé à 9’362 hommes participant à l’étude «Israel Ischemic Heart Disease » et âgés de 40 ans et plus s’ils avaient vécu une crise importante (définie subjectivement par les personnes) suite au décès de leur père ou de leur mère, entre 0 et 6 ans, 7 et 12 ans, 12 et 18 ans ou après 18 ans. Les résultats montrent que le fait d’avoir rapporté une crise lors du décès de la mère ou du père durant l’enfance ou l’adolescence était associé à un risque accru de « démence » (évalué 35 ans plus tard) par rapport au fait de ne pas avoir rapporté de crise ou d’avoir rapporté une crise alors que le personne était âgée de plus de 18 ans. Cet effet subsistait après contrôle de l’âge, du pays de naissance, ainsi que du statut socio-économique et de l’anxiété (évalués en 1963, à savoir durant la période du milieu de la vie). Par ailleurs, les personnes qui avaient ou non rapporté une crise suite au décès de leur père ou de leur mère ne différaient pas quand à leur profil cardio-vasculaire et à la prévalence d’un tabagisme ou d’un diabète (facteurs évalués en 1965).  

Il a également été montré qu’un niveau élevé de neuroticisme (un trait de personnalité caractérisé par l’expérience chronique d’émotions négatives, quel que soit le niveau objectif de menace présenté par une situation) était lié à un fonctionnement cognitif plus faible chez les personnes âgées, un déclin cognitif plus rapide et un risque accru  de vieillissement cérébral/cognitif problématique ou de « démence » (voir Clément & Teissier, 2010).

De plus, Wilson et al. (2011) ont constaté, chez 785 personnes âgées sans « démence », que des niveaux plus élevés dans deux composantes du neuroticisme  (l’anxiété et la vulnérabilité au stress ou le sentiment chronique d’être dépassé et d’être incapable de s’adapter) étaient associés à un risque accru de « maladie d’Alzheimer » et à un déclin plus rapide du fonctionnement cognitif global (voir notre chronique « Le rôle de la vulnérabilité au stress et de l’anxiété dans le développement d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Les relations observées entre la précarité sociale et la « démence » (voir notre chronique « Les liens entre le statut socio-économique et le vieillissement cérébral/cognitif problématique : de nouvelles données ») sont également compatibles, entre autres, avec la conception selon laquelle la pauvreté (dès l’enfance) constitue un facteur puissant de stress et peut conduire à des dysfonctionnements cérébraux via l’influence de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou axe de l’hormone du stress) et l’exposition aux glucocorticoïdes. De même, le risque particulièrement accru de problème cognitif observé chez les personnes veuves ou divorcées à la cinquantaine et qui le sont restées jusqu’à l’évaluation cognitive de suivi (voir notre chronique « Le statut marital à la cinquantaine : un autre facteur de risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique ») pourrait aussi être la conséquence d’un stress durable induit par le décès ou la séparation, ainsi que des conséquences biologiques de ce stress. Il en va de même pour la relation observée entre le fait d’être le conjoint d’une personne « démente » et le risque de développer une « démence » (voir notre chronique « Le conjoint d’une personne présentant une "démence" a-t-il un risque accru de présenter une "démence" ? »).

Enfin, une interprétation en terme de stress peut également être évoquée pour rendre compte des relations entre dépression et risque de « démence » (voir la chronique « Dépression et risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Dans cette perspective, Russ et al. (2011) ont récemment réexaminé le rôle de la détresse psychologique sur le risque de « démence » auprès d’un important échantillon représentatif de la population vivant à domicile en Angleterre. Les personnes (n=73’071 ; âge moyen : 55.9, ET=14.3, étendue : 35-102 ans) ont été recrutées dans le cadre  de la « Health Survey for England » et les résultats recueillis entre 1994 et 2004 ont été rassemblés. La détresse psychologique a été évaluée durant une visite à domicile au moyen du « 12-item General Health Questionnaire », lequel comprend des items évaluant l’anxiété, la dépression, le dysfonctionnement social et la perte de confiance (un score limite de 4 ou plus a été établi pour identifier la présence de détresse psychologique). La démence a été identifiée à partir du certificat de décès, en se basant sur les critères diagnostiques classiques. Le suivi a été effectué jusqu’au décès ou jusqu’en février 2008. Les facteurs suivants ont été contrôlés : âge, genre, classe sociale (métier), classe sociale (métier des parents), âge auquel la personne a quitté la scolarité à temps plein, tabagisme actuel, consommation d’alcool (unités par semaine), maladie cardiovasculaire actuelle et diabète.

Les résultats montrent une association significative entre une détresse psychologique élevée et un risque accru de « démence » (lors du décès) et cette association subsiste après prise en compte des différents facteurs possiblement confondants. Les résultats indiquent par ailleurs une augmentation progressive du risque de « démence » à mesure de l’accroissement du score de détresse psychologique. De plus, l’association se maintient quand ont été exclues de l’analyse les personnes qui avaient des données manquantes ou les personnes qui sont mortes avec une « démence » endéans une période de 5 ans après l’évaluation de la détresse psychologique (ce qui s’oppose à l’hypothèse de la causalité inverse selon laquelle l’augmentation de la détresse psychologique serait la conséquence du développement de la « démence »). Selon Russ et al., le fait que le lien entre détresse psychologique et risque de démence subsiste après avoir contrôlé l’influence de facteurs de risque cardiovasculaires suggère la présence d’un effet « toxique » de l’hypercortisolémie (liée à une perturbation du fonctionnement de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien ou axe du stress dans la dépression) sur le cerveau. 

De nouvelles données : le rôle du stress au travail  

Ces 30 dernières années, différentes données ont mis en évidence que les professions associées à un faible contrôle sur son travail (une faible autonomie décisionnelle), à des exigences élevées (une surcharge de travail) et à un faible soutien social dans le cadre du travail suscitaient un stress psychologique pouvant conduire à des problèmes de santé (tels que des maladies cardio-vasculaires). Cependant, peu d’études se sont penchées sur la relation entre le stress au travail et la survenue ultérieure d’une « démence ». C’est ce à quoi se sont attelés Andel et al. (2012). 

Partant des quelques données existantes, les auteurs ont fait l’hypothèse qu’un contrôle moindre sur son travail (une moindre autonomie décisionnelle), un soutien social moindre et une pression plus importante au travail seraient associés à un risque plus grand de « démence ». Ils ont par ailleurs pris en compte la complexité du travail, laquelle semble réduire le risque de « démence » en contribuant vraisemblablement à la réserve cognitive via un engagement cognitif plus important (Andel et al., 2005 ; Kroger et al., 2008).  

Les participants étaient membres du « Swedish Twin Registry », un registre reprenant tous les jumeaux résidant en Suède âgés de 65 ans et plus en 1998, année où le recueil de données cognitives (et d’autres), ainsi que l’identification d’une « démence », ont commencé. L’exploration cognitive a tout d’abord été réalisée par téléphone, via le « Telephone Cognitive Screening Protocol ». Ensuite, les personnes identifiées comme étant susceptibles de développer une « démence » ont été convoquées, ainsi que leur jumeau, pour une évaluation diagnostique de la « démence » selon les critères classiques. Au total, 10106 personnes, âgées en moyenne de 72.7 ans (ET=6.2) ont participé à cette étude. Parmi ces personnes, 257 ont reçu un diagnostic de « démence » (167 un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et 46 un diagnostic de « démence vasculaire »).

Les indicateurs de stress au travail (évalués par la « Psychosocial Job Exposure Matrix ») ont été obtenus pour l’emploi principal durant la vie (identifié sur base de la version nordique de l’ « International Standard Classification of Occupations, ISCO ») et ce via les réponses du participant lui-même ou d’une personne proche si le participant ne pouvait répondre. Les exigences du travail concernaient les facteurs liés à la charge de travail (intensité, caractère trépidant, charge extrême). Le contrôle  de la personne sur son travail reflétait l’importance avec laquelle la personne pouvait utiliser son jugement personnel et faire valoir sa capacité de contrôle et de maîtrise de son travail. Le soutien social reflétait l’existence d’interactions sociales (avec les collègues et les supérieurs) apportant une aide ou un appui. La pression au travail était mesurée via le rapport entre les exigences du travail et le contrôle sur son travail.

Une série de co-variables ont également été prises en compte : l’âge au moment de l’évaluation, le genre, le niveau de scolarité, la présence de maladies vasculaires (hypertension, maladie cardiaque, accident vasculaire cérébral), la complexité de l’emploi principal (sur base des scores utilisés et validés dans les années 1970 dans le recensement « 1970 U.S. Census ») et le caractère manuel de la profession (travail d‘ouvrier ou « blue collar », sur base de l’ISCO).

Les résultats des analyses (modèles d’équations d'estimation généralisées ou GEE, avec ajustement pour le groupement en paires de jumeaux) ont montré qu’un moindre contrôle sur son travail et un moindre soutien social étaient indépendamment associés à un risque plus important de « démence » considérée globalement et à un risque plus important de « démence vasculaire ». L’association était plus importante pour le soutien social que pour le contrôle.

Par ailleurs, la pression au travail  (le rapport entre les exigences du travail et le contrôle sur son travail) était reliée à un risque plus important de « démence vasculaire », en particulier quand la pression au travail était combinée à un faible soutien social. Il faut relever que, de manière surprenante, le contrôle du facteur « présence de maladies vasculaires » n’affectait que de façon limitée les résultats.

Les analyses effectuées séparément pour les hommes et les femmes, les personnes avec un métier de haute ou basse complexité, les travailleurs manuels ou non manuels, n’ont pas modifié de façon nette le pattern de résultats. 

De façon intéressante, une analyse complémentaire a montré que l’association entre un métier manuel (un travail d’ouvrier) et le risque de « démence » (association bien établie dans des études précédentes) était expliquée par la pression au travail, ce qui suggère que c’est le stress lié au travail qui rend compte de la contribution du travail manuel au risque de « démence ».

Il faut relever que le facteur « exigences du travail » n’était pas, à lui seul, associé au risque de « démence ». Il se pourrait que l’engagement cognitif impliqué dans certains emplois exigeants (au-delà de ce qui est capté par le facteur « complexité du travail ») ait contribué à cette absence de relation, en compensant au moins partiellement les effets négatifs du stress liés aux emplois hautement exigeants. Il faut néanmoins rappeler que des exigences élevées étaient reliées à la « démence vasculaire » quand elles étaient examinées en conjonction avec un moindre contrôle (ce qui correspond au facteur « pression au travail »). Notons que ce résultat était amplifié quand les analyses ont été limitées aux niveaux de soutien social se situant en dessous de la médiane, ce qui suggère que le soutien social offert par les collègues et les supérieurs puisse amortir les effets négatifs de la pression au travail.

Cette étude comporte quelques limites et en particulier :

* l’exploration de la « démence » à un moment donné, ce qui peut avoir conduit à un facteur confondant lié à une survie différentielle des personnes ;

* l’utilisation de diagnostics de « démence  d’Alzheimer et vasculaire» sans confirmation neuropathologique ;

* le fait que la durée de l’emploi principal n’était pas connue (en sachant néanmoins que, en Suède, dans les années 1980, la mobilité au travail était assez basse).

Néanmoins, cette étude est importante car elle s’ajoute à celles qui ont révélé une association entre le stress et la « démence ». De plus, elle indique en quoi une modification de l’environnement de travail pourrait contribuer à l’optimisation du fonctionnement cognitif des personnes âgées.   

  

 En conclusion

Un grand nombre de données indiquent que le stress psychologique constitue l’un des facteurs de risque importants du vieillissement cérébral/cognitif problématique. Par ailleurs, la contribution du stress psychologique au développement de la « démence » semble intervenir à différentes périodes de vie : enfance, adolescence, milieu de la vie et vieillesse.

Plusieurs interprétations biologiques à cette contribution ont été proposées (voir Tortosa-Martinez & Clow, 2012 ; Rothman & Mattson, 2010) et, notamment, l’effet du stress psychologique sur l’activité de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (avec une augmentation de la production de glucocorticoïdes et son impact délétère sur l’hippocampe), les processus inflammatoires (avec l’augmentation des cytokines pro-inflammatoires), les facteurs neurotrophiques (l’effet négatif du stress sur le facteur neurotrophique dérivé du cerveau ou BDNF), le stress oxydatif, le stress métabolique (le métabolisme de l’énergie des cellules nerveuses), l’homéostasie vasculaire, la régulation de l’insuline, etc. Le stress psychologique est également associé à diverses perturbations plus générales et en lien avec le style de vie, qui ont été reliées à un risque accru de vieillissement cérébral/cognitif problématique comme la perturbation du sommeil, une alimentation déséquilibrée, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool, l’isolement social, etc.

Il subsiste néanmoins de nombreuses inconnues, notamment en ce qui concerne les effets spécifiques et interactifs de ces différents facteurs, les mécanismes en jeu dans l’effet du stress à différentes périodes de la vie, les caractéristiques individuelles et contextuelles, ainsi que les réseaux cérébraux qui modulent la perception du stress et la réactivité au stress perçu, les effets (bénéfiques ou délétères) du stress psychologique en fonction de sa nature, sa fréquence et son intensité, les mécanismes psychologiques impliqués dans la relation entre stress et « démence », etc.

Il existe également peu de travaux ayant exploré le caractère dynamique (bi-directionnel) des relations entre stress et « démence ». Le stress semble bien représenter un facteur de risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique. Cependant, le vieillissement cérébral/cognitif problématique (dans ses différentes dimensions : cognitive, émotionnelle, relationnelle, sociale, culturelle) peut lui-aussi contribuer à l’augmentation du stress, laquelle peut à son tour moduler l’évolution du vieillissement problématique. Ainsi, par exemple, on peut s’interroger sur l’impact en termes de stress, ponctuel (réaction post-traumatique) et plus continu, de l’annonce d’un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de « MCI ». De même, il a été montré que l’entrée dans une structure d’hébergement à long terme conduisait à une accélération du déclin cognitif chez les personnes ayant précédemment reçu un diagnostic de « démence » (voir notre chronique « L’entrée dans une structure d’hébergement à long terme est associée à un déclin cognitif accéléré chez les personnes ayant reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer »): le stress associé à cette transition joue vraisemblablement un rôle important dans l’accroissement du déclin cognitif.

D’autres événements de vie peuvent aussi contribuer à l’accélération du déclin cognitif des personnes présentant une « démence ». Récemment, Furukawa et al. (2012) ont décrit une exacerbation des troubles cognitifs et des problèmes comportementaux chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » qui avaient été confrontées directement au tremblement de terre et au tsunami qui se sont produits au Japon en mars 2011 et/ou qui avaient été déplacées dans un site d’évacuation, et ce en comparaison à des personnes qui n’avaient pas vécu directement ces événements.

Pour conclure, il apparaît que le stress psychologique constitue un des facteurs-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique et de son évolution, dont la contribution peut se manifester tout au long de la vie.

Il s’agit par ailleurs d’un axe interprétatif qui ouvre de très nombreuses perspectives de prévention et d’intervention: lutte contre la pauvreté, changement dans les conditions de travail, réduction des facteurs de stress sociaux et environnementaux, interventions psychosociales suite à la survenue d’événements traumatiques, interventions psychosociales dans la dépression, mise en place d’une façon moins traumatique et stigmatisante de concevoir le vieillissement cérébral/cognitif problématique, etc..

Dans cette perspective, Tortosa-Martinez et Clow (2012) suggèrent que les effets bénéfiques de l’activité physique sur le risque et l’évolution de la « démence » découlent de son action sur le système neuroendocrinien du stress (voir également Nation et al., 2011, pour une conception selon laquelle les effets de l’activité physique et du stress sur la « maladie d’Alzheimer » peuvent être appréhendés dans une perspective neurovasculaire). 

Les stratégies de prévention et d’intervention visant le stress psychologique devraient être taillées sur mesure en fonction des facteurs de stress spécifiques à chaque personne et des facteurs contextuels qui modulent sa perception du stress. Ainsi, par exemple, Scott, Jackson et Bergeman (2011) ont montré, via une étude quantitative et qualitative, que le sentiment de stress chez les personnes âgées était sous-tendu par plusieurs facteurs (solitude, tension financière, tensions liées au voisinage, âgisme, certains événements de vie…), mais aussi que la perception du stress induit par ces facteurs était très spécifique à chaque individu et modulée par des facteurs contextuels très différents d’une personne à l’autre, ainsi que par d’autres facteurs idiosyncrasiques.


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Andel, R., Crowe, M., Pedersen, N.L., Mortimer, J., Crimmins, E., Johansson, B., & Gatz, M. (2005). Complexity of work and risk of Alzheimer’s disease: A population-based study of Swedish twins. Journal of Gerontology B: Psychological Sciences and Social Sciences, 60B, 251-258. 

Andel, R., Crowe, M., Hahn, E.A., Mortimer, J.A., Pedersen, N.L., Fratiglioni, L., Johansson, B., & Gatz, M. (2012). Work-related stress may increase the risk of vascular dementia. Journal of the American Geriatrics Society, sous presse.

Clément, J.-P-, & Teissier, M.-P. (2010). Personnalité et risque de démence. Psychologie & Neuropsychiatrie du Vieillissement, 4, 243-254.

Furukawa, K., Ootsuki, M., Kodama, M., & Arai, H. (2012). Exacerbation of dementia after the earthquake and tsunami in Japan. Journal of Neurology, sous presse.

Johansson, L., Guo, X., Waern, M., Ostling, S., Gustafson, D., Bengtsson, C., & Skoog, I. (2010). Midlife psychological stress and risk of dementia: a 35-year longitudinal study. Brain, 133, 2217-224.

Kroger, E., Andel, R., Lindsay, J., Benounissa, Z., Verreault, R., & Laurin, D. (2008). Is complexity of work associated with risk of dementia? American Journal of Epidemiology, 167, 820-880.

Nation, D.A., Hong, S., Jak, A.J., Delano-Wood, L., Mills, P.J., Bondi, M.W., & Dimsdale, J.E. (2011). Stress, exercise, and Alzheimer’s disease: a neurovascular pathway. Medical Hypotheses, 76, 847-854.

Norton, M.C., Smith, K.R., Ostbye, T., Tschanz, J.T., Schwartz, S., Corcoran, Ch., et al. (2011). Early parental death and remarriage of widowed parents as risk factors for Alzheimer Disease: The Cache County Study. American Journal of Geriatric Psychiatry, 19, 814-824.

Ravon-Springer, R., Schnaider Beeri, M., & Goldbourt, U. (2012). Younger age at crisis following parental death in male children and adolescents is associated with higher risk for dementia at older age. Alzheimer’s Disease and Associated Disorders, sous presse.

Russ, T.C., Hamer, M., Stamatakis, E., Starr, J.M., & Batty, G.D. (2011). Psychological distress as a risk factor for dementia death. Archives of Internal Medicine, 171, 1858-1849.

Rothman, S.M., & Mattson, M.P. (2010). Adverse stress, hippocampal networks and Alzheimer’s disease. Molecular Medicine, 12, 56-70.

Scott, S.B., Jackson, B.R., & Bergeman, C.S. (2011). What contributes to perceived stress in later life? A recursive partitioning approach. Psychology and Aging, 26, 830-843.

Tortosa-Martinez, J., & Clow, A. (2012). Does physical activity reduce risk for Alzheimer’s disease through interaction with the stress neuroendocrine system ? Stress, sous presse.

Wilson, R.S., Begeny, Ch.T., Boyle, P.A., Schneider, J.A., & Bennett, D.A. (2011). Vulnerability to stress, anxiety, and development of dementia in old age. American Journal of Geriatric Psychiatry, 19, 327-334.

Yaffe, K., Vittinghoff, E., Lindquist, K., Barnes, D., Covinsky, K.E., Neylan, Th., Kluse, M., & Marmar, Ch. (2010). Posttraumatic stress disorder and risk of dementia among US Veterans. Archives of General Psychiatry, 67, 608-617.

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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 22:34

De nombreuses données indiquent que l’engagement dans des activités cognitivement (intellectuellement) stimulantes est associé à un déclin cognitif moins important et à un moindre risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique ou de « démence » (voir nos chroniques « Les liens entre la fréquence des activités cognitives et la survenue ou l’évolution d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique » ; « Des activités de loisirs stimulantes sur le plan cognitif, une vie sociale active et des activités physiques ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif évalué 20 ans plus tard » ; « Maintenir des activités cognitives stimulantes chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Il a également été montré que l’engagement à l’âge adulte dans des activités culturelles/intellectuelles stimulantes pouvait compenser le risque de moins bon fonctionnement cognitif chez les personnes avec un niveau de scolarité plus bas (voir la chronique « L’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles à l’âge adulte est à même de compenser les effets négatifs d’un faible niveau de scolarité sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées »).

Plus récemment. Small, Dixon, McArdle et Grimm (2011) ont exploré la dynamique temporelle des relations entre l’engagement dans des activités stimulantes (évalué par le « Activities Life Questionnaire ») et les changements dans le fonctionnement cognitif des personnes âgées (évalués via des mesures de vitesse verbale, de mémoire sémantique et de mémoire épisodique). Pour ce faire, ils ont analysé les données de 952 personnes ayant un âge moyen de 68 ans et ayant effectué en moyenne 14 ans d’années d’études. Ces personnes ont été suivies pendant 12 ans (avec 5 vagues d’évaluation) dans le cadre de la « Victoria Longitudinal Study ». Lors de la ligne de base, ces personnes n’avaient pas de « démence », ni de problème psychopathologique, ni d’antécédents de maladie cardio-vasculaire ou cérébro-vasculaire importante. Les résultats ont globalement confirmé que l’engagement des personnes dans des activités stimulantes était associé à moins de déclin cognitif dans les trois domaines cognitifs explorés. Par ailleurs, il est apparu qu’un fonctionnement cognitif plus faible était relié une diminution subséquente d’engagement dans des activités stimulantes.    

Des activités fréquentes ou des activités variées ? 

On peut néanmoins s’interroger sur la manière de mesurer l’engagement dans des activités stimulantes. La majorité des études ont évalué la fréquence ou la durée avec laquelle les personnes participaient à ces activités. Or, comme l’indiquent Carlson et al. (2011), la participation à des activités est limitée par le temps à disposition, si bien que la participation fréquente à une activité limite nécessairement le temps qui peut être dévolu à d’autres activités. Ainsi, par exemple, une personne peut lire quotidiennement, alors qu’une autre peut alterner, lors des différents jours de la semaine, lecture et jeu de cartes. Dans ce contexte, Carlson et al. ont émis l’hypothèse selon laquelle les personnes qui s’engagent dans une variété d’activités stimulantes pourraient tirer davantage de bénéfices au plan cognitif, car elles seraient exposées à un environnement plus riche et plus complexe et elles mettraient en œuvre de nombreuses habiletés, y compris les capacités d’organisation permettant de planifier un programmes d’activités et de passer de façon flexible d’une activité à l’autre.

Carlson et al (2011) ont ainsi mené une étude visant à examiner, auprès d’un échantillon de femmes âgées issues de la population générale (et participant à la « Women’s Health and Aging Study »), dans quelle mesure l’engagement dans des activités variées pouvait être plus bénéfique au plan cognitif que la participation fréquente à un ensemble limité d’activités. Plus spécifiquement, les auteurs ont suivi, durant une période moyenne de 9.5 ans, 379 femmes ayant un âge moyen de 74 ans, ayant un niveau élevé de scolarité (M = 12.7, ET = 3.2) et ne présentant pas de « démence » et, plus largement, de troubles cognitifs lors de la ligne de base (l’évaluation initiale). Le suivi a consisté en 5 visites espacées de 18 mois, à l’exception d’un intervalle de 3 ans entre la visite 3 et 4.

Les participantes ont été soumises au « Lifestyle Activity Questionnaire » (LAQ), lors de la deuxième visite pour la plupart des personnes et lors de la troisième visite pour un petit nombre d’entre-elles. Elles devaient évaluer sur une échelle à 6 niveaux (0 = « jamais ou moins d’une fois par mois » ; 5 = chaque jour ») la fréquence à laquelle, durant l’année précédente, elles avaient participé à chacune de 23 activités. L’échelle en 6 niveaux a ensuite été transformée en une échelle sur 30 jours : 0 = pas du tout ; 1 = une fois par mois ; 2.5 = 2 à 3 fois par mois ; 4 = une fois par semaine ; 10 = 2 à 3 fois par semaine ; 30 = chaque jour. Les 23 activités ont également été ordonnées (par un panel de psychologues cognitivistes) selon leur caractère plus ou moins stimulant ou exigeant : 3 activités n’ayant pas mené à un accord inter-juges suffisant ont été retirées. Une mesure globale d’activités stimulantes/exigeantes a été établie en multipliant le niveau médian d’exigence d’une activité donnée par la fréquence mensuelle rapportée pour cette activité, puis en sommant les mesures obtenues pour toutes les 20 activités. Les 20 activités ont également été scindées en trois sous-groupes sur base de l’ordonnancement effectué par les experts : activités hautement stimulantes / exigeantes (suivre des cours, faire des mots croisés, dessiner, jouer de la musique, etc.), activités modérément stimulantes / exigeantes (jouer aux cartes ou à des jeux de société, discuter de politique, faire du volontariat, cuisiner, coudre, etc.) et activités faiblement stimulantes / exigeantes (regarder la télévision, jardiner, assister à des services religieux, assister à des concerts, écouter de la musique, etc.). Les scores de fréquence pour chaque niveau d’intensité ont été standardisés afin de faciliter la comparaison entre les niveaux de stimulation / exigence. En outre, le nombre total d’activités réalisées une fois par mois ou plus a été pris comme une mesure de variété, avec une étendue allant de 0 à 20 (avec également une prise en compte du caractère plus ou moins exigeant / stimulant).

L’évaluation du fonctionnement cognitif a comporté une évaluation cognitive globale (MMSE), ainsi que des tests cognitifs plus spécifiques évaluant la vitesse psychomotrice et d’exploration visuelle (Trail Making Test, partie A), le fonctionnement exécutif dans ses aspects de flexibilité et de planification (Trail Making Test, partie B) et la mémoire épisodique verbale (Hopkins Verbal Learning Test – Revised : apprentissage en 3 essais et rappel immédiat de 12 mots, rappel différé après 15 minutes ; ont été pris en compte le nombre total de mots rappelés aux trois essais et le nombre de mots en rappel différé). La présence d’un trouble cognitif a été établie, à partir des données normatives existantes, sur base d’un score égal ou inférieur au centile 5.

Les analyses ont été effectuées en contrôlant l’influence de l’âge, du genre, de l’appartenance ethnique et du nombre de maladies chroniques lors de la ligne de base (parmi 14 maladies : hypertension, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque congestive, maladie cardiaque, angine de poitrine, accident vasculaire cérébral, diabète, arthrite, cancer, maladie pulmonaire, fracture de hanche, maladie de Parkinson, problèmes de vision et d’audition). Notons que, globalement, les participantes avaient en majorité une santé physique relativement bonne, comme l’indique le nombre moyen de maladies chroniques (M = 2.8, ET = 1.4). Il faut enfin relever que, pour chaque tâche cognitive, les personnes ayant un trouble cognitif (tel que défini précédemment) lors de la ligne de base ont été retirées de l’analyse.

En ce qui concerne la fréquence de participation aux activités, les résultats montrent que la fréquence totale de participation à des activités et la fréquence de participation à des activités hautement exigeantes/stimulantes  prédisent le risque de trouble cogntif uniquement au MMSE. Ainsi, chaque jour supplémentaire de participation mensuelle à des activités exigeantes est associé à une réduction de 6% du risque de trouble cognitif au MMSE. Cependant, après contrôle de l’âge, du genre, de l’appartenance ethnique et du nombre de maladies chroniques, ces effets ne sont plus significatifs.

Par ailleurs, la variété totale des activités et la variété des activités hautement exigeantes / stimulantes sont associées à un risque moindre de trouble cognitif en rappel immédiat, en rappel différé et au MMSE, et ces effets se maintiennent après contrôle de l’âge, du genre, de l’appartenance ethnique et du nombre de maladies chroniques. Plus concrètement, chaque activité supplémentaire pratiquée par mois est associée à une réduction de 9% de troubles en rappel immédiat, de 8% en rappel différé et de 11% au MMSE. Enfin, dans le but d’examiner plus rigoureusement l’utilité prédictive indépendante de la variété totale des activités, une analyse de régression multi-variée a été effectuée, en prenant comme covariables la fréquence totale de participation aux activités ainsi que les autres covariables (âge, genre, appartenance ethnique et nombre de maladies chroniques). Cette analyse montre que la variété totale des activités demeure un facteur protecteur significatif pour le risque de trouble en rappel différé et au MMSE et, de façon marginale, en rappel immédiat.

En conclusion, cette étude indique que la variété des activités auxquelles les personnes âgées participent est plus importante pour l’évolution du fonctionnement cognitif que la fréquence de participation ou le niveau d’exigence des activités..

Cette étude comporte néanmoins certaines limites, et en particulier l’exploration d’un échantillon composé uniquement de femmes : les auteurs indiquent qu’une étude est actuellement menée auprès de femmes et d’hommes en utilisant un questionnaire d’activités moins spécifiquement associé au genre. Une autre limite de cette recherche observationnelle tient à l’existence possible d’une causalité inverse. Il se pourrait en effet que les personnes qui sont incapables de réaliser une activité du fait de limitations cognitives, physiques, médicales ou psychosociales n’aient pas eu le même accès à une variété d’activités que des personnes disposant d’un meilleur fonctionnement ou environnement. Il faut cependant noter que les auteurs ont exploré des personnes ayant un fonctionnement cognitif et physique assez élevé, qu’ils ont retiré des analyses les personnes présentant des troubles cognitifs lors de la ligne de base et qu’ils ont contrôlé l’influence possible de facteurs en lien avec la santé. Une autre limite tient à l’absence de données sur la fidélité du questionnaire d’activités (LAQ). Les auteurs indiquent cependant que des données obtenues sur un intervalle de 18 mois montrent une assez grande stabilité des patterns d’activités observés.

Il faut relever que des données allant dans le même sens que celles obtenues par Carlson et al. (2011) ont précédemment été obtenues par Eskes et al. (2010). Dans cette recherche menée  auprès de 42 femmes âgées entre 55 et 90 ans, les auteurs ont montré que le fonctionnement cognitif des personnes âgées dépendait de plusieurs facteurs, et en particulier de la forme physique (fitness), de la santé cérébro-vasculaire et de la participation à des activités cognitives. De façon intéressante, ils ont observé que l’effet bénéfique de la participation à des activités cognitivement stimulantes était davantage relié à la diversité des activités qu’à la durée totale de participation.

Conclusions et perspectives

Dans l’ensemble,  ces résultats suggèrent donc que les personnes âgées devraient pouvoir disposer d’un vaste ensemble d’activités stimulantes et qu’elles devraient privilégier des niveaux modérés de participation à un ensemble plus large d’activités, plutôt que de pratiquer très fréquemment une seule activité (ou un nombre restreint d’activités).

Un des objectifs de l’association VIVA, que nous avons créée dans la ville de Lancy (voir le site www.association-viva.org) est précisément de proposer aux personnes âgées une variété d’activités stimulantes, tout en réfléchissant aux conditions qui vont favoriser l’engagement des personnes dans ces activités et qui vont également contribuer à maintenir la participation à des activités chez les personnes ayant un moins bon fonctionnement cognitif (voir Small et al., 2011).  

Des recherches ultérieures devraient s’atteler à mieux comprendre les mécanismes psychologiques (cognitifs, motivationnels, etc,) et neurobiologiques par lesquels la variété des activités contribue au maintien d’un meilleur fonctionnement cognitif.

Il s’agirait également d’examiner les effets différentiels de différents types d’activités selon leur caractère plus ou moins physique, social, intergénérationnel et d’intégration dans la communauté, ainsi que selon leur dimension d’engagement vers des buts utiles pour la communauté (voir nos chroniques « Un programme d’intervention participatif et communautaire destiné à des personnes présentant une démence légère et à leurs proches » et « Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique »). En effet, l’étude de Small et al. (2011), dont nous avons rapporté les résultats en début de chronique, a montré que les dimensions physiques, sociales et cognitives des activités pouvaient avoir une influence spécifique sur différents domaines du fonctionnement cognitif. Ainsi, notamment, les dimensions cognitives et physiques des activités étaient fortement associées au fonctionnement de la mémoire épisodique, alors que les dimensions physiques n’étaient pas reliées au fonctionnement de la mémoire sémantique. Plus généralement, il apparaît que la relation entre le type d’activités et l’évolution des capacités cognitives est dynamique et complexe, dans le sens où toutes les activités ne sont pas associées à des changements dans toutes les habiletés cognitives.

Nous profitons de cette dernière chronique de l’année pour vous souhaiter de très bonnes fêtes de fin d’année, en espérant vous retrouver l’année prochaine, dans notre engagement commun pour une vision moins réductionniste et plus humaniste du vieillissement.  


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Carlson, M.C., Parisi, J.M., Xia, J., Xue, Q.-L., Rebok, G.W., Bandeen-Roche, K., & Fried, L.P. (2011). Lifestyle activities and memory: Variety may be the spice of life. The Women’s Health and Aging Study II. Journal of the International Neuropsychological Society, 18, 1-9.

Eskes, G.A., Longman, S., Brown, A.D., McMorris, C.A., Langdon, K.D., Hogan, D.B., & Poulin, M. (2010). Contribution of physical fitness, cerebrovascular reserve and cognitive stimulation to cognitive function in post-menopausal women. Frontiers in Aging Neuroscience, 2, article 137 (doi:3389/fnagi.2010.00137).

Small. B.J., Dixon, R.A., McArdle, J.J., & Grimm, K.J. (2011). Do changes in lifestyle engagement moderate cognitive decline in normal aging? Evidence from the Victoria Longitudinal Study. Neuropsychology, à paraître.

 

 

 

 

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9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 21:38

Plusieurs études indiquent que la dépression constitue un facteur de risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique ou de « démence » (voir notre chronique « Dépression et risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique » ; voir également Barnes & Yaffe, 2011).

Il a également été montré que le diabète de type 2 était lié à un risque accru de déficits cognitifs et de « démence » (voir notre chronique « Diabète de type 2 et troubles cognitifs chez les personnes âgées : des relations complexes… » ; voir aussi Barnes & Yaffe, 2011). Il faut rappeler que la prévalence du diabète de type 2 et du syndrome métabolique (un groupement de facteurs de risque cardiovasculaire et de diabète de type 2, à savoir l’obésité abdominale, l’hypertriglycéridémie, un taux HDL/cholestérol bas, l’élévation de la glycémie et l’hypertension) ne cesse de progresser de par le monde, y compris dans les pays émergents (les incidences les plus élevées étant attendues en Amérique latine, en Afrique et en Asie). Ainsi, selon la Fédération Internationale du Diabète, il y avait en 2010, 285 millions de personnes souffrant de diabète (de type 2 dans 90% des cas). Les projections pour 2030 prédisent environ 444 millions de diabétiques.

Par ailleurs, il existe des relations bidirectionnelles entre la dépression et le diabète : des épisodes dépressifs plus tôt dans la vie mènent à un risque accru de diabète et un diabète développé à l’âge adulte augmente le risque de dépression (Knol et al, 2006 ; Mezuk et al., 2008).

Enfin, il a été montré que jusqu’à 20 % des adultes souffrant de diabète de type 2 présentaient les critères de dépression majeure (Ali et al., 2006). La présence de dépression chez les personnes souffrant de diabète est associée à une réduction des soins personnels (non observance du régime, de l’activité physique, de la prise de médicaments et de l’arrêt/réduction du tabagisme), à un moins bon contrôle de la glycémie et à un risque accru de complications micro- et macro-vasculaires. Or, un mauvais contrôle de la glycémie, les facteurs de risque vasculaires et les problèmes vasculaires associés à la dépression chez les personnes souffrant de diabète peuvent accroître le risque de « démence ». En outre, tant la dépression que le diabète sont associés à des changements biologiques tels qu’un accroissement des facteurs pro-inflammatoires, une sensibilité à l’insuline diminuée et des anomalies de l’homéostasie du système nerveux autonome, lesquels peuvent aussi augmenter le risque de « démence ».

Les effets de la dépression sur le risque de « démence » chez les personnes diabétiques

Dans ce contexte, Katon et al. (2011) ont examiné dans quelle mesure la présence d’une dépression chez les personnes présentant un diabète de type 2 augmentait le risque de « démence ». Cette recherche, menée dans le cadre de la « Diabetes and Aging Study », a porté sur 19’239 personnes souffrant de diabète et âgées entre 30 et 75 ans.

La présence de dépression a été identifiée sur base d’un score de 10 ou plus au « Patient Health Questionnaire 8 » (PHQ-8) et soit d’un diagnostic de dépression (à partir des critères de la Classification Internationale des Maladies, CIM-9) fourni par un médecin dans les 12 mois précédant l’évaluation de ligne de base, soit d’une prescription d’antidépresseurs. La présence d’une « démence » a été identifiée durant une période de 5 ans après l’évaluation initiale (ligne de base) sur base des critères de la CIM-9 (démence sénile simple, démence vasculaire et démence non spécifiée). Ont été exclues les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » avant la ligne de base.

Plusieurs facteurs pouvant avoir un effet confondant ont été contrôlés : les caractéristiques sociodémographiques (âge, genre, scolarité et appartenance ethnique), durée du diabète, taille, poids, indice de masse corporelle, comportements à risque pour la santé (incluant le tabagisme et l’activité physique), nombre de visites médicales durant le suivi de 5 ans et présence durant l’année précédente de complications du diabète (accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, hypertension, neuropathie, néphropathie, rétinopathie, maladie cérébro-vasculaire, maladie vasculaire périphérique), ainsi que la glycémie et un score de comorbidité (durant l’année précédente).

Afin d’exclure la possibilité que la dépression soit en fait un signe avant-coureur (un prodrome) de la « démence », les analyses ont été effectuées uniquement chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » durant les années 3 à 5 du suivi de 5 ans après la ligne de base.

Les résultats montrent que la coexistence d’un diabète et d’une dépression conduit à un risque environ deux fois plus important  de « démence » que l’existence d’un diabète isolé. Diverses analyses de sensibilité (menées sur les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » uniquement dans les années 4 et 5 du suivi, utilisant les résultats à une question interrogeant les personnes quand à l’existence antérieure d’un diagnostic de dépression ou portant uniquement sur le score de 10 et plus au PHQ-8) ont mis en évidence un risque encore plus élevé de « démence » associée à la dépression. Les résultats de ces analyses suggèrent, entre autres, que l’association observée entre dépression et risque de « démence » n’est pas liée à une dépression qui constituerait le prodrome de la « démence ».

De plus, l’association entre coexistence de diabète et de dépression et risque accru de « démence » se maintient après avoir contrôlé l’influence des différents facteurs possiblement confondants, ce qui indique que les facteurs spécifiquement associés à la dépression constituent des facteurs de risque de « démence » importants chez les personnes souffrant de diabète.

Plusieurs facteurs biologiques peuvent être impliqués dans ce lien entre dépression et « démence » chez les personnes souffrant de diabète. En particulier, la dépression a été associée à une dérégulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou axe de l’hormone du stress), avec une production accrue de cortisol et ses effets délétères sur certaines régions cérébrales. Des taux élevés de cortisol prédisent aussi, indépendamment, plusieurs composantes du syndrome métabolique (tels que l’obésité abdominale, l’hypertriglycéridémie, la diminution des lipoprotéines de haute densité), lesquelles sont considérées comme des facteurs de risque de « démence » vasculaire et de « maladie d’Alzheimer ».

La dépression a également été mise en relation avec une augmentation de facteurs pro-inflammatoires, incluant des niveaux accrus de cytokines (facteur de nécrose tumorale–α, TNF α ; interleukine 6, IL-6) ainsi qu’une aggrégation plaquettaire augmentée. La dérégulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et l’accroissement de facteurs pro-inflammatoires ont été associés à une résistance à l’insuline accrue, laquelle a aussi été identifiée comme un facteur de risque de « démence ».

Il a également été montré que les personnes avec diabète et dépression présentaient une probabilité deux fois plus importante d’avoir des facteurs de risque cardiovasculaires que les personnes ayant un diabète isolé. Or, un nombre plus important de facteurs de risque cardiovasculaires a été relié à un risque augmenté de « démence » vasculaire et de « maladie d’Alzheimer ». De façon plus générale, tant la dépression que le diabète sont associés à un risque plus élevé de problèmes cardiovasculaires et cérébrovasculaires, lesquels peuvent accroître le risque de « démence » de manière additive.

Il faut enfin relever deux autres résultats intéressants obtenus par Katon et al. (2011). D’une part, la dépression est associée à un risque plus grand de « démence » chez les personnes diabétiques âgées de moins de 65 ans par rapport à celles âgées de plus de 65 ans. On sait par ailleurs que les épisodes dépressifs se manifestent souvent tôt dans la vie et que la dépression accroît le risque de développer un diabète de type 2. En outre, il a été observé que les personnes ayant un diabète avec dépression avaient débuté leur diabète 5 à 6 ans plus tôt que les personnes diabétiques sans histoire de dépression. Ces différentes données montrent que si l’on souhaite réduire l’incidence de la « démence » en agissant sur le diabète et la dépression, il importe de mettre en place des interventions précoces.

D’autre part, les auteurs ont montré que la dépression est associée à un risque plus élevé de « démence » chez les personnes diabétiques qui ne sont pas traitées par insuline que chez celles qui le sont. Ce résultat doit être mis en perspective avec ceux montrant que tant la dépression que le diabète sont associés à une diminution de la sensibilité à l’insuline, et aussi avec les données suggérant que l’insuline protégerait les synapses de l’effet négatif de la substance béta-amyloïde.

En dépit de quelques limites (telles que l’absence de groupe de personnes sans diabète, une population issue de la seule zone géographique de Californie du Nord, un suivi assez court de 5 ans), l’étude de Katon et al. (2011) est importante à plus d’un titre.

Tout d’abord, elle illustre à merveille l’extrême complexité des facteurs potentiellement impliqués dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique. Dans une chronique précédente susmentionnée (« Diabète de type 2 et troubles cognitifs chez les personnes âgées : des relations complexes… »), nous avions déjà mis en évidence la complexité des relations entre diabète de type 2 et déficits cognitifs, en montrant notamment la contribution médiatrice de la pression artérielle systolique, de l’évaluation subjective de la santé et de la capacité de marche et d’équilibre, différents facteurs vraisemblablement en lien avec des mécanismes multiples (mécanismes vasculaires, stress, motivation, intégration de processus sensoriels et cognitifs, stratégies de régulation émotionnelle, etc.).

De plus, les résultats obtenus par Katon et al. indiquent en quoi il est essentiel de prévenir, détecter et traiter précocement le diabète, ainsi que la dépression qui peut y conduire ou y être associée, dans le but de différer l’installation d’une « démence ». Dans une étude prospective menée auprès de 1’433 personnes âgées de plus de 65 ans (voir notre chronique « Des programmes de prévention visant à réduire l’incidence d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique : quelles cibles ? »), Ritchie et al. (2010) ont notamment montré que si l’on parvenait à éliminer la dépression et le diabète et si l’on augmentait la consommation de fruits/légumes, cela amènerait  à une réduction globale de 20.7% de « démence » (l’élimination de la dépression amenant à elle seule à une réduction de 10.3%).

Comme l’ont indiqué Ruiz et Egli (2010 ; voir notre chronique « Repérer et traiter le diabète de type 2 pour différer la démence : l’importance d’une approche globale »), les interventions à mener dans le domaine du diabète, dans ses liens avec la dépression, doivent impérativement prendre en compte les facteurs sociaux, et en particulier être adaptées aux personnes issues de milieux socioculturels défavorisés. Plus globalement, les interventions devraient s’inscrire dans une approche holistique et individualisée prenant en compte des facteurs physiopathologiques, psychologiques, socioculturels, politiques et environnementaux et faisant intervenir différents partenaires, autres que les médecins, et notamment des sociologues, des anthropologues, des médiateurs culturels, des assistants sociaux, et des psychologues. Selon Ruiz et Egli, il importe, en outre, « de développer des programmes de prévention transversaux incluant activement tous les secteurs de la société : social, économique, industrie agro-alimentaire, transports, éducation, aménagement du territoire, culture, santé, etc.». Il s’agit aussi de ne pas perdre de vue les repères culturels et identitaires des différentes communautés.

Il faut enfin rappeler la nécessité de mettre en place, pour la dépression, des interventions non pharmacologiques (psychologiques et sociales) et individualisées (voir nos chroniques « L’efficacité des antidépresseurs : un autre mythe à démonter ! » et « La complexité des relations entre dépression et démence »).


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Ali, S., Stone, M.A., Peters, J.L., Davies, M.J., & Khunti, K. (2006). The prevalence of co-morbid depression in adults with type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis. Diabetic Medicine, 23, 1165-1173.

Barnes, D.E., & Yaffe, K. (2011). The projected effect of risk factor reduction on Alzheimer’s disease prevalence. Lancet Neurology, 10, 819-828.

Katon, W., Lyles, C.R., Parker, M.M., Karter, A.J., Huang E.S., & Whitmer, R.A. (2011). Association of depression with increased risk of dementia in patients with 2 diabetes. The Diabetes and Aging Study. Archives of General Psychiatry, à paraître.

Knol, M.J., Beekman, A.T., Heine, R.J., Snoek, F.J., & Pouwer, F. (2006). Depression as a risk factor for the onset of type 2 diabetes mellitus: a meta-analysis. Diabetologia, 49, 837-845.

Mezuk, B., Eaton, W.W., Albrecht, S., Golden, S.H. (2008). Depression and type 2 diabetes over the lifespan: a meta-analysis. Diabetes Care, 31, 2383-2390.

Ritchie, K., Carrière, I., Ritchie, C.W., Berr, C., Artero, S., & Ancelin, M.-L. (2010). Designing prevention programmes to reduce incidence of dementia: prospective cohort study of modifiable risk factors. British Medical Journal, doi:10.1136/bmj.c3885.

 Ruiz, J., & Egli, M. (2010). Syndrome métabolique, diabète sucré et vulnérabilité: une approche «syndémique»de la maladie chronique. Revue Médicale Suisse, 271, 2205-2208.

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30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 11:51

Plusieurs études ont montré que le statut socio-économique des personnes âgées (évalué par un score combinant plusieurs dimensions ; Lee et al., 2010) et la vulnérabilité sociale (définie par un indice fondé sur de nombreuses variables sociales ; Andrews & Lockwood, 2010 ) étaient associés à un fonctionnement cognitif faible ou à un déclin cognitif (voir notre chronique « Optimiser le vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi s’engager pour réduire les inégalités sociales »). Plus récemment, Scazufca et al. (2011) ont confirmé, auprès d’une population de personnes âgées de Sao Paulo, que la présence d’éléments socio-économiques défavorables durant l’enfance était associée à la « démence » et que cette association était cumulative, le risque de « démence » augmentant régulièrement avec l’accumulation d’éléments défavorables. Les auteurs ont également relevé que cette relation était médiatisée par des éléments socio-économiques défavorables à l’âge adulte. Ce résultat a été interprété en termes de limitation de la réserve cognitive, les facteurs socio-économiques défavorables durant l’enfance ayant conduit à des métiers non qualifiés, peu rétribués, un faible revenu et, vraisemblablement, à peu d’accès à des activités de loisirs (voir notre chronique « Des facteurs socio-économiques défavorables, tout au long de la vie, sont associés à un risque accru de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

 

L’évolution du statut socio-économique tout au long de la vie et le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique

Al Hazzouri et al. (2011) ont quant à eux exploré l’association entre les changements dans le statut socio-économique durant la vie et le risque de « démence » et de « trouble cognitif sans démence » auprès d’une cohorte de personnes âgées mexico-américaines, recrutées dans le cadre de la « Sacramento Area Latino Study on Aging ». Les participants (n=1’789), Mexicains d’origine et résidant dans la vallée de Sacramento en Californie, étaient âgés de 60 à 101 ans lors de l’établissement de la ligne de base (en 1998-1999). Les données cliniques ont été obtenues via des visites à domicile se déroulant tous les 12 à 15 mois, pour un total de 7 visites. Les personnes ont rapporté leur état de santé, ainsi que les facteurs de risque sociodémographiques et en lien avec le style de vie. Les personnes présentant une « démence » (n=155) durant la ligne de base ont été exclues des analyses, les personnes restantes (n=1’634) ayant été suivies en moyenne pendant 6.3 ans (ET = 3.1). Le diagnostic de « démence » et de « trouble cognitif sans démence » a été établi sur base des critères classiques et en adoptant une procédure en plusieurs étapes (y compris une batterie de tests neuropsychologiques). Les analyses ont été conduites en regroupant les personnes avec « démence » et avec « troubles cognitifs sans démence ».

Les mesures du statut socio-économique durant la vie ont été prises à trois étapes de la vie. Les mesures relatives au statut socio-économique durant l’enfance concernaient le niveau scolaire et la profession des parents, la privation de nourriture durant la croissance et la mortalité dans la fratrie. Le niveau scolaire atteint et la profession occupée ont été considérés comme des mesures du statut socio-économique durant, respectivement, le début de l’âge adulte et le milieu de la vie. Sur base de ces informations, une mesure à 4 niveaux de la trajectoire du statut socio-économique a été créée : 1. un statut socio-économique bas aux trois étapes de la vie (enfance, début de l’âge adulte et milieu de la vie) ; 2. une trajectoire descendante (statut socio-économique haut durant l’enfance, bas durant le début de l’âge adulte et bas durant le milieu de la vie ; bas durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte et bas durant le milieu de la vie ; haut durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte, bas durant le milieu de la vie) ; 3. une trajectoire montante (statut socio-économique bas durant l’enfance, bas durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie ; haut durant l’enfance, bas durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie), avec en outre la présence d’un niveau scolaire faible (moins que l’école élémentaire) ; 4. un statut socio-économique élevé à toutes les étapes de la vie (statut socio-économique haut durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie) ou une trajectoire montante (bas durant l’enfance, haut durant le début de l’âge adulte et haut durant le milieu de la vie), avec en outre un niveau scolaire élevé (école élémentaire ou au-delà). Les participants ayant une trajectoire montante ont été scindés en bas et hauts niveaux scolaires, compte tenu de l’importance de la scolarité dans la prédiction de la « démence » et du « trouble cognitif sans démence ». De plus, les participants ayant une trajectoire montante et un niveau scolaire élevé ont été mélangés avec ceux ayant un statut socio-économique élevé à toutes les étapes de la vie, dans la mesure où ils avaient le même risque de «démence / trouble cognitif sans démence ».

Par ailleurs, un score cumulatif (de 0 à 8) d’éléments socio-économiques défavorables a aussi été construit à partir des mesures du statut socio-économique durant l’enfance, le début de l’âge adulte et le milieu de la vie. Enfin, l’influence d’une série de facteurs a été contrôlée : le lieu de naissance (USA ou Mexique), le revenu lors du mois précédent, la glycémie à jeun, la pression artérielle, la présence de diabète, l’hypertension, l’existence d’un accident vasculaire cérébral, l’indice de masse corporelle, la circonférence de la taille, le tabagisme et la consommation d’alcool.

Les résultats montrent que les personnes qui maintiennent un niveau socio-économique élevé tout au long de leur vie ou qui ont des trajectoires montantes, avec en outre un niveau scolaire élevé, ont 51% moins de risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » que les personnes qui maintiennent un niveau socio-économique bas tout au long de la vie. De plus, les participants avec des trajectoires montantes, mais un niveau scolaire faible, ainsi que les personnes avec des trajectoires descendantes ont un risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » similaire à celui des personnes qui maintiennent un statut socio-économique bas tout au long de la vie. Enfin, un nombre plus élevé d’éléments socio-économiques défavorables est associé à un risque accru de « démence/troubles cognitifs sans démence » : plus spécifiquement, les personnes montrent un risque accru de 16% pour chaque augmentation d’une unité dans le score cumulatif d’éléments socio-économiques défavorables.

Ces résultats indiquent donc que le statut socio-économique durant l’enfance n’est pas le seul déterminant du vieillissement cognitif : en effet, un statut socio-économique bas durant l’enfance peut être compensé par la présence d’une trajectoire montante chez les personnes avec un niveau élevé de scolarité. Par ailleurs, les effets protecteurs d’une enfance ou d’un début de vie plus avantageux au plan socio-économique peuvent être dilués par une trajectoire descendante durant les phases ultérieures de la vie, comme l’indique le fait que le risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » est similaire chez les personnes ayant ce profil par rapport aux personnes ayant un statut socio-économique bas tout au long de la vie.

Il apparaît en outre que le niveau de scolarité joue un rôle important dans le lien entre trajectoire socio-économique et  risque de « démence/troubles cognitifs sans démence ». En effet, alors que les personnes avec une trajectoire socio-économique montante et un haut niveau de scolarité ont un risque similaire à celles qui maintiennent un statut socio-économique élevé tout au long de la vie, les participants avec une trajectoire montante et un bas niveau de scolarité ne diffèrent pas de celles qui maintiennent un statut socio-économique bas tout au long de la vie. Il faut en outre relever que, parmi les personnes qui montrent une trajectoire socio-économique descendante, celles qui ont un niveau élevé de scolarité ont un risque plus faible de  « démence/troubles cognitifs sans démence » que celles ayant un niveau bas de scolarité. Enfin, le contrôle de facteurs de risque possiblement confondants (en particulier le diabète et la survenue d’un accident vasculaire cérébral) atténue un peu, mais n’élimine pas, la différence de risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » entre les personnes qui maintiennent un niveau socio-économique élevé tout au long de leur vie ou qui ont une trajectoire montante (avec un niveau élevé de scolarité) et celles qui maintiennent un niveau socio-économique bas tout au long de la vie. De même, la prise en compte de la consommation d’alcool atténue également, mais n’élimine pas cette association. En fait, les données indiquent un effet protecteur de la consommation d’alcool : le risque de « démence/troubles cognitifs sans démence » est plus faible chez les personnes qui consomment de l’alcool que chez ceux qui n’en consomment pas et les participants ayant une trajectoire élevée de statut socio-économique ont une probabilité deux fois plus importante d’avoir consommé de l’alcool que les personnes ayant une trajectoire basse.

Cette recherche comporte certaines limites (reconnues par les auteurs), notamment l’utilisation de mesures auto-rapportées du statut socio-économique durant l’enfance (bien que plusieurs mesures de ce statut aient été incluses) et aussi le fait que le statut socio-économique pourrait être un marqueur d’autres facteurs non mesurés (la malnutrition chronique ou l’exposition à des facteurs de risque environnementaux). Néanmoins, cette étude est importante car elle suggère fortement en quoi le vieillissement cérébral/cognitif est façonné par le statut socio-économique présent tout au long de la vie.

 

Vivre dans un contexte de problèmes financiers affecte le volume de l’hippocampe et de l’amygdale dans la période du milieu de la vie

Peu d’études ont examiné chez l’être humain dans quelle mesure le fait de vivre dans un environnement socio-économique défavorable pouvait avoir une influence négative sur le développement du cerveau. C’est ce sur quoi se sont penchés Butterworth, Cherbuin, Sachdev et Anstey (2011). Les données analysées sont issues de la « Personality and Total Health (PATH) through Life Study », une recherché longitudinale menée dans la communauté et évaluant la santé et le bien-être de trois cohortes, nées en 1975-79, 1956-60 et 1937-41. Il est prévu de suivre chaque cohorte tous les 4 ans pendant 20 ans.

L’analyse entreprise pas Butterworth et al. a porté sur la cohorte d’âge moyen vue durant la seconde vague d’entretiens (réalisée en 2004), alors que les personnes étaient âgées de 44-48 ans. Cependant, des informations rétrospectives sur le vécu durant l’enfance, obtenues durant la première vague d’entretiens, ont également été utilisées. Il a été proposé à un sous-ensemble de 656 personnes (aléatoirement sélectionnées) d’être soumis à un examen d’imagerie cérébrale en IRM et finalement, cet examen a été administré à 431 personnes. Aucune différence significative n’a été observée entre celles qui ont et celles qui n’ont pas été soumises à cet examen concernant l’âge, le genre et le niveau scolaire.

Parmi les nombreuses dimensions de la santé et du bien-être évaluées dans la recherche longitudinale, une seule a été prise en compte dans le travail de Butterworth et al., à savoir la présence de problèmes financiers. Ces problèmes ont été abordés via 4 items dichotomiques (oui-non) : « Durant l’année qui vient de s’écouler, avez-vous vécu les événements suivants du fait d’un manque d’argent : mettre en gage ou vendre quelque chose ; rester sans manger ; être incapable de chauffer sa maison ; demander de l’aide à une structure d’aide sociale ou communautaire ? ». Il a également été demandé aux participants s’ils avaient dû vivre sans certaines choses dont ils avaient réellement besoin du fait d’un manque d’argent, durant les 12 derniers mois. Une mesure globale (1 ou 0) a été construite : 1 quand la personne a répondu oui à 1 ou plus des 5 items et 0 quand aucun problème n’a été mentionné. En outre, une mesure dichotomique (oui/non) de pauvreté durant l’enfance a aussi été établie sur base des réponses obtenues durant la première vague d’entretien à la question « Avez-vous grandi dans la pauvreté ? ».

D’autres mesures du statut socio-économique actuel ont aussi été obtenues (durant la 2ème vague d’entretiens) concernant le statut professionnel et le niveau scolaire. Enfin, outre l’âge, le genre et le statut marital, une série de covariables (ayant été associées à une atrophie des structures temporales médiales) ont été incluses dans les analyses : consommation problématique d’alcool actuelle et antérieure, avoir été victime d’un événement traumatique ou d’une adversité durant l’enfance (négligences, abus émotionnel ou sexuel), diabète, hypertension, maladie cardiaque et accident vasculaire cérébral. Une évaluation auto-rapportée de la santé a également été obtenue, y compris une mesure des symptômes dépressifs. En outre, un score composite de performance cognitive a été construit à partir des mesures de mémoire épisodique, de mémoire de travail et de vitesse de traitement. Enfin, l’utilisation actuelle d’antidépresseurs a été évaluée.

Les résultats montrent tout d’abord que les difficultés financières sont associées à des niveaux plus élevés de symptômes dépressifs et à une performance cognitive plus faible. Les effets de la pauvreté durant l’enfance sont plus modestes et se limitent à une association avec la dépression. Par ailleurs, il apparaît que les adultes d’âge moyen qui rapportent des difficultés financières actuelles ont des volumes hippocampiques et amygdaliens (gauche et droit) plus petits que ceux qui ne rapportent pas de problèmes financiers. Ce résultat est observé dans l’analyse sur le groupe entier et également dans une analyse menée en utilisant un groupe de contrôle qui est mieux apparié au groupe de personnes décrivant des problèmes financiers.

Cette étude présente certaines limites, admises par les auteurs : il s’agit d’une étude transversale ne permettant pas d’exclure une causalité inverse, à savoir le fait que ce serait l’atrophie temporale qui aurait conduit aux problèmes financiers ; en outre, ce travail ne permet pas non plus de distinguer ce qui revient à la pauvreté à court terme versus à la pauvreté persistante (présente tout au long de la vie) ; il faut enfin relever que la mesure de la pauvreté durant l’enfance manque clairement de précision.

Cette étude suggère néanmoins que la pauvreté a un impact significatif sur le cerveau, en plus d’effets observables sur le fonctionnement cognitif. Les auteurs indiquent en quoi ces résultats sont compatibles avec la conception selon laquelle la pauvreté constitue un facteur puissant de stress et conduit à une réduction des volumes hippocampiques et amygdaliens, via l’influence de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (ou axe de l’hormone du stress) et l’exposition aux glucocorticoïdes. Le fait que la pauvreté est uniquement associée au volume des structures temporales internes, et non au volume intracrânien, permet de considérer que l’effet neurobiologique observé est bien lié à la pauvreté et pas à des différences développementales plus précoces et généralisées

Cette recherche en appelle à des travaux ultérieurs de nature longitudinale et visant à contraster la pauvreté à court terme et la pauvreté persistante. Il s’agirait également d’examiner si ces modifications cérébrales peuvent être compensées par la présence d’un environnement social positif, ce qui permettrait de déterminer dans quelle mesure les interventions sociales visant à réduire la pauvreté (et son impact au plan cérébral et cognitif) peuvent être des interventions tertiaires ou si elles doivent être par nature préventives.     

De façon plus générale, les deux recherches que nous avons décrites indiquent à nouveau en quoi l’optimisation du vieillissement cérébral/cognitif passe par une lutte contre les inégalités sociales et un engagement pour un autre type de société !


facteurs-sociaux.jpg 

Al Hazzouri, A.Z., Haan, M.N., Kalbfleisch, J.D., Galea, S., Lisabeth, L.D., & Aiello, A.E.(2011). Life-course socioeconomic position and incidence of dementia and cognitive impairment without dementia in older Mexican Americans: Results from the Sacramento Area Latino Study on Aging. American Journal of Epidemiology, 173, 1148-1158. 

Andrew, M.K. & Rockwood, K. (2010). Social vulnerability predicts cognitive decline in a prospective cohort of older Canadians. Alzheimer’s & Dementia, 6, 319-325.

Butterworth, P., Cherbuin, N., Sachdev, P., & Anstey, K.J. (2011). The association between financial hardship and amygdale and hippocampal volumes: results from the PATH through life project. Social Cognitive and Affective Neuroscience, à paraître (doi:10.1093/scan/nsr027).

Lee, Y., Back, J.H., Kim, J., & Byeon, H. (2010). Multiple socioeconomic risks and cognitive impairment in older adults. Dementia and Geriatric Cognitive Disorders, 29, 523-529.

Scazufca, M., Menezes, P.R., Araya, R., Di Rienzo, V.D., Almeida, O.P., Gunnel, D., & Lawlor, D.A. (2008). Risk factors across the life course and dementia in a Brazilian population : results from the Sao Paulo Ageing & Health Study (SPAH). International Journal of Epidemiology, 37, 879-890. 

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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 05:11

L’âge constitue le facteur de risque le plus puissant de développer un vieillissement cérébral/cognitif problématique, l’accroissement de l’espérance de vie augmentant en effet le risque de présenter une « démence ». Par ailleurs, outre l’âge, de très nombreux autres facteurs de risque (dont certains pouvant intervenir tout au long de la vie et d’autres étant plus spécifiquement associés à l’âge) ont été mis en évidence, tels que une vie sédentaire, une vie socialement et cognitivement pauvre, l’exposition à des pesticides, être le conjoint d’une personne « démente », le tabagisme, des épisodes dépressifs antérieurs, un faible niveau scolaire, une enfance défavorisée, des facteurs socio-économiques défavorables (une vulnérabilité sociale), des aptitudes motivationnelles faibles durant le milieu de la vie, l’absence de buts dans la vie, les troubles respiratoires durant le sommeil, des expériences traumatisantes, une vulnérabilité au stress, la consommation de benzodiazépines, une alimentation inadéquate, avoir subi une opération chirurgicale, avoir présenté un état confusionnel (suite à une hospitalisation pour une facture de hanche), le diabète, une maladie cardiaque, l’hypertension, un accident vasculaire cérébral (les études ayant rapportés l’existence de ces différents facteurs de risque ont été décrites dans des chroniques antérieures de notre blog)..    

Outre ces divers facteurs de risque, plusieurs études récentes, parues dans la revue Neurology, ont mis en évidence de nouveaux facteurs de risque, en lien avec l’état de santé général.

Auto-évaluation de la santé et risque de « démence » 

Montlahuc et al. (2011) ont demandé à 8’169 participants (issus de la « Three Cities/3C Study »), vivant dans la communauté et âgés de 65 ans et plus, d’évaluer leur santé durant la ligne de base effectuée entre 1999 et 2001. Les participants devaient répondre à la question suivante : « Considérez-vous que votre santé est actuellement très mauvaise, mauvaise, passable (moyenne), bonne ou excellente ». Pour les analyses, une échelle en trois points (bonne, passable et mauvaise) a été utilisée, en regroupant les niveaux « bonne et excellente », ainsi que les niveaux « mauvaise et très mauvaise ». Les personnes ont par ailleurs été suivies (tous les deux ans) durant une période de 8 années, avec, en particulier, une évaluation visant à identifier l’apparition d’une « démence » (selon les critères classiques).

Durant le suivi, 618 participants ont développé une « démence ». De plus, le risque de « démence » (à la fois « maladie d’Alzheimer » et « démence vasculaire ») était significativement accru chez les personnes ayant évalué leur santé comme « mauvaise » ou « passable », et ce après avoir contrôlé l’influence possible de l’âge, du genre, du niveau scolaire, et la présence de maladies vasculaires et d’autres maladies chroniques (non vasculaires). En outre, plus l’auto-évaluation de la santé était basse et plus le risque de « démence » était élevé. Enfin, l’association entre l’auto-évaluation de la santé et la « démence » était présente tant chez les personnes déprimées que non déprimées. Elle était par ailleurs plus forte chez les personnes sans plainte cognitive et sans incapacité fonctionnelle. Les auteurs interprètent ce dernier point en suggérant que les personnes avec troubles cognitifs ou incapacités fonctionnelles auraient une perception inadéquate de leur état de santé (l'auto-évaluation de sa santé étant un processus complexe impliquant de nombreux processus psychologiques). Une autre interprétation serait liée au fait que l’auto-évaluation de l’état de santé est très corrélée aux plaintes cognitives et au statut fonctionnel : dans ce contexte, quant des plaintes cognitives ou des incapacités fonctionnelles sont présentes, l’état de santé n’aurait aucune valeur prédictive supplémentaire pour la survenue d’une « démence ».

Selon Montlahuc et al., cette association entre l’auto-évaluation de la santé et l’apparition d’une « démence » pourrait être comprise en considérant que l’auto-évaluation de la santé apporte une mesure très inclusive de la santé, reflétant des aspects de la santé qui ne sont pas couverts par d’autres indicateurs de santé. Une autre explication possible serait que la perception d’une mauvaise santé serait associée à divers comportements préjudiciables au fonctionnement cognitif, comme, par exemple, limiter son réseau social et ses activités.

En dépit de ses nombreux points forts (en particulier un important groupe de participants et un suivi fréquent), cette étude comporte quelques limites (reconnues par les auteurs), notamment que les participants étaient des volontaires ayant un bon fonctionnement et qu’ils n’étaient donc pas représentatifs de la population générale. De plus, les personnes qui n’ont pas participé au suivi avaient globalement évalué leur santé comme étant plus mauvaise, ce biais pouvant avoir contribué à sous-estimer l’association entre auto-évaluation de la santé et « démence ». Enfin, cette étude étant observationnelle, la contribution de facteurs confondants non mesurés ne peut pas être exclue.

Fragilité et risque de « démence »

Dans le cadre d’une vaste étude en population générale (« Canadian Study of Health and Aging »),  Song, Mitnitski et Rockwood (2011) ont examiné dans quelle mesure le risque de « démence » pouvait être estimé à partir de problèmes de santé qui n’étaient pas traditionnellement considérés comme des prédicteurs de « démence ».

Pour ce faire, ils ont établi auprès de 7’239 personnes, sans problèmes cognitifs et vivant dans la communauté, un indice de fragilité (un score cumulatif) à partir de 19 problèmes de santé dont il n’avait pas été montré qu’ils pouvaient prédire la « démence », comme, par exemple, des problèmes de vision et d’audition, l’ajustement de la prothèse dentaire, l’auto-évaluation de la santé, des problèmes pulmonaires, des problèmes de peau, une perte de contrôle des intestins, le nez bouché ou des éternuements, l’arthrite ou des rhumatismes, etc. Le risque de « démence », et plus spécifiquement de « maladie d’Alzheimer », a été estimé 5 ans et 10 ans après l’établissement de la ligne de base (selon les critères habituels).

Les résultats montrent que l’indice de fragilité est fortement corrélé à l’âge. Par ailleurs, l’incidence de la « démence (et de la « maladie d’Alzheimer ») s’accroît de façon exponentielle avec le score de fragilité et ce après 5 et 10 ans. Après voir contrôlé l’influence possible de l’âge, du niveau scolaire et du fonctionnement cognitif évalué durant la ligne de base, il apparaît que le risque de démence augmente de 3.2% pour chaque problème accumulé. De plus, cette association subsiste quand des facteurs de risque habituellement associés à la « démence » (hypertension artérielle, diabète, histoire d’accident vasculaire cérébral, maladie cardiaque) sont pris en compte.

Niveau d’hémoglobine et risque de « démence »

Dans une étude menée dans le cadre du « Rush Memory and Aging Project », Shah et al. (2011) ont effectué auprès de 881 personnes vivant dans la communauté, âgées en moyenne de 80.6 ans et sans « démence », une mesure du niveau d’hémoglobine, ainsi qu’une évaluation cognitive et clinique annuelle dans le but d’identifier une « maladie d’Alzheimer ».

Durant un suivi moyen de 3.3 années, 113 personnes ont développé une « maladie d’Alzheimer ». Les résultats montrent une association en U entre le niveau d’hémoglobine et le risque de « démence » : les personnes âgées avec les niveaux les plus élevés et celles avec les niveaux les plus bas d’hémoglobine présentaient un risque accru de développer une « maladie d’Alzheimer ». Ainsi, comparés aux personnes ayant un niveau normal d’hémoglobine lors de la ligne de base, les participants avec une anémie (un taux bas d’hémoglobine) avaient un risque accru de 60% de manifester une « maladie d’Alzheimer ». Les personnes avec un niveau élevé d’hémoglobine montraient également un risque augmenté. Les associations observées se maintenaient après avoir pris en compte une série de covariables démographiques, en lien avec le style de vie (activités physiques et activités cognitivement stimulantes) et la présence de comorbidités.

Les auteurs indiquent que le lien entre les niveaux (bas et élevés) d’hémoglobine et le déclin cognitif n’est pas encore compris, mais que cette relation pourrait renvoyer à la fragilité physique des personnes.  

Réponse inflammatoire systémique et « démence »

Dans une étude prospective menée en Angleterre sur une cohorte clinique, Holmes et al. (2011) ont examiné si une inflammation systémique impliquant la production de protéine C-réactive (CRP) et de cytokines pro-inflammatoires (facteur de nécrose tumorale – α, TNF α ; interleukine 6, IL-6) était associée à une fréquence accrue de symptômes neuropsychiatriques (anxiété, dépression/dysphorie, apathie) chez 300 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » légère à sévère, et ce durant un suivi à 2, 4 et 6 mois.

Il faut relever que Holmes et al. (2009) avaient précédemment montré que l’inflammation systémique, associée à la production de cytokines pro-inflammatoires, était liée à une augmentation marquée du déclin cognitif, durant une période de suivi de 6 mois, chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » légère à sévère. Par ailleurs, ce déclin accru était indépendant de la détérioration cognitive aiguë associée à l’état confusionnel  pouvant être observé dans le contexte d’une inflammation systémique.

Les résultats de l’étude de Holmes et al. (2011) montrent que la présence d’une inflammation systémique (augmentation de TNF α  et IL-6, mais pas de CRP) est associée à une fréquence deux fois plus importante de symptômes neuropsychiatriques durant le suivi de 6 mois, et que cette augmentation est également indépendante du développement d’un état confusionnel.

Conclusions

Comme l’indiquent Dartigues et Féart (2011), dans un éditorial consacré à trois de ces études (Holmes et al., Shah et al., Song et al.), ces recherches ont été globalement bien menées, mais il subsiste cependant un certain nombre d’incertitudes concernant leurs résultats. Plus spécifiquement, ces recherches observationnelles n’avaient pas été originellement conçues afin d’analyser la contribution de ces facteurs de risque à la survenue de la « maladie d’Alzheimer ». En conséquence, la significativité statistique des analyses doit être envisagée avec prudence au vu de la multiplicité des facteurs testés et du caractère exploratoire du design de ces études. Ces données doivent donc être répliquées sur d’autres cohortes, puis dans des méta-analyses appropriées. En outre, les auteurs proposent des hypothèses spécifiques pour expliquer leurs données, en lien direct, par exemple, avec le stress, des mécanismes vasculaires ou l’activation microgliale. Ils indiquent néanmoins que les facteurs étudiés dans leurs études pourraient constituer une conséquence non spécifique du phénomène de vieillissement. Dans ce contexte, il faut relever que certains facteurs confondants, non ou mal mesurés, pourraient interférer avec les résultats, comme, par exemple ,les comportements en lien avec la santé, les facteurs de nutrition, l’activité physique ou encore les activités de loisirs.

Selon Dartigues et Féart, l’ensemble de ces recherches montrent néanmoins que des problèmes généraux de santé (inflammation chronique ou aiguë, anémie, augmentation anormale du taux d'hémoglobine, fragilité) pourraient être impliqués dans la survenue, l’expression ou la progression d’une « démence ». Il faut relever que ces problèmes de santé augmentent avec l’âge et sont principalement les conséquences du vieillissement (et de l’échec dans l’adaptation) de systèmes corporels  pertinents.

Dans cette perspective, ces études suggèrent une nouvelle vision de l’intervention et de la prévention, différente de l’approche qui se focalise sur des mécanismes étiologiques spécifiques : il s’agirait d’améliorer la santé générale et, plus spécifiquement, d’accroître l’adaptation aux changements liés à l’âge. 

De façon plus globale, ces différentes données s’inscrivent bien dans une approche multifactorielle du vieillissement cérébral/cognitif problématique, ainsi que dans une conception qui  réintègre les manifestations de la prétendue « maladie d’Alzheimer », mais aussi d’autres « maladies neurodégénératives », dans le cadre plus général du vieillissement (voir notre chronique « La maladie d’Alzheimer : une maladie curable ou un processus de vieillissement naturel aggravé par des facteurs de risque ? »).

Nous reviendrons dans de futures chroniques sur les interactions entre les changements dans l’état de santé physique et les changements dans le fonctionnement cognitif chez les personnes âgées : il s’agit d’une question essentielle qui nécessite la mise en place d’une approche multidisciplinaire.


Fotolia_1128532_XS.jpg© Petr Nad - Fotolia.com

 

Dartigues, J.-F., & Féart, C. (2011). Risk factors for Alzheimer disease. Aging beyond age? Neurology. 77, 206-207.

Holmes, C., Cunningham, C., Zotova, E., Culliford, D., & Perry, V.H. (2011). Proinflammatory cytokines, sickness behavior, and Alzheimer disease. Neurology, 77, 212-218.

Montlahuc, C., Soumaré, A., Dufouil, C., Berr, C., Dartigues, J.-F., Poncet, M., Tzourio, C., & Alpérovitch, A. (2011). Self-rated health and risk of incident dementia. A community-based elderly cohort, the 3C Study. Neurology, 77, 1457-1464.

Shah, R.C., Buchman, A.S., Wilson, R.S., Leurgans, S.E., & Bennett, D.A. (2011). Hemoglobin level in older persons and incident Alzheimer disease. Prospective cohort analysis. Neurology, 77, 219-226.

Song, X., Mitnitski, A., & Rockwood, K. (2011). Nontraditional risk factors combine to predict Alzheimer disease and dementia. Neurology, 77, 227-234.

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3 septembre 2011 6 03 /09 /septembre /2011 20:49

 Dans une chronique antérieure (« La motivation durant le milieu de la vie influence l’apathie et la dépression chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »), nous avons décrit l’étude de Mortby, Maercker et Forstmeier (2011) montrant que des aptitudes motivationnelles élevées durant le milieu de la vie étaient associées à plus de symptômes d’apathie et à davantage de symptômes dépressifs chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Ces données montrent que des aptitudes motivationnelles préalablement élevées peuvent, parfois, conduire ultérieurement à des conséquences négatives. Ce serait notamment le cas des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique : chez ces personnes,  une motivation élevée durant le milieu de la vie susciterait le maintien ultérieur de buts difficilement atteignables (notamment du fait de problèmes cognitifs) et d’efforts motivationnels élevés, conduisant à la persistance de comportements non productifs et provoquant ainsi des manifestations accrues de dépression et d’apathie.

Néanmoins, même si des aptitudes motivationnelles élevées (un ensemble de capacités nécessaires à l’implémentation et la réalisation de buts personnels) durant le milieu de la vie peuvent avoir, dans certains cas, des effets contre-productifs, elles ont aussi différents effets bénéfiques et ont été positivement associées au bien-être physique et mental.

Cependant, aucune étude prospective n’a été entreprise afin d’explorer de façon directe la relation entre les aptitudes motivationnelles durant le milieu de la vie et le risque de développer un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence »). C’est ce à quoi se sont attelés Forstmeier et al. (2011). Plus spécifiquement, les auteurs ont examiné la relation entre les aptitudes motivationnelles en lien avec le métier et le risque de recevoir ultérieurement le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et de « trouble cognitif léger », et ce à partir des données de la « German Study on Ageing, Cognition and Dementia in Primary Care Patients (AgeCoDe) ».

Un total de 3’327 participants (50% d’un échantillon aléatoirement sélectionné), sans vieillissement cérébral problématique (« démence » ou « trouble cognitif léger ») et âgés entre 75 et 89 ans, ont été recrutés au sein de structures de soins primaires et ont ensuite été soumis à deux évaluations de suivi (après 1.5 et 3 ans).

Les aptitudes motivationnelles en lien avec le métier ont été évaluées (lors du deuxième suivi) à partir de la profession principale et au moyen du « Occupational Information Network, (O*NET) », le système officiel de classification des métiers utilisé par le Département du Travail des Etats-Unis. Il consiste en un lexique hiérarchiquement structuré d’environ 1’100 métiers et en un vaste ensemble de données concernant les caractéristiques de chaque métier (et de la personne qui l’occupe).

Il a tout d’abord été demandé aux participants (et aux proches quand c’était possible) d’indiquer le premier emploi qu’ils avaient occupé pendant au moins un an après la fin de la scolarité, l’emploi occupé le plus longtemps et le dernier emploi occupé dans leur vie professionnelle. Pour chaque emploi, la durée, l’intitulé du poste, les activités et les fonctions/responsabilités ont été recueillis. Seules les données relatives à l’emploi principal ont été utilisées dans les analyses.

Ensuite, les données relatives à l’emploi principal ont été codées selon les codes de O*NET. Les participantes qui ont été femmes au foyer durant la plus grande partie du temps ont été classées sur base du second emploi le plus longuement occupé. Les participantes qui ont été femmes au foyer durant toute leur vie ont été codées comme « personal and home care aides ».

A partir de cette catégorisation de l’emploi principal, deux variables motivationnelles, hautement corrélées avec les aptitudes motivationnelles auto-évaluées, mais pas avec une mesure d’intelligence cristallisée (verbale), ont été extraites ( pour la procédure utilisée et sa validation, voir Forstmeier & Maercker, 2008) : l’orientation des buts (développer des buts et plans spécifiques afin d’établir des priorités dans son travail, de l’organiser et de le réaliser) et la planification de l’action (déterminer le temps, le coût, les ressources et le matériel nécessaires pour accomplir les activités en lien avec son métier). Quatre variables cognitives ont également été extraites, hautement corrélées avec l’intelligence, mais pas avec les aptitudes motivationnelles auto-évaluées : l’attention sélective (la capacité de se concentrer sur une tâche pendant une certaine période, sans être distrait), la capacité d’identifier des problèmes (la capacité de dire que quelque chose est erroné ou le sera probablement), la capacité d’évaluer la performance (évaluer sa performance, celle des autres ou de l’institution afin d’aboutir à des améliorations) et la perception sociale (être conscient des réactions des autres et des raisons ayant conduit à ces réactions). Un score composite d’aptitudes motivationnelles et un score composite d’aptitudes cognitives ont ensuite été élaborés.

D’autres variables ont été prises en compte dans les analyses : le score au MMSE, un score de mémoire de travail, le niveau de scolarité, la fréquence de participation à des activités cognitives et physiques (évaluée durant le premier suivi), le réseau familial, les facteurs de risque vasculaires et les maladies vasculaires, la présence de dépression durant la vie et de symptômes dépressifs (évalués à l’entrée dans l’étude et lors des deux suivis) et la présence de l’allèle ε4 dans le gène ApoE.

Le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de « trouble cognitif léger » a été posé sur base des critères classiques, après un entretien structuré et un examen neuropsychologique réalisés par des médecins et psychologues.

Sur les trois ans de suivi, 313 (15.2%) participants ont développé un « trouble cognitif léger » et 71 (3%) une « maladie d’Alzheimer ». Par ailleurs, les analyses montrent que des aptitudes motivationnelles élevées (score composite) dérivées du métier principal sont associées à une réduction de 35% de développer un « trouble cognitif léger » et ce après avoir pris en compte l’influence des autres facteurs de risque et aussi des variables cognitives (score composite) dérivées du métier principal. Par ailleurs, il existe également une association entre les aptitudes motivationnelles en lien avec le métier et la survenue d’une « maladie d’Alzheimer », mais uniquement chez les porteurs de l’allèle ε4 dans le gène ApoE ; les auteurs indiquent néanmoins que cette dissociation entre porteurs et non-porteurs doit être considérée avec prudence, dans la mesure où le nombre de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » est réduit, rendant la puissance statistique de l’étude faible.

Cette étude est la première à avoir exploré et mis en évidence (sur un échantillon important et en contrôlant de nombreux autres facteurs de risque) la relation entre les aptitudes motivationnelles en lien avec le métier durant le milieu de la vie et le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique. Cette recherche n’est pas sans limites : outre le fait d’avoir utilisé des catégories diagnostiques contestables et contestées (« maladie d’Alzheimer » et « troubles cognitif léger ») plutôt que d’adopter une perspective en continuum, on peut également relever le fait que seulement 50% des participants ont accepté de participer (ce qui peut avoir conduit à un biais de sélection), le caractère indirect et rétrospectif de l’estimation des aptitudes motivationnelles, un suivi assez court et une sous-évaluation possible de la motivation des femmes, du fait de l’analyse menée sur le second métier chez les femmes ayant été longtemps femmes au foyer (encore que les résultats obtenus en retirant ces femmes de l’analyse sont restés similaires).

Des études ultérieures devraient donc être menées, notamment en utilisant d’autres mesures des aptitudes motivationnelles, afin de confirmer si ces aptitudes constituent bien un facteur de risque stable de vieillissement cérébral/cognitif problématique. Si cette relation entre motivation en lien avec le métier au milieu de la vie et vieillissement cognitif/cérébral était confirmée, il s’agirait aussi de s’interroger sur les mécanismes qui la sous-tendent: « réserve motivationnelle » renvoyant à la contribution des aptitudes motivationnelles tout au long de la vie à la réserve cérébrale ; influence des aptitudes motivationnelles sur les comportements en lien avec la santé, sur l’entraînement mental tout au long de la vie (et la réserve cognitive) et sur la dépression ; modulation de la réponse au stress ?

Plus généralement, ces données s’inscrivent bien dans la perspective selon laquelle la période du milieu de la vie est vraisemblablement une période critique pour le développement d’une réserve cognitive/cérébrale permettant de différer ou compenser l’apparition du déclin physique ou cognitif lié à la vieillesse. Comme l’indiquent Willis et al. (2010), il serait particulièrement important d’explorer les trajectoires qui conduisent à un fonctionnement biopsychosocial optimal durant cette période, impliquant une allocation équilibrée des ressources pour le développement de soi, pour le maintien des acquis et pour la régulation de pertes (voir notre chronique « La période du milieu de la vie : une période clé pour le vieillissement cérébral/cognitif »).


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Forstmeier, S., Maercker, A., Maier, W., van den Bussche, H., Riedel-Heller, S., Kaduszkiewicz, H., et al. (2011). Motivational reserve: Motivation-related occupational abilities and risk of mild cognitive impairment and Alzheimer disease. Psychology and Aging, sous presse.

Forstmeier, S., & Maercker, A. (2008). Motivational reserve: Lifetime motivational abilities influence cognitive and emotional health in old age. Psychology and Aging, 23, 886-899.

Mortby, M.E., Maercker, A., & Forstmeier, S. (2011). Midlife motivational abilities predict apathy and depression in Alzheimer disease: The Aging, Demographics, and Memory study. Journal of Geriatric Psychiatry and Neurology, 24, 3, 151-160.

Willis, S.L., Martin, M., & Rocke, C. (2010). Longitudinal perspectives on midlife development: stability and change. European Journal of Ageing, 7, 131-134.

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28 août 2011 7 28 /08 /août /2011 20:27

...sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées


Différentes études ont montré qu’un niveau plus élevé de scolarité était associé à un meilleur fonctionnement cognitif à l’âge adulte, mais aussi qu’un niveau plus bas de scolarité constituait un facteur de risque de « démence » (voir notre chronique « L’effet bénéfique du nombre d’années d’études sur le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Récemment, une analyse (de type table de survie multi-états) menée sur les données de la « US Health and Retirement Study, 1992-2004 » a mis en évidence que des niveaux plus élevés d’éducation non seulement prolongent la vie, en particulier la vie en bonne santé, mais aussi compriment la période de vie avec des troubles cognitifs, et ce en postposant la survenue d’une « démence » (Reuser, Willekens, & Bonneux, 2011). De plus, cet effet protecteur de l’éducation est encore plus fort dans les minorités ethniques. Ces données ont été interprétées à partir de l’hypothèse de la réserve cognitive/cérébrale, selon laquelle les personnes âgées plus scolarisées seraient davantage aptes à compenser la pathologie cérébrale.  

Niveau de scolarité et activités stimulantes durant l’âge adulte

Quelques études récentes attestent toutefois de la nécessité de prendre en compte l’influence du niveau de scolarité sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées conjointement avec l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles durant l’âge adulte (y compris la vieillesse). 

Ainsi, comme nous l’avons rapporté dans notre chronique « Un niveau plus élevé de scolarité ne suffit pas pour réduire le risque de "démence" : il doit s’associer à une activité cognitive enrichie plus tard dans la vie », Valenzuela et al. (2011) ont observé qu’un style de vie cognitif enrichi, au-delà du niveau de scolarité atteint en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte, est nécessaire pour aboutir à une prévention efficace du vieillissement cérébral/cognitif problématique.

Par ailleurs, Soubelet (2011) a récemment montré que le risque de déclin cognitif chez les personnes à niveau d’éducation moindre pouvait être réduit via l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles à l’âge adulte. L’auteure a administré à 164 adultes âgés de 18 à 96 ans un questionnaire concernant leur participation à des activités culturelles/intellectuelles, un questionnaire concernant leur participation à des activités physiques, ainsi que différents tests cognitifs.

En ce qui concerne les activités culturelles/intellectuelles, les participants ont été interrogés sur le nombre d’heures qu’ils consacraient, durant une semaine ou un mois typique, aux activités suivantes : théâtre, cinéma, musée, zoo, autres visites culturelles, événements populaires, étude ou pratique d’une religion, pratique de la méditation, pratique artistique (peinture, dessin, etc.), surf sur Internet, mots croisés, jeux de sudoku, lecture ou participation à des cours. Les heures par mois ont été converties en heures par semaine et la somme des heures passées dans les 14 activités a été calculée.

En ce qui concerne les tests cognitifs, quatre variables composites ont été établies en moyennant les scores z pour les variables représentant l’intelligence fluide, la vitesse de traitement, la mémoire de travail et la mémoire épisodique (variables identifiées sur base d’une analyse factorielle).

Enfin, pour ce qui est des activités physiques, les participants ont été interrogés sur le nombre d’heures qu’ils consacraient, durant une semaine ou un mois typique, aux activités suivantes : jouer au golf, faire de la randonnée, du patin à roulette, de la musculation, de la gymnastique, de la natation, de la course à pied, de la marche, de la bicyclette, du cheval, de la danse, des arts martiaux, des sports de plein air (surf, ski, etc.), du fitness, de la pêche, chasser et jouer à des sports de ballon (football, tennis, etc.).   

Les participants avaient un score moyen au MMSE de 27 et plus, avaient suivi une moyenne de 14.3 années d’études et rapportaient un score moyen de 7.4 à une échelle de santé allant de 0 (mauvaise) à 10 (excellente). Les résultats montrent tout d’abord, comme attendu, que des niveaux plus élevés de scolarité et d’engagement dans des activités intellectuelles/culturelles sont associés à des niveaux plus élevés de capacités cognitives.

Par ailleurs, une analyse de médiation montre que l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles durant l’âge adulte ne constitue pas un mécanisme par lequel le niveau de scolarité corrèle avec le fonctionnement cognitif. Par contre, une analyse de modération révèle que les différences liées au niveau de scolarité dans les capacités cognitives peuvent être réduites (modérées) via l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles durant l’âge adulte, et ce après avoir contrôlé l’influence de l’âge, du genre, de l’activité physique et de l’état de santé auto-rapporté.

Ces résultats fournissent donc deux informations importantes. Premièrement, ils ne confirment pas une idée préconçue courante selon laquelle un niveau de scolarité plus élevé a des effets bénéfiques sur le fonctionnement cognitif du fait que, au moins en partie, les personnes plus scolarisées s’engageraient davantage, étant adultes, dans des activités qui stimulent leurs capacités cognitives. Deuxièmement, ces données indiquent que le risque de moins bon fonctionnement cognitif chez les personnes avec un niveau de scolarité plus bas peut être compensé par l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles.

Des études ultérieures devraient être menées afin de confirmer ces résultats sur des échantillons plus homogènes en âge et en utilisant des mesures objectives de santé. Il s’agirait également d’explorer dans quelle mesure l’engagement fréquent dans des activités culturelles/intellectuelles est associé à un risque moindre de « démence » chez les personnes moins scolarisées.

La prévention du déclin cognitif chez les personnes âgées : le rôle de l’éducation et des activités stimulantes à l’âge adulte  

Une optimisation du vieillissement cérébral/cognitif semble donc pouvoir être obtenue par des mesures conduisant à élever le niveau de scolarité. Dans cette perspective, Barnes et Yaffe (2011) ont estimé les effets qu’aurait la réduction de 7 facteurs de risque (diabète, hypertension au milieu de la vie, obésité au milieu de la vie, tabagisme, dépression, niveau faible de scolarité ou inactivité cognitive, inactivité physique) sur la prévalence de la « maladie d’Alzheimer », en calculant le pourcentage de cas attribuable à un facteur donné et le nombre de cas qui pourraient être évités par une réduction des facteurs de risque de 10% et de 25%, au plan mondial et aux Etats-Unis.

Les auteurs estiment ainsi que, au plan mondial, environ 19% (6.5 millions) de cas de « maladie d’Alzheimer » sont potentiellement attribuables à un niveau bas de scolarité, avec 7% de cas (plus de 385’000 personnes) aux Etats-Unis. Par ailleurs, une réduction de 10% dans la prévalence de niveaux bas de scolarité pourrait diminuer la prévalence de la « maladie d’Alzheimer » d’environ 534’000 cas au plan mondial et de 36’000 cas aux Etats-Unis. Une réduction de 25% pourrait diminuer la prévalence de la « maladie d’Alzheimer » de 1'375’000 cas au plan mondial et de 91’000 cas aux Etats-Unis.

De façon plus globale, les auteurs estiment qu’une réduction combinée de 10% des 7 facteurs de risque pris en compte dans l’analyse conduirait à une diminution de 1'100’000 de cas de « maladie d’Alzheimer » de par le monde et 184’000 cas aux Etats-Unis. Une réduction de 25% des 7 facteurs de risque conduirait à une diminution de 3'000’000 de cas de « maladie d’Alzheimer » dans le monde et de 492’000 cas aux Etats-Unis.

Même si l’étude de Barnes et Yaffe (2011) s’est focalisée sur la « maladie d’Alzheimer », dont l’existence en tant qu’entité spécifique et discrète, différente du vieillissement dit normal, est contestable et de plus en plus contestée, les estimations fournies par cette recherche ont le mérite de montrer en quoi la vie de nombreuses personnes âgées pourrait être modifiée si des actions de prévention efficaces étaient mis en place, et ce notamment dans le domaine de l’éducation (voir aussi notre chronique « Une modélisation de l’impact de la prévention en lien avec le style de vie sur la prévalence de la démence »).

A côté de mesures de prévention visant à élever le niveau d’éducation, la recherche de Soubelet (2011) suggère aussi qu’une autre mesure de prévention pourrait s’avérer efficace pour réduire le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique (de « démence ») chez les personnes ayant eu un faible niveau de scolarité, à savoir susciter chez ces personnes l’engagement dans des activités culturelles/intellectuelles.

Il existe plusieurs données montrant que, de manière générale, des activités culturelles/intellectuelles ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées (voir nos chroniques « Maintenir des activités cognitives stimulantes chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique » et « Des activités de loisirs stimulantes sur le plan cognitif, une vie sociale active et des activités physiques ont un effet protecteur sur le fonctionnement cognitif évalué 20 ans plus tard »).

De façon plus spécifique, les données obtenues par Valenzuela et al. (2011) et par Soubelet (2011) indiquent, d’une part, que l’effet bénéfique d’un niveau élevé de scolarité sur le risque de vieillissement cérébral/cognitif (de « démence ») ne se manifeste que si les personnes s’engagent aussi durant l’âge adulte et la vieillesse dans des activités cognitivement stimulantes et, d’autre part, que l’engagement dans ce type d’activités peut contribuer à réduire les effets négatifs d’un faible niveau scolaire sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées.

Un des objectifs de VIVA est précisément d’offrir aux personnes âgées la possibilité et les moyens de s’engager dans des activités culturelles/intellectuelles stimulantes. Dans les mois qui viennent, et avec l’aide des stagiaires du MAS (Master of Advanced Studies / Maîtrise d’Etudes Avancées) en Psychogérontologie Appliquée de l’Université de Genève, nous nous pencherons tout particulièrement sur les moyens de susciter l’engagement des personnes âgées socialement moins favorisées dans ce type d’activités. 


Sortie-chapelle-065.jpg Visite guidée pour les aînés à la galerie de la Ferme de La Chapelle (Lancy)


Barnes, D.E., & Yaffe, K. (2011). The projected effect of rik factor reduction on Alzheimer’s disease prevalence. The Lancet Neurology, 10, 819-828.

Reuser, K., Willekens, F.J., & Bonneux, L. (2011). Higher education delays and shortens cognitive impairment: A multistate life table analysis of the US Health and retirement Study. European Journal of Epidemiology, 26, 395-403. 

Soubelet, A. (2011). Engaging in cultural activities compensates for educational differences in cognitive abilities. Aging, Neuropsychology, and Cognition, sous presse.

Valenzuela, M., Brayne, C., Sachdev, P., Wilcock, G., & Matthews, F. on Behalf of the Medical Research Council Cognitive Function and Ageing Study (2011). Cognitive lifestyle and long-term risk of dementia and survival after diagnosis in a multicenter population-based cohort. American Journal of Epidemiology, 172, 1004-1012.

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20 août 2011 6 20 /08 /août /2011 20:10

Les troubles respiratoires au cours du sommeil, caractérisés par des réveils fréquents et des épisodes d’hypoxémie, sont fréquents chez les personnes âgées et peuvent affecter jusqu’à 60% de la population âgée. Ces troubles ont été associés à divers problèmes de santé, tels que l’hypertension, des problèmes cardiovasculaires et le diabète. Ils ont également été mis en lien avec des difficultés cognitives, mais la majorité des études qui ont exploré cette question ont adopté une approche transversale ou se sont basées sur des mesures non objectives des troubles respiratoires.

Dans ce contexte, Yaffe et al. (2011) ont entrepris une étude visant à examiner, de façon prospective, s’il existait une relation entre les troubles respiratoires au cours du sommeil et la survenue ultérieure de difficultés cognitives, ainsi qu’à explorer les mécanismes impliqués dans cette relation.

Cette étude a été menée auprès de 298 femmes, âgées en moyenne de 82.3 ans, qui ne présentaient pas initialement de « démence » et qui avaient été soumises à un examen polysomnographique (au domicile et durant une nuit) entre janvier 2002 et avril 2004. Les troubles respiratoires au cours du sommeil étaient définis par un index d’apnée/hypoapnée correspondant à 15 événements ou plus par heure de sommeil.

Le diagnostic de «démence » et de « trouble cognitif léger » (« mild cognitive impairment ») était posé, selon les critères classiques, par un panel d’experts cliniciens (non informés du statut respiratoire des personnes durant le sommeil), sur base des résultats à un examen neuropsychologique, de l’histoire médicale et des données fonctionnelles. Ces informations ont été obtenues entre novembre 2006 et septembre 2008.

Une analyse de régression logistique multivariée a été effectuée afin de déterminer l’association indépendante entre les troubles respiratoires au cours du sommeil et le risque de « démence » ou de « trouble cognitif léger », en contrôlant l’influence de l’âge, de l’appartenance ethnique, de l’indice de masse corporelle, du niveau d’éducation, du tabagisme, de la présence de diabète, de la présence d’hypertension, de la prise de médicaments (antidépresseurs, benzodiazépines, anxiolytiques autres que benzodiazépines) et les scores cognitifs lors de la ligne de base. Par ailleurs, des mesures d’hypoxie, de fragmentation du sommeil et de durée du sommeil ont été prises afin d’explorer les mécanismes impliqués dans l’association.

Les résultats montrent que, en comparaison aux 193 femmes sans troubles respiratoires au cours du sommeil, les 105 femmes avec troubles respiratoires (35.2%) étaient plus susceptibles de développer une « démence » ou un « trouble cognitif léger » (44.8% vs 31.1%; AOR, 1.85 : 95% CI, 1.11-3.08). Par ailleurs, un index élevé de désaturation en oxygène (15 événements ou plus par heure) et un pourcentage élevé de temps de sommeil en apnée ou hypoapnée (>7%) étaient associés au risque de développer une « démence » ou un « trouble cognitif léger » » (respectivement AOR, 2.04 : 95% CI, 1.10-3.78 et AOR, 1.71 : 95% CI, 1.04-2.83). Par contre, les mesures de fragmentation du sommeil ou de la durée du sommeil (temps total de sommeil) n’étaient pas liées au risque de développer un trouble cognitif.

En conclusion, cette recherche montre que les troubles respiratoires au cours du sommeil sont reliés, chez des femmes âgées, à un risque accru de développer un trouble cognitif cinq ans plus tard. En outre, 2 indices d’hypoxie sur 3 sont relié à l’apparition d’une « démence » ou d’un « trouble cognitif léger », suggérant ainsi que l’hypoxie constitue un mécanisme probable par lequel les troubles respiratoires au cours du sommeil augmentent le risque de trouble cognitif (même si d’autres mécanismes sont possibles).

Cette étude observationnelle n’est pas sans limites, notamment le fait qu’elle a été menée seulement chez des femmes âgées, et aussi que l’examen polysomnographique a été réalisé pendant une nuit seulement, ce qui n’a pas permis d’évaluer la variabilité des troubles du sommeil avec le temps. D’autres recherches sont dès lors nécessaires afin de confirmer l’existence d’une relation temporelle, de cause à effet, entre les troubles respiratoires au cours du sommeil et l’apparition de troubles cognitifs chez les personnes âgées. Si les résultats de cette première recherche longitudinale étaient confirmés, ils plaideraient pour l’exploration de nouvelles stratégies de prévention focalisées sur la qualité du sommeil, y compris sur les troubles respiratoires au cours du sommeil.

troubles-sommeil.jpg©123rf

Yaffe, K., Laffan, A.M., Litwack Harrison, S., Redline, S., Spira, A.P., Ensrud, K., E., Ancoli-Israel, S., & Stone, K.L. (2011). Sleep-disordered breathing, hypoxia, and risk of mild cognitive impairment and dementia in older women. Journal of the American Medical Association, 306, 613-619.

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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 07:01

Dans une chronique précédente (« Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées »), nous avons insisté sur le fait que les problèmes psychoaffectifs et comportementaux, fréquemment observés chez les personnes âgées, devraient être explorés dans une perspective multifactorielle et en continuum, et non pas selon une approche catégorielle réductrice conduisant à « neurobiologiser » ces manifestations. 

Ainsi, par exemple, il apparaît que l’apathie (notamment dans ses dimensions de perte d’intérêt et de perte d’initiative) est associée à des dysfonctionnements psychologiques variés, certains en lien direct avec des atteintes cérébrales et d’autres davantage liés aux réactions psychologiques de la personne face à des changements touchant son autonomie, son bien-être, son statut social et familial, etc. Ces dysfonctionnements peuvent ainsi affecter l’estime de soi, le sentiment de contrôle et d’auto-efficacité, la capacité de se projeter dans le futur, la planification, l’état d’humeur, la gestion de l’effort, la capacité de passer de façon flexible d’une attention centrée sur l’environnement externe à une attention centrée sur soi (ses buts, intentions), etc. De même, les symptômes dépressifs sont associés à divers types de dysfonctionnements psychologiques, plus ou moins directement associés aux dysfonctionnements cérébraux et impliquant les relations interpersonnelles, la motivation, le fonctionnement cognitif, la régulation émotionnelle, etc.

Plusieurs de ces dysfonctionnements psychologiques ne pourront être réellement compris qu’en prenant en compte les caractéristiques du fonctionnement antérieur de la personne, notamment dans la période du milieu de la vie (« midlife ») En effet, de plus en plus de données indiquent que le vieillissement physique et psychologique dépend grandement des expériences de vie des personnes durant le milieu de la vie (voir notre rubrique « La période du milieu de la vie : une période clé pour le vieillissement cérébral/cognitif »).

Dans cette perspective, Mortby, Maercker et Forstmeier (2011) ont récemment examiné dans quelle mesure les capacités motivationnelles durant le milieu de la vie (« midlife) prédisaient la progression de l’apathie et de la dépression chez des personnes ayant reçu le diagnostic de MCI (« Mild Cognitive Impairment » ; « Trouble Cognitif Léger ») et de « maladie d’Alzheimer ».

Cette recherche a été menée sur un échantillon issu de la « Aging, Demographics, and Memory Study », une étude menée aux Etats-Unis afin d’identifier la prévalence et les conséquences des troubles cognitifs et de la « démence ». Plus spécifiquement, 137 personnes âgées de plus de 70 ans ont été catégorisées, selon les critères classiques, comme normales sur le plan cognitif (n=48), ayant un trouble cognitif léger (« Mild Cognitive Impairment », MCI ; n=70) ou ayant une « maladie d’Alzheimer probable ou possible » (n=19).

La présence de dépression et d’apathie, et leur progression, ont été évaluées lors de la ligne de base et 18 mois après, au moyen du « Neuropsychiatric Inventory » administré à un proche aidant. Par ailleurs, le prédicteur principal utilisé dans cette étude concernait les aptitudes motivationnelles durant la période du milieu de la vie, estimées à partir du métier principal occupé par la personne.

Ces aptitudes motivationnelles ont été déterminées à partir du « Occupational Information Network, (O*NET) », le système officiel de classification des métiers utilisé par le Département du Travail des Etats-Unis. Il consiste en un lexique hiérarchiquement structuré d’environ 1’100 métiers et en un vaste ensemble de données concernant les caractéristiques de chaque métier (et de la personne qui l’occupe). A partir d’une catégorisation du métier principal, la procédure utilisée (validée par Forstmeier & Maercker, 2008) a permis d’extraire deux variables motivationnelles, hautement corrélées avec les aptitudes motivationnelles auto-évaluées, mais pas avec une mesure d’intelligence cristallisée (verbale) : l’orientation des buts (développer des buts et plans spécifiques afin d’établir des priorités dans son travail, de l’organiser et de le réaliser) et la planification de l’action (déterminer le temps, le coût, les ressources et le matériel nécessaires pour accomplir les activités en lien avec son métier). Quatre variables cognitives ont également été identifiées, hautement corrélées avec l’intelligence mais pas avec les aptitudes motivationnelles auto-évaluées : l’attention sélective (la capacité de se concentrer sur une tâche pendant une certaine période, sans être distrait), la capacité d’identifier des problèmes (la capacité de dire que quelque chose est erroné ou le sera probablement), la capacité d’évaluer la performance (évaluer sa performance, celle des autres ou de l’institution afin d’aboutir à des améliorations) et la perception sociale (être conscient des réactions des autres et des raisons ayant conduit à ces réactions). Un score composite d’aptitudes motivationnelles et un score composite d’aptitudes cognitives ont ensuite été élaborés. D’autres variables ont été prises en compte dans les analyses : genre, ethnicité, statut marital et score au MMSE. Enfin, les aptitudes cognitives ont été introduites comme covariable dans les analyses

L’hypothèse principale des auteurs était que des capacités motivationnelles élevées durant la période du milieu de la vie agiraient comme un facteur protecteur réduisant le risque d’apathie et de dépression (les deux états étant associés à des problèmes motivationnels). Cette hypothèse était notamment sous-tendue par les données montrant que, chez des personnes âgées sans vieillissement cérébral/cognitif problématique, les aptitudes motivationnelles durant le milieu de la vie (évaluées de la même manière que dans la présente étude) étaient négativement associées aux symptômes dépressifs et positivement associées au bien-être (Forstmeier & Maerker, 2008).

Or, contrairement à l’hypothèse des auteurs, les résultats montrent que des aptitudes motivationnelles élevées durant le milieu de la vie sont associées à plus de symptômes d’apathie avec le temps, et que cette association est essentiellement présente chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer », en comparaison aux personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » et aux personnes considérées comme « cognitivement normales ». En ce qui concerne les symptômes dépressifs, ils sont significativement plus élevés chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et qui présentaient des aptitudes motivationnelles élevées durant le milieu de la vie,  que chez les autres participants. Cependant, le niveau de dépression n’évolue pas avec le temps, même chez les personnes présentant une « maladie d’Alzheimer » et des aptitudes motivationnelles élevées durant le milieu de la vie.

Il semble donc exister des circonstances durant lesquelles des aptitudes motivationnelles préalablement élevées peuvent conduire ultérieurement à des conséquences négatives. Ce serait notamment le cas des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique chez lesquelles la présence concomitante de buts difficilement atteignables (notamment du fait de problèmes cognitifs) et d’efforts motivationnels élevés, conduisant à une persistance non productive des comportements, provoquerait des manifestations accrues de dépression et d’apathie. Chez ces personnes, le maintien actif en mémoire de travail de buts inatteignables, et les pensées qui y sont associées, ainsi que des difficultés de mémoire de travail ou de flexibilité plus directement en lien avec des dysfonctionnements cérébraux, empêcheraient la mise en place de buts nouveaux et réalistes.

Il apparaît donc que le bien-être dépend non seulement d’aptitudes motivationnelles efficaces, mais aussi de la capacité d’ajuster ses buts personnels aux changements dans les ressources disponibles, internes et externes (voir le modèle assimilation/accommodation ; Brandstäder & Rothermund, 2002). Ces processus d’ajustement (d’accommodation) gagneraient en importance quand il s’agit de s’adapter aux défis associés au vieillissement.

Cette étude n’est pas sans limite et il faut en particulier relever la taille réduite de l’échantillon examiné et le niveau assez peu élevé d’apathie et de dépression présent dans cet échantillon (peut-être dû à l’utilisation du NPI et aux erreurs de mesure associées aux évaluations fournies par un proche aidant). Ces limites pourraient avoir empêché la mise en évidence de relations entre les aptitudes motivationnelles et la dépression/l’apathie chez les personnes ayant reçu le diagnostic de « MCI » et chez les personnes considérées comme cognitivement normales ainsi qu’une évolution dans le temps du niveau de dépression chez les personnes avec une « maladie d’Alzheimer ». Une autre limite concerne l’utilisation d’une mesure indirecte des aptitudes motivationnelles.

Des recherches ultérieures devraient être entreprises sur des échantillons plus importants de personnes âgées, en adoptant des mesures de symptômes dépressifs et d’apathie plus différenciées (que celles fournies par le NPI) et en obtenant des mesures plus directes des aptitudes motivationnelles durant la période du milieu de la vie. En ce qui concerne l’apathie, il serait notamment important de distinguer les dimensions d’intérêt et de perte d’initiative. Plus généralement, il s’agirait d’examiner de façon plus approfondie les recouvrements et les différences dans les manifestations décrites sous les termes réducteurs de dépression et apathie (en sachant que les dysfonctionnements motivationnels ont été considérés comme une composante majeure de ces deux états). Il faudrait également explorer les liens qu’entretiennent l’état d’humeur négatif et l’allocation d’efforts pour la réalisation d’un but (voir Gendolla & Brinkmann, 2005, pour qui l’état d’humeur constitue une information diagnostique pour l’évaluation des exigences de la situation, laquelle va à son tour déterminer l’intensité de l’effort consenti et la persistance du comportement). Ainsi, il se  pourrait que les manifestations dépressives aient, dans une certaine mesure, un caractère adaptatif en indiquant la nécessité d’un changement de buts, mais que cet ajustement dans les buts personnels serait entravé du fait de difficultés cognitives (p. ex., affectant la flexibilité et/ou les ressources de la mémoire de travail), ce qui renforcerait les manifestations dépressives et d’apathie (sous forme d’humeur négative, de perte d’intérêt et d’initiative).

Quoi qu’il en soit, cette étude indique en quoi les manifestations que recouvrent les concepts d’apathie et de dépression ne doivent pas être interprétées en postulant uniquement l’existence de dysfonctionnements neurobiologiques, mais que, notamment, le fonctionnement psychologique antérieur et les capacités actuelles de coping doivent aussi être pris en compte. Plus globalement, ces données s’accordent avec une approche plurifactorielle du fonctionnement psychologique des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique.  

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Brandtstädter, J., & Rothermund, K. (2002). The life-course dynamics of goal pursuit and goal adjustment: a two-process framework. Developmental Review, 22, 117-150

Forstmeier, S., & Maerker, A. (2008). Motivational reserve: Lifetime motivational abilities influence cognitive and emotional health in old age. Psychology and Aging, 23, 886-899.

Gendolla, G., & Brinckmann, K. (2005). The role of mood states in self-regulation. European Psychologist, 10, 187-198. 

Mortby, M.E., Maercker, A., & Forstmeier, S. (2011). Midlife motivational abilities predict apathy and depression in Alzheimer disease: The Aging, Demographics, and Memory study. Journal of Geriatric Psychiatry and Neurology, sous presse (doi: 10.1177/0891988711409409). 

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24 mai 2011 2 24 /05 /mai /2011 04:17

Plusieurs études ont montré que l’utilisation d’antipsychotiques chez les personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » était peu efficace et pouvait conduire à des problèmes graves tels que des accidents vasculaires cérébraux, des chutes avec fracture de hanche, des problèmes extrapyramidaux, etc. Et pourtant, le recours à ce type de traitement, en tant que mesure de contrôle «chimique » des difficultés comportementales et psychologiques des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence », est encore très élevé (voir notre chronique « La prescription fréquente de médicaments psychotropes aux personnes ayant reçu le diagnostic de démence : une atteinte inacceptable à leurs droits »).

 

L’effet des antipsychotiques (en particulier des antipsychotiques atypiques ou « de deuxième génération ») sur la cognition reste encore peu exploré chez les personnes présentant une « démence ». Néanmoins, une recherche récente, menée dans le cadre de la « Clinical Antipsychotic Trials of Intervention Effectiveness – Alzheimer’s Disease Study (CATIE-AD) », a précisément évalué les effets des  antipsychotiques atypiques sur le fonctionnement cognitif de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » (Vigen et al., 2011).

 

Dans cette étude, 421 personnes avec une « maladie d’Alzheimer » et présentant des hallucinations, des idées délirantes, de l’agitation ou des comportements agressifs ont été aléatoirement réparties (selon une procédure en double aveugle) pour recevoir de la rispéridone (Risperdal®), de la quétiapine (Seroquel®, Ketipinor®), de l’olanzapine (Zyprexa®) ou un placebo. Ces personnes étaient âgées en moyenne de 77.6 ans et vivaient à domicile ou dans une habitation avec assistance. Suivant le jugement de leur clinicien, les patients pouvaient interrompre la médication initialement attribuée et recevoir une autre médication aléatoirement allouée. Ces personnes ont été suivies pendant 36 semaines et les évaluations cognitives ont été obtenues lors de la ligne de base et à 12, 24 et 36 semaines.

 

L’évaluation du fonctionnement cognitif a été réalisée au moyen des tests suivants : MMSE ; la sous-échelle cognitive de l’ « Azheimer’s Disease Assessment Scale (ADAS-Cog) » ; trois sous-échelles supplémentaires de l’ADAS : concentration/distractibilité, barrage de nombres et fonction exécutive (labyrinthe) ; des tests de fluence verbale ; le «  finger tapping test » avec la main dominante et la main non-dominante ; le Trail Making Test (partie A) ; une mesure de mémoire de travail déterminée par la différence entre la performance après 10 sec. et la performance immédiate à une tâche de mémoire de travail visuo-spatiale. En outre, un score cognitif global a été établi à partir des performances aux différents tests décrits précédemment. Enfin, une mesure du changement dans le statut mental de la personne depuis la ligne de base a été recueillie au moyen de la « Clinical Global Impression of Change (CGIC) », une échelle de changement en 7 niveaux remplie par le clinicien (1=très forte amélioration ; 7= très forte aggravation). Un facteur de dysfonctionnement cognitif a également été obtenu par le médecin à partir des items de désorganisation conceptuelle et de désorientation de la « Brief Psychiatry Rating Scale (BPRS) ».

 

Globalement, les personnes ont montré un déclin régulier dans la plupart des domaines cognitifs, et notamment au MMSE (- 2.4 points après les 36 semaines) et à l’ADAS-Cog (- 4.4 points). Cependant, le fonctionnement cognitif a davantage décliné, et de façon cliniquement significative, chez les personnes ayant reçu un antipsychotique par rapport à celles ayant reçu le placebo, et ce dans plusieurs mesures cognitives, notamment le MMSE, les items cognitifs de la BPRS et le score global résumant les performances aux différents tests cognitifs. Des différences significatives ont également été observées dans le déclin cognitif à certains tests individuels, mais pas à d’autres.

Il se pourrait d’ailleurs que l’ampleur du déclin cognitif observé chez les personnes ayant reçu un antipsychotique soit encore plus importante que celle qui a été mise en évidence, dans la mesure où moins de tests ont pu être administrés durant les sessions d’évaluation cognitive les plus tardives, du fait de l’incapacité de certaines personnes à réaliser les tâches ou de leur sortie de l’étude. Il faut relever que les données correspondant aux jours de testing où les proches ont rapporté une sédation chez les personnes âgées ont été exclues de l’analyse.

 

Cette étude ne permet pas de déterminer si les antipsychotiques accélèrent le déclin cognitif de façon permanente ou seulement durant leur administration aiguë. Par ailleurs, il reste à examiner si les effets délétères des antipsychotiques sont équivalents selon les domaines cognitifs, et ce en adoptant des évaluations cognitives plus sensibles. Enfin, la taille relativement réduite de l’échantillon n’a pas permis d’évaluer les différences entre les trois antipsychotiques.

 

En conclusion, il apparaît qu’une aggravation des déficits cognitifs constitue un risque supplémentaire (en plus des risques physiques) associé à un traitement par antipsychotiques atypiques chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Outre le fait que ce type de traitement est peu efficace pour les problèmes comportementaux et les distorsions de la réalité des personnes présentant une « démence », son effet négatif sur le fonctionnement cognitif rend encore plus indispensable la mise en place, chez ces personnes, d’interventions non pharmacologiques (psychologiques et sociales). 

 

Comme nous l’avons indiqué dans notre chronique « Pour une approche multifactorielle et en continuum des problèmes psychoaffectifs et comportementaux chez les personnes âgées », ces interventions devraient s’inscrire dans une approche prenant en compte le caractère multifactoriel ainsi que l’hétérogénéité des problèmes comportementaux et psychoaffectifs des personnes âgées. Il faut rappeler, une fois de plus de plus, que les interventions psychologiques et sociales devraient être taillées sur mesure en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque personne (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »).

 

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Vigen, Ch. L.P., Mack, W.J., Keefe, R.S.E., Sano, M., Sultzer, D.L., Stroup, S.T et al. (2011). Cognitive effects of atypical antipsychotic medications in patients with Alzheimer’s disease: Outcome from CATIE-AD. American Journal of Psychiatry, sous presse (doi: 10.1176/appi.ajp.2011.08121844).   

 

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