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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 23:30

Parmi les multiples facteurs qui pourraient moduler les aspects plus ou moins problématiques du vieillissement, il en est un qui concerne la maîtrise de plusieurs langues.

 

En effet, dans une étude menée à Toronto, Bialystok et al. (2007) ont montré, auprès de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer », que celles qui étaient précocement bilingues (qui parlaient de façon fluente l’anglais et une autre langue et avaient pratiqué ces deux langues durant la plus grande partie de leur vie) présentaient les premiers symptômes de démence en moyenne 4.1 années plus tard que les personnes monolingues. Il faut relever que la majorité des personnes (90%) examinées par Bialystok et al. étaient des immigrés.

 

Plus récemment, Chertkow et al. (2010) ont entrepris une recherche à Montréal, sur un échantillon plus important (632 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » probable). Ils ont profité du fait que, dans cette ville, ils pouvaient comparer des personnes ayant immigré au Canada (et ne parlant initialement ni le français ni l’anglais) et des personnes non immigrantes, mais éduquées dans les deux langues officielles du Canada (l’anglais et le français).

 

Ce travail apporte des résultats plus nuancés que ceux fournis par Bialystok et al. Quand le groupe de participants a été considéré globalement, les résultats ont mis en évidence un effet protecteur, petit mais significatif, du fait de parler plus de deux langues (3 ou plus). Par contre, aucun bénéfice (en termes d’âge au moment du diagnostic et d’âge de début des symptômes) n’a été trouvé au fait de parler uniquement deux langues (d’être bilingue). Cependant, dans le groupe spécifique des immigrés, les résultats sont très similaires à ceux obtenus par Bialystok et al. : le fait de parler deux langues, ou plus, retarde le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » d’environ 5 ans. Un effet tendanciel, allant dans le même sens, a également été observé chez les non-immigrés bilingues dont la langue maternelle était le français, alors que cet effet n’a pas été constaté chez les non-immigrés bilingues dont la langue maternelle était l’anglais.        

 

La source de ces différences de résultats observées en fonction des sous-groupes de personnes est loin d’être claire. En particulier, les différences entre francophones et anglophones ne semblent pas pouvoir être expliquées par le type de métier qu’ils occupaient. Des études ultérieures devront se pencher sur les facteurs (environnementaux ou autres) qui sont à la source de ces différences. Il faut également relever que les participants immigrés unilingues (qui ne parlaient que leur langue d’origine) avaient un niveau d’éducation plus faible, facteur qui a également été associé à un risque accru de vieillissement problématique (Wilson et al., 2009) et qui, par ailleurs, pourrait aussi expliquer que ces personnes n’aient pas appris d’autres langues. Enfin, le fait que les immigrés unilingues ne parlaient pas une des langues officielles du Canada a pu contribuer à davantage d’isolement et de stress, autant de facteurs dont on a montré qu’ils étaient associés à un risque plus important de démence (Bennett et al., 2006 ; Wilson, et al., 2007 ; voir aussi notre rubrique « Risque de  "démence" et stress psychologique»). Ces différents points devront eux aussi faire l’objet d’études futures, dans le but d’explorer la spécificité de l’effet bénéfique du bilinguisme sur l’installation d’un vieillissement problématique chez les personnes immigrées et d’en comprendre la nature. 

 

Quoi qu’il en soit, le fait de parler plusieurs langues (3 ou plus) et, chez certains groupes de personnes, le fait d’être bilingue, semble pouvoir retarder l’apparition des aspects problématiques du vieillissement cérébral. Du point de vue du vieillissement cérébral (mais aussi bien sûr plus généralement), on ne peut donc qu’encourager l’apprentissage de plusieurs langues.

 

Cet encouragement au multilinguisme se justifie d’autant plus que la maîtrise de plusieurs langues permettrait aussi de mieux comprendre les aspirations et, plus largement, l’identité des personnes âgées qui sont issues d’une autre culture. Vieillir dans une culture autre que la sienne est une situation souvent difficile.

 

Il existe assez peu de données concernant les capacités de communication bilingue chez les personnes avec un vieillissement problématique. Cependant, il a été montré que, avec l’âge, les personnes avaient tendance à se retrancher sur leur langue maternelle, indépendamment d’une histoire plus ou moins longue de bilinguisme. De plus, les bilingues plus âgés semblent présenter davantage de difficultés à utiliser deux langues différentes du fait de la présence d’interférences entre ces langues. Ces effets semblent être exacerbés chez les personnes présentant un vieillissement problématique, mais il existe une importante variabilité dans ces difficultés (voir Ardila & Ramos, 2008, pour une brève revue de question).

 

Il a aussi été montré que le fonctionnement cognitif général était évalué comme plus élevé si la communication avec les personnes âgées présentant un vieillissement problématique était menée dans leur langue maternelle plutôt que dans leur langue seconde (Ardila & Ramis, 2008). Ekman et al. (1993, 1994) ont ainsi observé que des personnes « démentes » nées en Finlande, mais qui avaient émigré en Suède, avaient des difficultés de communication avec les soignants parlant suédois, mais pas quand elles communiquaient avec des soignants s’exprimant en finnois. De plus, les incompréhensions fréquentes consécutives à la communication en suédois conduisaient à une communication unidirectionnelle, dans laquelle les soignants commandaient et interrompaient la personne âgée. Globalement, les personnes âgées finlandaises fonctionnaient à un niveau de compétence qui semblait bien inférieur à leur niveau potentiel. Les auteurs concluent que la présence de soignants parlant le finnois permettrait d’augmenter l’autonomie et la qualité de vie des personnes âgées, mais aussi de réduire les coûts de soin.

 

Le fait de pouvoir interagir dans leur langue maternelle, et pas uniquement dans la langue de leur pays d’adoption, permet ainsi aux personnes âgées présentant un vieillissement problématique d’exprimer un niveau plus élevé de compétence, de mieux préciser leur pensée, leurs difficultés et leurs souhaits et de ressentir ainsi un bien-être plus important. Cela leur permet aussi d’avoir un accès privilégié à leurs souvenirs passés et à leur culture, et à en parler, autant d’éléments qui contribuent à renforcer leur identité et leur sentiment de continuité personnelle.

 

Un autre facteur bénéfique pour les personnes présentant un vieillissement problématique sur lequel nous reviendrons ultérieurement est de pouvoir interagir non seulement avec des soignants qui parlent leur langue, mais aussi qui connaissent, voire partagent leur culture (Heikkilä et al., 2007).

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Ardila, A., & Ramos, E. (20089. Normal and abnormal aging in bilinguals. Dementia & Neuropsychologia, 2, 242-247.

Bennett, D.A., Schneider, J.A., Tang, Y. et al. (2006). The effect of social networks on the relation between Alzheimer’s disease pathology and level of cognitive function in old people: a longitudinal cohort study. Lancet Neurology, 5, 406-412.

Bialystok, E., Craik, F.I.M., & Freedman, M. (2007). Bilingualism as a protection against the onset of symptoms of dementia. Neuropsychologia, 45, 459-464.

Chertkow, H., Whitehead, V., Philipps, N., Wolfson, C., Atherton, J., & Bergman, H. (2010). Multilingualism (but not always bilingualism) delays the onset pf Alzheimer’s disease: evidence from a bilingual community. Alzheimer’s Disease and Associated Disorders, 24, 188-125.

Ekman, S.L., Wahlin, T.B., Norberg, A., & Winblad, B. (1993). Relationship between bilingual demented immigrants and bilingual/monolingual caregivers. International Journal of Aging and Human Development, 37, 37-54.

Ekman, S.L., Wahlin, T.B., Viitanen, M., Norberg, A., & Winblad, B. (1994). Preconditions for communication in the care of bilingual demented persons. International Psychogeriatrics, 6, 105-120.

Heikkilä, K., Sarvimäki, A., & Ekman, S.-L. (2007). Culturally congruent care for older people: Finnish care in Sweden. Scandinavian Journal of Caring Sciences, 21, 354-361.

Wilson, R.S., Hebert, L.E., Scherr, P.A. et al. (2009). Educational attainment and cognitive decline in old age. Neurology, 72, 460-465.

Wilson, R.S., Arnold, S.E., Schneider, J.A., et al. (2007). Chronic stress, age-related neuropathology, and late life dementia. Psychosomatic Medicine, 69, 47-53. 

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